Dès son arrivé au pouvoir en 1958 de Gaulle prit ses distances par rapport à Israël afin de resserrer les liens de la France avec le monde arabe. C’est donc tout naturellement qu’en 1967 il prit le parti du monde arabe après la défaite de celui-ci contre Israël lors de la Guerre des Six-Jours[1]. Il libéra du même coup la parole antisémite en qualifiant les Juifs de « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur[2] » lors d’une mémorable conférence de presse. Plus tard il prévint même les Juifs qu’il ne tolèrerait pas de double allégeance de leur part: « notre sympathie pour les Juifs est indiscutable, mais faudrait-il encore que certains ne se sentent pas plus israéliens que français. Leur prise de position en faveur de l’État d’Israël est inadmissible. [3]»
Il ne fait pas de doute que dans l’esprit de de Gaulle il en allait de l’intérêt de la France, mais il ne fait pas de doute non plus qu’exposer les Juifs à la menace de génocide en échange de pétrole arabe était tout aussi inadmissible.
Retour en arrière pour saisir le rapport aux Juifs de de Gaulle:
En 1945 la Haute Cour de Justice condamne Pétain à mort, mais souhaite que la sentence ne soit pas exécutée « étant donné son grand âge ». De Gaulle, alors au pouvoir, est un admirateur de Pétain, qu’il qualifie dans ses mémoires « d’homme d’exception ». Il a avec lui des affinités intellectuelles, culturelles, religieuses et politiques, malgré la guerre qui les a opposés. De Gaulle s’empresse de suivre le tribunal et commue la sentence de mort en réclusion à perpétuité.
Mais de Gaulle ne s’en tient pas là. En 1951 il déclare qu’ «il est lamentable pour la France, au nom du passé et de la réconciliation nationale indispensable, qu’on laisse mourir en prison le dernier Maréchal »[4]. Suite à son intervention Pétain sort de prison et est installé dans une villa mise à sa disposition par des amis. Après sa mort il continue d’être l’objet d’hommages de la part de la Présidence de la République.
Il y a quelque chose de proprement incompréhensible et de moralement insoutenable quand on pense que bien que Pétain ait été condamné pour haute trahison, il ne l’ait pas été pour crimes contre l’humanité, en dépit de l’ignominie du « Statut des Juifs », et aussi pour avoir fait emprisonner, torturer et expédier aux camps d’extermination des dizaines de milliers de Juifs. S’il avait été jugé au même titre que les monstres nazis au Procès de Nuremberg[5] il n’y aurait eu pour Pétain ni grâce ni prescription possible, et il aurait été pendu malgré « son grand âge ».
Pour comprendre la duplicité de de Gaulle dans cette affaire il est intéressant de comparer le sort qu’il a réservé à Pétain avec celui qu’il a fait subir à Robert Brasillach, jugé pour intelligence avec l’ennemi.
Brasillach était un écrivain, un journaliste et un intellectuel de talent, mais aussi un collaborationniste et un antisémite implacable. Son procès fut expédié en un jour, et au bout d’une délibération de vingt minutes le tribunal prononça sa condamnation à mort. Une série d’intellectuels et de résistants demandèrent sa grâce, mais De Gaulle la refusa, et Brasillach fut fusillé. Il avait 36 ans.
[1] Guerre entre d’une part Israël et d’autre part l’Égypte, la Jordanie et la Syrie appuyés par le monde arabe toute entier et l’URSS.
[2] Conférence de presse du général de Gaulle du 27 novembre 1967
[3] Entretien avec le rabbin Jacob Kaplan en 1968.
[4] Discours prononcé le 26 mai 1951 à Oran.
[5] Procès contre 24 des principaux responsables du Troisième Reich, accusés de complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.