Yeshayahu Leibowitz, penseur, scientifique et figure majeure du monde juif du siècle dernier, avait été en faveur de la Guerre des Six-Jours en 1967 parce qu’il l’avait considérée comme relevant de la légitime défense. Mais peu après il avait prôné avec force le retrait des territoires conquis, considérant que l’occupation était moralement malsaine en plus d’être un risque pour Israël au plan démographique. Il fut un adversaire implacable de l’occupation, et n’eut de cesse que de la dénoncer au moyen de formules d’une extrême violence.
Ce qu’il est convenu d’appeler le « Camp de la Paix » en Israël se complait aujourd’hui à se réclamer de Leibowitz en estimant que sa vision avait été prémonitoire. Cependant cette appropriation post-mortem est abusive parce qu’elle escamote la quintessence de sa vision. Il y avait quelque chose de tragique dans la pensée de Leibowitz, qui d’après ses propres dires n’était en rien un pacifiste. Il estimait en effet qu’il n’y avait aucune paix possible entre Israéliens et arabes, quelles que fussent les conditions ou la bonne volonté des protagonistes, qui d’après lui s’excluaient mutuellement de manière ontologique. Leibowitz exigeait certes la fin de l’occupation, mais était en même temps convaincu que cela ne mettrait pas fin à la guerre.
Ce qu’essaient tous les gouvernements d’Israël depuis 1967 consiste au contraire à obtenir la sécurité par une solution mettant fin à la fois à l’occupation et à la guerre. Cette politique a d’ailleurs partiellement été couronnée de succès, parce si Israël n’avait conservé le Sinaï après la Guerre des Six-Jours il n’y aurait sans doute jamais eu de traité de paix avec l’Egypte. Cet épisode démontre de manière incontestable qu’Israël avait eu raison de ne pas restituer de territoires sans rien demander en échange.
Le « Camp de la Paix » caricature le gouvernement en soutenant que celui-ci ne se préoccupe pas de trouver une issue au conflit. En réalité avancer cela n’est pas sérieux eu égard aux efforts manifestes consentis par Israël depuis 1967. La restitution du Sinaï, la paix avec la Jordanie, le retrait du Sud-Liban, le Plan Clinton, l’évacuation de Gaza, les pourparlers Olmert – Mazen et la formule « deux Etats pour deux peuples » de Netanyahu, toutes ces initiatives constituent des précédents assez explicites pour que des négociations entre israéliens et palestiniens soient tentées sans conditions préalables. Le refus persistant de l’Autorité palestinienne est d’autant plus incompréhensible qu’Israël pourrait lui aussi poser des conditions, et exiger par exemple que tout accord éventuel devrait engager d’office et d’avance non seulement l’Autorité Palestinienne, mais aussi le régime de Gaza, qui réclame encore toujours la liquidation d’Israël.
L’intransigeance des palestiniens repose sur un procès d’intention. Ils estiment qu’au travers de ce qu’ils pensent de ce que les israéliens pensent, ils n’obtiendront rien par la négociation. Mais quand bien même ce sentiment serait fondé, l’échec dont Israël se rendrait coupable serait pour les palestiniens une victoire politique et diplomatique. Ils ont donc tout à gagner en négociant, parce que de deux choses l’une: soit ils parviennent à un arrangement, soit ils démontrent qu’Israël est déraisonnable. En réalité il existe une troisième possibilité, à savoir qu’Israël s’avère raisonnable et que les palestiniens se rebiffent pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la raison. C’est probablement ce qui fait qu’ils préfèrent aboutir à la création d’un Etat par tous les moyens excepté la négociation, en d’autres mots sans mettre fin au conflit.
Le « Camp de la Paix » estime que quand bien même les palestiniens seraient de mauvaise foi, c’est à Israël de consacrer le plus grand effort possible et de prendre l’initiative parce qu’il est en position de force, parce qu’il y va de son intérêt, et parce qu’Israël à une responsabilité éthique envers les populations palestiniennes qui vivent dans une prospérité relative mais dans un flou identitaire. Mais en supposant que les israéliens aillent jusqu’à abattre leurs cartes avant même de négocier, et qu’ils concèdent tout ce qu’il est humainement possible de concéder, mais que néanmoins les négociations échouent, alors un retrait unilatéral de Cisjordanie sur le modèle de celui de Gaza s’imposera tôt ou tard, même aux yeux du « Camp de la Paix ». Il n’y aura alors de frontière sûre et reconnue ni pour Israël ni pour la Palestine, mais un état de fait qui sera tout sauf la fin du conflit.
Un tel retrait serait donc conforme au vœu de Leibowitz, mais serait aussi un retour à la case départ.