Etre juif est une identité déconnectée de la religion quel que soit l’angle d’observation, et que l’observateur soit juif ou pas. Cette particularité date de la « Haskala [1]», qui elle-même a abouti au sionisme, qui a été dès les origines un mouvement de libération.
Certains non-juifs estiment que le judaïsme n’est qu’une croyance, et que dès lors que l’on ne croit pas l’on n’est pas juif. Mais même du point de vue du judaïsme le plus orthodoxe la loi juive ne lie en rien l’appartenance à la foi : quiconque est né de mère juive est juif, quelles que soient ses convictions philosophiques ou religieuses.
L’identité juive correspond à une définition civile, qui est le droit du sang, c’est-à-dire l’ascendance comme dans de nombreuses nations. Dire qu’être à la fois juif et athée est antinomique est au mieux un abus de langage, et au pire une forme d’intolérance.
Nul besoin de croire à la Révélation pour apprécier la Torah comme texte fondateur du peuple juif, pas plus qu’il ne faut croire à la légende de Romulus et Remus pour être Romain. Pour un athée la Torah a été écrite pas des hommes pour des hommes, l’avantage étant qu’il peut la lire d’un œil critique et y puiser ce qui lui convient comme dans n’importe autre texte, aussi grandiose soit-il. Pour un athée la Torah est une tradition, et non pas une loi. C’est ce qui le distingue du croyant. C’est à la fois peu et beaucoup.
Ce qui divise les Juifs athées des croyants est la manière de ces derniers de s’approprier le judaïsme en le liant à la foi, ce qui est aussi absurde que Dieu lui-même. Il n’y a pour eux qu’un seul judaïsme, celui qui reconnaît Dieu, et ils en excluent toute pensée qui l’ignorerait. Mais ce monopole est une fiction qui ne résiste pas à la réalité israélienne: pour les Juifs athées il n’y pas de Dieu juif, mais bien un peuple juif, une histoire juive, une éthique juive et une culture plurimillénaire qu’ils souhaitent pérenniser sans lui donner de dimension théologique.
Le projet sioniste d’une grande partie des pères fondateurs c’est cela, même si dans un deuxième temps les croyants s’y sont ralliés. Ce fut le cas notamment du Rav Kook[2], qui reconnaissait volontiers que les athées oeuvraient à la rédemption du peuple juif, tout en décrétant qu’ils étaient animés d’un souffle divin sans en avoir conscience, et que cela participait donc de la volonté de Dieu. Il s’agit là d’une confiscation intellectuelle à refuter du tout au tout. La réalité est que le moteur de ces pionniers relevait d’une idéologie héritière des Lumières, aux antipodes de la religion.
Ce qui est vrai c’est que le judaïsme laïque n’a probablement pas d’avenir en Diaspora, où les Juifs athées finiront par disparaître par l’effet de l’assimilation.
Quant à l’expression de « peuple élu », pratiquement toutes les civilisations se sont croient « élues » d’une manière ou d’une autre, et leur propre est d’estimer – à raison à mon avis – qu’elles ont quelque chose de particulier à offrir au monde, mais dont la spécificité n’est pas d’ordre religieux.
L’identité juive s’est maintenue sur la croyance en Dieu tout au long de l’Exil, mais le retour à la souveraineté dans le cadre d’un Etat juif a changé la donne, et l’on peut parfaitement aujourd’hui être à la fois juif identitaire et incroyant. C’est une réalité empirique qu’il est vain de nier.
Il y a encore autre chose d’important que les croyants escamotent : c’est que lors des siècles de l’Antiquité où les Juifs ont joui d’une souveraineté nationale, une grande partie du peuple était incroyante ou idolâtre. Ce phénomène est relaté tout au long du récit biblique, et il n’y a pratiquement pas un seul prophète qui ne s’en plaint pas, à commencer par Moïse. La croyance en Dieu n’était donc en rien le ciment du peuple juif, mais bien la cohésion nationale d’un peuple par ailleurs divers. Même le grand Roi Salomon a fini par céder au paganisme, qui après son règne est devenu endémique à la fois parmi les élites et les masses.
[1] Mouvement de pensée juif du 19ème siècle, équivalent juif des Lumières.
[2] Abraham Isaac haCohen Kook, mort en 1935. Premier grand-rabbin ashkénaze en Israël. Décisionnaire en droit talmudique (halakha), kabbaliste et penseur.