Le philosophe Yeshayahu Leibowitz [1]expliquait la différence de nature entre ce que l’homme sait et ce que l’homme veut. Vouloir ne consiste pas à choisir ce qui est préférable, raisonnable ou logique, mais en est au contraire l’antithèse. En voici la démonstration, inspirée par une des conférences de Leibowitz.
Un couple se présente au tribunal en vue de régler son divorce. Le juge doit se prononcer sur le partage des biens ainsi que sur la garde des enfants. Il examine les données qui lui sont fournies par le couple, et réfléchit à la manière de départager les biens de manière correcte. Une fois ces données compilées il calcule ce qui revient à l’un et à l’autre et démontre la pertinence de son raisonnement. Cela donne par exemple que l’un à droit à 45% et l’autre à 55%. A noter qu’à ce stade il ne s’agit pas de ce que le juge veut mais bien de ce qu’il déduit des informations qui lui ont été soumises. Son rôle consiste donc uniquement à valider la conformité de l’évaluation des biens effectuée par lui-même ou par des tiers.
Ensuite il s’agit de déterminer qui aura la garde des enfants, étant entendu que cette décision doit être prise en fonction du bien des enfants uniquement, notion qui doit primer sur toute autre considération. Maintenant vérifions de quelles informations dispose le juge pour trancher. Il connaît la personnalité du père comme celle de la mère, et aussi leur situation matérielle respective. Il sait dans quelle conditions les enfants se retrouveraient chez l’un ou chez l’autre. Ce savoir suffit-il pour en déduire quelque chose au plan logique ? Le juge sait que les enfants auront, dans ce cas précis, un niveau de vie supérieur à ce que la mère a à offrir. La mère, en revanche, dispose d’un contexte culturel et intellectuel plus élevé que le père. Il est donc établi que les enfants auraient une vie plus confortable chez le père, mais que chez la mère ils bénéficieraient d’une meilleure éducation. Souvenons-nous que le juge doit arbitrer en ayant à l’esprit le bien des enfants, et rien d’autre.
Le problème c’est que le bien ne découle pas d’un quelconque savoir, parce que rien au monde n’est bien en soi.
Le juge ne va pas donc décider en fonction de ce qu’il sait, mais de ce qu’il veut, parce que sa décision échappe à toute rationalisation. Il se peut qu’il tranche en faveur du confort matériel plutôt que pour une meilleure éducation, mais il se peut tout aussi bien qu’un autre juge décide l’inverse, tout en disposant des mêmes informations et ayant lui aussi le bien des enfants à cœur.
[1] Décédé en 1994. Professeur de biochimie, philosophie, neuropsychologie, chimie organique et neurologie. Erudit de la pensée juive, il fut rédacteur en chef de la première encyclopédie universelle en langue hébraïque.