Guilad Shalit ou le dilemme d’Israël

Il y a en ce moment une campagne d’envergure en Israël pour exiger du gouvernement qu’il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour libérer Guilad Shalit, le soldat de Tsahal capturé en territoire israélien par le Hamas il y a quatre ans.

On est sans nouvelles de lui depuis près d’un an. Alors que le Hamas refuse la visite de la Croix-Rouge, les terroristes emprisonnés en Israël ont droit aux visites, au courrier, au sport, au téléphone, à la télévision et mêmes aux études.

Les manifestants pour Guilad Shalit sont d’avis que le gouvernement doit obtenir sa libération à tout prix. Le prix que demande le Hamas est la libération de nombreux terroristes, dont beaucoup sont coupables de meurtres de civils au cœur même d’Israël, hors tout contexte militaire. Parmi ceux qu’Israël a déjà accepté de relâcher contre Guilad Shalit il y a selon le journal israélien « Yediot Aharonot » 100 terroristes qui ont assassiné 600 femmes, hommes et enfants israéliens dans des autobus, des restaurants ou en rue. Ces mêmes attentats ont aussi fait 1500 blessés.

Pour les uns la libération du soldat prime sur tout, mais pour les autres il y a à prendre en considération les conséquences possible du relâchement de terroristes palestiniens parce qu’une partie importante de ceux-ci est susceptible de récidiver. Une étude a été faite dans ce sens qui démontre que ce danger est réel.

La formule « à tout prix » que clament les manifestants est à plusieurs tranchants. D’une part cela peut avoir pour effet de durcir la position du Hamas et hausser encore le prix qu’ils exigent. D’autre part cette pression pourrait pousser le gouvernement à tenter une opération militaire pour mettre un terme à l’affaire. Cette opération serait conforme à une doctrine israélienne maintenant révolue qui consistait à ne jamais céder au chantage, et en même temps à tenter des opérations à haut risque pour sauver les otages. Quand ces opérations échouaient cela avait au moins l’avantage de dissuader les terroristes de récidiver puisque le chantage ne s’avérait pas payant.

Il n’est pas indifférent de rappeler à ce propos l’Opération Entebbe, où des terroristes du « Front populaire de Libération de la Palestine » détournèrent en 1976 un avion d’Air France vers l’Ouganda, pays gouverné par un dictateur sanguinaire mais bienveillant avec les preneurs d’otages. Une fois au sol les terroristes posèrent un ultimatum en vertu duquel les otages juifs (et pas les autres) seraient exécutés s’ils n’obtenaient la libération d’autres terroristes incarcérés dans divers pays. Le gouvernement israélien fit mine de négocier, mais dépêcha en grand secret des troupes d’élite à bord d’avions de Tsahal pour une mission qui est resté un cas d’école. Après 4000 km de vol en rase-mottes au dessus du continent africain ils surprirent les terroristes, l’armée ougandaise et le reste du monde en surgissant sur le tarmac de l’aéroport d’Entebbe qu’ils connaissaient par cœur. Trente minutes après s’être posés les avions redécollaient en direction de Tel-Aviv avec à leur bord une centaine d’otages sains et saufs. L’aéroport d’Entebbe fut dévasté, la tour de contrôle détruite et une dizaine d’avions de chasse de l’armée de l’air ougandaise pulvérisés. Quatre otages et un soldat de Tsahal y laissèrent leur vie.

Ce soldat s’appelait Jonathan Netanyahou, frère de Benjamin Netanyahu, l’actuel premier ministre d’Israël.

Ceci n’est pas une photo

J’aime quand tu es sur le point de me prendre en photo
Pourquoi
Parce que tu me regardes avec intensité
C’est parce que je dois tenir mon appareil et que je ne peux pas te toucher en même temps c’est un supplice
Tu pourras me toucher après
j’aimerais te toucher tout en prenant la photo
Facile
Comment
Tu fais venir un photographe et tu me touches pendant qu’il mitraille
Ca n’a rien à voir
Pourquoi
Parce que ce sera sa photo à lui et pas la mienne
C’est vrai que personne ne me regarde comme toi
C’est ce que je veux dire je voudrais poser mon regard sur toi et saisir le regard que tu m’envoies retour
Il est comment mon regard en retour
Tu as un air chaviré un peu vicieux
Vicieux
Oui tu plisses les yeux j’ai l’impression que tu deviens chinoise pendant une fraction de seconde
Et c’est ça que tu veux capturer mon côté chinois
Oui
Alors vas-y
Mais je viens de t’expliquer que je ne peux être à la fois devant et derrière l’objectif
Je vais m’imaginer que tu me touches et l’effet sera le même
Tu penses que rien qu’en imaginant tu peux avoir ce regard
Bien sûr
Mais alors c’est que tu peux l’avoir avec un autre aussi
Pourquoi pas l’essentiel c’est que je pense à toi et que l’autre n’y voit que du feu
Mais alors comment savoir si quand tu as ce regard avec moi ce n’est à l’autre que tu penses
Je ne peux pas le prouver tu dois me croire sur parole
C’est ce que tu dis à l’autre aussi
Tu m’énerves je ne veux plus de photo
Pourquoi
Parce que tu m’as mise en colère
J’aimerais te photographier en colère
Tu n’y arriveras pas
Pourquoi
Parce que quand je suis en colère je ne peux pas poser
Alors qu’est ce qu’on fait
Une photo mais en silence
D’accord mais j’ai besoin de ton regard chinois
Je ne peux pas le faire sur commande
Mais tu as dit que tu le pouvais
Je le peux quand c’est moi qui commande
J’ai une autre idée
Laquelle
Je vais photographier ton âme
Une âme ça ne se voit pas
Justement
Justement quoi
Je vais te photographier en ton absence
C’est impossible
En ta présence aussi tu viens de le démontrer
Alors je pars
Je te prendrai en photo quand tu seras partie
Tu es fou
Fou de qui
Fou tout court
Non, fou de toi
Alors prends-moi en photo
Non, pas aujourd’hui

Régis Debray ou le combat de trop

Régis Debray est un inlassable combattant pour la justice. Quand il était jeune il est parti en Bolivie faire la révolution aux côté de Che Guevara, qui pensait qu’en allumant des foyers révolutionnaires un peu partout dans le monde on finirait par venir à bout de l’hégémonie américaine. Cela n’a pas vraiment réussi, mais l’important était de participer.

Beaucoup de temps s’est écoulé depuis, mais le tenace, le vigilant, l’ardent Régis Debray demeure paré pour combattre l’injustice quel que soit l’endroit du monde où elle se manifeste. Ces temps-ci il a trouvé un adversaire à sa mesure, autrement puissant que le régime bolivien qu’il combattit naguère. Le danger contre lequel il nous met en garde dans son dernier ouvrage au moyen de sa belle plume rappelle par certains aspects celui que mentionne déjà une chronique vielle de 2500 ans, appelée « Esther »: « un peuple dispersé et à part parmi les peuples, ayant des lois différentes de celles de tous les peuples et n’observant point les lois du roi. Il n’est pas dans l’intérêt du roi de le laisser en repos ».

L’avantage du nouvel engagement de Régis Debray, c’est qu’il n’est nullement obligé de voyager pour combattre. L’adversaire est à sa porte, mais aussi aux portes de tous les hommes de mauvaise volonté. Comme rien de ce qui est humain ne saurait être étranger à Régis Debray, son combat vise à ramener dans le droit chemin ceux qu’il caractérise comme des « fanatiques ». Tâche ardue, parce que le magma qu’il pourfend est multiforme, multiculturel, multiethnique et caméléonesque. Certains de ces individus peuvent même être des amis. Mais une majorité de quinze millions de conjurés qui encerclent une minorité de sept milliards d’assiégés est une affaire trop sérieuse pour qu’un intellectuel du format de Régis Debray s’en détourne.

La horde en question se perpétue au moyen de la pensée, ce qui fait qu’au moindre génocide elle renaît de plus belle. A l’occasion elle fait fleurir le désert, et depuis des millénaires pérennise le livre le plus grandiose jamais écrit. Régis Debray pense qu’il faut réagir, d’autant plus que cette tribu s’est mise à riposter quand elle est attaquée, alors que traditionnellement elle subissait. Cette engeance sera difficile à défaire, parce qu’elle se dissimule maintenant dans un pays expressément si petit qu’on ne le trouve même pas sur la carte.

Régis Debray nous invite à faire entendre raison à ce peuple avant qu’il s’avère que Régis Debray se trompe sur toute la ligne, et qu’il n’y comprend rien, comme dit Claude Lanzmann, réalisateur de l’inoubliable « Shoah ».

Mourir de maigreur

J’avais dix-sept ans quand je rencontrai Arielle, et elle dix-huit. J’étais en quête non pas d’amour mais d’intelligence, alors c’est tout naturellement qu’elle m’éblouit dès les premiers instants. Disposant d’une perspicacité redoutable, elle voyait, comprenait et anticipait tout chez ses interlocuteurs, si bien que ceux-ci ne pouvaient qu’entériner ce mélange subtil d’intuition et de raison.

C’était une jolie fille, une brune aux longs cheveux bien avant la mode des brunes aux cheveux longs. Elle était mince et menue, et avait une manière effacée de se servir de son corps, qu’elle déplaçait avec une délicatesse qui tenait un peu de la danse. Tout dans son allure, sa voix, sa virtuosité verbale, me charma dès les premiers instants.

Elle était d’un abord facile, et prenait un intérêt réel à converser. Cela engageait à poursuivre, mais au bout d’un temps, variable mais généralement assez court, elle dressait un barrage aussi opaque qu’imprévisible, et son intérêt s’évaporait. Elle était par ailleurs d’une drôlerie irrésistible : sans jamais s’esclaffer elle était hilarante, pratiquant l’ironie et la dérision avec un art consommé. Elle abordait les situations les plus courantes sous un angle tellement inattendu, mais qui semblait d’une telle justesse après-coup, qu’on se demandait pourquoi on n’avait pas été capable de s’en apercevoir soi-même. Elle avait aussi la particularité de parler très vite, mais son débit – affolant pour tout le monde – était un véritable régal pour moi. C’était un moulin à paroles développant des idées dont la cohérence n’était jamais prise en défaut. En dépit de ce qui eût pu être perçu comme une forme de logorrhée je ne trouvais jamais qu’elle en disait trop.

Je suivais ses propos comme un feuilleton dont on ne se lasse pas. Elle suscitait une envie irrésistible de répliquer. Il lui suffisait d’émettre une remarque un rien singulière pour déclencher des échanges infinis. Tour à tour enjouée, nostalgique ou sombre, il lui arrivait de passer d’un registre à l’autre sans transition. Cela pouvait être déroutant pour qui n’en saisissait pas l’enchaînement, mais moi je m’y retrouvais.

Tout au long de notre histoire les livres accompagnèrent nos échanges. Lire était pour Arielle aussi naturel que respirer, et en tout cas plus que manger. Elle était insatiable pour tout ce qui relevait du vocabulaire, de l’orthographe et de la syntaxe. Elle avait en permanence plusieurs ouvrages en cours de lecture, lisait à toute occasion, et avait toujours un volume dans son sac. Elle me relançait souvent par un mot, une référence ou une citation qui me mettait en alerte. Je me sentais tenu de lire ce à quoi elle avait fait allusion, même si elle avait la manie gentiment perverse de minimiser son rôle après-coup, jouant à l’étonnée devant ma précipitation.

Alors que je l’avais perdue de vue depuis longtemps, elle m’écrivit soudain d’Irlande, où étaient apparus les premiers symptômes d’un mal distingué mais profond. Elle avait décidé de perdre du poids, et, kilo après kilo, basculait dans l’anorexie. Obsédée par la nourriture, la moindre ingestion entraînait une culpabilité dont elle ne se débarrassait qu’à force de vomissements. Parfois elle craignait d’avoir grossi sans avoir absorbé la moindre nourriture et courait les pharmacies en quête des balances, mais sans que cela la rassure parce qu’elle soupçonnait les pharmaciens de ne pas les calibrer. Elle avait ainsi perdu la notion de son propre volume, ne se trouvant jamais assez mince alors qu’elle était devenue squelettique.

Juste avant de mourir de maigreur, elle m’envoya un message pour m’annoncer qu’elle s’était cherchée toute sa vie, alors que moi je l’avais trouvée dès les premiers instants.

Mon père, ou une vie pour rien

Longtemps mon père sortait de bonne heure sans que l’on comprît ce qu’il faisait. Il eût fallu être bien perspicace pour deviner que ces sorties n’avaient d’énigmatique que le néant de leur objet. Il passait ses journées à errer en ville, le plus souvent dans les jardins publics. C’est ainsi que sa folie ordinaire ne fut jamais perceptible que par son entourage immédiat. Il eût en effet été difficile d’imaginer que cet homme apparemment normal, cultivé, affable, disposant du sens de l’humour, se levât de son lit le matin sans autre projet que d’attendre le soir pour s’y coucher. En dehors de cela il ne voyait personne, n’avait pas d’ami, pas de distraction, pas de travail, pas de soucis.

Malheureux, mais fermé, mon père cachait son mal de vivre avec soin. Sa vie étant réduite à peu de choses, il accusait ma mère d’avoir la folie des grandeurs dès lors qu’elle bataillait pour améliorer notre quotidien. Après des journées à ne rien faire, il dînait goulûment en famille et puis allait se coucher pour fuir dans un sommeil réparateur d’on ne savait de quoi. Comme il était aussi le premier levé, c’était lui qui relevait le courrier pour intercepter ce qui pouvait avoir un caractère officiel ou menaçant tel que les avertissements du fisc ou les requêtes de l’Administration. Il arrivait que n’ayant pas eu le temps d’escamoter ces plis redoutables, ma mère se précipitât pour lui vider les poches. Suivaient alors d’épouvantables empoignades, mes parents vociférant devant mon frère et moi qui tentions gauchement de les séparer. Ils entraient dans des délires de destruction terrifiants, saccageant tout ce qu’ils trouvaient à leur portée en proférant des malédictions dantesques sur fond de vaisselle brisée. Les phases de silence étaient encore plus terribles, quand couvait la haine. J’étais à la fois terrorisé et pris d’une immense pitié pour ces adultes au fond du malheur. J’aspirais à la mort en voyant mes parents se déchirer.

Des années entières s’écoulèrent durant lesquelles mes parents se côtoyèrent sans jamais s’adresser la parole autrement que par personne interposée. Mon enfance fut une souffrance de tous les jours, un tourment sans nom quel que soit l’angle sous lequel je la considère. Mes parents ne rompaient leur silence que pour livrer bataille dans notre réduit de misère, esclandres nocturnes dont les pulsations me parvenaient dans la pièce que je partageais avec mon frère qui essayait de me rassurer en essuyant mes larmes en promettant des lendemains qui chanteraient.

Tout au long de mon enfance, il y eut une confusion autour de l’existence de mon père, que beaucoup croyaient disparu ou décédé. Aucun de mes professeurs ne le rencontra jamais. Il n’était le pourvoyeur de la maisonnée sous aucune forme, n’apportant ni l’argent ni les ressources morales. Il n’avait pas le sens de la propriété, ne convoitait rien et tournait en dérision tout penchant à posséder quoique ce fût. Étant inadapté à la vie en société il estimait que celle-ci était comptable de sa survie, en vertu de quoi il s’octroyait le droit d’emprunter sans intention de rendre. Un jour, à court de cigarettes, il se mit à puiser dans mes économies d’enfant en siphonnant ma tirelire sou après sou, et récidiva jusqu’à ce que j’évente son manège. Je lui en voulus plus pour la honte que j’éprouvai à sa place que pour la malversation elle-même. J’avais sept ans.

Il advint que ma mère chassât mon père de la maison après qu’un créancier en furie fût venu réclamer son dû, dont ma mère ignorait tout. Mon père s’installa dans une mansarde de l’immeuble où nous habitions, et mon frère et moi prîmes sur nous de faire la navette entre sa retraite et notre étage pour le ravitailler. Après quelques mois de ce régime, ma mère le fit revenir quand, l’apercevant au détour d’une rue, elle fut alertée par son aspect famélique. Bien que souhaitant la disparition de mon père, elle ne se voulu jamais à en être l’instrument.

Il m’arrivait de traiter mon père avec cruauté en exploitant son impuissance et en trépignant pour imposer mes lubies. Je tirais parti de ses faiblesses pour assouvir mes caprices, et le manipulais avec cette habileté propre aux enfants qui savent se jouer d’un adulte faible. Je l’acculais dans des situations inextricables, le mettant en difficulté jusqu’à ce qu’il me cédât.
Très tôt mon père laissa s’inverser la répartition conventionnelle de nos rôles respectifs. C’était moi qui commandais et lui qui obéissait. Il se cantonnait dans une attitude infantile avec le rituel associé. Je le félicitais quand il avait été sage, et le grondais quand il avait démérité. J’étais touché par la gentillesse qu’il me témoignait avec ses pauvres moyens. Il m’aimait à sa manière, et m’admirait d’être mieux adapté à la vie que lui.

Nous passions beaucoup de temps ensemble. Cela me plaisait parce qu’il était charmant et affectueux. Ayant le goût de la musique, mais sans moyen d’aller au concert, il me faisait écouter la radio et chantonnait des classiques jusqu’à ce que je fusse capable d’en faire autant. Aujourd’hui encore je sens la marque du moment précis où je vibrai pour la première fois en entendant un vrai orchestre avec de vrais musiciens jouant sur de vrais instruments les airs que mon père m’avait appris dans la rue.

Sans occupation déterminée tout au long de la journée, mon père prenait plaisir à me cueillir à la sortie de l’école. Je me souviens de ces intermèdes d’une grande douceur, quand il me prenait par la main pour m’accompagner à la maison, où m’attendait son enfer conjugal.

Vers la fin de sa vie, mon père sombra dans une forme de démence sénile. Après deux ans de délire il fut frappé d’une hémorragie cérébrale et tomba dans un coma profond. Il fut hospitalisé, et je passai de nombreuses heures à le veiller. Au bout de quelques jours il tendit un bras au son de ma voix et contracta sa main pour me toucher. J’en fus bouleversé, parce que je crus qu’il avait perçu ma présence du fond de sa nuit, et qu’il avait choisi de se manifester à moi plutôt qu’à quiconque. Je me mis soudain à espérer qu’il allait sortir de sa torpeur et que j’y serais pour quelque chose. Je me dis que quel que fût son état de délabrement, tout valait mieux que la mort.

Il expira une heure plus tard.

Amos Oz, écrivain et sioniste

Amoz Oz, écrivain nobélisable, icône de l’intelligentsia israélienne de gauche, a publié dans le journal  « Le Monde » une chronique riche d’enseignements pour ceux qui croient qu’il constitue une voix dissonante dans le débat public. Il écrit : « l’usage de la force est vital pour notre pays, je n’en sous-estime pas l’importance. Sans elle, nous ne survivrions pas même vingt-quatre heures.»

Il y a bien entendu un contexte autour de cela, et pour ceux qui s’y intéressent, la chronique est disponible sur le site du « Monde ». Il n’en reste pas moins que venant de la part d’Amos Oz, une telle profession de foi a des implications pour ceux qui le présentent comme défendant des thèses diamétralement opposées à celle de l’establishment israélien.

Amos Oz n’est pas un écrivain recroquevillé sur son œuvre. C’est aussi un intellectuel, un homme d’action et un sioniste au sens le plus accompli du terme. Alors qu’il n’était qu’adolescent il s’est inscrit au kibboutz de sa propre initiative. Ensuite il a servi dans Tsahal et a participé – physiquement et moralement – à tous les combats d’Israël jusqu’à l’opération « Plomb Durci » contre Gaza, qu’il a soutenue sans ambiguïté.

En lisant attentivement sa chronique il s’avère qu’Amos Oz suggère une stratégie qui ne contredit en rien les grandes lignes de la politique israélienne d’aujourd’hui ou du passé. La différence avec les responsables politique portent essentiellement  sur les moyens de mettre un terme au conflit, et non sur les concessions qu’il faudrait faire pour y arriver.

Globalement, la vision d’Amos Oz correspond à ce à quoi une majorité d’israéliens aspirent, pour autant ils aient la sécurité en contrepartie. Il n’y a pas grand-monde en Israël qui objecterait à une paix véritable en échange de territoires. Les quelques irréductibles qui s’y opposeraient ne viendraient pas à bout de la démocratie israélienne.

Que le gouvernement israélien n’abatte pas ses cartes avant de négocier relève d’une précaution élémentaire, encore que la proposition du gouvernement Olmert  a été révélée au public, d’où il ressort que l’offre du premier ministre d’alors était qualifiée « d’intéressante » par l’Autorité Palestinienne, mais qu’elle n’y a pas répondu « parce qu’elle savait que le gouvernement allait tomber», après quoi elle a refusé de s’asseoir avec Netanyahu sous prétexte qu’elle « ne le croyait pas sincère», ceci malgré le gel de la construction en Cisjordanie.

Il faut une grille de lecture particulièrement fine pour saisir ce que dit vraiment Amos Oz par rapport à d’autres courants en Israël. En ce qui concerne la les Territoires il y en a qui trouvent qu’il ne faut rien lâcher contre du vent, que c’est un atout pour négocier, mais d’autres qui disent qu’il vaut mieux se replier derrière les frontières de 1967 pour faire cesser une occupation dévastatrice à la fois pour les palestiniens et les israéliens. Mais alors les premiers disent qu’on se retrouverait exposé comme en 1967, avec en plus l’Iran aux portes de Tel-Aviv. Quant aux juifs religieux, certains disent qu’ils ne lâcheront jamais Jérusalem-Est, mais d’autres disent que la spiritualité est dans la tête et pas dans la terre. Quant aux druzes et aux bédouins, il y en a qui sont encore plus radicaux contre les palestiniens que ne le sont beaucoup de juifs, etc.. etc..

Voici en tout cas ce que disait Amos Oz dans une interview donnée en 2003 à « La Paix Maintenant », mais qui n’a pas perdu de son actualité : « …je pensais que si les Palestiniens se voyaient offrir ce que Ehoud Barak leur a offert a Camp David, ils répondraient par une contre-proposition. J’admets que je n’imaginais pas que de proposer une solution avec deux États, deux capitales, et le retour de 92 ou 95 ou 97% des territoires déclencherait une vague d’hostilité contre nous. Cela a été pour moi un très grand choc. »

« A un ami israélien » de Régis Debray à Barnavi

L’écrivain et essayiste Régis Debray a récemment écrit un ouvrage intitulé « A un ami israélien » où il s’exprime sur le conflit israélo-arabe en s’adressant à Elie Barnavi, historien et ex-ambassadeur d’Israël à Paris. Je suis pour ma part en désaccord avec Barnavi, mais de la manière dont on peut l’être avec un juif israélien que l’on respecte. Je suis sceptique quant à son opinion comme quoi la solution israélo-palestinien devrait être imposée de l’extérieur. A partir du moment où Israël est une démocratie, je ne vois pas en vertu de quoi les Etats-Unis ou l’Union Européenne seraient habilités à déterminer la politique de son gouvernement.

Quant à Régis Debray, et en dépit de sa très belle plume, je pense que son point de vue sur Israël à travers ses écrits est détestable. Il se sert de poncifs anti-israéliens (pêché originel, colonisation, religion, apartheid, etc.. ) qui relèvent d’un antisionisme primaire. Il a en revanche un penchant affectif pro-palestinien marqué, ce qui est son droit, mais ce qui ne lui donne pas celui de falsifier l’Histoire. Le péché originel n’est pas du côté d’Israël comme il le prétend : il est du côté arabe qui a refusé le partage de la Palestine en 1948.

Cependant le fond de la pensée de Régis Debray perce à travers ses sophismes. Son discours rappelle celui de certains pionniers du sionisme qui regrettent qu’Israël ne se soit pas développé en centre spirituel uniquement. Cela sonne bien, mais en réalité c’est ce qu’ont tenté sans succès les juifs tout au long de 2000 ans d’Exil, ce qui a abouti à la nécessité de se constituer en État souverain « à l’intérieur de frontières sûres et reconnues » (résolution 242 de l’ONU).

Debray ne va pas jusqu’à nier le droit à Israël à l’existence, mais il y met des conditions telles que cela revient au même. C’est l’archétype du Gentil qui n’est à l’aise qu’avec des juifs intelligents mais peu musclés, à la rigueur religieux, de bonne compagnie, mais qui savent s’éclipser quand il le faut. Bref, il trouve qu’Israël est trop juif.

Il y des gens qui critiquent durement Israël tout étant amis. Je ne trouve pas que Debray rentre dans cette catégorie parce ce que, comme dit Claude Lanzmann, il n’y comprend rien. Or quand on s’appelle Régis Debray et qu’on n’y comprend à ce point rien, ce n’est pas l’intelligence qui est en cause, mais l’amitié. Il illustre parfaitement l’adage selon lequel avec des amis comme lui on n’a pas besoin d’ennemis.

 

La raison contre la violence

J’ai assisté à une conférence-débat où une psychologue engageait le public à s’exprimer au sujet de la violence. En conclusion elle a fait une synthèse entre les opinions des présents et son propre point de vue.

Elle a estimé que la violence étant propre à la nature humaine, il n’était pas question de l’éradiquer mais plutôt d’en limiter les effets au moyen de la raison. Elle posait également de manière implicite que la violence relevait du mal alors que la raison relevait du bien, sans quoi l’argument ne tiendrait pas. C’est ainsi qu’elle en arrivait à lier raison et morale en inférant que la première débouchait sur la deuxième.

Je pense pour ma part que l’appel à la raison contre la violence doit être dépouillé de toute connotation morale, parce que d’une part la raison est amorale et que d’autre part la morale n’est pas raisonnable. Il y a à mon avis là une confusion des genres : soit on fait appel à la raison pour démontrer l’intérêt du sujet (l’homme violent), soit on fait appel à la morale pour démontrer le bénéfice de l’objet (la victime). Penser que ces deux intérêts peuvent coïncider est à mon avis angélique.

Le monde nous apparaît comme étant régi par la loi du plus fort au sens darwinien du terme. La violence en est l’expression. C’est le mécanisme dont se sert toute création, inerte, végétale, animale ou humaine pour s’adjuger le plus de place possible. C’est donc le sujet qui dispose de la plus grande force qui l’emporte, non pas parce qu’il en a décidé ainsi, mais parce qu’ainsi va le monde.

Je pense néanmoins que la raison bien comprise peut venir à bout de la violence.

L’homme diffère de l’animal en ce que ce dernier n’est mu que par ses émotions, incapable comme il est de se projeter dans le temps. L’animal pratique donc la violence dans l’immédiateté – parfois à son détriment – et de manière irréfléchie. L’homme, en revanche, est capable de se projeter dans le temps et d’anticiper les effets de sa violence. Un homme qui bat sa femme doit apprendre que ses coups pourraient l’éloigner de lui ou la tuer. S’il ne le craint pas alors il faut lui faire apparaître qu’il risque de finir en prison. Si cela non plus ne le dissuade pas alors il n’y a rien d’autre à faire que d’essayer de l’empêcher de nuire.

La raison appliquée à la lutte contre la violence, c’est peut-être la recherche d’un équilibre dans les rapports de force.

La morale, c’est autre chose.

Jean Sébastien Bach et Utube

Un violiste de premier plan s’est prêté à une expérience édifiante, diffusée sur Utube. Travesti en musicien de rue de Washington, il a joué pendant 45 minutes du Bach devant une station de métro sans attirer d’attention particulière. Sur le millier de passants qui a défilé, six se sont arrêtés pour écouter et vingt lui ont jeté une pièce sans ralentir le pas. Il a recueilli vingt-sept dollars alors que pour l’écouter en salle il fallait en débourser cent par personne.

Ce n’est pas l’expérience qui est étonnante, mais bien les conclusions qu’en tirent certaisn commentateurs. L’un dit « si nous ne prenons pas un moment pour nous arrêter et écouter l’un des meilleurs musiciens au monde jouer la meilleure musique jamais écrite, à côté de combien d’autres choses passons-nous? Un autre dit que « l’heure de pointe du métro n’est pas propice à l’appréciation d’une performance artistique ». Ce que ces réflexions ont en commun c’est qu’elles attribuent l’indifférence des passants à une espèce d’autisme dont ils seraient frappés quant le sublime ne se manifeste pas là où on l’attend. En d’autres mots, que ces mêmes gens sont pris d’extase en salle de concert, mais restent de marbre devant une bouche de métro.

Ce n’est pas du tout mon avis.

Je pense que cette expérience démontre que l’inculture qui règne en matière de musique est abyssale. Cela rappelle ce passage de « La Recherche » de Proust, où le narrateur raconte comment « Pour faire partie du « petit noyau », du « petit groupe », des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste, protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait : « Ça ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça ! ».

Il y a extrêmement peu de mélomanes, non seulement parmi ceux qui prennent le métro, mais aussi parmi ceux qui paient 100 dollars pour aller au concert. Si les passants en question avaient pris le temps d’écouter le violoniste, la plupart n’auraient de toutes manières pas apprécié. Le problème c’est que les consommateurs sont nourris en décibels à satiété par l’équivalent musical de la restauration rapide, c’est-à-dire l’ingestion de produits où l’effort individuel est réduit au minimum.

Les morceaux joués par le violoniste étaient respectivement des extraits de la Partita No. 3 de Bach pour violon, BWV 1006 (Gavotte en rondo) et de la Partita No. 2, BWV 1004 (Chaconne). Quelle est la proportion de gens capables d’identifier ces morceaux au vol ? Minime, à n’en pas douter.

Si les passants n’ont pas été interpellés par les sublimes accents du violoniste c’était parce qu’ils ne comprenaient rien à la musique, et pas parce qu’ils étaient pressés.

De la délégitimisation d’Israël

Berjac me fait l’honneur de me citer dans son article « Quelques images pieuses israéliennes», en estimant que mes idées « ne doivent pas être loin de ce qui se fait de plus extrémiste » dans mon pays. Comme il se garde de préciser en quoi consiste mes idées, je me suis  relu afin de vérifier s’il y avait dans mes propos quelque chose qui justifiait  cette qualification, auquel cas j’aurais tenté de clarifier. Je n’ai rien trouvé, mais j’ai fini par comprendre que ce que Berjac, se basant sur l’Histoire  pour étayer son point de vue, qualifiait « d’extrémisme » était le fait même qu’Israël revendiquait le droit d’exister.

D’une part je ne vois pas en quoi le narratif de Berjac convaincrait les juifs de plier bagage après la reconnaissance par l’ONU et cent cinquante ans de d’épopée sioniste, et d’autre part il existe des analyses très convaincantes qui disent diamétralement l’opposé de ce qu’il infère.

Pour ma part je pense que cette polémique est dépassée, mais je recommande néanmoins l’analyse de l’intellectuel israélien Ben-Dror Yemini (http://www.france-israel.org/articles.ahd?idart=408),  traduite en français par M. Macina, qui rappelle les témoignages de Mark Twain, de Baker Tristram et de Jacques Finn, qui ont laissé des textes décrivant la Palestine du 19eme siècle en termes sinistres: « …Nous ne vîmes pas âme qui vive durant tout le voyage. …ces déserts inhabités, ces buttes rouillées et infertiles… « kilomètre après kilomètre, on ne voit rien de vivant. la Palestine est en majorité vide d’habitants ».

A la lumière de cette étude il apparaît que la Palestine était pratiquement vide au 19eme siècle, époque où elle faisait partie de l’Empire Ottoman, et que chaque parcelle de terre achetée par des juifs le fut en toute légalité. Les juifs vivaient d’ailleurs en Palestine au même titre que les arabes, dont nombre avaient afflué de pays voisins en voyant  décoller l’économie grâce à l’agriculture des pionniers juifs. En 1947, Au bout d’un siècle d’une cohabitation tumultueuse entre communautés juives et arabes, l’ONU a estimé qu’après le départ des occupants britanniques il valait mieux les séparer en créant deux Etats pour deux peuples. Les juifs ont accepté, les arabes ont refusé, et depuis lors c’est la guerre.

Mais quand bien même ce narratif-ci serait fantaisiste, la question qui se pose aujourd’hui est : que fait-on maintenant ? La vraie question – brûlante- est là.

Si la réponse est que les juifs n’ont rien à chercher en Israël, qu’ils n’ont qu’à s’exiler ou à se défaire de tout pour devenir minoritaires d’un Etat probablement islamiste, alors la probabilité que les israéliens acceptent est mince.

Mais si la réponse est qu’il faut deux Etats pour deux peuples, alors les israéliens l’accepteront parce qu’ils l’ont déjà accepté en 1947, à cette réserve près que cette fois-ci il faudra que l’autre camp se résolve à mettre un terme définitif au conflit, et non pas qu’il se limite à un cessez-le-feu en échange de concessions majeures côté israélien. On est loin du compte.

Pour le moment les palestiniens se font même prier pour négocier, et gaspillent un temps précieux en prétextant la poursuite de la colonisation alors que le processus de paix a justement pour objectif d’y mettre fin. Ce n’est pas parce qu’ils ont autre chose à faire, mais parce que nombre d’entre eux (donc pas tous, heureusement) rêvent encore et toujours de liquider Israël comme le clament le Hezbollah, le Hamas et l’Iran, c’est-à-dire ceux qui donnent le ton et sans lesquels aucun arrangement n’est envisageable.

Ben-Dror Yemini termine son analyse par les mots suivants, auquel je souscris sans réserve: « Les Palestiniens méritent respect, liberté et indépendance. Mais aux côtés d’Israël. Pas à la place d’Israël. Extrémisme ?

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