La confusion entre identité et religion juive

Pour ceux qui s’étonnent qu’Israël se définisse comme Etat Juif il est parfois problématique de concilier cela avec la notion de modernité dans la mesure où cette définition est comprise dans son acception religieuse. Cela peut conduire – à tort – à assimiler Israël à une théocratie comme par exemple l’Iran ou l’Arabie Saoudite. Israël est au contraire une démocratie de type occidental, même si la religion y bénéficie d’un statut officiel. Mais l’Angleterre, la Norvège, le Danemark, l’Argentine ou la Grèce ont eux également une religion officielle, particularité qui tout comme en Israël a des origines historiques. La France quant à elle s’est dotée en 1905 d’une loi imposant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais la plupart des jours fériés demeurent néanmoins chrétiens, à commencer par le dimanche, et en Alsace-Moselle les religions ont un statut officiel. Les prêtres, les pasteurs et les rabbins y reçoivent leurs salaires de l’Etat, et les évêques sont nommés par le Président de la République. Cela ne fait cependant pas de la France une théocratie.

La pratique de la religion juive et l’appartenance au peuple juif sont donc deux choses distinctes. Le peuple juif a une histoire particulière eu égard à son exil bimillénaire, durant lequel l’absence de terroir ou d’autonomie politique la religion assurait la continuité du peuple. Mais depuis le siècle de Lumières beaucoup de juifs revendiquent leur appartenance tout en se détournant de la religion. C’était d’ailleurs le cas de la plupart des pères fondateurs du sionisme, qui revendiquaient d’autant plus leur identité juive et leur attachement à l’héritage culturel du peuple juif.

Baruch Spinoza, grand penseur de la modernité, pensait que bien que l’Ancien Testament fût le texte fondateur du peuple juif, il y avait lieu de distinguer entre sa portée métaphysique et son propos politique. Spinoza relevait d’ailleurs que la Torah, et à fortiori le Talmud, consacrait infiniment plus de place aux questions des relations entre les hommes que celles avec Dieu. Il trouvait en conséquence que les juifs avaient tort de s’être résignés à l’exil en attendant l’ère messianique au lieu d’agir concrètement pour recouvrer une existence nationale. Il estimait d’une manière générale que seul un Etat laïque pouvait assurer la liberté politique, intellectuelle et religieuse pour tous. C’est pour cette raison que Ben Gourion et d’autres pionniers de l’Etat d’Israël estimaient que Spinoza avait été un sioniste de la première heure, et méritait qu’on lui rendît sa place dans le panthéon du judaïsme avoir été excommunié de la communauté juive d’Amsterdam.

Ni la Renaissance, ni le Siècle des Lumières, ni la Révolution Française ni le Socialisme n’ont éradiqué l’identité juive. La modernité a même eu un effet inverse, et jamais les juifs n’ont été autant persécutés que depuis leur émancipation, avec un pic absolu d’horreur au vingtième siècle. La rapidité avec laquelle les juifs ont rallié l’élite intellectuelle, artistique, scientifique et politique européenne après en avoir été écartés pendant des siècles a semé un trouble durable dans les opinions publiques, et l’antisémitisme est loin d’avoir disparu.

Ceci dit le fait d’être juif ou d’ascendance juive ne pose aucune obligation à s’identifier à la communauté juive ou à avoir des liens privilégiés avec Israël. Il n’y a en tout et pour tout que treize millions de juifs qui s’identifient comme tels à travers le monde, ce qui indique que beaucoup doivent s’être assimilés au fil de l’Histoire.

Il n’en reste pas moins qu’une grande partie des treize millions restants estiment faire partie du peuple juif, et que près de la moitié d’entre eux sont aujourd’hui des citoyens d’Israël, l’Etat Juif.

Antisionisme et antisémitisme

Certains observateurs de la politique israélienne déclarent de bonne foi être antisionistes, tout en se défendant d’être antisémites. A ceux qui leur disent que l’antisionisme n’est qu’un antisémitisme recyclé, ils opposent qu’il est injustifié de taxer ainsi une opinion qui ne fait somme toute que récuser le sionisme en tant que projet politique. Ils estiment donc que l’antisionisme relève de la liberté d’expression.

Je ne suis pas du tout de cet avis.

Tout un chacun peut critiquer ou prendre ses distances avec Israël, mais il faut se garder de confondre l’antisionisme avec le droit de s’opposer à la politique israélienne.

Il s’agit de mesurer le poids des mots. Exprimer son opposition à Israël en se disant antisioniste est une dérive sémantique qui a de graves implications, parce que l’antisionisme est une transgression morale au même titre que l’antisémitisme, et devrait être proscrite.

Etre antisioniste, c’est désavouer le sionisme en tant que mouvement de libération nationale, remarquable entreprise humaine qui a débouché sur un Etat moderne dans une région qui n’avait pas été souveraine depuis des siècles et n’avait jamais connu de démocratie.

Etre antisioniste c’est contribuer à la déligitimation d’Israël et contester le droit du peuple juif à disposer de lui-même. C’est nier les implications d’une impressionnante série de dispositions juridiques relevant Droit International telles que la Déclaration Balfour, la Conférence de San Remo, la Commission Peel, la Résolution 181 et 242 de l’ONU, qui toutes ont concouru à ce que la Communauté Internationale reconnaisse de manière irrévocable le droit au peuple juif de vivre en Israël en paix dans des frontières sûres et reconnues.

Etre antisioniste ce n’est donc pas critiquer tel ou tel aspect de la politique israélienne, mais dénier à Israël le droit d’exister. C’est également s’associer à la dictature islamiste iranienne et à ses filiales terroristes installés aux frontières d’Israël, qui appellent sans ambiguïté à la destruction de ce qu’ils appellent l’Entité Sioniste.

La proclamation de l’Indépendance d’Israël en 1948 constitue l’aboutissement de la longue marche du peuple juif pour recouvrer son indépendance en tant que nation, mouvement dont les acteurs ont à chacune des étapes scrupuleusement veillé à s’assurer de la légitimité de leur démarche.

Les 400.000 juifs qui s’apprêtaient à créer l’Etat d’Israël avant même la Deuxième Guerre Mondiale étaient munis de passeports de Palestine frappés du sceau de la Couronne Britannique, tout comme les arabes. Les juifs qui n’étaient pas nés en Palestine y étaient venus avec des visas d’immigration en bonne et due forme, là aussi comme de nombreux arabes venus de pays limitrophes attirés par une prospérité relative.

Aux antisionistes qui estiment que l’Angleterre en tant que puissance coloniale avait disposé d’une terre qui n’était pas la sienne en permettant aux juifs de s’y établir, il faut suggérer de s’en prendre aux anglais, et pas aux juifs. Ceux-ci n’ont fait que proclamer un Etat Juif parfaitement légitime sur un sol qui leur appartenait.

L’antisionisme est un déguisement cousu de fil blanc.

Israël et le problème iranien

Le   problème que pose la course à l’arme nucléaire existe depuis que les Etats-Unis s’en sont servis en 1945 pour mettre un terme à la guerre avec le Japon. La décision des américains était basée sur une comptabilité macabre, à savoir qu’il y aurait moins de morts en frappant le Japon par la Bombe qu’en poursuivant une guerre conventionnelle. Le problème que cela posait eu égard aux lois de la guerre  n’était  pas spécifique au nucléaire, les considérations humanitaires ayant déjà été ignorées par les Alliés lors de bombardements indiscriminés de populations civiles allemandes.

Dans un premier temps la perception courante fut que la Bombe constituait certes l’arme la plus redoutable jamais conçue, mais qu’il était somme toute logique que le progrès de l’industrie de  l’armement aille de pair avec celui des autres technologies caractérisant le vingtième siècle.

Ce n’est que quelques années plus tard que le monde a commencé à prendre conscience d’un corollaire inattendu de l’avènement de la Bombe: c’est que pour la première fois dans l’Histoire il apparaissait que quel que fût le premier qui tirerait, tous les protagonistes seraient anéantis, de telle sorte qu’il ne pouvait plus y avoir de vainqueur.

C’est basé sur cette notion que s’est développée la doctrine de l’Equilibre de la Terreur durant la Guerre Froide. C’est ce qui a fait que ni le bloc soviétique ni le bloc occidental ne se sont jamais servi de l’arme nucléaire, tout en développant un potentiel de destruction monstrueux.

La dissémination nucléaire est en marche de par la volonté des nations qui en ont résolu ainsi. En attendant une décision universelle et crédible pouvant déboucher sur un désarmement, on n’a pas d’autre choix que de se fier à un nouvel Equilibre de la Terreur, et de veiller à ce que les Bombes demeurent dans des mains supposées responsables.

L’Iran est soupçonné de développer une bombe atomique. Il faut le déplorer, mais il est illusoire de penser que quelle technologie que soit puisse indéfiniment rester dans les mains d’une poignée d’initiés. L’Iran dispose d’assez de ressources pour acquérir le savoir-faire nucléaire, et les combustibles en rapport ne connaissent pas de frontières quand il s’agit de fournir des clients disposés à payer le prix.

L’Iran fait preuve depuis un  certain temps déjà d’un antisionisme déchaîné. Le Président Ahmadinejad déclare de manière répétée vouloir rayer Israël de la carte. Pour ceux qui estiment encore que l’antisionisme n’est pas forcement de l’antisémitisme, Ahmadinejad les éclaire en faisant preuve d’une remarquable pédagogie. Il promeut une propagande anti-juive au moyen des Protocoles des Sages de Sion, du négationnisme de la Shoah, de concours de caricatures et de créations mettant en évidence la conspiration juive visant à dominer le monde.

L’Iran s’attaque aux juifs parce que c’est un moyen qui a fait ses preuves et qui a l’avantage de rallier les masses avant d’entreprendre quoi que ce soit. L’Inquisition, le nazisme, le stalinisme et l’islamisme s’inscrivent de ce point de vue-là dans une remarquable continuité.

Cependant la bombe atomique iranienne n’est en réalité pas conçue dans le but de détruire Israël. Les iraniens savent d’ailleurs qu’une agression signifierait son propre arrêt de mort, puisque de nombreuses sources dignes de foi affirment qu’Israël est pourvu d’un arsenal nucléaire autrement plus important.  Les véritables cibles sont les champs pétrolifères du Moyen-Orient, dont les détenteurs seraient eux incapables de riposter, n’ayant pas de force de dissuasion nucléaire. L’Arabie Saoudite est la première visée, et l’Amérique l’est indirectement aussi, puisque cela la priverait  de son approvisionnement en pétrole.

La diplomatie israélienne se déploie en ce moment non seulement pour soi-même, mais aussi pour faire prendre conscience au monde que l’Iran se sert de sa détestation d’Israël comme manœuvre de diversion. Cela s’est déjà produit lors de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990, quand il a envoyé une pluie de missiles sur Israël sans que cela ait quel lien que ce soit avec le conflit.

On peut retarder la construction de la Bombe iranienne au moyen de sanctions ou en détruisant les sites nucléaires, mais la menace ne peut être écartée durablement que par un changement de régime en Iran. C’est à cela que l’Occident doit s’employer avant qu’il ne soit trop tard. Pas forcement par la violence, mais en assistant de manière efficace et massive l’opposition iranienne qui s’est déjà manifestée avec force à plusieurs reprises, mais sans succès.

L’Etat d’Israël doit être vigilant parce que comme l’Histoire passé l’a démontré depuis sa création, il ne peut pas se permettre de perdre une seule guerre, au risque de disparaître. En ce qui concerne l’Iran cette règle est plus vraie que jamais, mais cela ne signifie pas qu’Israël doit prendre sur soi une responsabilité qui incombe d’abord à ses voisins, et ensuite au monde libre.

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