Le « Suicide français » est un ouvrage de l’écrivain, journaliste et intellectuel Éric Zemmour. La thèse qui sous-tend cet essai est que la France est en déclin. Un des chapitres contient un passage tendant à réfuter la manière donc Robert Paxton, historien de la Seconde Guerre Mondiale, analyse le régime de Vichy.
Zemmour note que Paxton constate dans son livre « La France de Vichy » que les trois quarts des Juifs français ont pu échapper à la mort sous le gouvernement de Pétain. L’explication en serait, d’après Paxton, que ce sont les opposants au régime, parmi lesquels les « Justes des Nations », qui ont sauvé ces Juifs.
Mais, s’interroge Zemmour, si l’on estime que ce sont ces français-là qui ont rendu possible un sauvetage d’une telle ampleur, comment se fait-il que les Hollandais n’ont pas réussi à en faire autant ? Le nombre de leurs « Justes » était supérieur celui de la France, mais les Juifs des Pays-Bas ont néanmoins été exterminés à près de 100 %.
D’après Zemmour, Paxton a tort de considérer que le régime de Vichy relevait du mal absolu. Il pense plutôt que l’intention avait été de se placer entre le marteau et l’enclume afin de modérer la folie criminelle nazie. Après tout la France avait été écrasée par un ennemi qui ne lui laissait guère le choix. Vichy aurait donc, dans ces conditions, pris le parti de jouer une sorte de double-jeu en tentant de sauver ce qui pouvait l’être, tout en faisant mine de collaborer avec l’occupant.
Zemmour cite Raul Hilberg, spécialiste de l’histoire de la Shoah, selon lequel le gouvernement de Vichy se serait efforcé de contenir les exigences allemandes concernant les Juifs. Mais ces pressions devenant de plus en plus intenses, il y eut un stade où Vichy ne pouvait plus s’y opposer de manière efficace. En désespoir de cause le régime dut se résigner à lâcher les Juifs étrangers en échange de la vie sauve pour les Juifs français.
Zemmour soutient que le régime de Vichy étant essentiellement nationaliste, il ne lui restait qu’à se servir du peu de souveraineté qui lui restait pour protéger ses nationaux. Vichy aurait donc eu à cœur de protéger les Français juifs non pas parce qu’ils étaient juifs, mais parce qu’ils étaient français.
Petit saut en avant dans l’Histoire. En 1976 un vol d’Air France en provenance de Tel-Aviv est détourné par des terroristes palestiniens et allemands, et atterrit à l’aéroport d’Entebbe en Ouganda. Les preneurs d’otage libèrent les passagers non-Juifs, mais enferment les Juifs dans un hangar. Il y a là comme un écho au « Statut de Juifs » de Vichy. Mais contrairement à Pétain, le commandant de bord Michel Bacos et son équipage décident de rester avec les Juifs jusqu’à leur libération.
Zemmour dénonce volontiers la soumission actuelle de la France à l’Islam, à l’Union Européenne, à la Chine ou aux Etats-Unis, mais bizarrement trouve des circonstances atténuantes à la soumission de Vichy aux nazis. La fibre nationale de Zemmour est respectable, mais en faire l’unique vecteur de la conscience quand elle est confrontée à la barbarie confine à l’inconscience. Trouver qu’il est légitime de discriminer entre humains aux prises avec la mort sur base de la seule préférence nationale témoigne d’une perte de repères.
Lors de la Deuxième Guerre mondiale, Rudolf Kastner est un notable qui dirige le « Comité d’Aide et de Secours » des Juifs hongrois. Il négocie avec les nazis le sauvetage de 1684 Juifs en échange d’argent, d’or et de diamants. Mais outre le côté sordide de la transaction, il minimise sous la pression des nazis ce qui attend les Juifs qui n’ont pas les moyens de s’acheter la liberté.
Après la guerre, un journaliste Israélien accuse Kastner d’avoir collaboré avec les nazis. Il est poursuivi pour diffamation. L’affaire prend une ampleur inattendue et se transforme en enquête sur la Shoah de Hongrie. Au bout du procès le tribunal donne raison au journaliste sur la plupart des points. Le juge étaie sa décision en disant que du seul fait d’avoir traité avec les Nazis « Kastner avait vendu son âme au diable » .
Les arguties de Zemmour, aussi pertinentes soient-elles, ne tiennent pas devant l’ignominie d’un Vichy qui avait, lui aussi, vendu son âme au Diable.