L’historien Georges Bensoussan est l’auteur de nombreux ouvrages traitant de l’histoire du peuple juif, en particulier celle du 19ème siècle jusqu’à nos jours. C’est un des rares chercheurs ayant une connaissance approfondie à la fois des mondes ashkénaze et sépharade. Il a été responsable éditorial du Mémorial de la Shoah à Paris.
En 2002 Bensoussan dirige un ouvrage collectif intitulé « Les Territoires perdus de la République », où il donne la parole à des enseignants et chefs d’établissements scolaires. Ceux-ci témoignent de l’antisémitisme, du racisme et du sexisme qui règne dans les banlieues parmi les jeunes issus de l’immigration.
En octobre 2015 Bensoussan et le sociologue Patrick Weil[1] sont invités par Alain Finkielkraut[2] à débattre dans l’émission « Répliques » sur France Culture. Le sujet du jour est « Le sens de la République ». Dans le feu de la discussion, Bensoussan dit qu’il « n’y aura pas d’intégration tant qu’on ne se sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret. Il se trouve qu’un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : “C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère. »
Vérification faite par Finkielkraut, il ne s’agit pas d’une citation littérale, mais bien d’une métaphore édulcorée de ce que dit de Smaïn Laacher[3] dans le film mentionné par Bensoussan.
Le CCIF[4] signale l’émission à la préfecture de Paris, mais sans mentionner Smaïn Laacher, pourtant source des propos de Bensoussan sur l’antisémitisme qui sévit dans le monde musulman. Le parquet se saisit de l’affaire et décide de poursuivre Bensoussan. La LICRA[5], dont l’avocat Alain Jakubowicz est le président, se constitue partie civile. Cela signifie qu’elle souhaite être incluse au procès en qualité de plaignante.
En janvier 2017 Bensoussan est convoqué devant le tribunal correctionnel de Paris pour « incitation à la haine raciale ». En mars de la même année il est relaxé. Le CCIF fait appel, mais en mai 2018 la Cour d’Appel relaxe Bensoussan « de toute accusation de racisme et d’incitation à la haine pour ses propos sur les musulmans ».
Jacques Tarnero[6], qui assiste au procès, juge que « ce n’est pas à Georges Bensoussan d’être assis dans le box des accusés mais à ceux qui l’accusent d’y figurer ».
En septembre 2019 la Cour de cassation rejette tous les pourvois.
Mis hors de cause mais meurtri, lâché par certains et soutenu par d’autres, Bensoussan publie en 2021 « Un exil français », où il fait le point sur cet épisode qui l’a blessé dans sa vie d’homme et d’écrivain. Il est à la fois amer et nostalgique : « Ce procès qui n’aurait jamais dû se tenir sonnait pour moi, comme pour tant d’autres, d’ici et d’ailleurs, le glas d’un monde ancien. Je n’étais pas seulement du côté du « temps qui reste » mais sur la crête d’un pays qui glisse dans l’oubli. Ce que ces errements judiciaires avaient mis en lumière scindait ma vie ».
La semaine dernière Jakubowicz[7] était sur le plateau de « L’Heure des Pros », émission sur Cnews animée par Pascal Praud[8]. Angoissé par la vague d’antisémitisme en cours, il rappelle que lors de la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, un million de français étaient descendus dans la rue. Il se plaint de ce que l’aptitude à s’indigner se soit émoussée depuis. Mais ce qu’il omet de préciser, c’est qu’a l’époque c’était l’extrême-droite qui était en cause, or il n’y avait pas grand risque à manifester contre elle. Cela consistait à se donner bonne conscience à bas prix. De nos jours il y n’y a guère plus que des non-manifestants avec pour mot d’ordre « pas de vagues », surtout quand il s’agit de celles en provenance de la Méditerranée.
Au cours de l’émission, Jakubowicz admet avoir commis des erreurs au cours de sa carrière. Il dit ne pas les regretter parce qu’il les attribue à son humanisme et à sa candeur. Mais il assume son combat contre Bensoussan et persiste à le trouver coupable de généralisation concernant l’antisémitisme musulman. Il ajoute que cette affaire est sans grande importance.
Ce que Jakubowicz trouve sans grande importance, c’est d’avoir permis que la LICRA s’associe au CCIF, organisation islamiste dissoute depuis, pour commettre un lynchage médiatique au moyen d’une procédure visant à déshonorer Bensoussan, l’un des historiens les plus fins, les plus érudits, les plus lumineux et les plus intègres du monde intellectuel juif.
L’antisémitisme que dénonce Bensoussan ne correspond peut-être pas à la case chère à Jakubowicz, homme de gauche à la pensée hémiplégique qui ne souffre que l’on s’attaque à l’antisémitisme que quand il vient de droite. De là sans doute sa nostalgie des manifestations antifascistes de naguère.
Quoi qu’il en soit, la charge renouvelée de Jakubowicz contre Bensoussan sur un plateau de télévision, ceci plusieurs années après que celui-ci ait été innocenté, est une honte.
[1] Politologue, directeur de recherche au CNRS.
[2] Philosophe, écrivain, essayiste, polémiste, producteur de radio et académicien français.
[3] Professeur de sociologie a l’université de Strasbourg.
[4] Le CCIF a été dissous ultérieurement en tant que groupement de fait, accusé de « partager » et « cautionner » des idées terroristes.
[5] Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme
[6] Essayiste et un documentariste français. Spécialiste dans l’étude du racisme, de l’antisémitisme et de l’Islam.
[7] Avocat français. Président de la Licra de 2010 à 2017.
[8] Journaliste sportif, chroniqueur, animateur de radio et de télévision français.