La Torah est synonyme de Pentateuque, mais c’est aussi un terme générique pour l’ensemble du corpus qui y est associé. Des siècles durant elle était considérée comme difficile à appréhender, mais néanmoins parfaite parce que d’inspiration divine. Il y eut bien de temps à autre des érudits pour relever des contradictions ou des incohérences, mais le sujet était trop délicat pour être soulevé dans un monde dominé par la religion.
La Torah relate beaucoup d’évènements, mais n’est pas un manuel d’histoire. C’est une compilation hétérogène de textes rédigés, recopiés, amendés, revus et commentés tout au long de nombreux siècles par de nombreux auteurs, parfois sous la pression d’une actualité brûlante. Il importe donc moins de savoir si tel ou tel évènement s’est réellement déroulé, que de saisir la vision du monde qui s’en dégage.
La Torah n’est pas un traité de métaphysique. L’origine du monde est expédiée dans les quelques premiers chapitres de la Genèse, après quoi il n’est plus question que de la condition humaine, des rapports de l’homme avec son prochain et avec la société, le tout au moyen de récits plus ou moins mythiques. Le Nouvel-An juif ne célèbre d’ailleurs pas la création du monde, mais celle de l’homme.
La Torah, c’est de la littérature au sens le plus large du terme, et on ne peut la confiner dans aucune catégorie en particulier. Certains passages relèvent d’intérêts politiciens ou sectaires, d’autres de questions de société, et d’autres encore de politique ou de morale. Le style passe de la prose à l’incantation, de la poésie au dialogue. Les récits sont foisonnants, parfois sans fil conducteur, souvent répétitifs, et abordent les aspects les plus intimes de la vie comme les grands moments de l’Histoire. Les prophètes quant à eux sont des visionnaires mais ne prédisent pas l’avenir, mettant plutôt en garde le peuple et ses dirigeants contre ce qui est susceptible d’arriver.
La Torah contient une énumération de principes où chacun peut trouver de quoi alimenter sa réflexion. La loi juive découle bien entendu de la Torah, mais n’y figure le plus souvent que de manière allusive, laissant le champ libre à l’interprétation. C’est ainsi que la tradition juive exclut toute lecture littérale de la Torah, et donc tout fondamentalisme. Seule compte l’exégèse, or celle-ci ne peut se faire qu’au moyen de la raison, et peut d’ailleurs varier au fil du temps. C’est ce qui fait que l’étude a une place tellement centrale dans l’éducation juive. Apprendre la Torah, c’est aussi apprendre à nuancer.
Yeshayahu Leibowitz, juif orthodoxe, homme de science et éminent philosophe contemporain, estime qu’il n’existe pas de valeur universelle. Il ne conçoit que des valeurs qu’on décide d’adopter, et que c’est justement parce qu’elles ne sont pas universelles qu’il faut les défendre. Ainsi en va-t-il de la Torah, qui selon Leibowitz a été écrite par des hommes, après quoi d’autres hommes ont décidé de lui donner un caractère sacré. C’est d’ailleurs tout aussi vrai pour la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme elle-même, qui n’a d’universel que le nom, étant donné qu’une grande partie de l’humanité n’y adhère pas.
La Torah parle beaucoup de Dieu mais n’est pas strictement parlant un ouvrage théologique. Certains y puisent des raisons de croire, mais d’autres voient au contraire dans l’engagement de la Torah contre l’idolâtrie les prémisses de l’athéisme moderne. Les grecs de l’Antiquité reprochaient d’ailleurs aux juifs de ne pas avoir de Dieu, puisque celui auquel ils se référaient était invisible, absent du monde et même indicible.
Maimonide, penseur du Moyen-âge souvent considéré comme le plus grand des commentateurs de la Torah, enseignait qu’on ne pouvait rien dire de Dieu, sauf qu’on ne pouvait rien en dire. Spinoza, philosophe rationaliste et exégète biblique pensait que les notions de Dieu et de Nature étaient interchangeables, vidant du même coup la notion même de surnaturel de sens et l’associant à la superstition.
Le Gaon de Vilna, autorité rabbinique majeure du dix-huitième siècle disait: « De Dieu on ne peut rien dire, pas même qu’il existe ».
La peuple juif est à l’origine de la Torah, mais celle-ci fait maintenant partie du patrimoine de l’humanité. Reste que le peuple juif en détient les droits d’auteur, et aussi la demeure.