S était une pakistanaise qui avait un permis de séjour mais qui ne travaillait pas chez l’hôtelier qui l’avait fait venir au pays. Au lieu de cela elle faisait des ménages parce que c’était mieux payé mais illégal. C’était une femme de 42 ans mince et menue mais d’une force et d’une capacité de travail impressionnante. Elle était agréable souriante ponctuelle fiable silencieuse et discrète. Cela faisait sept ans qu’elle s’occupait de mon ménage. Un jour je l’ai surprise en pleurs alors qu’elle était au téléphone avec le Pakistan où vivaient ses trois enfants sa mère et son frère. Après qu’elle eût raccroché je lui ai demandé ce qui n’allait pas. Elle m’a ouvert son cœur et raconté que les membres de sa famille lui reprochaient de ne pas lui envoyer assez d’argent. Elle travaillait pourtant 10 heures par jour tous les jours sans exception ne prenait jamais de vacances et n’avait pas un sou vaillant justement parce qu’elle envoyait tout ce qu’elle gagnait à sa famille. Elle n’avait pas de compagnon pas de loisirs pas de plaisirs. Elle s’effondrait de fatigue tous les soirs et n’avait d’autre projet que de survivre. Elle n’aimait pas la vie qui le lui rendait bien. Ma voiture ayant tendance à se colleter avec les colonnes en béton des parkings je l’emmène un jour chez le carrossier pour la faire débosseler. La veille où je dois en reprendre possession je vais chercher des espèces dans un distributeur de billets. Au moment de régler le comptable du garage constate que le compte n’y est pas. Je me dis que je dois avoir perdu des billets en cours de route et je retourne au distributeur. Rentré chez moi je réapprovisionne en espèces le tiroir où j’ai l’habitude de les garder. La semaine d’après j’ai l’impression que ma réserve d’espèces a fondu. Je décide de faire un test. Je compte les billets les photographie dans l’ordre où ils se trouvent dans le tiroir et vais à la plage comme j’ai l’habitude de faire quand S fait le ménage. Je reviens et recompte l’argent. Il manque deux cent Euros. Je suis troublé mais ne dis rien en me disant que S doit avoir pallié à une urgence en rapport avec sa famille. La semaine d’après deux cents Euros se sont encore évaporés. Je ne dis toujours rien mais au lieu que cela cesse S s’enhardit et vole de plus en plus. J’appelle S pour l’informer que j’ai passé contrat avec une société de nettoyage qui prendra désormais soin de mon appartement. Je lui dis que je ne peux plus l’employer parce qu’elle est en situation illégale et qu’elle n’est pas assurée. Elle ne réagit pas ne dit rien tellement elle est tétanisée. Elle me rappelle le lendemain pour demander à me voir. Quelques jours passent et nous avons une entrevue. Elle me demande la vraie raison de son renvoi mais avant que je ne lui réponde elle me jure qu’elle me rendra le câble USB qu’elle m’a subtilisé. Je lui que dis j’ignorais ce larcin et que ce que j’ai à lui reprocher n’est pas de cet ordre. Elle me demande si c’est grave. Je lui dis que c’est grave mais que ce n’est pas grave. Elle insiste. Je lui dis que je sais qu’elle a volé mais que je l’ai laissée faire parce que je pensais qu’elle avait un problème urgent à résoudre. Elle s’effondre et sanglote sans discontinuer. Entre deux hoquets elle me supplie de ne pas porter plainte parce qu’elle risque d’être expulsée du pays. Je lui dis que je n’en ferai rien mais qu’elle doit promettre qu’elle de ne pas récidiver ailleurs. Elle me dit que sa vie ne vaut rien et qu’elle veut mourir. Je la console en lui disant que je la comprends parce moi aussi j’ai connu la misère mais que ce n’est pas une fatalité. Rassérénée elle me dit « you are a good man » et s’éclipse. Je me sens comme l’Evêque de Dignes dans « Les Misérables » quand il déclare à la police que l’argenterie retrouvée chez Jean Valjean était un cadeau alors qu’en réalité il l’avait volée. Quelque temps plus tard je vois la photo de S dans la presse. Elle s’est pendue.