Israël en l’absence d’une Constitution

La démocratie est un système de gouvernement et un cadre légal qui  s’adapte aux peuples de manière dynamique. La crise actuelle révèle à quel point  Israël n’est pas politiquement mûr de ce point de vue-là. La coalition au pouvoir n’a pu déposer son invraisemblable projet de réforme judiciaire que moyennant un néant constitutionnel.

Il faut d’urgence une base juridique de gouvernance afin d’exclure toute dérive totalitaire, qu’elle soit d’inspiration théologique ou idéologique.

Le hasard a voulu qu’en ce moment même il y ait une situation tendue en  France, avec des manifestations de grande ampleur. Bien que celles-ci semblent plus violentes qu’en Israël, les enjeux sont très différents.  En France il s’agit d’un mouvement social,  alors qu’en Israël nous assistons à un conflit civilisationnel entre une droite libérale, laïque, patriotique d’une part, et une droite obscurantiste, théocratique  et fascisante d’autre part.

La gauche quant à elle est pratiquement absente de l’échiquier politique, mais demeure influente dans la magistrature. Cela a pour effet que quand la Knesset légifère, la Cour Suprême dispose du droit d’annuler des lois si elle les juge déraisonnables, et peut le faire sans base juridique, logique ou constitutionnelle pour l’étayer. A sa seule discrétion, donc.

La Cour Suprême se comporte parfois comme une force politique à part entière mais dispose du pouvoir de retoquer des lois votées à la majorité par un parlement pourtant élu au suffrage universel. Cette anomalie existe depuis des décennies, mais la magistrature n’a jamais voulu céder la moindre parcelle de pouvoir malgré de nombreux appels à la réforme par une grande partie de l’opinion publique.

Cela a conduit l’extrême-droite et les partis ultra-orthodoxes du gouvernement actuel à soumettre à la Knesset une réforme judiciaire insensée, où les magistrats seraient désignés par le pouvoir en place et où la Cour Suprême n’aurait plus qu’un rôle consultatif.

Il est difficile de faire des prédictions, surtout quand il s’agit de l’avenir, comme disait l’autre. Mais ce qui pourrait arriver, du probable à l’improbable, pourrait être une marche arrière du gouvernement, sa chute suite à un désaccord interne, un compromis avec l’opposition, une paralysie des institutions, un coup d’Etat, ou une guerre civile.

Le problème est et demeure l’absence de Constitution,  bien que le pire ne soit jamais certain.

 

Israël démocratique et juif ?

Depuis l’indépendance d’Israël en 1948, et pendant des décennies, il allait de soi que le courant politique dominant était celui d’une social-démocratie accommodante, à la fois avec l’humanisme et  le judaïsme. C’était d’ailleurs ce que la plupart des pères fondateurs avaient souhaité. Mais les temps ont changé, et il va falloir déterminer ce que signifie « Israël Etat juif et démocratique », selon la formule consacrée.

En réalité cette formule implique une hiérarchie dans les termes. La s0ociologie de la population a changé, et l’espèce de consensus  qui a longtemps prévalu ne semble plus avoir cours face à la polarisation de la vie politique. Les nouvelles générations n’ont peut-être pas grandi, à tort ou à raison, avec le sentiment qu’une menace existentielle pesait encore sur Israël.

Suzie Navot est professeure de droit constitutionnel et vice-présidente de la recherche à l’ »Israël Democracy Institute ». Elle est opposée au projet de réforme du gouvernement actuel.  Mais au-delà de cette prise de position il est intéressant d’entendre ce que cette juriste au dessus de tout soupçon  entend par Israël pays « juif et démocratique ».

Au cours d’une interview récente Navot explique que cette formule doit être comprise « dans cet ordre ». En d’autres termes qu’Israël est d’abord juif et ensuite démocratique. Elle estime que le pays ne pourra jamais être cent pourcent démocratique, parce que la démocratie doit parfois céder la place au caractère juif de l’Etat. Cela  entraine que certains droits, au sens humaniste du terme, ne seront jamais accordés dès lors qu’il entreraient en conflit avec des valeurs juives. Navot précise qu’elle assume cela et estime qu’il fait bon vivre dans un tel pays en tant que juif.

Perfide Dieudonné

L’humoriste Dieudonné, antisémite notoire, a récemment demandé pardon aux Juifs en publiant une tribune dans le mensuel franco-israélien « Israël Magazine ».

Il faut que la liberté d’expression soit la plus large possible, ce qui fait que ce périodique est dans son rôle en publiant Dieudonné. Mais cela signifie aussi que l’on est libre de s’exprimer contre ce qui est dit, montré ou publié quand on est en désaccord.

C’est au nom de cette même liberté d’expression qu’il est permis de dire que Dieudonné est haïssable, et que le tort qu’il a fait aux Juifs est impardonnable. Cet énergumène s’est employé sans relâche à semer la haine antijuive dans ses spectacles, dans les médias et au travers de ses engagements politiques. Il a cautionné le négationnisme le plus académique tout comme l’antijudaïsme le plus primaire. Il ne fait aucun doute que de nombreux antisémites se sont sentis confortés par Dieudonné dans leur détestation du monde juif. Il s’est associé à tout ce que le monde compte de plus obscurantiste, barbare et criminel, dans le seul but de nuire aux Juifs de manière à la fois abjecte et efficace, faisant appel aux instincts pervers d’une certaine populace. Dieudonné est de ceux dont les mots peuvent tuer.

Il faut savoir que Dieudonné est inculte et d’une ignorance crasse. Ses déclarations où il prétend regretter le mal qu’il a causé démontrent qu’il n’a toujours pas compris ce que c’est que le peuple juif, ni ce que c’est qu’Israël. Il entend prouver sa bonne foi en mettant en avant son éducation chrétienne, mais cet illettré bête à mourir ne sait même pas que le christianisme est à l’origine de l’antisémitisme, et que c’est même sa raison d’être. Se réclamer de cette religion qui n’a eu de cesse d’appeler à la  persécution des Juifs tout au long de l’Histoire est stupide et d’une coupable maladresse. Dans une interview avec « Israël Magazine », Dieudonné évoque Benoît XVI en guise de maitre à penser. Mais ce Pape a été membre des Jeunesses hitlériennes et a réhabilité une prière catholique consistant à traiter les Juifs de « perfides ».

Mais Dieudonné n’est jamais en panne d’humour. Sa dernière blague en date est à mourir de rire : il  dit qu’il « n’est pas, et qu’il n’a jamais été, antisémite ».

Qu’est ce que l’art ?

Une connaissance m’a récemment proposé de procéder avec elle à une réflexion sur l’art. Suite à cela j’ai commencé par examiner des œuvres de toutes sortes avec une exigence d’entomologiste, mais sans trouver de réponse. Finalement je me suis dit qu’il ne fallait pas chercher la clé de l’art dans l’art, mais dans l’homme.

Prenons une fleur, et demandons à deux personnes ce qu’elles voient. Elles diront toutes deux qu’il s’agit d’une fleur parce qu’elles connaissent les conventions en vertu desquelles les choses sont nommées. Mais si nous leur demandons d’exprimer ce qu’elles ressentent par rapport à la fleur, ou simplement si la fleur est belle, il n’y a aucun moyen de savoir à l’avance ce qu’elles diront.

L’une pourrait la trouver belle parce qu’elle l’associe à un souvenir agréable, et l’autre parce que la couleur lui plait sans qu’elle sache pourquoi. Elles pourraient d’ailleurs tout aussi bien trouver la fleur laide. C’est ainsi que quand elles s’expriment, c’est la trame de tout une vie qui est sollicitée dans les arcanes de la mémoire pour formuler quelque chose d’apparemment simple.

Nous pouvons donc nous mettre d’accord sur le réel du point de vue épistémologique, mais pas sur l’alchimie de l’imaginaire qui le métamorphose dans le secret de la conscience.

La Nature est insensée, mais l’homme la transcende grâce à son esprit. La matrice de l’art n’est donc pas la Nature, mais la vie intérieure de l’homme.

A partir d’une même réalité deux peintres ne feront jamais le même tableau, deux poètes n’écriront jamais les mêmes vers et deux musiciens ne composeront jamais le même morceau.

L’art, c’est l’aptitude de l’homme à exprimer de manière singulière une vision du monde au moyen du langage. Langage au sens large, c’est-à-dire tout ce dont il dispose pour exprimer sa pensée de manière intelligible.

Chaque homme étant unique, la façon dont il formule son monde est forcément tout aussi unique. Chacun est donc un artiste en puissance. Ce qui différencie les uns des autres n’est finalement qu’une question de degré.

En d’autres mots de talent.

L’Etat d’Israël n’est pas né de la Shoah

L’historien Georges Bensoussan [1] démontrait lors d’une conférence récente à Tel-Aviv que l’idée reçue selon laquelle la compassion de l’Occident après la Shoah aurait facilité la création de l’Etat d’Israël, est une fiction.

Il rappelle qu’après soixante ans de sionisme, des bataillons entiers de jeunes allaient faire l’ossature du futur Etat juif, mais au lieu de cela sont partis en fumée dans les camps de la mort. Les mouvements sionistes en Europe de l’Est comptaient près d’un million de membres. Des dizaines de milliers de jeunes gens s’initiant à l’agriculture en vue de l’Alyah [2]furent empêchés de rallier la Palestine, et ensuite exterminés.

Pour l’historien Yehuda Bauer [3] également, le lien entre Shoah et l’Etat d’Israël est un mythe. Il avance la thèse que la Shoah a même manqué de peu d’empêcher la création de l’Etat. Il estime, tout comme Bensoussan, que la fable d’un Etat concédé aux Juifs en compensation de la Shoah est un non-sens. Il y avait en Europe de l’Est des millions de Juifs dont un tiers vivaient sous le seuil de pauvreté, qui auraient immigré en Palestine si les frontières n’avaient été verrouillées.

Après avoir vérifié les archives des échanges entre Etats qui s’apprêtaient à voter à l’ONU le partage de la Palestine, Bauer relève qu’il n’est jamais question de Shoah. Les plus fervents soutiens à l’ONU du Yishouv mettaient en évidence les réalisations des pionniers juifs en Palestine et leur droit à l’indépendance, mais jamais ils n’invoquaient la Shoah.

Pour comprendre l’absence de lien entre l’Etat d’Israël et la Shoah il est nécessaire de revoir la chronologie de l’épopée sioniste :

Suite au démantèlement de l’empire ottoman, la Palestine est placée sous Mandat britannique en 1923 par la Société des Nations, conformément à la résolution de la conférence de San Remo[4]. Ce Mandat a pour objectif la mise en place d’un foyer national juif tel que défini par la déclaration Balfour [5]de 1917.

En 1936 une révolte arabe exige l’abolition du Mandat britannique et la création d’un État pour mettre fin à l’immigration juive. Les notables de la révolte, dont le Grand Mufti de Jérusalem, pactisent avec Hitler et font alliance avec l’Allemagne nazie.

En 1937 une Commission d’enquête britannique présidée par Lord Peel [6] recommande que la Palestine soit partagée en deux Etats, l’un arabe et l’autre juif. Des modérés du Yishouv sont tentés d’accepter, mais du côté arabe personne n’ose se prononcer en faveur du projet. Quelque temps plus tard une nouvelle Commission venue de Londres y met fin.

En 1939, les Britanniques prévoient une autodétermination de la Palestine sous dix ans. Ils décident de limiter l’immigration des Juifs de manière drastique, ce qui les amènerait à être minoritaires dans un éventuel État arabe. Cette idée est rejetée par le Yishouv[7], qui la considère comme une violation de la déclaration Balfour. L’Irgoun[8] réagit en déclenchant une vague d’attentats antibritanniques, mais celle-ci est interrompue par le début de la Seconde Guerre mondiale.

En 1944 l’Irgoun reprend sa campagne d’attentats. En 1945 la Haganah[9] et le Palmah[10] ouvrent de leur côté une lutte armée contre l’administration et les soldats britanniques. Le ministre-résident anglais Lord Moyne est assassiné.

Les autorités britanniques lancent en juin 1946 l’opération « Agatha », également connue sous le nom de « Samedi Noir ». Les soldats et la police britannique procèdent à l’arrestation de milliers de Juifs et saisissent des armes. Le Lehi et l’Irgoun intensifient leurs attaques pour venger l’opération, et font sauter l’hôtel King David, centre de l’administration britannique à Jérusalem.

Les Britanniques sont démunis face à cette violence. Devant leur incapacité à concilier Arabes et Juifs, et confronté aux pertes militaires, le Ministre des Affaires Étrangères britannique Bevin annonce à l’ONU en février 1947 qu’il met fin au Mandat sur la Palestine et donne instruction à ses troupes de l’évacuer dans les meilleurs délais. Le Yishouv ayant réussi à chasser les Britanniques va choisir le moment opportun pour déclarer l’indépendance, qui n’est alors plus qu’une question tactique.

L’UNSCOP est une commission de l’ONU chargée en juillet 1947 d’étudier sur place les causes du conflit et de préparer un plan de partage de la Palestine. Au moment où ses membres sillonnent le pays, le Mossad [11] décide opportunément d’organiser une opération consistant à embarquer 4500 réfugiés sur un bateau baptisé « Exodus » à destination de la Palestine. Le but du Mossad consiste à faire impression sur L’UNSCOP.

Une fois arrivé dans les eaux territoriales, le bateau est arraisonné et les membres de L’UNSCOP assistent au pénible spectacle du transbordement des passagers à bout de forces à qui l’on refuse l’accès à la Terre Promise. Ils sont transférés à Chypre dans des conditions déplorables. Quelques mois plus tard ils reviendront en Palestine avec des visas en bonne et due forme.

En novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote un plan de partage de la Palestine visant à aboutir à la création d’un État juif et d’un État arabe après le départ des Britanniques. Les Juifs acceptent, mais les Arabes refusent. La première guerre israélo-arabe a commencé. Le 14 mai 1948, les derniers Britanniques quittent la Palestine et l’Etat Israël déclare son indépendance.

Près d’un an plus tard des armistices sont signés un à un à Rhodes avec les différentes parties, mais les lignes du cessez-le-feu ne sont définies qu’à des fins militaires et ne constituent de frontières permanentes pour aucun des belligérants.

Ce qu’il faut comprendre dans cette tragédie, c’est que le Mandat britannique n’avait jamais eu d’objectif autre que celui de gouverner la Palestine jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de le faire elle-même. Comme les institutions de l’Etat juif étaient en place quand les Britanniques ont plié bagage, Israël aurait proclamé son indépendance dans tous les cas de figure, avec ou sans l’aval de l’ONU, avec ou sans l’aval des Arabes.

L’Etat d’Israël n’est donc pas la conséquence de la Shoah. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que le fait qu’une nouvelle Shoah soit devenue impensable est lié à la naissance l’Etat d’Israël.

[1] Historien français spécialiste d’histoire culturelle de l’Europe des 19ème et 20ème siècle et en particulier, des mondes juifs occidentaux et orientaux.

Les leçons des élections

La coalition qui vient de remporter les élections en Israël n’est pas l’œuvre de Benjamin Netanyahu, mais celle d’une mouvance idéologique dont le socle est le parti Likoud. Ces élections ne marquent pas non plus la défaite de l’opposition au Likoud, mais celle de frères ennemis au sein même de cette famille politique.

L’hostilité de ces dissidents les a menés au suicide en proposant comme thème de campagne la détestation du chef de file, et non pas un programme de gouvernement. Les rivaux issus du propre camp de Netanyahu ont voulu l’éliminer de la vie publique par des moyens déshonorants et provoqué depuis des années des élections superflues, inutiles et nuisibles. Ils ont bricolé des alliances hybrides en dépit du bon sens, et violé les engagements les plus élémentaires envers leur électorat. Ainsi va la vie de famille, quand on se dispute pour un héritage alors qu’il n’y a ni testament, ni notaire, ni défunt.

Nul doute que l’inquiétude que ressentent maintenant ceux qui aspiraient à être calife à la place du calife est sincère. Le gouvernement dirigé par Netanyahu va disposer d’une majorité assez confortable pour ne pas être exposé à des défections ponctuelles. Il n’est pas non plus tributaire d’une rotation entre deux chefs qui auraient vocation à se torpiller l’un l’autre. Ce gouvernement a des chances de durer.

Le Likoud détient la moitié des sièges de la coalition actuelle. C’est un parti libéral du point de vue économique, qui n’est ni religieux ni extrémiste comme l’autre moitié. Les adversaires du Likoud sont dans leur rôle dans l’opposition, mais la plupart de ceux qui lui sont idéologiquement apparentés ont maintenant le devoir de le soutenir.

Donc rien, sauf leur ego, ne les empêche de rallier le Likoud à la Knesset pour faire contrepoids à l’extrême-droite et aux ultra-orthodoxes. S’ils tiennent vraiment à faire barrage à l’extrémisme, c’est le moment de le démontrer. Ils seraient irresponsables de ne pas le faire, en particulier si Netanyahu le leur propose.

Ils doivent avaler leur chapeau, exercice plus difficile que de retourner leur veste. Ils l’on tellement fait qu’à ce stade elle doit être usée.

Translate »