Israël est l’Etat des Juifs, mais n’a pas de religion d’Etat. C’est une république de tradition juive dans le même sens que la France est une république de tradition chrétienne. Parmi les pères fondateurs de l’épopée sioniste il y eut Ben Gourion, politiquement à gauche, et Jabotinsky, politiquement à droite, mais ces deux personnages qui figurent parmi les penseurs les plus importants du sionisme, avaient comme point commun de connaitre la Torah par cœur et de ne jamais mettre les pieds à la synagogue.
La plupart des Juifs pratiquants sont attachés à la démocratie et ne considèrent pas que la Torah doive servir de fondement à la Loi ni à l’hypothétique Constitution qui peine à voir le jour. Par ailleurs, de nombreux Juifs sont non-pratiquants, voire athées, mais revendiquent leur appartenance au peuple juif au même titre et avec la même conviction que les pratiquants. A noter qu’il y a des Juifs ultraorthodoxes en Israël qui ne se considèrent pas comme partie prenante du projet sioniste. Certains sont même opposés à la notion d’Etat des Juifs. A noter en passant que Maïmonide, l’un des décisionnaires les plus importants de la Halakha[1], n’inclut pas dans son inventaire des 613 mitzvot l’obligation de vivre en Israël. Mais quoi qu’il en soit, l’Etat d’Israël en tant qu’avatar du Siècle des Lumières et de la Haskala[2] ne saurait être une théocratie.
Tout lien organique entre Etat et religion ne peut être que problématique. Certaines prérogatives des institutions religieuses peuvent être maintenues par pragmatisme, eu égard à l’Histoire, mais la vie publique doit être de nature séculière. En revanche il est important d’enrichir le droit israélien de principes du droit talmudique, en plus des sources anglaises et ottomanes.
Le sionisme est le mouvement de libération du peuple juif tout entier, et non pas de sa frange religieuse, même s’il est vrai que la Torah en est le mythe fondateur. Pour Yeshayahu Leibowitz[3] « L’État d’Israël n’a été créé ni à cause du judaïsme ni sous la pression du judaïsme ni dans l’intérêt du judaïsme, mais dans le cadre de l’indépendance nationale du peuple juif »[4].
C’est dans ce sens que Theodor Herzl[5] détermine dans « L’Etat des Juifs [6]» que la question juive n’est « ni une question sociale, ni une question religieuse, mais une question nationale. Nous ne laisserons pas prendre racine les velléités théocratiques de nos rabbins. Nous saurons les maintenir dans leurs synagogues, de même que nous maintiendrons nos militaires dans leurs casernes. L’armée et le rabbinat doivent être respectés, mais au niveau de l’État ils n’ont rien à dire. »
[1] Ensemble des prescriptions et interdits de la Loi juive contenus dans le Talmud.
[2] Mouvement de pensée juif des 18ème et 19ème siècles influencé par les Lumières.
[3] Chimiste, médecin, historien de la science, érudit du judaïsme, Juif orthodoxe, philosophe et moraliste, rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque.
[4] Leibowitz, Entretiens avec Michel Shashar, « Israël et Judaïsme, ma part de vérité ».
[5] Fondateur du mouvement sioniste au congrès de Bâle en 1897.
[6] « Der Judenstaat », publié en 1896