Il y a des courants dans l’opinion publique internationale qui tentent de faire accroire que l’impasse dans laquelle se trouve englué le conflit israélo-palestinien est due à l’attitude du gouvernement d’Israël, mais pas de son peuple. Il y plusieurs manières de contester cette distinction entre peuple et gouvernement, mais nous n’en retiendrons que deux pour la démonstration.
Le premier argument est celui de la nature démocratique de l’Etat d’Israël, où le pouvoir politique tire sa légitimité non seulement du système électoral, mais aussi des institutions qui permettent à un Etat de droit de fonctionner normalement entre deux élections. Parmi celles-ci la liberté de presse, d’opinion, de culte, l’indépendance de la justice, le droit de grève, celui de manifester, l’égalité des sexes, les partis politiques etc..Ceci pour dire que le gouvernement d’Israël exprime bel et bien la volonté du peuple au sens démocratique du terme. Il est donc absurde de faire mine en Europe ou ailleurs qu’on est en désaccord avec le gouvernement d’Israël mais pas avec son peuple, parce que les deux sont inextricablement liés .
Le deuxième argument consiste à réfuter l’idée comme quoi le premier ministre Benjamin Netanyahu serait moins accommodant que ne le furent certains de ses prédécesseurs, dont Itzhak Rabin. En réalité Itzhak Rabin rejetait la notion même d’Etat palestinien. Il était catégoriquement opposé au retour des lignes de 1967. Il excluait le partage de Jérusalem. Il projetait non seulement d’inclure les colonies existantes en Cisjordanie ou à Gaza dans l’Etat d’Israël, mais proposait d’en ajouter. Il estimait que la vallée du Jourdain devait être la frontière d’Israël au sens le plus large du terme.
On peut arguer que si Rabin avait vécu il aurait peut-être adouci sa position. On n’en sait rien, mais d’après sa fille Dahlia il envisageait à la veille de son assassinat un durcissement vis-à-vis des palestiniens et un renoncement aux accords d’Oslo, ceci à cause de la reprise du terrorisme, et parce qu’Arafat ne respectait pas ses engagements (voir My father considered stopping the Oslo process due to terrorism).
Le parti travailliste « Avoda » auquel appartenait Rabin est membre de l’Internationale Socialiste. Ce parti a pendant longtemps dominé la politique israélienne parce qu’il incarnait l’épopée sioniste combinée au socialisme. Non seulement n’est-il plus majoritaire depuis longtemps, mais il s’est rétréci ces dernières années au point de presque disparaître. Il a y une quinzaine de jours il a organisé des primaires, et élu à sa tête Shelly Yachimovich, une députée entrée en politique après avoir quitté le journalisme.
Lors de sa campagne pour les primaires, Shelly Yachimovich a donné une interview au journal Haaretz. A la question de savoir ce qu’en tant que femme de gauche elle pensait des colons israéliens en Cisjordanie, elle a répondu « ces colons ne sont pas nos ennemis. C’est pour cela que quand je vais au supermarché je ne boycotte pas leurs produits ». Cette déclaration a déclenché une violente polémique dans les milieux de gauche, mais ne l’a pas empêchée d’être élue à la direction de son parti. Mieux: les sondages nous apprennent maintenant que s’il y avait des élections pour le Parlement, le nombre de députés d’Avoda passerait de sept à vingt-deux, plaçant ce parti en deuxième position derrière le Likoud.
Le parcours de la socialiste Shelly Yachimovich démontre que le peuple de gauche n’est plus dupe de certains de ses intellectuels qui ne proposent pour résoudre le conflit israélo-palestinien que des slogans en décrochage complet avec la réalité. Shelly Yachimovich estime que les colonies en Cisjordanie ne sont pas les causes d’un problème, mais l’effet d’un problème. En d’autres mots, que les ennemis d’Israël ne veulent de juifs ni dans les frontières d’avant 1967 ni dans celles d’après.
Un des rivaux de Shelly Yachimovich aux primaires du parti a prévenu les militants que « voter Shelly Yachimovich, c’est voter Netanyahu ». Il n’avait peut-être pas tort.