On a abondamment relevé le courage d’Anne Sinclair depuis que Dominique Strauss-Kahn a été arrêté à New-York. Mais bien qu’elle ait eu beaucoup à endurer depuis le déclenchement de l’affaire, elle est ce qu’on appelle une victime collatérale. Au-delà de ses proches, celui qui est frappé le plus durement c’est bien entendu Dominique Strauss-Kahn lui-même.
Dans la mesure où il est innocent, son comportement a été déterminé et extraordinairement digne. A aucun moment il n’a craqué. A aucun moment il ne s’est écroulé. A aucun moment on n’a pu déceler dans son expression de la colère, de l’exaspération, du dépit ou du désespoir. Nous ne savons pas comment les choses se sont déroulées dans le bureau du procureur ou lors de son séjour en prison, mais nul doute que si à un moment où à un autre il s’était effondré, ou au contraire s’était emporté, on l’aurait su grâce aux médias à l’affut de tout ce qui pouvait faire des titres.
Et quand tout a basculé et que le procureur a libéré Dominique Strauss-Kahn sur parole, là aussi il a fait preuve d’une retenue remarquable. En sortant du Tribunal il s’est dirigé d’un pas mesuré vers la voiture qui l’attendait sans exhiber la moindre jubilation. C’était pourtant sur ce même trottoir que quelques semaines auparavant il avait été houspillé par une meute haineuse qui hurlait « honte sur vous » en lui souhaitant de croupir le restant de ces jours en prison. A peine a-t-il esquissé un sourire traduisant son soulagement, mais c’était un sourire paisible, un sourire qui avait l’air de s’adresser surtout à ses proches, qu’ils fussent présents ou lointains, comme pour leur redonner confiance et leur signaler qu’il allait bien.
Si Dominique Strauss-Kahn est blanchi d’ici peu, la question de sa candidature à la Présidence de la République va à nouveau se poser, même si lui-même pourrait souhaiter un répit avant de prendre sa décision. Ce qui apparait à l’évidence, c’est que ses éventuels électeurs auront eu l’occasion d’évaluer en direct la tenue de cet homme face à l’adversité. On peut ne pas être de son bord politique, mais dans la mesure où la fonction de Président requiert une trempe exceptionnelle et l’aptitude à garder son calme en toutes circonstances, Dominique Strauss-Kahn a démontré qu’il était à la hauteur à l’occasion de cette épreuve dont il se serait bien passé.
Quant à son profil d’homme à femmes, il craignait lui-même depuis longtemps qu’il ne le rattrape lors d’une éventuelle campagne électorale. Le destin a voulu qu’il soit rattrapé avant même qu’elle ne commence, or si les sondages montrent qu’il est encore un candidat apprécié il n’aura plus à craindre la bulle à ragots parce qu’elle se sera dégonflée avant la campagne.
Ne pas vouloir voter pour un homme dont on réprouve la sexualité est une chose, mais faire activement campagne contre lui sur base de son penchant sexuel est scandaleux. Il n’y a pas si longtemps, un candidat homosexuel à la mairie de Paris n’aurait eu aucune chance de se faire élire. Maintenant la plupart des électeurs ne font plus de lien entre l’orientation sexuelle et la compétence du Maire de leur ville, et c’est bien ainsi. Lors de l’affaire Monica Lewinsky, le Président Clinton a successivement nié et reconnu une aventure sexuelle extraconjugale à la face de l’Amérique toute entière, mais cette Amérique que l’on dit si puritaine ne l’a pas démis de ses fonctions et a même continué à lui vouer une popularité qui ne s’est pas démentie à ce jour. Peut-être que l’Histoire retiendra que l’affaire Dominique Strauss-Kahn aura imprimé un tournant décisif aux mœurs en montrant que les masses savent désormais que les compétences de leurs dirigeants ne se confondent pas avec la nature de leur sexualité.
Dominique Strauss-Kahn pourrait être lavé de tout soupçon sur base de la perte de crédibilité de son accusatrice suite à la série de mensonges dont elle s’est rendue coupable. Les médias spéculent beaucoup là-dessus, mais il est étonnant que l’on n’entende nulle part exprimer l’exigence que cette tragédie doive déboucher sur des aveux explicites, au moyen desquels l’accusatrice révèlerait sans ambiguïté avoir menti sur toute la ligne, et pas simplement sur ses comptes en banques. Ce serait la moindre des choses. Non pas seulement pour l’honneur de Dominique Strauss-Kahn, mais aussi pour celui de toutes les femmes du monde qui sont réellement violées tous les jours, auxquelles elle aura fait un tort incommensurable.