La légitimité d’Israël

Les Royaumes de l’époque biblique, la dynastie hasmonéenne et celle d’Hérode totalisent environ 400 ans au cours desquels les Juifs ont été souverains en terre d’Israël.  Mais la vassalisation par les Perses, les Grecs ou les Romains n’ont jamais entrainé une dilution de la conscience nationale juive. Cette conscience doit donc être mesurée à l’aune de la présence effective des Juifs en Israël, et non pas se limiter aux périodes de souveraineté nationale.

Selon le narratif biblique, les descendants de la tribu d’Abraham se sont mués en peuple au cours des quatre siècles d’exil en Egypte. Lors de l’Exode, et à l’occasion de la réception de la Torah au mont Sinaï comme le veut la tradition, ce peuple affirme son ancrage en Israël et se dote d’une Loi. Il y a là suffisamment d’éléments pour pouvoir parler de naissance d’une nation, vers 1400 avant notre ère, et de celle d’une conscience nationale liée à un terroir. A partir de l’établissement à Canaan jusqu’à l’avènement de l’Islam, soit pendant près de deux millénaires, les Juifs ont été présents en Israël en grand nombre sinon en majorité, pratiquement sans interruption.

Il est notable que les Juifs ont souvent vécu en autarcie en Diaspora, mais n’ont jamais revendiqué d’indépendance ailleurs qu’en Israël. La seule exception apparente se trouve dans un ouvrage médiéval intitulé « Livre du Khazar », de Judah Halevi[1]. C’est l’histoire d’un peuple du Caucase dont le Roi est séduit par le judaïsme grâce à la rhétorique d’un érudit juif. Il décide de se convertir et de faire du judaïsme la religion d’Etat. Mais il s’agit en réalité d’un exercice théologique et philosophique sous forme d’allégorie pour mettre en évidence les fondements du judaïsme.

L’Exode d’Egypte, le retour en Israël après le premier exil à Babylone, le soulèvement des Maccabées contre les Grecs et la révolte de Bar Kokhba contre les Romains attestent de manière incontestable qu’un sentiment national lié à la terre d’Israël a été constant dans la conscience collective juive tout au long de l’Antiquité. C’est ce qui fait dire au 17ème siècle à Spinoza que « si l’esprit de leur religion n’efféminait leurs âmes, je suis convaincu qu’une occasion favorable venant à se présenter, les Juifs pourraient reconstituer leur Etat »[2].

Que les juifs  s’inspirent de l’Histoire ou de la Torah, la plupart revendiquent un lien spirituel, charnel et factuel avec la terre d’Israël. Il y a une indéniable continuité dans la manière dont ils ont été tournés vers Israël depuis la Sortie d’Egypte jusqu’à nos jours .

Mais alors qu’entre Juifs nous savons ce qui dans notre tréfonds nous lie à Israël, ce sentiment n’est pas opposable à des tiers au sens du droit ou de la justice.  Le fait est que la présence des Juifs en Israël a été négligeable pendant de nombreux siècles, ce qui a rendu caduc le droit à une souveraineté juive en Israël sur base de la Torah ou de l’Histoire.

La recevabilité, la légitimité et la pertinence aussi bien éthique que juridique de l’Etat d’Israël repose sur la manière dont les pères fondateurs du sionisme se sont pris pour mener à bien leur projet.

Il n’y avait pas d’Etat en Palestine lors de la naissance du sionisme. C’était une région sous domination ottomane depuis des siècles et ensuite sous occupation Britannique. L’Organisation Sioniste Mondiale[3], dont la mission était de fonder l’Etat juif, n’a jamais tenté d’obtenir quoi que ce soit par des moyens détournés, illégaux  ou par la force. Les sionistes qui venaient s’établir en Palestine au cours de la première moitié du 20ème siècle étaient munis de visas d’immigration en bonne et due forme, recevaient un passeport et étaient enregistrés dès les années 1920 en tant que palestiniens sous mandat britannique.

Ils ont graduellement peuplé la Palestine et développé son économie et ses institutions. Ils ont fini par constituer une masse critique suffisamment importante pour envisager la mutation du Yishouv[4] en Etat viable. Cela ne faisait au fond que formaliser une situation de fait. Les juifs s’étaient établis sur des terrains acquis de manière régulière ou sur des terres domaniales qui n’appartenaient à personne depuis le démembrement de l’empire ottoman.

La légitimité politique d’Israël a été consolidée successivement par la Déclaration Balfour, la Conférence de San Remo[5], la Commission Peel[6], la Résolution 181 de l’Onu[7], la Déclaration d’Indépendance[8], l’admission d’Israël aux Nations-Unies[9] et sa reconnaissance par 160 pays membres, à ce jour.

La légitimité de l’Etat d’Israël aux yeux du monde ne peut raisonnablement être revendiquée au nom de Dieu ni au nom de l’Histoire, quelle que soit la valeur sentimentale que nous en tant que Juifs attachons à notre mémoire collective et à nos traditions. En revanche, la légitimité de l’Etat d’Israël est opposable en droit sur base de l’aboutissement effectif du projet sioniste incarné par les femmes et les hommes qui l’ont mené à bien en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

[1] Rabbin, philosophe, médecin et poète séfarade du 12ème siècle.

[2]  « Traité Théologico-politique », Chap. 3, Spinoza

[3] Organisation dont l’objectif était l’établissement d’un centre spirituel, territorial ou étatique pour le peuple juif en terre d’Israël, territoire qui correspondait d’abord à la Palestine ottomane et ensuite à la Palestine mandataire.

[4] Ensemble des Juifs présents en Palestine avant la création de l’État d’Israël.

[5] Conférence internationale en avril 1920  a déterminé l’attribution des mandats de la Société des Nations, pour l’administration de trois territoires anciennement ottomans, dont  la Palestine.

[6] Commission d’enquête britannique en 1936 afin de proposer des modifications au mandat britannique en Palestine.

[7] Le plan de partage de la Palestine approuvé par l’Assemblée générale de l’ONU novembre 1947.

[8] La déclaration d’indépendance de l’État d’Israël au 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine.

[9] L’Etat d’Israël est devenu le 59ème membre de l’Organisation des Nations unies le 11 mai 1949.

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