Un orage médiatique s’est abattu ces jours-ci sur le Premier Ministre d’Israël Benjamin Netanyahu suite à ses propos tenus en anglais lors d’une conférence du Congrès Sioniste à Jérusalem. En voici la traduction:
« Hitler n’avait pas l’intention d’exterminer les Juifs à cette époque [1]. Il voulait les expulser. Le Grand Mufti de Jérusalem[2] alla trouver Hitler pour lui dire « si vous expulsez les Juifs ils iront tous là-bas [en Palestine]. Hitler lui demanda « mais alors que dois-je faire d’eux »? Les bruler, répondit le Grand Mufti « .
Suite à cela, journalistes, chroniqueurs, intellectuels d’obédiences diverses et historiens de tous bords ont été pris d’hystérie collective. Netanyahu a été accusé d’ignorance, de négationnisme, d’incitation à la haine, de déculpabilisation des Nazis et d’opportunisme politique. La Chancelière d’Allemagne s’est même crue obligée de préciser que c’étaient bien les Allemands qui avaient été responsables de la Shoah. En réalité, pratiquement personne ne s’est donné la peine d’écouter avec discernement les propos de Netanyahu ni de les vérifier, alors qu’il s’agissait d’une vérité à la portée de tous.
Mohammed Amin al-Husseini fut le Grand Mufti de Jérusalem de 1921 jusqu’à la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948. Proche des Frères musulmans, il était non seulement favorable à la liquidation des Juifs de Palestine, mais aussi à celle des Juifs du monde entier. C’est le père spirituel de l’islamisme radical de notre époque, qui appelle à éradiquer Israël et à exterminer les Juifs où qu’ils soient. Mohammed Amin al-Husseini est considéré par les Palestiniens comme un héros national et une référence en matière religieuse.
C’est tout naturellement que le Grand Mufti fut séduit par les Nazis dès leur arrivée au pouvoir en 1933, et qu’il devint le plus grand des collaborateurs dans le monde arabe[3]. En récompense, il obtint le titre d' »Aryen d’honneur » et prêta allégeance à Hitler en déclarant que « les nations arabes sont convaincues que l’Allemagne va gagner la guerre. Ils sont les alliés naturels de l’Allemagne puisqu’ils ont les mêmes ennemis, à savoir les Anglais, les Juifs et les communistes. Ils sont donc prêts à coopérer de tout cœur avec l’Allemagne et à participer à la guerre, notamment en constituant une légion arabe« . Il mit cette promesse en pratique en créant une section arabe de la Waffen SS[4].
La philosophe Hannah Arendt releva au cours du procès Eichmann [5]que « les connexions du Grand Mufti avec les nazis étaient de notoriété publique, parce qu’il espérait qu’elles l’aideraient à exécuter une variante de la Solution Finale au Proche-Orient « [6].
Après la guerre, le Grand Mufti se réfugia à Paris sous l’œil complaisant des autorités, bien qu’étant recherché comme criminel de guerre. La France ne l’inquiéta pas, refusa de l’extrader, et craignant le monde arabe, finit par le laisser s’échapper avec la complicité du Quai d’Orsay[7], qui lui fournit un faux passeport.
Dieter Wisliceny, adjoint d’Eichmann, témoigna au tribunal de Nuremberg que « le Grand Mufti avait suggéré à plusieurs reprises à Hitler, Ribbentrop et Himmler d’exterminer le peuple Juif, considérant que ceci constituait la meilleure solution pour résoudre le problème palestinien[8]« . Les nombreux commentaires du Grand Mufti diffusés à partir de l’Allemagne exprimaient son soutien à la Solution Finale[9]. Dans ses émissions radiophoniques en direction du monde Arabe, il incitait à « tuer les Juifs où qu’ils se trouvent parce que c’est la volonté de Dieu ».
En accédant au pouvoir en 1933, les Nazis avaient fermement l’intention de se débarrasser des Juifs, tout en n’imaginant peut-être pas où cela allait les mener une décennie plus tard. Ils étaient persuadés à cette époque qu’en rendant la vie impossible aux Juifs, ceux-ci finiraient par partir, comme ce fut le cas lors de l’expulsion d’Espagne cinq siècles plus tôt.
Les lois raciales de Nuremberg de 1935 entrainèrent pour les Juifs le boycott, la révocation de la fonction publique, la radiation des avocats, l’exclusion des médecins, la mise au ban des artistes, le renvoi des journalistes, l’interdiction des stations thermales, des cinémas, des bibliothèques et des transports publics, le tout accompagné de pogroms.
Au cours de cette période, Eichmann fut chargé de prendre en compte le sionisme comme moyen de promouvoir l’émigration des Juifs vers la Palestine, et noua des contacts avec des milieux sionistes afin d’accélérer le processus. En 1937 il fit un voyage en Palestine pour étudier la question, après quoi il entreprit de stimuler l’émigration. Ses exploits furent applaudis par ses supérieurs et ses méthodes prises comme modèle pour la gestion des affaires juives. Il reçut la charge d’organiser l’émigration forcée avec un mélange de terreur et de chicanerie[10].
La « Haavara » fut un accord conclu en 1933 entre le régime nazi et la Fédération sioniste d’Allemagne, consistant à faciliter le transfert de biens juifs vers la Palestine afin d’inciter les Juifs à s’y établir. Cette formule était du point de vue nazi un moyen élégant de se défaire des Juifs du Reich. Werner Otto Von Hentig, haut fonctionnaire en charge des questions palestiniennes, soutint d’ailleurs avec force la création d’un État juif en Palestine. 50 000 Juifs parvinrent à y émigrer grâce cet accord, qui resta en vigueur jusqu’en 1942, année de la Conférence de Wannsee.
En 1938 Eichmann établit un mémorandum pour encourager l’émigration juive hors d’Europe[11] et fut chargé d’organiser la déportation de quatre millions de personnes à Madagascar. Il produisit un dossier prévoyant le transport annuel d’un million de juifs. Le plan prévoyait de les spolier pour financer la logistique, après quoi ils seraient forcés d’y émigrer. La SS s’occuperait du ramassage en Europe et de l’administration de l’île. Mais comme Madagascar était sous le contrôle des britanniques et que les Allemands n’arrivaient pas à les en déloger, ce plan ne vit jamais le jour.
Eichmann continua néanmoins à soutenir l’émigration par d’autres moyens, et travailla avec des passeurs sionistes pour expédier des Juifs en Palestine. Par ailleurs les autorités nazies envisagèrent un temps de les expulser vers la Russie, une fois que l’Armée rouge serait vaincue[12].
La démarche du Grand Mufti chez Hitler fut donc bel et bien l’expression de son inquiétude par rapport aux conséquences d’une éventuelle expulsion massive de Juifs du Reich, dont un nombre non négligeable risquait d’aboutir en Palestine et de renforcer ainsi le Yishouv[13].
Il s’avéra plus tard que cette perspective n’était plus à l’ordre du jour en 1941, parce que les Britanniques avaient verrouillé la Palestine au moyen du Livre Blanc[14] et qu’aucune autre puissance n’était disposée à accueillir les Juifs. C’est alors que s’imposa chez les Nazis la conviction que la seule solution restante, qui devait être finale, serait d’exterminer les Juifs de manière systématique et industrielle.
Netanyahu a donc raison de rappeler qu’au moment de la rencontre entre le Grand Mufti et Hitler, les Nazis en étaient encore à expulser les Juifs, même s’il est vrai que des tueries avaient commencé, encore que les meurtres de civils par les Allemands faisaient rage partout où ils mettaient les pieds.
Ce que Netanyahu a voulu mettre en évidence dans son discours, c’était que le Grand Mufti et Hitler avaient théorisé leur délire antisémite bien avant la Shoah, mais que le Grand Mufti avait été le premier des deux à envisager un génocide dès les années 1920, eu égard à la présence juive en Palestine. Netanyahu ne dit en revanche pas que c’est le Grand Mufti qui a donné à Hitler l’idée de la Solution Finale, mais bien qu’il a eu un rôle important dans sa promotion en s’opposant à l’émigration juive vers la Palestine.
Enfin Netanyahu a voulu rappeler la nature irréductible du courant fasciste, nazi et antisémite incarné par le Grand Mufti, dont l’idéologie irrigue et inspire en ce moment même l’Intifada des couteaux.
[1] « Cette époque » renvoie à l’entrevue entre le Grand Mufti et Hitler en 1941. La plupart des commentateurs semblent avoir ignoré ce point. Sans cette précision la phrase de Netanyahu aurait eu un tout autre sens.
[2] Un mufti est un religieux musulman qui a l’autorité d’émettre des fatwas. Dans chaque État de l’Empire ottoman le Grand Mufti était la plus haute autorité religieuse du pays.
[3] Etude de Matthias Küntzel publiée dans Jewish Political Studies Review
[4] Organisation paramilitaire et policière nazie
[5] Criminel de guerre nazi responsable de la logistique de la Solution Finale
[6] Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal de Hannah Arendt
[7] Tsilla Hershco: Histoire d’une évasion [archive], Revue Controverses, n°1, mars 2006.
[8] Zvi Elpeleg, Hamufti Hagado 1989, p. 74,75
[9] Zvi Elpeleg, Through the Eyes of the Mufti: The Essays of Haj Amin
[10] David Cesarini(2013-09-05). Adolf Eichmann
[11] David Cesarini(2013-09-05). Adolf Eichmann.
[12] David Cesarini(2013-09-05). Adolf Eichmann.
[13] Le Yishouv désigne la communauté juive en Palestine avant la création de l’État d’Israël.
[14] En mai 1939, alors que les Juifs sont persécutés par le Troisième Reich, les Britanniques leur réduit l’accès à la Palestine de manière draconienne.