Tuerie au musée juif de Bruxelles

Quels que soient les commanditaires de la tuerie au musée juif de Bruxelles, quelles que soient leurs motivations, et même s’il ne s’agit que d’un acte isolé, il ne fait pas de doute que cela se passe sur fond de haine antisioniste, qui n’est qu’un antisémitisme recyclé faisant écho au discours antijuif distillé des siècles durant par la Chrétienté et l’Islam. L’antisémitisme étant un symptôme plutôt qu’une idéologie, quatre innocents abattus à la kalachnikov en plein jour en pleine ville dans la capitale de l’Europe, cela concerne même ceux que ne sentent pas concernés.

Les ennemis d’Israël pensent qu’en s’attaquant aux Juifs de la Diaspora – ou à leurs symboles – ils affaiblissent le monde juif. Mais si l’on cherche à suivre ce raisonnement, aussi morbide soit-il, on s’y perd parce qu’il défie la logique la plus élémentaire. En effet, chaque agression, chaque atteinte à l’intégrité morale ou physique des Juifs accentue la solidarité des communautés juives à travers le monde, et dans beaucoup de cas le désir d’aller vivre en Israël. Cette option n’existait pas avant la création de l’Etat d’Israël. C’est ainsi que l’on assiste à une recrudescence de l’émigration à chaque manifestation d’antisémitisme, or la tuerie de Bruxelles n’échappera sans doute pas à cette règle. Les antisémites sont pris dans un dilemme cornélien : contenir leur haine des Juifs est nuisible pour leur santé, mais l’exprimer renforce, souligne et corrobore la raison d’être de l’Etat juif, dont l’une des fonctions consiste à combattre l’antisémitisme partout où il sévit. Tout acte antisémite entraine donc un effet boomerang sur son auteur du fait même de l’existence de l’Etat d’Israël.

Un climat antisémite empoisonne une part croissante de l’opinion publique européenne, mais il faut reconnaître qu’en Belgique il n’y pas d’antisémitisme officiel. Cette forme de racisme y est au contraire un délit, or la police, la magistrature et le gouvernement font ce qui est en leur pouvoir pour que la loi soit respectée. Mais c’est justement parce que l’antisémitisme ne saurait s’exprimer à visage découvert dans une démocratie comme la Belgique qu’il se travestit en antisionisme. Ce n’est donc pas l’Etat qui accompagne la montée de l’antisémitisme, mais ceux parmi les médias qui diffusent sans retenue une propagande antisioniste relayant les poncifs antisémites les plus éculés.

L’antisionisme, tout comme le racisme, ne relève pas de la liberté d’expression. L’antisionisme, c’est la contestation du droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Les médias ont en Europe un devoir de pédagogie lorsqu’ils abordent le thème du conflit israélo-palestinien. Quand des commentateurs critiquent l’Etat d’Israël dans les médias ils ont l’obligation morale de préciser qu’il ne s’agit pas de mettre en cause son existence. Ils doivent être vigilants et veiller à ce que leurs discours n’alimentent pas des velléités criminelles par le détour de l’antisionisme.

L’Europe a une dette envers les Juifs. La plupart des Etats, dont la Belgique, l’ont reconnu de manière solennelle, mais il y a encore beaucoup à faire au niveau de la mémoire collective, or c’est à l’intelligentsia qu’incombe cette tâche. Les journalistes, chroniqueurs et intellectuels doivent impérativement changer de vocabulaire s’ils désirent différencier la critique politique de l’Etat d’Israël de la harangue antisémite.

L’Histoire nous a appris que l’acquiescement – même muet et passif – à l’antisémitisme est le levier avec lequel on renverse les démocraties.

Comment le monde arabe a perdu ses juifs selon Nathan Weinstock

Nathan Weinstock est un avocat, criminologue et historien belge né à Anvers en 1939. Après une scolarité d’inspiration juive orthodoxe il se tourne vers le trotskysme, devient en 1967 antisioniste et pro-palestinien, et se répand en harangues féroces devant des auditoires nourris aux émissions de Radio-Le Caire, « savourant avec délices l’annonce que les vaillantes armées arabes sont sur le point de jeter les juifs à la mer ». D’une violence verbale extrême, Weinstock appelle au démantèlement d’Israël en posant qu’on ne peut être à la fois sioniste et socialiste.

Vers les années 1990 il change de cap en prenant conscience du fait que la cause palestinienne n’est qu’un avatar de l’antisémitisme, et qu’elle est nourrie par la haine des Juifs plutôt que par une vision  politique.  Weinstock fait alors un virage à cent quatre-vingt degrés et se met à soutenir Israël en déconstruisant avec lucidité et courage son parcours d’intellectuel fourvoyé dans le dédale du marxisme, considérant ses écrits antérieurs comme « bourrés de conclusions simplistes et abusives ».

Weinstock  publie en 2008 un essai [1] sur la disparition des communautés juives du monde arabe. Ce gros ouvrage parait maintenant en hébreu, à l’occasion de quoi le quotidien israélien de gauche « Haaretz » consacre un long article dans son supplément de fin de semaine. Ce qui suit n’en est  pas une traduction littérale, mais est basé sur l’essentiel du propos, à savoir l’évocation par Weinstock du statut de « Dhimmi » dans le monde arabe.

Le statut de « Dhimmi » constituait en principe une forme de protection des non-musulmans monothéistes, mais au prix de règles infamantes telles que l’interdiction de posséder des armes, de témoigner au tribunal,  de monter à cheval, de l’obligation de porter des signes distinctifs, d’être assujettis à une taxe spéciale et de veiller à ce que les habitations fussent plus basses que celles des musulmans. Au Yémen les « Dhimmi » juifs avaient pour tâche de vider les fosses d’aisance et de dégager les cadavres d’animaux encombrant les routes.

Au fil du temps ces usages ont diminué d’intensité ou disparus, mais les esprits continuent à en porter l’empreinte. Que les règles concernant les « Dhimmi » soient appliquées ou pas, elles subsistent de manière symbolique dans de larges franges de l’inconscient collectif arabe et y pérennisent une image de soumission au pouvoir musulman.

L’histoire des Juifs du monde arabe est une tragédie. Des communautés entières installées depuis des temps immémoriaux ont été traquées, chassées ou éliminées dans l’indifférence la plus totale de la Communauté Internationale, auprès de laquelle les Juifs en déshérence n’ont jamais obtenu le statut de réfugiés, contrairement aux palestiniens, chez lesquels ce statut se transmet de génération en génération.

En 1945 il y avait dans le monde arabe près d’un million de Juifs. Il en reste quelques milliers, essentiellement au Maroc. La manière dont ils ont été délogés diffère d’une région à l’autre, mais le dénominateur commun en est un antisémitisme remontant à l’époque du Prophète, qui avait voulu dans un premier temps rallier les Juifs à l’Islam, mais qui s’est retourné contre eux quand il a pris conscience qu’il n’y parviendrait pas.

L’idée  que les Juifs sont partis du monde arabe parce qu’ils étaient sionistes est un mythe. La majorité ne l’était pas, et ne s’est expatriée que contrainte et forcée, abandonnant tout pour recommencer une vie nouvelle ailleurs. Ils étaient pourtant attachés à la culture arabe, à laquelle ils avaient largement contribué. La présence des  juifs datait d’ailleurs souvent d’avant celle des arabes eux-mêmes.

C’est en considérant les rapports entre la minorité juive et la majorité musulmane que l’on comprend le séisme qu’a constitué l’avènement de l’Etat d’Israël dans la psyché des masses arabes. Celles-ci portent en elles de manière plus ou moins marquée la mémoire de cette période où les Juifs pouvaient être humiliés et spoliés en toute légalité, ce qui explique leur regard incrédule sur l’Israël d’aujourd’hui, qui leur échappe et dont ils souhaitent la disparition, pour laquelle ils sont disposés à consentir des efforts qui ne débouchent en pratique sur rien d’autre que leur propre affaiblissement.

Quand les puissances coloniales ont voulu mettre un terme à la dhimmitude cela fut ressenti comme une atteinte à la dignité arabe et comme une violation de l’ordre divin. D’une manière générale la notion occidentale de droits de l’homme fut considérée comme incompatible avec les valeurs de l’Islam, ce qui est d’ailleurs encore le cas dans une grande partie du monde arabo-musulman.

Quand à l’aube du vingtième siècle les Juifs se sont mis à pratiquer l’agriculture intensive en Palestine ils décidèrent de remplacer les gardiens arabes par des Juifs. Ce changement fut vécu par beaucoup d’arabes comme un insoutenable  retournement de situation. Alors que dans leur esprit les Juifs n’avaient pas vocation à être paysans ni à porter des armes, ce nouvel ordre – celui de la modernité – s’édifiait sous leurs yeux en lieu et place de l’ordre ottoman en perte de vitesse. Cet avènement d’un « Juif Nouveau » dépassait l’entendement de l’opinion publique arabe, pour laquelle la soumission des Juifs allait de soi et découlait en quelque sorte d’une loi de la Nature.

L’impasse du conflit israélo-palestinien perdure – au moins en partie – parce que du point de vue arabe la création d’Israël est perçue comme une vengeance des Juifs eu égard à leur servitude passée, alors qu’en réalité le sionisme n’est qu’un mouvement de libération nationale. C’est l’inaptitude ontologique  d’admettre que le mouvement sioniste a mis fin à la dhimmitude  en Palestine qui est la cause profonde du refus arabe de se conformer à la Résolution de l’ONU de 1947 recommandant de la partager en deux Etats, l’un juif et l’autre arabe.

 


[1] Une si longue présence : Comment le monde arabe a perdu ses juifs, 1947-1967, (Editions Plon)

Lettre ouverte à Noa la chanteuse

Vous avez refusé de recevoir le prix Akoum  alloué par le Syndicat National des Compositeurs et Musiciens d’Israël.  Vous avez pris cette décision parce que le chanteur Ariel Zilber allait également être honoré par un prix au cours de la cérémonie où vous étiez tous deux conviés. Vous ne mettiez pas en question ses qualités artistiques,  mais bien ses opinions politiques.

Il est vrai que certaines prises de positions d’Ariel Zilber sont détestables, ainsi que certaines de ses fréquentations.

Mais d’un autre côté, vous avez volontiers chanté au Vatican en hommage à un Pape qui stigmatisait les homosexuels et qui concourait à la propagation du  Sida par son refus d’admettre l’usage de préservatifs. Sans doute le saviez-vous.

Le Vatican est accusé par l’ONU d’avoir violé la Convention sur les droits de l’enfant, d’avoir organisé l’impunité de nombreux pédophiles et de leur avoir ainsi permis d’abuser d’enfants dont ils avaient la charge. Sans doute le saviez-vous.

le Vatican a conceptualisé et institutionnalisé les fondements théologiques de l’antisémitisme. Il a inspiré, encouragé ou ignoré les pires massacres de juifs sous prétexte qu’ils étaient coupables d’avoir tué Dieu. Sans doute le saviez-vous.

Le Vatican a pratiqué un silence assourdissant lors de la Deuxième Guerre Mondiale alors que les juifs étaient assassinés par millions. Plus tard de nombreux nazis ont pu se soustraire à la justice grâce à l’assistance de l’Eglise catholique. Sans doute le saviez-vous.

Le professeur Yeshayahu Leibowitz était d’avis que le nazisme était le produit d’une culture qui, en partant du christianisme avait abouti à la Solution Finale. Il estimait à l’occasion du procès Eichmann à Jérusalem que c’était plutôt le Vatican qu’il aurait fallu mettre en accusation  pour qu’il réponde  de ses crimes contre le peuple juif. Sans doute le saviez-vous.

Vous saviez donc probablement tout cela, mais vous vous êtes néanmoins produite au Vatican, peut-être parce que vous estimiez que malgré ses ignominies vous désiriez faire appel à ce qu’il y avait de meilleur chez les hommes, et non à ce qu’ils avaient de pire. Appliqueriez-vous deux poids et deux mesures quand il s’agit d’Israël ?

Si vous êtes, en tant qu’artiste de réputation mondiale, véritablement mobilisée pour la cause de la paix, personne ne vous croira jamais si vous n’êtes pas disposée à commencer par y contribuer par votre belle voix au sein même de votre propre peuple.

Vous venez de rater une belle occasion de le faire.

La leçon de Dieudonné

L’humoriste Dieudonné a fait de l’antisémitisme son fonds de commerce. Cela soulève l’indignation des uns et l’enthousiasme des autres, mais laisse de moins en moins de monde indifférent, ce qui de son point de vue constitue un succès. Il est vrai que la justice donne suite aux plaintes dont il fait l’objet et que les autorités condamnent ses propos racistes, mais dans une démocratie il y a peu d’instruments juridiques susceptibles de faire barrage à la mauvaise foi de quelqu’un qui abuse de la liberté d’expression. Le résultat est qu’alors qu’il apparaît que les amendes infligées à Dieudonné n’ont  jamais été acquittées, chacun de ses passages au tribunal constitue une publicité plus efficace que n’importe quelle campagne de relations publiques.

Quand il s’agit de réagir à l’infamie de Dieudonné on est confronté à un dilemme: faut-il la dénoncer, ou faut-il au contraire l’ignorer afin de ne pas servir de caisse de résonnance. Les institutions qui lui font procès sont bien entendu dans leur rôle, mais il est illusoire de penser que c’est un moyen de le faire taire. Et quand bien même elles y réussiraient, nul doute qu’un autre Dieudonné prendrait le relais pour exploiter le filon de la haine antijuive.

Le problème n’est donc pas Dieudonné, mais l’antisémitisme, et ce serait faire trop d’honneur à cet individu que de lui attribuer le moindre rôle dans sa résurgence. Tout au plus fait-il la démonstration que l’antisémitisme se porte bien, et qu’une partie non négligeable de la société n’y voit aucun mal. Le public qui le soutient n’est ni marginal ni insignifiant; il est au contraire très signifiant, parce que ce sont les enfants spirituels des meutes qui stigmatisaient les juifs lors de l’affaire Dreyfus.  Dieudonné est donc plutôt un révélateur qu’un prosélyte. Pour dire les chose simplement, il dit peut-être tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.

Albert Memmi[1] a beaucoup écrit sur la condition juive.  Après la Shoah, et en dépit de la défaite du nazisme, il posait dès les années 1950 un diagnostic cinglant: « L’expérience nous a trop souvent appris  qu’il n’y a pas de risque négligeable pour nous, que tout peut devenir possible. Que tous les non-juifs participent d’une société qui rend invivable la vie du Juif en tant que Juif, oui, cela je le sens et le pense. Etre juif, c’est d’abord ce fait global: c’est d’abord se trouver mis en question, se sentir en permanente accusation, explicite ou implicite, claire ou confuse ».

Homme de gauche et homme de cœur, Albert Memmi avait dans un premier temps pris de la distance par rapport à ses origines, mais pour y revenir plus tard avec force. Après avoir pensé que l’universalisme, le socialisme et la modernité entraîneraient la fin de l’antisémitisme, il finit par conclure que la résolution de la question juive devait trouver une expression plus concrète: « si le Juif ne se reprend pas comme peuple, il restera nécessairement minoritaire et séparé, menacé et périodiquement exterminé. S’il ne se défend pas comme peuple, il restera soumis a la bonne volonté des autres, c’est-à-dire aux fluctuations de leur humeur, plus souvent méchante que bienveillante, condamné à leur servir de souffre-douleur trop commode, d’exutoire à leurs difficultés économiques et politiques, à vivre dans l’ambigüité et la ruse, le déchirement et la peur. II faut maintenant faire un pas de plus, qui me parait s’imposer avec la même évidence : puisqu’un peuple ne saurait, aujourd’hui encore, vivre et se déterminer librement sinon que comme nation, il faut faire des Juifs une nation. En bref, la libération particulière des Juifs s’appelle une libération nationale, et, depuis dix ans cette libération nationale du Juif s’appelle l’Etat d’Israel. »

Dans le même ordre d’idées, Hannah Arendt[2] disait au cours de la deuxième Guerre Mondiale que « quand on est attaqué en tant que Juif c’est en tant que Juif qu’il faut se défendre ». C’est pour cette raison qu’elle rêvait de constituer une armée juive, d’abord pour combattre les nazis, ensuite pour que les juifs se constituent en nation en Europe même, au sein d’une Confédération où la nation juive serait représentée en tant que membre à part entière dans un Parlement Européen. Pour Hannah Arendt le fait d’être juif signifiait d’abord et avant tout une appartenance politique et nationale.

Parallèlement à cette utopie, Hannah Arendt était une sioniste ardente, même si elle participait d’un courant qui ambitionnait de créer un Etat binational judéo-arabe: « les Juifs palestiniens savent ce qu’ils défendent  : leurs champs et leurs arbres, leurs maisons et leurs usines, leurs enfants et leurs femmes. Et il ne fait aucun doute qu’ils appartiennent à cette communauté, car nous sommes là-bas en vertu du droit et non de la tolérance. La Palestine et l’existence d’un foyer national juif constituent le grand espoir et la grande fierté des Juifs dans le monde entier ».

Albert Memmi estimait que la libération du peuple juif devait se faire en Israel et nulle part ailleurs: « la solution nationale découle d’abord d’une nécessite purement sociologique : les Juifs étant ce qu’ils sont, un peuple vivant, dispersé et toujours minoritaire, au milieu des autres, et, d’autre part, la majorité des peuples ne pouvant encore supporter la présence de minorités compactes parmi eux, il faut faire cesser cette relation. Puisqu’il est impossible au Juif de vivre pleinement parmi les autres, il faut ôter Ie Juif du milieu des autres.

Cependant Albert Memmi était conscient qu’Israël ne pouvait être une solution à court terme pour tous les juifs du monde, et qu’une partie d’entre eux seraient longtemps encore tributaires de ces nations qui, bon gré mal gré, les ont accueillis, et souvent adoptés. Les Juifs qui continueraient à habiter en Diaspora devaient donc faire preuve de la loyauté la plus absolue, la plus courtoise et la plus reconnaissante partout où ils étaient, mais en même temps ne jamais perdre de vue que l’objectif ultime était que la présence des Juifs hors de la nation juive doit changer de sens, et que la Diaspora doit cesser d’être une Diaspora.

Il  concluait son analyse en disant « je suis heureux d’avoir appartenu à la génération qui a compris où  se trouvait la libération du peuple juif, et qui l’a entrepriseAux générations suivantes de l’achever. Israel est dorénavant leur affaire. C’est notre seule issue, notre seule carte véritable, et notre dernière chance historique. Tout le reste est diversion. Seule la solution nationale peut exorciser notre figure d’ombre; seul Israël peut nous redonner épaisseur et vie : seule la libération d’un peuple peut fournir une chance véritable à sa culture ».

Les juifs du monde doivent être vigilants par rapport à l’antisémitisme au même titre que pour toute autre forme de racisme, et se comporter en citoyens responsables dans leur pays de résidence. Mais les juifs de la Diaspora spécifiquement menacés en tant que tels doivent avant tout réagir en soutenant Israël, parce que c’est là que se joue leur destin en tant que peuple, et que c’est là que se trouve leur ultime refuge. Ces juifs qui vivent en Diaspora mais qui désirent en même temps préserver le recours éventuel à la « Loi du Retour »[3], ont donc des devoirs envers Israël, parce que quel que soit le dynamisme  des institutions communautaires juives à travers le monde, celles-ci ne seraient plus d’aucun secours si Israël venait à disparaître.

C’est peut-être la meilleure manière de comprendre ce que Dieudonné essaie de nous dire.


[1] Ecrivain juif franco-tunisien. Les citations en italiques sont extraites de « Portrait d’un Juif »

[2] Ecrivaine et professeure de théorie politique. D’origine allemande mais naturalisée américaine après la Deuxième Guerre mondiale.  Les citations en italiques sont extraites de ses « Ecrits Juifs »

[3] Loi israélienne qui permet à chaque juif, à tout moment, de s’établir en Israël et de devenir instantanément citoyen à part entière

 

Edgar Morin ou le philosophe errant

Il y a une douzaine d’années le sociologue Edgar Morin publiait une tribune cosignée par deux autres intellectuels[1] dans le journal « Le Monde ». Il s’agissait d’un brûlot  intitulé « Israël-Palestine : le cancer », posant que les palestiniens avaient le droit pour eux dans tous les cas de figure. Mais au delà de ce postulat creux le texte était truffé de contrevérités, d’élucubrations et de mensonges visant à diaboliser Israël. Plus tard la revue « Controverse » publia une  étude qui pulvérisait les sophismes de Morin.

Suite à cette tribune Avocats sans frontières et France-Israël engagèrent une procédure pour antisémitisme. Lors d’un premier procès les plaignants furent déboutés, mais plus tard  la Cour d’Appel condamna Morin pour « diffamation raciale et apologie des actes de terrorisme ». Finalement la Cour de Cassation mit un terme aux poursuites en considérant que la tribune relevait de la liberté d’expression.

La gauche dont se réclame Morin n’a jamais réussi à éliminer l’antisémitisme dans ses rangs malgré un antiracisme de façade. Il dénonçait d’ailleurs lui-même dès 1959 dans son livre « Autocritique » le dévoiement du communisme et les raisons qui l’emmenèrent à s’en désolidariser. Il reconnaissait à quel point il s’était fourvoyé au cours de sa jeunesse par rapport à sa condition juive:

« Déjà avant guerre, j’avais peur de réagir en Juif aux événements politiques, et j’étais heureux de m’opposer, pacifiste, au « bellicisme » de la plupart des autres. Au cours de l’été 1940, je me disais : « Mieux vaut le salut de 40 millions de Français que celui de 500 000 Juifs. » Les premières mesures raciales me renforcèrent dans cette sorte d’acceptation attristée … « J’étais même prêt a accepter l’immolation des Juifs si le salut des autres Français était à ce prix – si la fatalité de l’Histoire l’exigeait.

Morin nous révélera-t-il un jour ce que  la fatalité de l’Histoire exige d’Israël ?


[1] Sami Naïr, homme politique franco-algérien et Danièle Sallenave, écrivaine.

Oscar Mandel ou l’art de ne pas être juif

Oscar Mandel est un dramaturge, essayiste et poète américain né en 1926 à Anvers, en Belgique. Il a récemment publié un pamphlet intitulé « Etre ou ne pas être juif » où il règle ses comptes avec ses origines. Il considère que son ascendance juive ne le définit en rien, mais ressent néanmoins le besoin de signaler son malaise face à ce qu’il ressent comme des pressions communautaristes qui lui dénieraient le droit de se défaire de sa judéité. Mais qui peut croire qu’il y a en Amérique des escadrons d’activistes qui ratissent le pays pour remmener les brebis juives égarées? Qui force Mandel à aller à la synagogue, à émigrer en Israël ou à s’intéresser aux sources juives? En réalité cela doit être une obsession qui le pousse à se rappeler au bon souvenir du monde juif pour lui signifier qu’il se rebiffe de quelque chose que personne ne lui demande et pour clamer une innocence de ce dont personne ne l’accuse. En d’autres mots, il est atteint d’un syndrome connu sous le terme de haine de soi, affection consistant en un mélange subtil d’intellectualisme masochiste et de crétinisation rampante. Il n’est pas le seul à souffrir de ce dérèglement de l’âme, qu’il partage avec des esprits aussi distingués qu’Edgar Morin ou Noam Chomsky, brillants intellectuels par ailleurs.

Mandel tient à marquer une différence qui n’intéresse pas grand-monde, mais se pose également en théoricien de l’antisémitisme en mettant en évidence ce qui d’après lui aurait permis de l’éradiquer depuis longtemps. Il estime qu’il aurait mieux valu pour les juifs de se faire baptiser dès l’avènement du premier Empereur chrétien à Rome, ce qui aurait rendu les chambres à gaz sans objet dix-sept siècle plus tard. Il avance que si les juifs s’étaient fondus aux chrétiens dès les origines, Hitler ne se serait pas souvenu d’eux, ce qui est d’une imparable logique puisqu’on ne saurait tuer ce qui ne vit pas. Il regrette que les juifs aient résisté aux vents et marées de l’Histoire et raté les occasions de se saborder. Même lors de la Révolution française, déplore Mandel, quand les juifs sont devenus citoyens à part entière, ils n’ont pas eu la lucidité de balayer leur judaïsme vers les oubliettes de l’Histoire.

Mandel pense qu’en s’entêtant à perpétuer le judaïsme, les juifs ont aussi perpétué les pogroms, les persécutions, les migrations, les exactions et les avilissements, ce qui a abouti à la Shoah. Il en conclut que bien que les nazis aient été des criminels, ce sont les juifs qui en portent la responsabilité parce qu’ils n’ont pas eu le bon goût de se rendre inexistants en temps utile. Les allemands avaient d’ailleurs selon Mandel été plutôt conciliants à l’époque de la promulgation des lois raciales de Nuremberg: ils avaient en effet été assez délicats pour consentir à ce tout juif ayant au moins deux grands-parents non-juifs échappe à la déportation.

Les historiens de la Deuxième Guerre Mondiale s’accordent généralement pour estimer que celle-ci a causé environ cinquante millions de morts civiles. Mais il faudrait demander à Mandel un complément d’explication quant à l’effet qu’aurait pu avoir une assimilation préalable des juifs. Par exemple, estime-t-il qu’il y aurait eu quarante quatre millions de morts au lieu de cinquante ? Mais alors il faudrait se demander pour quelle raison ces quarante quatre millions ont malgré tout été exterminés, étant donné qu’ils n’étaient pas juifs. Conformément au délire de Mandel il aurait sans doute fallu que les victimes soviétiques ne fussent pas soviétiques, que les tziganes ne fussent pas tziganes, que les homosexuels ne fussent pas homosexuels, que les handicapés ne fussent pas handicapés, et ainsi de suite. Il ressort ainsi de la doctrine Mandel que si le monde entier avait été nazi en 1940 il n’y aurait pas eu de guerre mondiale, ce qui est d’une cohérence lumineuse. Dans le même ordre d’idées, on peut extrapoler cette analyse à d’autres conflits, et suggérer que les incas avaient eu tort d’être incas, les aztèques d’être aztèques, le arméniens d’être arméniens, les tutsis d’être tutsis, etc..

Le pamphlet de Mandel est d’un bout à l’autre une charge haineuse contre la religion juive. Il considère qu' »un juif qui ne veut pas allumer son ordinateur le jour du Sabbat à New York, Londres ou Paris détonne étrangement avec son monde ». Il ne trouve en revanche rien d’étonnant ni de détonnant à ce qu’aux Etats-Unis 80 pourcent de la population se réunisse régulièrement dans des édifices consacrés pour vénérer un juif mort en Judée il y a deux mille ans, dont ils croient qu’il était le fils de Dieu. Mandel ne doit pas ignorer qu’il y a en Amérique une certaine hostilité vis-à-vis de l’athéisme, qui est un courant minoritaire, et dont aucun adepte comme Mandel ne saurait prétendre à être élu Président. On peut donc s’interroger sur le point de savoir pourquoi il ne s’applique pas à lui-même sa théorie comme quoi toute minorité, aussi inoffensive soit-elle, a l’obligation civique de se convertir à la majorité. Mais d’un autre côté il n’est pas clair comment en tant qu’humaniste il en vient à établir que la démocratie consiste à ce que les minorités n’aient pas de place au soleil. Mais après tout il a peut-être inventé le concept de démocratie totalitaire, ou tout le monde est égal à condition que personne ne soit différent. Il serait par ailleurs intéressant de savoir si d’après lui les minorités autres que juives en Amérique ou en Europe ne devraient pas aussi cesser de célébrer leurs rites ou cultiver leurs traditions, droits qui sont quand même centraux dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mais dont Mandel n’a peut-être jamais entendu parler.

Ce que Mandel passe sous silence dans son opuscule, c’est qu’il y a aujourd’hui environ treize millions de juifs qui se revendiquent comme tels, mais dont une grande partie se situe en dehors de la religion. Qu’ils sont juifs par leurs traditions, leur langue, leurs fêtes et l’attachement au corpus biblique et à ses commentaires, dont ils s’inspirent d’une manière critique en sélectionnant ce qui est compatible avec la modernité. Que près de la moitié des juifs du monde sont citoyens de l’Etat d’Israël. Que le sionisme a été fondé par des agnostiques pour perpétuer le judaïsme en tant que culture. Qu’au cours du vingtième siècle une partie significative des juifs se sont explicitement réclamés du communisme, de l’athéisme et de l’antisionisme, dont l’Union générale des Travailleurs Juifs (Bund) fut l’une des incarnations les plus remarquables. Que les juifs communistes figurèrent parmi les principaux leaders de la révolution russe de 1917, mais dont même les meneurs les plus radicalement antireligieux tinrent à perpétuer l’identité juive au sein de l’URSS sous la forme d’une république juive autonome. En d’autres mots que l’histoire du judaïsme depuis le Siècle de Lumières démontre sans aucun doute possible que la notion du judaïsme en tant que culture est distincte du judaïsme en tant que religion, même si ces deux courants constituent la substance vive du peuple juif.

Mandel assure que l’Etat d’Israël a été créé à un moment de l’Histoire où c’était devenu inutile. Mais vers où étaient censés se tourner après la Shoah les centaines de milliers de juifs en déshérence qui avaient perdu leurs proches, leurs biens et l’espoir d’un monde meilleur après le carnage le plus effroyable de mémoire d’homme? Devaient-ils réintégrer l’Allemagne où circulaient en toute impunité complices et témoins de la Shoah? Devaient-ils revenir dans cette Europe libérée où les autorités les avaient traqués pour le compte de l’occupant nazi? Devaient-ils s’installer outre-mer, d’où ils avaient été refoulés alors qu’il était encore temps? Devaient-ils refluer vers cette Europe de l’Est verrouillée par la chape communiste où l’antisémitisme était devenu synonyme de raison d’Etat? Y avait-il pour ces rescapés de la Shoah un choix plus raisonnable, plus logique, plus conforme à l’Histoire que de rallier l’Etat Juif naissant, qui après une gestation de près d’un siècle voyait le jour avec la bénédiction de la Communauté Internationale ? N’étaient ce pas les juifs qui s’installaient ailleurs qu’en Israël qui passaient à côté de l’Histoire?

Mandel estime qu’il n’est pas trop tard pour résoudre le problème de l’antisémitisme. A la lecture de son essai on découvre que la solution finale consisterait à ce que les juifs se diluent dans l’espèce humaine au point de ne plus être identifiables. On pourrait même organiser un autodafé comme au Moyen-âge pour supprimer les sources culturelles juives et veiller à ce qu’aucune trace ne subsiste de cette civilisation trois fois millénaires. Le génie de Mandel fait que l’on peut réduire sa recommandation en une formule à la fois concise et profonde, qui revient à ce que pour mettre un terme à l’antisémitisme, il faut mettre un terme aux juifs.

Il fallait y penser.

Mélenchon et les juifs

Jean-Luc Mélenchon, homme politique français réputé pour son verbe tonitruant et haut en couleurs, s’est récemment rappelé au bon souvenir des médias après un certain passage à vide. Il est accusé d’antisémitisme pour avoir déclaré que le ministre de l’Economie Pierre Moscovici, d’origine juive, est « quelqu’un qui ne pense plus en français, mais dans la langue de la finance internationale ». Ces propos ont été considérés par le Parti Socialiste comme étant « inacceptables et relevant du vocabulaire des années 1930 ». Pour mémoire, l’extrême-droite des années 1930 colportaient l’idée que les juifs étaient dangereux eu égard à leur conspiration cosmopolite visant l’effondrement des marchés, la récession et l’hyperinflation, tout cela étant bien entendu supposé leur bénéficier.

Mélenchon a déclaré qu’il ne connaissait pas la religion de Pierre Moscovici, ce qui n’est pas impossible, parce qu’être d’origine juive n’implique pas que l’on adhère au judaïsme en tant que religion. Il a donc été prudent dans sa formulation en disant « ignorer la religion de Pierre Moscovici », mais cela ne signifie en rien qu’il ne savait pas que celui-ci fût juif. Quoi qu’il en soit, l’ignorance ambiguë de Mélenchon apparait comme une exception dans le monde médiatico-politique, dont une grande partie a immédiatement perçu le commentaire de Mélenchon comme ayant des relents nauséabonds.

Personne en France ne peut se permettre de se déclarer antisémite ou de s’en servir comme instrument politique, puisque c’est une infraction prévue au code pénal et passible d’amende ou de prison. Cependant il y a continuité troublante dans les attitudes de Mélenchon par rapport au monde juif. Il n’a pas jugé utile de suspendre sa campagne électorale lors du massacre de enfants juifs Toulouse, et avait des accointances insolites avec le dictateur antisémite du Venezuela Hugo Chavez, aujourd’hui décédé.

Peut-être que Mélenchon pense-t-il que l’Etat de Droit est un privilège à ne pas mettre entre toutes les mains. Peut-être même qu’au fond de lui il réprouve l’antisémitisme, mais qu’il considère que si des révolutionnaires à travers le monde s’en servent pour galvaniser les masses, alors c’est un prix acceptable pour que triomphe le socialisme. Ce point de vue rappelle le stalinisme, qui semble encore toujours être une référence pour cette extrême-gauche qui se cherche, qui ne trouve rien, mais qui finit par trouver les juifs. Rien de nouveau sous le soleil, disait déjà le roi Salomon il y a trois mille ans.

Le fait est que Mélenchon a pleuré la mort d’Hugo Chavez, lui-même allié à d’autres chefs d’Etat antisémites tels qu’Ahmadinejad l’iranien, Assad le syrien et Kadhafi le libyen.
Mélenchon est un politicien éprouvé, un érudit et un fin intellectuel. Il est néanmoins possible qu’il ait dérapé, mais quand bien même cela serait, il est difficile, étant donné les précédents où il s’est distingué, de résister à la tentation de voir là un acte manqué qui est tout sauf anodin. Ce qu’il aurait de mieux à faire serait de s’excuser sans ergoter afin d’épargner à l’opinion publique sa rhétorique oiseuse consistant à s’indigner de ce que l’on s’indigne de son indignité.

De ce point de vue-là Mélenchon n’est pas loin de Stéphane Hessel, ce autre clown indigne qui aimait à faire parler de lui aux dépens des juifs.

Le bijoutier d’Alep

Alep est une ville en Syrie située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière turque et à trois cent kilomètres de Damas. Elle a survécu depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours malgré les vicissitudes et les envahisseurs successifs, ce qui en fait l’une des cités les plus anciennes au monde encore en activité.

Peu de régions ont connu une présence juive aussi longue et aussi continue qu’Alep. La Bible mentionne déjà la ville dans le Livre de Samuel et dans les Psaumes, et la première grande immigration juive eut lieu en 586 avant JC suite à la destruction du Temple de Jérusalem.

Au Moyen-âge il y eut une courte période où Alep fut relativement indépendante, au cours de laquelle les juifs jouèrent un rôle important dans la Cité. Mais au treizième siècle les Mamelouks s’en emparèrent et décrétèrent des lois limitant les droits des juifs pour leur barrer l’accès à la vie publique. La synagogue principale fut transformée en mosquée, et les juifs devinrent des Dhimmis, citoyens de seconde zone au statut incertain qui devaient s’acquitter d’un impôt spécial du simple fait de ne pas être musulman.

Au 15ème siècle Alep fut conquise par les mongols. Beaucoup de juifs furent exterminés et d’autres prirent la fuite. Mais quelque temps après les ottomans s’emparèrent de la région et virent la présence juive d’un œil plutôt favorable parce qu’ils la considéraient comme une valeur ajoutée pour l’impérialisme turc en plein épanouissement. La communauté reprit de la vigueur, prospéra et changea même de physionomie suite à l’afflux des juifs expulsés d’Espagne et parlant ladino, qui après avoir traversé l’Europe de part en part étaient parvenus en Turquie.

Un manuscrit datant du 10eme siècle est depuis près d’un millénaire la référence absolue pour le texte, la cantillation et l’orthographe de la Bible hébraïque. Maïmonide, philosophe et guide spirituel du judaïsme en Egypte, s’en est servi pour déterminer la mise en page des rouleaux de la Thora telle qu’on la connaît aujourd’hui. Mais bien qu’ayant été produit à Tibériade, ce manuscrit est connu sous la nom de « Codex d’Alep » parce qu’après de nombreuses péripéties il fut remis aux soins de la communauté d’Alep pour y demeurer six cents ans d’affilée sans que jamais de duplicata ne fût réalisé.

Les juifs comptent parmi les plus anciens habitants d’Alep, mais après y avoir vécu sans interruption pendant près de 2500 ans, il n’y en a plus depuis six décennies. La communauté est disséminée dans le monde entier, mais les anciens en gardent un souvenir ému. Cette nostalgie les conduit à entretenir dans leur mémoire un Alep virtuel et à conserver entre eux des liens privilégiés.

Qu’a-t-il bien pu se passer pour que cette communauté immémoriale, si profondément enracinée en Syrie depuis Babylone, ait pu se volatiliser aussi radicalement ?

Le 29 novembre 1947 l’Assemblée générale des Nations-Unies votait le partage de la Palestine en deux Etats, l’un arabe et l’autre juif. Dès le lendemain de violentes émeutes éclataient à Alep et une foule déchaînée criait « mort aux juifs », mettant à sac tout ce qui pouvait leur être associé sans que les autorités s’en mêlent. Un ancien d’Alep raconte qu’au cours de la nuit qui suivit, son père entreprit de se rendre discrètement dans sa bijouterie, et à la lueur d’une bougie mit son stock dans un sac pour le déposer ensuite en lieu sûr. En rentrant chez lui il relata son équipée à son fils en prononçant ces mots qui s’imprimèrent à jamais dans sa mémoire : « cette nuit, j’ai cambriolé mon propre magasin ». Quarante-huit heures plus tard la communauté juive se muait en cohorte de réfugiés et quittait Alep pour toujours.

Les tout premiers réfugiés du conflit israélo-palestinien furent donc les juifs d’Alep, et non les arabes de Palestine, et ceci avant même la création de l’Etat d’Israël. Ce fut le prélude à ce que peu après plus de 800.000 juifs du monde arabe furent persécutés, spoliés et finalement chassés des terres d’Islam. Aucun d’entre eux n’eut jamais droit au statut de refugié de l’ONU. Le Codex d’Alep disparut de la circulation à la faveur des évènements, et ressurgit en Israël une décennie plus tard, en partie détruit et dans des conditions restées obscures.

Ces temps-ci la Syrie est en proie à la guerre civile, et la bataille fait rage à Alep. La vielle ville, classée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, est une ligne de front entre des rebelles douteux et une armée irrégulière, et la ville se désintègre.

Le fils du bijoutier d’Alep est aujourd’hui un grand-père heureux qui coule des jours paisible en Israël, l’Etat Juif.

Le ministre argentin ou l’arroseur arrosé

Il y a eu deux attentats anti-juifs majeurs en Argentine durant les années 1990. Le premier a atteint l’Ambassade d’Israël et fait 29 morts et 242 blessés, et le deuxième le centre communautaire juif de Buenos Aires, qui a fait 84 morts et 230 blessés.

La justice argentine n’a pas réussi à identifier les responsables à l’époque, mais au fil du temps de nombreuses pistes ont fini par remonter au Hezbollah, organisation terroriste d’obédience iranienne. En 2006 la justice argentine estimait avoir suffisamment de preuves pour pouvoir incriminer le gouvernement iranien lui-même et lancer un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité contre l’ancien président d’Iran Rafsandjani, des fonctionnaires iraniens et un terroriste du Hezbollah. Mais à ce jour aucun des responsables n’a pu être déféré à la justice.

Récemment l’Argentine a conclu un accord avec l’Iran en vue d’une coopération autour de l’enquête concernant l’attentat contre le centre communautaire juif. Les autorités israéliennes ont violemment réagi à cette nouvelle en arguant que cet accord revenait à demander à l’assassin d’enquêter sur son propre crime.

Le journal israélien Haaretz rapporte ce qui suit.

En apprenant la nouvelle, le Ministère des affaires Etrangères d’Israël a convoqué l’Ambassadeur d’Argentine pour exiger d’être tenu au courant de l’accord en question. Les israéliens sont en effet persuadés qu’étant donné les similarités entre l’attentat du centre communautaire juif et celui de l’Ambassade d’Israël, le Hezbollah est à l’origine des deux.

Le ministre argentin des Affaires Etrangères Hector Timerman a violemment réagi en convoquant à son tour l’Ambassadeur d’Israël Dorit Shavit à Buenos Aires. Il a accusé Israël de vouloir se substituer à la justice argentine sous prétexte que les victimes des attentats étaient juifs. Timerman s’est montré très en colère et a reproché à Israël tout au long d’un interminable monologue de se mêler des affaires intérieures d’Argentine. Il a vociféré qu’Israël n’avait aucun droit à des éclaircissements concernant l’attentat, parce que l’Argentine était un Etat souverain. Il a ajouté qu’Israël ne pouvait parler au nom du peuple juif et ne le représentait pas. Cette attitude était d’après lui de nature à alimenter l’antisémitisme, parce que si Israël se préoccupait ostensiblement du sort de juifs argentins cela pouvait suggérer que ceux-ci avaient une double allégeance.

L’ambassadeur israélien Dorit Shavit a laissé passer l’orage, et puis a répondu avec fermeté qu’en tant qu’Etat Juif Israël se sentait responsable dans un certaine mesure de la sécurité des juifs partout au monde, et traquait l’antisémitisme là où il se manifestait. Elle a rappelé que c’est en vertu de cela qu’Israël avait aidé les juifs à quitter l’Union Soviétique, d’Ethiopie et même d’Argentine à certaines occasions. Vous voyez ce que je veux dire, a-t-elle précisé, sous-entendant quelque chose que le ministre était supposé savoir.

En fait il s’agissait d’une allusion à l’origine juive du ministre lui-même, dont le père avait été arrêté en tant que journaliste de gauche et opposant au régime de la junte militaire qui dirigeait l’Argentine dans les années 1980. Il avait été incarcéré et placé en isolement total, mais finalement relâché grâce à l’intervention de l’Ambassadeur d’Israël de l’époque. Celui-ci avait conclu un accord avec la junte en vertu de quoi le père de Timerman pourrait quitter le pays et s’établir en Israël. Celui-ci y vécut pendant quelque temps et rentra en Argentine après la chute de la junte militaire.

Bizarrement, le ton a changé au bout de l’échange entre le ministre Timerman et l’Ambassadeur Shavit, qui se sont quittés en convenant que l’affaire allait désormais être gérée par les canaux diplomatiques appropriés.

La nostalgie de Günther Grass

Günther  Grass, prix Nobel de littérature et intellectuel de premier plan, vient de faire tomber un tabou. Désormais un ancien de la Waffen SS peut se répandre dans les médias pour accuser les juifs de menacer le monde.  Pour mémoire, la Waffen SS dont Günther  Grass fit naguère partie était un corps d’armée dont le principal critère de sélection consistait à être dévoué corps et âme à l’idéal nazi.

Günther  Grass nous apprend sous la forme d’un poème de son crû que les juifs veulent éradiquer le peuple iranien. Cela a de quoi surprendre, parce que d’une part il ne nous communique pas ses sources, et que d’autre part on a surtout entendu jusqu’à présent que le président Ahmadinejad et l’ayatollah Khamenei, les deux principaux leaders d’Iran, appelaient à la liquidation d’Israël.

Il faut savoir que l’Iran ne se limite pas à une logorrhée antisioniste, mais agresse quotidiennement Israël par le biais du Hezbollah et du Hamas, deux organisations criminelles qui se spécialisent dans l’assassinat de civils juifs.

Par ailleurs le régime iranien professe un négationnisme de la Shoah et entretient une  propagande antisémite tous azimuts. Cela doit ranimer de la nostalgie chez Günther  Grass. On peut en effet imaginer qu’il ne se remet pas de ce que grâce à Israël les juifs ne sont plus la vermine que la Waffen SS exterminait.  L’Etat Juif a même l’outrecuidance de le déclarer « persona no grata », ce qui est quand même un comble pour quelqu’un qui a adoré Hitler.

Mais aucune réaction, aucune pétition, aucune protestation ne peut avoir un effet aussi décisif que la lettre que Günther  Grass a reçue du vice-ministre de la Culture iranien, qui lui rend hommage pour avoir « dit la vérité », en espérant que cela « réveillera la conscience occidentale endormie ». Cette lettre, rendue publique par les médias iraniens  bien connus pour leur indépendance,  est la punition la plus terrible que l’on puisse imaginer pour un intellectuel qui se dit de gauche. Ceci parce qu’un compliment provenant du régime iranien est en soi une injure à l’intelligence, et devrait constituer un signal d’alarme pour quiconque  dispose d’un minimum de bon sens.

La faute de Günther  Grass consiste a s’être trompé en confondant la dictature iranienne et la démocratie israélienne. Cependant il ne viendrait à l’idée de personne de douter de son quotient intellectuel ou de sa culture. Ce n’est donc pas de ce côté-là qu’on trouvera l’explication de sa poétique insulte à l’Etat juif.  Une hypothèse plus vraisemblable est que Günther  Grass est resté attaché ses racines idéologiques, et que l’idée que les juifs disposent d’une force de dissuasion est insupportable pour cet érudit allemand qui a tout vu, tout lu, tout appris, mais rien compris.

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