Le discours que Mahmoud Abbas n’a pas prononcé pour le 60e anniversaire de la Nakba

Je suis le Président de l’Autorité Palestinienne. Je suis né en Palestine en 1935, à Safed.  J’ai aujourd’hui le devoir de vous dire qu’après avoir vainement lutté contre les juifs pendant plus de soixante ans, j’ai changé d’avis. Frères palestiniens, laissez-moi vous raconter comment ça s’est passé.

J’ai  combattu le droit des juifs à se constituer en tant que nation en Palestine. Je me suis opposé au vote de l’ONU de 1947 annonçant le partage en deux Etats, l’un juif et l’autre arabe. Je sais aujourd’hui que la Nakba fut une catastrophe pour tout le monde. Mes frères d’armes et moi-même sommes coupables d’avoir inondé la région d’une mer de sang et de larmes en refusant de vivre en paix avec le voisin juif. Sachez, frères palestiniens, que la Nakba ne commémore pas la création de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, mais bien l’attaque concertée du lendemain – le 15 mai 1948 – des armées arabes avec objectif de l’éliminer au lieu de vivre en paix à ses côtés.

Aujourd’hui encore, une partie importante du monde arabo-musulman souhaite la destruction de l’Etat d’Israël en tant que tel et non pas la rectification de ses frontières. Je reconnais pour ma part que j’ai fait fausse route, et que le conflit israélo-arabe n’a jamais été un problème territorial, mais bien la conséquence de la négation de l’autre, le prochain, le juif. Frères palestiniens, sachez que l’Etat d’Israël est une héritière des Lumières, une démocratie moderne qui adhère à l’esprit et à la lettre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Sa légitimité en tant qu’Etat juif relève du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Les juifs sont venus en Palestine sous l’impulsion du sionisme. Ces pionniers ont construit à mains nues un pays magnifique sur des terroirs ingrats ou des régions domaniales, ou achetées au prix fort à des propriétaires lointains et indifférents. Aucune de ces terres ne furent jamais prise par la force. Aucune armée ne vint jamais les conquérir. Bien avant la Deuxième Guerre Mondiale les juifs avaient édifié les bases de leur Etat. La sécurité sociale, les syndicats ouvriers, le système de transport, la police, l’université, la langue, l’agriculture, le système politique, la littérature hébraïque, tout cela était bien en marche dès les années 1920. Je reconnais aujourd’hui que les juifs ont autant que nous, palestiniens, le droit d’avoir leur Etat, ceci à la fois au nom du passé lointain et du passé récent. Je regrette que nous n’ayons pas nous aussi su saisir l’occasion de créer un Etat moderne, prospère et démocratique en lieu et place de pleurer la Nakba.

Nos alliés arabes et nous-mêmes avons refusé la partage de la Palestine, et nous sommes embarqués dans une aventure épouvantable en rêvant de chasser les juifs de Palestine, oubliant qu’eux aussi étaient chez eux. La rhétorique des deux camps a poussé en 1948 des centaines de milliers de palestiniens à fuir en attendant qu’Israël fût liquidé. Simultanément les pays arabes expulsèrent, spolièrent et contraignirent à l’exil près d’un millions de juifs. Ces juifs victimes d’un nettoyage ethnique refirent leur vie ailleurs, mais les victimes palestiniennes de la première guerre israélo-arabe de 1948 devinrent au fil des générations des apatrides qu’aucun pays ne voulut jamais intégrer. Soixante ans se sont écoulés depuis, mais on en est toujours là.

J’ai œuvré pour la destruction d’Israël, et rédigé une thèse mensongère concernant le sionisme. Je fus parmi les fondateurs du Fatah en 1959 et de l’Organisation de la Libération de la Palestine en 1964. La Cisjordanie et Gaza étaient alors contrôlés par la Jordanie et l’Egypte. Au lieu de proposer aux palestiniens la souveraineté, l’Egypte, la Jordanie et la Syrie, soutenus par l’ensemble du monde arabe, attaquèrent Israël en 1967 en vociférant qu’ils jetteraient les juifs à la mer. Ce fut la Guerre des Six-Jours. Les troupes israéliennes repoussèrent l’offensive arabe de manière tellement radicale que dans leur élan ils investirent la Cisjordanie, Gaza, le Golan et le Sinaï. Ensuite ce fut les tristement fameux « NON » de Khartoum : NON à l’existence d’Israël, NON à la paix, NON à la négociation. Depuis lors, chaque fois qu’un Etat arabe a désiré mettre un terme au conflit, Israël a réglé les contentieux territoriaux, retiré ses troupes et signé des traités de paix.

Je désire aujourd’hui emboîter le pas à Sadate d’Egypte et à Hussein de Jordanie, et conclure une paix sans ambigüité. Mais pour qu’une paix juste soit possible, la signature d’un traité ne suffira pas. Il nous faudra aussi mettre en place un processus de réconciliation. Je m’adresse à vous, peuple israélien. Je voudrais vous présenter mes excuses ainsi que celles des factions palestiniennes et de l’ensemble du monde arabo-musulman pour les souffrances que nous avons été amenés à vous infliger tout au long de ce siècle. Pour avoir contribué à chasser vos parents et grands-parents du Moyen-Orient et du Maghreb au nom de notre rejet de l’Etat d’Israël, je vous exprime nos regrets. Pour avoir refusé à des centaines de milliers d’entre eux d’y revenir, pour avoir spolié et chassé des communautés juives. Pardon pour avoir exercé des politiques discriminatoires à l’égard des juifs dans en terre d’Islam. Pardon pour avoir persécuté les juifs et autres minorités religieuses ou ethniques qui préexistaient l’arabisation du Moyen-Orient.

Dans ce processus de réconciliation il sera important que les voix de toutes celles et de tous ceux qui ont souffert soient entendues, y compris les voix de mes frères palestiniens qui ont perdu des proches, victimes collatérales des armées régulières et du terrorisme, et aussi de l’aveuglement de leurs leaders qui n’ont pas eu la prescience de créer l’Etat palestinien dès 1948. Ce que je dis aujourd’hui ne pourra calmer la douleur de celles et ceux qui ont souffert, mais c’est à partir de là que pourront se construire des ponts entre nos peuples, que pourra se tourner la page d’un passé douloureux et qu’ensemble nous écrirons un nouveau chapitre dans l’histoire de cette région afin d’offrir enfin à nos enfants et à nos petits-enfants la possibilité de vivre dans la paix et le respect mutuel.

Nous autres, frères palestiniens, devons maintenant réaliser avec le peuple juif la vision prophétique contenue dans la déclaration d’’indépendace de l’Etat d’Israël, qui dit: « Nous tendons la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les Etats qui nous entourent et à leurs peuples. Nous les invitons à coopérer avec la nation juive indépendante pour le bien commun de tous. L’Etat d’Israël est prêt à contribuer au progrès de l’ensemble du Moyen Orient. »

Critique de “Lévy oblige”, de Thierry Lévy

L’avocat Thierry Lévy se demande dans quel sens il est juif.  Il y répond pour se défendre d’un a priori que son nom pourrait susciter. Il précise qu’il « ne pratique aucune religion, ne respecte aucune tradition, ne fait partie d’aucun groupe, d’aucune coterie, d’aucun réseau ». Il n’autorise personne à parler à sa place et refuse l’embrigadement. Il se considère comme juif dans le regard de l’autre. Il eût été « déportable » sous Vichy en dépit de son regard sur lui-même et de son absence d’affinité avec la judeité. C’est la conception sartrienne, dont il dit qu’elle eut un effet bienfaisant le jour où il la découvrit. Mais  c’est une  définition par défaut. Elle fait l’impasse sur la réalité d’un peuple, d’un système de pensée, d’une religion et d’une vision du monde qui persiste depuis l’Antiquité.

Thierry Lévy se croit obligé de se justifier d’être en dehors du judaïsme en critiquant ceux qui sont en dedans.  Il a ses idées sur le communautarisme, l’identité, la nation, la vie en société et bien d’autres choses encore. Il pense légitime de stigmatiser la double allégeance de ses concitoyens juifs, d’attaquer l’Etat d’Israël  et l’unicité de la Shoah afin de donner de la consistance à sa posture.

« Lévy oblige »  est un ouvrage clair et documenté, mais c’est l’histoire de son auteur, mais pas celle des quinze millions de Juifs à travers le monde, dont six millions en Israël dont il ne partage ni la langue, ni les références ni la sensibilité. Descendant d’une famille juive convertie au catholicisme, se sentant « chez soi dans une église », il n’a pas science infuse pour savoir comment fonctionne un juif « communautaire ». Il a beau se défendre de ne pas être le Lévy que l’ont croit, ses thèses sur la disparition de l’antisémitisme sont glaçantes pour ceux qui se veulent porteurs de la judéité et qui le vivent au quotidien.  Ses attaques contre Israël sont détestables et passent sur la judéophobie comme si c’était un détail.

Thierry Levy va au-delà de son propos initial, consistant à se distancier d’une communauté à laquelle il lui arrive d’être associé malgré lui. Il fait une attaque en règle du « retour en force du conservatisme religieux », de la « fièvre identitaire associée au repli communautaire » et la « la persistance de la guerre en Palestine ». Il pontifie avec une logique inflexible et assassine. Il est méprisant envers une culture et une histoire dont il ignore à peu près tout malgré les miettes qu’il puise dans des lectures ciblées pour la circonstance. Il prétend refuser se laisser réduire à ses origines sous prétexte de conserver sa « complexité »

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