L’Union Européenne ou l’art du contretemps

Le rabbin David Meyer est professeur de littérature rabbinique et de pensée juive contemporaine à Université pontificale grégorienne de Rome. Il a publié ces jours-ci un article intitulé « Sauver Israël de sa propre perte » dans le quotidien « La Libre Belgique » pour commenter l’adoption par l’Union Européenne d’une directive invitant les Etats-membres à limiter leurs accords entre l’Europe et Israël aux frontières « internationalement reconnues ». David Meyer souscrit à la décision de l’Union Européenne avec satisfaction, parce qu’il estime que celle-ci « définit de manière officielle l’espace géographique de l’Etat d’Israël ». Cependant quiconque s’intéresse à l’histoire d’Israël sait qu’il n’y a pas de frontières « internationalement reconnues » entre Israël et la Cisjordanie, mais uniquement des lignes d’armistice datant de 1949. Ce n’est pas une objection sémantique, mais une réalité formelle.

L’occupation de la Cisjordanie est la conséquence d’une agression caractérisée de la Jordanie contre Israël en juin 1967 lors de la Guerre des Six-Jours, sans quoi cette occupation n’aurait jamais eu lieu. Il est vrai qu’Israël avait initié les hostilités suite au casus belli créé par le blocus des égyptiens du détroit de Tiran, mais ce sont bel et bien les jordaniens qui ont attaqué Israël à partir de la Cisjordanie (qu’ils occupaient eux-mêmes à l’époque) alors qu’ils n’avaient pas été provoqués. Le roi de Jordanie avait estimé qu’Israël n’aurait pas la capacité de résister sur deux fronts, et comptait saisir l’occasion de l’engagement d’Israël contre l’Egypte pour s’emparer de la Palestine historique toute entière en jetant les juifs à la mer. Israël a riposté en chassant les jordaniens, et l’occupation israélienne de Cisjordanie a ainsi commencé en toute légalité sur base de la légitime défense et conformément au droit international. Ce qui est peut-être plus ambigu sur ce plan, c’est l’annexion de Jérusalem-Est et celle du Golan, mais ainsi va la guerre. On n’ose penser à ce qui se serait passé si Israël l’avait perdue.

Comment peut-on imaginer un seul instant qu’Israël accepte maintenant de retourner au statu quo ante, sans garanties et sans fin du conflit? C’est tellement impensable que le monde arabe lui-même, palestiniens compris, ont explicitement accepté le principe de l’échange de territoires entre la future Palestine et Israël. C’est l’esprit du plan Clinton comme celui des pourparlers Olmert-Abbas, qui constituent selon toute vraisemblance la base sur laquelle les parties s’apprêtent à négocier en ce moment même. Dans ces conditions, comment l’Europe fait-elle pour déterminer où sera la frontière entre Israël et la Palestine alors que les protagonistes eux-mêmes ne le savent pas encore? Et si l’Europe estime que la frontière sera intégralement celle que réclament les palestiniens – soit la ligne verte – alors où est sa neutralité, et sur quel texte fonde-t-elle son point de vue alors qu’elle est cosignataire de la Feuille de Route avec l’Amérique, dont la position officielle est qu' »il serait irréaliste de s’attendre à ce que les pourparlers se terminent par un retour absolu aux lignes d’armistice de 1949« , et que par conséquent les parties doivent convenir entre elles d’un nouveau tracé ?

Même si l’on se base sur la version française de la Résolution 242 de l’ONU, qui parle de retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés (et non de territoires comme le laisse entendre la version anglaise), il n’en reste pas moins que le deuxième point de cette Résolution (Fin de toute revendication ou de tout état de belligérance, respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de son droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, à l’abri de menaces ou d’actes de violence) est très loin d’être acquis, ce qui fait que l’occupation israélienne, fondée à l’origine par l’attaque de la Jordanie, continue d’être légale quel que soit l’angle d’observation. Le simple fait que l’Autorité palestinienne ne se porte pas garante de Gaza (soit grosso modo de la moitié de la population et du territoire de la future Palestine) et ne parle pas en son nom est en soi une raison plus que suffisante, juridiquement parlant, pour arguer que les conditions ne sont pas réunies pour mettre fin à l’occupation. Par ailleurs, les liens informels entre l’Autorité Palestinienne et le Hamas sont incompatibles avec le passage qui dit le droit [d’Israël] de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, à l’abri de menaces ou d’actes de violence. La position de l’Union Européenne est donc en contradiction flagrante avec la Résolution 242, qui malgré ses limitations est un document que la plupart des parties prenantes du processus de paix prennent au sérieux.

L’Union Européenne mène la diplomatie qu’elle juge utile pour ses Etats membres, et c’est à la fois son droit et son devoir. Mais prétendre comme le fait David Meyer que la directive récente concernant la Cisjordanie relève de bonnes dispositions envers Israël relève de la méthode Coué et est d’une naïveté abyssale.

En revanche David Meyer a un point de vue qui vaut la peine d’être retenu à propos des relents messianiques nauséabonds que dégagent les sionistes radicaux et idolâtres de la terre. Cette dérive est réelle, mais n’en est pas moins une dérive, c’est-à-dire qu’elle n’a rien à voir avec l’essence du sionisme, qui est tout sauf religieux, et ne reflète en rien le sentiment majoritaire de l’opinion publique israélienne, dont le souci principal est la sécurité et non l’expansion territoriale.

Il y a des juifs qui se réclament de la religion pour fonder leur fanatisme, mais cette aliénation est un effet et non pas une cause. Elle n’a pu prospérer que suite à l’impossibilité de négocier la fin du conflit depuis 1967, ce qui a emmené tous les gouvernements israéliens sans exception à encourager ou à laisser faire les irréductibles de la Terre Sainte. Ceci dit, la thèse de David Meyer est surréaliste, qui pose qu’Israël mènerait une guerre de religion, alors qu’en face il y a le Hamas, le Djihad islamique, Al Qaeda, le Hezbollah et autres ardents assassins de l’islamisme extrême.

Les plupart des israéliens font confiance en leur démocratie pour gérer le problème des ultras juifs le jour où la fin du conflit sera en vue. En attendant l’opinion publique en Israël est majoritairement favorable à la fin de l’occupation, pour autant qu’il y ait à qui parler. Dans le cas contraire, il est probable qu’Israël finira par se retirer de manière unilatérale de Cisjordanie sur des lignes déterminés par lui seul, tout comme lors du retrait de Gaza.

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