Pie XII et les Juifs

L’obligation doctrinale de  tourmenter les Juifs repose sur les textes fondateurs du christianisme. Parmi les premiers ayant eu force de loi dans l’Empire romain, il y eut  les conclusions du Concile de Nicée en l’an 325, qui décrétaient déjà que « c’était chose indigne, que de suivre en ce point la coutume des Juifs… Les Juifs sont si fort éloignés de la vérité, même en ce point, qu’ils célèbrent deux fois la fête de Pâque en une année ».

Le silence de Pie  XII concernant la Shoah est un fait incontestable du point de vue historique, mais on peut l’interpréter de diverses manières. Il se peut qu’il craignait que les nazis ne déclenchent  de représailles, ou que le souci de protéger les catholiques sous botte nazie était prioritaire, ou que la menace de l’athéisme bolchévique mobilisait toute son attention, etc..

Par ailleurs il semble que nonobstant son silence, Pie XII aurait contribué au sauvetage de Juifs italiens menacés de déportation. Mais l’institution  papale étant de nature spirituelle, elle se situe en principe au-delà des spéculations temporelles. Sachant mieux que quiconque que la matrice de l’antisémitisme était le christianisme, Pie XII aurait pu, s’il l’avait voulu, manifester sa solidarité avec le peuple juif aux prises avec les nazis.  Il n’avait certes pas de canons, mais bien une voix. Il ne s’en est pas servi.

Si l’on considère que Pie XII avait des raisons de se taire concernant la Shoah, alors on peut aussi penser que les Alliés n’auraient pas dû débarquer en Normandie, que les Anglais auraient dû faire la paix avec l’Allemagne, que l’Europe aurait dû accepter de se soumettre au Troisième Reich, et que de Gaulle aurait dû rallier Vichy. Il n’y aurait sans doute pas eu de Deuxième Guerre Mondiale, et on parlerait aujourd’hui allemand à Paris.  On n’en finit pas avec ce genre de raisonnement.

En tant qu’être humain, Pie XII n’était  sans doute pas indifférent au sort des Juifs conduits à l’abattoir. Mais l’on ne peut pas, dans ce contexte, considérer la foi de ce grand chrétien comme un détail. En tant que Vicaire du Christ il devait être imprégné du credo  en vertu duquel le judaïsme est un obstacle à la christianisation – et donc au Salut – du genre humain tout entier.

La persistance du judaïsme ne peut être vécue par la chrétienté que comme un affront. C’est dans ce sens que Pie XII devait d’une certaine manière voir dans l’avènement d’Hitler la main de Dieu. A préciser que bien que germanophile, ce Pape n’avait aucune sympathie envers les nazis. Il estimait cependant qu’il ne pouvait s’opposer à la Providence qui les avait emmenés au pouvoir afin d’éradiquer le judaïsme. Il était convaincu que du point de vue théologique il ne pouvait se mettre en travers de la « Solution Finale », qu’il percevait comme une divine surprise dont les nazis constituaient le bras séculier.

Il n’est pas anodin de relever que l’archevêque anglican  Desmond Tutu récemment décédé avait adressé lors de sa visite au Mémorial de la Shoah à Jérusalem une prière pour l’âme des nazis. Après tout ceux-ci n’étaient de son point de vue, tout comme de celui de Pie XII, que les instruments du céleste Père.

Rien ne pourra jamais exonérer Pie XII de son coupable silence. Pas même sa possible canonisation, outrage ultime à six millions de Juifs partis en fumée. Aucun calcul, aussi rationnel et aussi pragmatique soit-il, aucune contorsion rhétorique ou contrevérité historique ne justifiera jamais qu’il n’ait pas hurlé à la face du monde qu’on était en train de massacrer le peuple juif.

Pie XII était donc un bon chrétien. Toute autre explication de son silence est nulle et non avenue.

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