Précis de Palestine

L’avènement de l’Etat d’Israël à travers le sionisme est l’aboutissement d’un projet magnifique, d’une aventure humaine hors-normes qui ne s’est faite au détriment de personne. Pourtant Israël ne survivrait pas quarante huit heures si certains de ses voisins avaient l’assurance d’être les plus forts. C’est vrai aujourd’hui, mais c’était déjà vrai de 1948 à 1967, quand il n’y avait ni colonisation ni occupation israélienne, et que les palestiniens pouvaient revendiquer un Etat en Cisjordanie et à Gaza sur ce même territoire qu’ils revendiquent aujourd’hui d’Israël.

Le dépècement de la Palestine avait commencé avec la création de la Transjordanie entre les deux guerres mondiales. Ce territoire essentiellement palestinien (75 %) s’appelle aujourd’hui Jordanie, et est dominé par une minorité bédouine (25 %). Chaque fois que les palestiniens de Jordanie ont eu des velléités d’indépendance ils ont été massacrés . Peu après sa création en 1946, la Jordanie s’est emparée de la Cisjordanie et de la vielle ville de Jérusalem, et annexé ces territoires sans la moindre intention de les céder à ses habitants. En passant ils ont foulé aux pieds la Résolution 181 de l’ONU internationalisant les lieux saints, et interdit à tout juif, israélien ou pas, d’y pénétrer pendant les 19 ans de l’occupation jordanienne.

Avant 1948 il y avait à peu près un millions huit cent mille palestiniens sous occupation britannique, soit deux tiers de palestiniens arabes et un tiers de palestiniens juifs. Tous palestiniens, donc. Après que les britanniques évacuent la Palestine, arabes palestiniens et juifs palestiniens avaient donc de tous points de vue les mêmes droits sur ce pays, non pas pour des raisons mythiques, mais tout d’abord parce qu’ils y étaient. On peut arguer à l’infini sur l’évolution de la démographie de la Palestine au fil de l’Histoire, mais nul ne peut contester qu’il y avait eu sur ces lieux une présence juive ininterrompue depuis l’Antiquité.

Il n’y avait pas d’Etat palestinien avant 1948, mais des clans, des tribus et des communautés disparates. En évacuant la Palestine, les britanniques laissaient non pas quelque chose qui ressemblerait à l’Etat Français, mais une mosaïque dont les principaux éléments étaient arabes et juifs. Les juifs avaient cependant développé depuis près d’une siècle un ensemble cohérent d’institutions comme l’Université de Jérusalem, une centrale syndicale, une éducation nationale, un système de transport, une agriculture, une police, et même un embryon de force militaire sous contrôle britannique.

Il y eut de nombreuses tractations entre arabes et juifs avant l’indépendance d’Israël, mais les leaders arabes avaient décidé de recourir à la violence dès les années 1920 et se sont même alliés aux nazis dans l’espoir que la liquidation des juifs s’étendrait à la Palestine. Il eût été préférable d’aboutir à une solution par le dialogue, mais il n’y avait aucune obligation morale ni légale pour les juifs de solliciter de qui que ce soit la permission de se constituer en Etat. Il n’y avait pas d’entité nationale palestinienne en 1948, mais un territoire nommé Palestine qui se retrouvait sans occupant pour la première fois depuis des siècles. Faute de pouvoir s’entendre avec les palestiniens arabes, les six-cent mille palestiniens juifs ont fait valoir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils ont proclamé leur indépendance conformément au plan de partage de l’ONU, qui ne leur accordait pourtant que la portion congrue de la Palestine historique.

Il est courant d’entendre que la création de l’Etat d’Israël a été précipitée par la Shoah. En réalité c’est l’inverse: la Deuxième Guerre Mondiale a retardé cette création. Il y avait déjà eu en 1937 la Commission Peel, délégation britannique venue examiner la situation politique, démographique et culturelle de ce territoire qui n’avait quasi jamais connu de souveraineté depuis les rois de Judée. Le rapport de la Commission Peel date de 1937, soit de dix ans avant la Résolution de l’ONU recommandant le partage de la Palestine, et démontre que celle-ci ne ratifiait pas une fiction, mais une réalité sur le terrain.

Le mini-Etat d’Israël de 1948 recelait une population qui pour une partie n’y était que depuis peu, mais cela n’enlève rien à sa légitimité, tout comme en France la population dite « issue de l’immigration », sont des citoyens à part entière. La différence avec la Palestine, c’est qu’il n’y avait pas d’identité locale, mais une peuplade multiethnique dont une partie était même nomade.

L’arrivée des juifs en Palestine sous l’impulsion du sionisme ne relève pas d’une conquête, mais d’un mouvement de population. Les palestiniens arabes ont cependant un argument recevable du fait que l’occupant britannique ait donné de la consistance au projet d’Etat Juif en promulguant la Déclaration Balfour en 1917. Mais du point de vue juif, débarquer à l’époque en Palestine avec un visa en bonne et due forme délivré par le maître des lieux était parfaitement légitime. Même vu sous cet angle, les juifs ne commettaient aucune faute, et arrivaient de bonne foi sous la tutelle de celui qui détenait les clés de la Palestine. Si l’on tient absolument à pointer du doigt des coupables, c’est à Londres qu’il faut aller les chercher, mais c’est un peu tard parce qu’ils sont morts, et qu’Israël vit.

En 1948 la plupart des observateurs pariaient sur le décès d’Israël dans les six mois. En 1967 le monde entier s’attendait à la liquidation d’Israël. Mais les six cent mille juifs faméliques de 1948 sont devenus six millions, ceci dans un pays moderne, prospère et dynamique, et vivent pacifiquement avec un million et demi de concitoyens arabes israéliens.

Une grande partie des palestiniens n’a toujours pas intériorisé l’idée qu’Israël est là pour rester. Quand on voit que l’Etat d’Israël n’existe sur aucune de leurs cartes géographiques et que leur système scolaire enseigne que Tel-Aviv fait partie des territoires occupés, on est en droit de se méfier. Tant que les palestiniens ne seront pas disposés à mettre un terme au conflit, il n’y aura, au mieux, qu’un interminable cessez-le-feu. En attendant le temps joue contre le peuple palestinien, victime non pas d’Israël, mais d’un narratif stérile.

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