Israël et la question de l’athéisme (suite)

Etre juif est une identité déconnectée de la religion quel que soit l’angle d’observation, et que l’observateur soit juif ou pas. Cette particularité date de la « Haskala [1]», qui elle-même a abouti au sionisme, qui a été dès les origines un mouvement de libération.

Certains non-juifs estiment que le judaïsme n’est qu’une croyance, et que dès lors que l’on ne croit pas l’on n’est pas juif. Mais même du point de vue du judaïsme le plus orthodoxe la loi juive ne lie en rien l’appartenance à la foi : quiconque est né de mère juive est juif, quelles que soient ses convictions philosophiques ou religieuses.

L’identité juive correspond à une définition civile, qui est le droit du sang, c’est-à-dire l’ascendance comme dans de nombreuses nations. Dire qu’être à la fois juif et athée est antinomique est au mieux un abus de langage, et au pire une forme d’intolérance.

Nul besoin de croire à la Révélation pour apprécier la Torah comme texte fondateur du peuple juif, pas plus qu’il ne faut croire à la légende de Romulus et Remus pour être Romain. Pour un athée la Torah a été écrite pas des hommes pour des hommes, l’avantage étant qu’il peut la lire d’un œil critique et y puiser ce qui lui convient comme dans n’importe autre texte, aussi grandiose soit-il. Pour un athée la Torah est une tradition, et non pas une loi. C’est ce qui le distingue du croyant. C’est à la fois peu et beaucoup.

Ce qui divise les Juifs athées des croyants est la manière de ces derniers de s’approprier le judaïsme en le liant à la foi, ce qui est aussi absurde que Dieu lui-même. Il n’y a pour eux qu’un seul judaïsme, celui qui reconnaît Dieu, et ils en excluent toute pensée qui l’ignorerait. Mais ce monopole est une fiction qui ne résiste pas à la réalité israélienne: pour les Juifs athées il n’y pas de Dieu juif, mais bien un peuple juif, une histoire juive, une éthique juive et une culture plurimillénaire qu’ils souhaitent pérenniser sans lui donner de dimension théologique.

Le projet sioniste d’une grande partie des pères fondateurs c’est cela, même si dans un deuxième temps les croyants s’y sont ralliés. Ce fut le cas notamment du Rav Kook[2], qui reconnaissait volontiers que les athées oeuvraient à la rédemption du peuple juif, tout en décrétant qu’ils étaient animés d’un souffle divin sans en avoir conscience, et que cela participait donc de la volonté de Dieu. Il s’agit là d’une confiscation intellectuelle à refuter du tout au tout. La réalité est que le moteur de ces pionniers relevait d’une idéologie héritière des Lumières, aux antipodes de la religion.

Ce qui est vrai c’est que le judaïsme laïque n’a probablement pas d’avenir en Diaspora, où les Juifs athées finiront par disparaître par l’effet de l’assimilation.

Quant à l’expression de « peuple élu »,  pratiquement toutes les civilisations se sont croient « élues » d’une manière ou d’une autre, et leur propre est d’estimer – à raison à mon avis – qu’elles ont quelque chose de particulier à offrir au monde, mais dont la spécificité n’est pas d’ordre religieux.

L’identité juive s’est maintenue sur la croyance en Dieu tout au long de l’Exil, mais le retour à la souveraineté dans le cadre d’un Etat juif a changé la donne, et l’on peut parfaitement aujourd’hui être à la fois juif identitaire et incroyant. C’est une réalité empirique qu’il est vain de nier.

Il y a encore autre chose d’important que les croyants escamotent : c’est que lors des siècles de l’Antiquité où les Juifs ont joui d’une souveraineté nationale, une grande partie du peuple était incroyante ou idolâtre. Ce phénomène est relaté tout au long du récit biblique, et il n’y a pratiquement pas un seul prophète qui ne s’en plaint pas, à commencer par Moïse. La croyance en Dieu n’était donc en rien le ciment du peuple juif, mais bien la cohésion nationale d’un peuple par ailleurs divers. Même le grand Roi Salomon a fini par céder au paganisme, qui après son règne est devenu endémique à la fois parmi les élites et les masses.

[1] Mouvement de pensée juif du 19ème siècle, équivalent juif des Lumières.

[2] Abraham Isaac haCohen Kook, mort en 1935.  Premier grand-rabbin ashkénaze en Israël.  Décisionnaire en droit talmudique (halakha), kabbaliste et penseur.

Israël et la question de l’athéisme

La plupart des pères fondateurs du sionisme étaient athées, ou du moins agnostiques. Jabotinsky, Ben-Gourion Ahad Ha’am, Bialik et d’autres penseurs du sionisme étaient imprégnés de pensée juive mais aucun d’eux ne souhaitait de théocratie, et étaient même souvent même opposés à la religion, tout en étant férus de judaïsme. Herzl quant à lui était un Juif assimilé qui a même préconisé une conversion massive des Juifs sous les auspices du Vatican pour mettre fin à l’antisémitisme.

L’establishment rabbinique a pour sa part longtemps été essentiellement hostile au projet d’un Etat juif, et une partie non négligeable des Juifs orthodoxes d’aujourd’hui l’est d’ailleurs toujours, justement parce que ceux-là ne considèrent pas Israël comme un Etat juif au sens religieux du terme, ce en quoi ils n’ont pas tort. Mais d’une manière générale l’histoire du sionisme n’est pas un épisode religieux, mais bien le mouvement de libération nationale d’un peuple, comme il y en a eu d’autres au cours du vingtième siècle.

Beaucoup d’athées tiennent à Israël pour des raisons historiques, culturelles, familiales ou affectives. Il serait donc contre-nature pour eux de se détourner d’Israël ou de lui être indifférent du seul fait d’être athée.

Ceci dit la question de savoir si la pérennité d’Israël peut uniquement reposer sur l’idée de nation est une question ouverte, et dépasse d’ailleurs le cas d’Israël. Après tout les nations européennes sont de culture chrétienne mais leur spécificité repose sur des narratifs historiques, et non pas sur la religion.

Ce qui est vrai c’est que l’époque de l’Etat-nation est peut-être révolue parce que l’air du temps pousse plutôt à l’individualisme qu’au projet collectif. La question est de savoir si la pensée juive est assez puissante du point de vue spirituel pour survivre – ou remplacer – la religion qui lui est traditionnellement associée.

Rien n’est moins sûr, mais en fin de compte cela dépend des gens. S’il y en a suffisamment pour vouloir préserver un Etat à caractère juif, mais dissocié de la religion, alors c’est envisageable. Sinon Israël perdra son identité et ne sera, au mieux, qu’un Etat occidental parmi d’autres. Il se fondra dans ce cas-là dans le « village global » et la pensée juive rejoindra la mythologie grecque à l’Université et dans les musées. La religion juive en tant que telle survivra sans doute en Diaspora, mais cela ne concernera pas – par définition –  les athées.

La Cisjordanie, territoire disputé.

Petit rappel historique:

Après le refus arabes de 1948 de partager la Palestine, la Jordanie a annexé la Cisjordanie au mépris du droit international, et sans y créer un Etat palestinien. Par ailleurs la vieille ville de Jérusalem devait avoir un statut international mais elle aussi a été annexée et fermée à toute personne soupçonnée d’être juive quelle que soit sa nationalité.

En 1967 les Jordaniens ont tenté d’occuper le reste d’Israël et de jeter les Juifs à la mer (sic), croyant que Tsahal ne pourrait contenir à la fois les Egyptiens et les syriens avec lesquels la bataille faisait rage. La Guerre des Six-Jours n’est donc qu’une continuation de celle de 1948, ce qui explique que les frontières n’ont jamais été définies, les Arabes ne reconnaissant même pas à Israël le droit d’exister.

Concernant la Cisjordanie il n’y a donc aucune base juridique d’aucune sorte pour estimer que les colonies d’Israël sont illégales. Tout ce que l’on peut dire c’est qu’il y a une ligne d’armistice et qu’Israël reconnaît le droit des palestiniens à un Etat à condition d’en négocier les frontières. La Résolution 242 de l’ONU consécutive à la Guerre des Six-Jours ne mentionne d’ailleurs pas les Palestiniens en tant que nation, mais pose les principes suivants :

a. Retrait des forces armées israéliennes de(s?) territoires occupés au cours du récent conflit. 
b. Fin de toute revendication ou de tout état de belligérance, respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de son droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, à l’abri de menaces ou d’actes de violence. 

Inutile de dire que le point « a » est impossible a réaliser sans application du point « b ». Par ailleurs le retrait des forces armées d’Israël n’implique en rien que le « statu quo ante » constitue une frontière.

Quand la presse se prend pour l’opposition

Les médias israéliens dans leur quasi-totalité cherchent à chasser Netanyahu du pouvoir en invoquant les enquêtes en cours à son sujet. L’argument de faiseurs d’opinion en tout genre consiste à avancer que le fait que le Premier Ministre soit sous investigation exige qu’il s’en aille parce qu’il n’est plus en mesure de remplir ses fonctions de manière adéquate.

Ses adversaires  savent qu’ils n’ont pas le  support populaire qu’il faudrait pour changer le régime au moyen d’un processus électoral. Faute de cela  ils font une chasse à l’homme et scrutent les recoins de sa vie publique et privée pour y trouver des éléments susceptibles de déclencher des enquêtes. Une fois ces enquêtes ouvertes ils organisent  un tapage autour de l’évènement pour forcer Netanyahu à se démettre.

Les chroniqueurs politiques hostiles à Netanyahu se défendent de commettre un lynchage médiatique en arguant qu’ils ne font qu’informer le public, ce qui est somme tout leur rôle. Mais la vérité est que la plupart de ces enquêtes sont déclenchées par ces mêmes chroniqueurs. Les médias qui les emploient servent ensuite de caisse de résonance au pouvoir judiciaire, qui de son côté ne semble pas trop soucieux du secret de l’instruction.

Le fait est que les fuites sont massives et relayées pratiquement en temps réel par la presse.  Il y a donc une dynamique entre médias et justice pour pousser Netanyahu à la démission sans qu’il ait été condamné ni même inculpé.

L’on peut admettre qu’un élu soit gêné dans l’accomplissement de ses fonctions lorsqu’il est l’objet d’une enquête. Mais un soupçon, une délation ou une diffamation ne peut en aucun cas l’obliger à s’effacer. Permettre cela serait substituer le règne des juges et de la presse à celui de la démocratie. Il serait trop facile pour n’importe qui de colporter n’importe quoi contre un élu qui lui déplait, quitte à ce qu’il y ait non-lieu en fin de compte.  En attendant les électeurs seraient privés de leur élu, et lui-même verrait son mandat révoqué sans raison.

L’offensive médiatique contre Netanyahu a atteint une ampleur qui défie le bon sens. Même quand ses opposants n’ont rien à lui reprocher ils demandent son départ quand une de ses relations a des démêlés avec la justice. Mieux : un membre du Parlement a récemment déclaré que Netanyahu devait être présumé coupable jusqu’à preuve de son innocence.

Ce vacarme médiatique ne fait probablement que renforcer Netanyahu dans l’opinion publique. Pour mémoire, lors des dernières élections la presse avait massivement voté contre lui, mais le peuple avait massivement voté contre la presse.   A bon entendeur salut.

Réponse à Eytan à propos de Leibowitz

Accuser Leibowitz d’incohérence ou de provocation est une manière d’éluder le débat d’idées. Il est plus intéressant de s’attaquer à des points précis et d’essayer de les réfuter. La difficulté c’est que la plupart de ceux qui s’y frottent s’égarent dans une confusion entre foi et raison, ou opposent de l’émotion à des arguments.

La puissance intellectuelle de Leibowitz réside dans son imperturbable logique. Il est vrai qu’il lui est arrivé d’avoir des écarts de langage injustifiables, mais à d’autres occasions ses formules ont fait mouche parce qu’elles illustraient une réalité dérangeante.

Dans son cycle sur le « Guide des Égares » de Maïmonide,  un des élève de Leibowitz défend l’idée de l’intervention divine en relevant que « l’historiographie de la Thora nous enseigne que la Providence  veille sur le sort du peuple juif de manière spécifique. »

Réponse de Leibowitz : « A moi la Torah m’apprend que Jéroboam ben Yoash, le plus conquérant des Rois, celui  qui compte parmi les plus aguerris  qui ait jamais régné sur Israël, qui « rétablit la frontière d’Israël depuis Hamat jusqu’à la mer de la Plaine » et dont « les victoires permirent de restituer Damas à Israël» (Melakhim 2 Chap 14),  fut aussi un mécréant qui précipita le peuple d’Israël dans le péché, ce qui ne l’empêcha pas de prospérer tout au long de quarante deux ans de règne. Par opposition, je lis aussi dans la Thora que Josias Ben Amon, le seul Roi d’Israël véritablement vertueux (צדיק),  qui préserva le judaïsme et la Torah, qui servit Dieu de toute son âme, qui extirpa l’idolâtrie,  fut assassiné à trente-neuf ans, entraînant dans sa chute l’asservissement d’Israël. Voilà l’historiographie que je trouve dans la Torah, ce qui fait que je n’arrive pas du tout à comprendre comment vous en arrivez à voir un quelconque lien entre Histoire et foi. »

Le « Guide des Égares » ne figure pas dans la bibliographie du judaïsme orthodoxe, mais c’est pour des raison identiques à celles qui font que ces milieux se méfient de Leibowitz. Vous abondez dans mon sens en le relevant, parce que cela démontre qu’il y a bel et bien continuité entre Maïmonide et Leibowitz. Le « Guide des Égarés » que vous traitez de quantité négligeable, dont vous dites qu’il « n’intéresse que les milieux académiques » comme si c ‘était un anomalie,  a été écrit à l’âge de la maturité intellectuelle de Maïmonide, à un stade où il avait intégré l’essentiel du savoir philosophique, religieux, et scientifique de son temps. C’est le couronnement de sa pensée à la lumière de laquelle tout ce qu’il a écrit précédemment s’éclaire.

Des ouvrages de Maïmonide ont été brûlés en place publique après sa mort, mais cela en dit plus long sur les incendiaires que sur les incendiés. Comme disait le poète Heinrich Heine, « Là ou on brûle des livres on finit tôt ou tard par brûler des hommes. »  

Les sommités que vous citez en rapport avec la Kabbale sont toutes apparues de nombreux  siècles après la clôture du Talmud. Il est vrai que l’on murmure que la tradition mystique de la Kabbale date depuis la création du monde, mais le fait est que les Tanaïm  tout comme Maïmonide s’ont sont bien passés.

Tout dans la Torah est affaire d’interprétation, mais  si vous pensez que la Révélation est un fait historique, alors l’honnêteté intellectuelle commande que vous vous serviez des mêmes outils que pour démontrer n’importe quelle autre événement.

La question de savoir pourquoi accomplir les Commandements est centrale. Si c’est en vue d’obtenir quelque chose, alors c’est proche du paganisme, qui depuis l’aube de l’humanité tend à amadouer les Dieux pour obtenir une bonne vie. C’est ce qui dans le judaïsme s’appelle « emouna lo lishma » (la foi intéressée). Ce n’est pas proscrit par la Halakha, parce que Hazal estimaient que la foi intéressée finissait par mener à la « emouna lishma » (la foi pour elle-même).

לעולם יעסוק אדם בתורה ובמצווה, אפילו שלא לשמה, שמתוך שלא לשמה – בא לשמה

 

A quoi sert la pensée de Yeshayahu Leibowitz ?

L’on a tendance à qualifier Yeshayahu Leibowitz de philosophe, mais quand il s’agissait de judaïsme  il se limitait à enseigner une méthode et non pas à formuler des concepts ou à innover de quelque manière que ce soit. C’est cela qui rend sa doctrine si difficile à réfuter. Il expliquait à ses contradicteurs que rien de ce qu’il avançait n’était nouveau, et les confondait avec une virtuosité éblouissante en puisant dans les sources les plus traditionnelles du Talmud.

Son maître à penser était Maïmonide, considéré comme le plus grand des penseurs juifs depuis l’Antiquité,  or c’est à travers cette filiation qu’il faut appréhender Leibowitz. Les faiblesses que l’on peut trouver chez lui en matière de judaïsme ne sont donc jamais que les faiblesses de Maïmonide lui-même.

Il est important de comprendre qu’au Moyen-âge il y eut deux courants majeurs dans la pensée juive, qui, s’ils n’ont pas conduit à un schisme, sont néanmoins très éloignés l’un de l’autre du point de vue conceptuel.

Il y eut  d’une part Yehuda Halevy, père spirituel du sionisme religieux, relayé plus tard par le Rav Kook, et d’autre part Maïmonide, relayé lui par Leibowitz. Alors que le Rav Kook était un mystique imprégné de Kabbale, Leibowitz considérait celle-ci comme une intrusion de l’idolâtrie dans le judaïsme. Maïmonide n’a pas connu la vague kabbalistique qui n’a commencé à se répandre que vers le douzième siècle, mais il est probable qu’en tant que rationaliste il ne l’aurait jamais avalisée.

Certains se demandent à propos de Leibowitz à quoi peut bien servir une pensée qui ne donne aucune réponse aux questions existentielles du présent.   A cela Leibowitz aurait sans doute répondu que cette question n’a aucun sens si on la pose dans le contexte du judaïsme, parce qu’il ne faut pas chercher chez Dieu de réponse aux questions du passé, du présent ou de l’avenir. Attendre qu’il résolve des questions existentielles revient à croire que Dieu doit servir à quelque chose, alors que dans le judaïsme c’est l’homme qui doit servir Dieu.

Leibowitz aimait à dire que Dieu n’était ni un service de santé ni un parti politique. Quand un rescapé de la Shoah lui confiait qu’il avait cessé de croire après la guerre, Leibowitz lui rétorquait que c’était qu’avant la guerre il n’avait pas cru non plus en Dieu, mais seulement en l’aide de Dieu, ce qui n’est pas pareil.

Quelle est la signification profonde du premier verset de la Torah qui dit « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » ? D’après Leibowitz la seule chose que nous pouvons déduire de cette formulation cryptique c’est que Dieu ne fait pas partie du monde, puisque qu’Il était avant que le monde ne fût(אדון עולם אשר מלך בטרם כל יציר נברא).

Cela signifie que même si l’on considère que tout procède de Dieu, le monde tel que nous le connaissons n’obéit qu’aux lois de la Nature. C’est cela, selon Maïmonide, la Providence universelle.  La Providence individuelle quant à elle c’est le libre arbitre, qui fait que contrairement à tout ce que nous connaissons du Cosmos, l’homme a l’incompréhensible faculté de vouloir, ce qui est à l’image de Dieu (צלם אלוהים).

Croire que Dieu intervient dans la  Nature ou dans l’Histoire est une impasse  logique et confine à la superstition. Leibowitz insistait pour dire que n’importe qui doué de bon sens pouvait constater qu’il n’y avait aucune corrélation entre la pratique religieuse et ce qui nous arrive, à nous, à nos proches, à nos ennemis ou au monde en général. (צדיק ורע לו, רשע וטוב לו).

Tout cela n’enlève rien à la valeur de l’impressionnant corpus du judaïsme.  Ce monument d’intelligence a été construit au fil de millénaires par nos Anciens et constitue la colonne vertébrale et la raison d’être du peuple juif. Cette œuvre faite par des hommes pour des hommes doit donc continuer à être enseignée et enrichie pour que vive le peuple juif.  C’est d’ailleurs ce qu’a fait Leibowitz toute sa vie tout en sachant que les 613 Commandements de la Torah n’avaient aucun rapport  avec la marche du monde, dont il était convaincu que seule la science pouvait percer certains des secrets (עולם כמנהגו נוהג).

La conception de Leibowitz de la religion est la seule acceptable pour un esprit rationnel. Ceci par opposition à toute construction intellectuelle qui reposerait sur la Révélation comme fait historique, ce qui ne saurait être pris en compte par aucun système de pensée.

L’enseignement de Leibowitz comme celui de Maïmonide a consisté à remettre Dieu à sa vraie place, qui est celle de la transcendance, et qui n’est donc pas de ce monde. Par conséquent la réponse à la question « à quoi sert la pensée de Yeshayahu Leibowitz ? » est qu’elle sert à penser.

Ce n’est pas rien.

La journaliste se trompe-t-elle ?

Le « Times of Israel » a récemment publié un article avec pour titre « Un amendement peu remarqué du droit fiscal a-t-il transformé Israël en paradis pour les criminels ? ».

Il s’agit d’une analyse par la journaliste Simona Weinglass du panier d’avantages dont bénéficient les Olim Hadashim[1].

Le titre de l’article est accrocheur et perfide. Le point d’interrogation censé donner une apparence de neutralité au propos n’y change rien. C’est un procédé consistant à médire de manière subliminale.

Par ailleurs, l’on peut se demander quel instrument de mesure la journaliste applique pour estimer que l’amendement en question a été « peu remarqué ».

Il suffit de faire une recherche minimale dans la presse de l’époque pour découvrir qu’il a au contraire fait l’objet de beaucoup de publicité et suscité de nombreux commentaires.

Sur la première page on lit « En 2008, la Knesset a adopté un amendement exemptant les nouveaux immigrants de payer des impôts sur les revenus étrangers, dans le but d’encourager l’Alyah. »

Le lecteur non averti en déduira que cette exemption date de 2008, or il n’en est rien. Il ne s’agit pas d’un nouveau train de mesures, mais bien d’une mise à jour de dispositions existantes liées à la « Loi du Retour ».

C’est ainsi que le Ministère de l’immigration et de l’Absorption a décidé en 2008 d’allonger une exemption existante depuis de nombreuses années, qui passe ainsi de cinq à dix ans.

Cette exemption, ainsi que d’autres stimuli, s’applique désormais aux Israéliens revenant au pays après une absence prolongée aussi bien qu’aux Olim. A cela il faut ajouter la dispense de déclaration de revenus étrangers, la gratuité de l’Oulpan[2], le régime de taxation à l’achat d’un véhicule et d’autres prérogatives du même ordre.

Plus loin dans l’article un économiste relève que « l’idée était d’encourager l’Alyah des personnes riches en transformant Israël en paradis fiscal ». C’est faux. Le fait d’accorder des avantages ponctuels et limités dans le temps à des Olim n’est en rien un critère de paradis fiscal.

Qu’il y ait des Olim qui abusent de la loi en exploitant ses failles est possible, mais ne la rend pas illégitime : c’est une faiblesse inhérente à tout subside étatique dans n’importe quel domaine et dans n’importe quel pays.

D’une manière générale, les Etats qui tentent d’attirer des personnes privées ou des sociétés au moyen d’avantages fiscaux n’enfreignent en rien le droit international.

Plus loin encore on apprend qu’un professeur de droit fiscal condamne les exemptions dont jouissent les Olim en arguant qu’ils « viennent en Israël pour pouvoir échapper à l’impôt d’autres pays ». On ne voit pas sur quoi cette affirmation se base.

Des Olim qui auraient des obligations fiscales où un contentieux dans leur pays d’origine restent comptables de la période qui précède leur Alyah.

Qu’ils continuent à avoir une activité professionnelle en dehors d’Israël ou en Israël même, ils sont et restent des contribuables comme les autres.

Quant à l’efficacité des privilèges liés à la « Loi du Retour », l’article ne conclue ni dans un sens ni dans l’autre, mais ce qu’il faut retenir c’est que ces dispositions sont dans le droit fil de la politique de l’Agence Juive depuis sa création, qui est d’encourager l’Alyah de tous les Juifs, même celle des riches.

[1] Nouveaux immigrants bénéficiant du régime de la « Loi du Retour » votée par la Knesset en 1950

[2] Système d’enseignement de l’hébreu aux immigrants

L’ONU et la colonisation de la Judée-Samarie

La Résolution 2334 de l’ONU condamnant la colonisation de la Judée-Samarie  par Israël est conforme à la position traditionnelle des Etats membres. Ce qui est nouveau, c’est la décision des Etats-Unis de ne pas y opposer de veto. C’est un geste bête, méchant et lâche du Président Obama, qui a eu pour effet de faire basculer la presque totalité de l’opinion publique israélienne dans un même dégoût.

L’année dernière l’ONU a adopté vingt Résolutions contre Israël, et prononcé trois condamnations contre le reste du monde.  Les membres du Conseil de Sécurité font ainsi de l’antisémitisme sans le savoir, tout comme ce Monsieur Jourdain du « Bourgeois Gentilhomme » qui parlait en prose, lui aussi sans le savoir.

Le coup bas d’Obama en fin de règne était inévitable, parce que la vérité est qu’il a été hostile à Israël dès sa prise de fonction. La stupidité de ce geste n’est cependant pas exceptionnelle, étant donné que beaucoup d’observateurs avertis s’accordent pour qualifier Obama comme ayant été le Président comme le plus incompétent que l’Amérique ait jamais connu en matière de politique étrangère.

Poser qu’Israël viole le droit international en construisant sur des terres domaniales ayant appartenu à l’Empire turc et occupées ensuite par les Britanniques est une absurdité.

Israël est en faveur de la création d’un Etat palestinien à ses côtés – et non pas à sa place – mais il n’existe aucun document sur lequel on puisse se baser objectivement pour délimiter où s’arrête Israël et où commence la Palestine.  Israël ne déterminera donc ses frontières qu’en concertation avec ses voisins, et avec personne d’autre, fût-ce l’ONU.

Les voisins d’Israël sont – entre autres – le Hezbollah et le Hamas, tous deux financés et armés par l’Iran et ayant pour vocation de détruire Israël.  L’Autorité palestinienne quant à elle est amorphe, et bien qu’ayant la possibilité de négocier avec Israël, elle s’y refuse. Même quand Obama a imposé à Israël de geler la colonisation en 2013 l’Autorité palestinienne s’est défilée.

C’est ainsi que la frange la plus radicale du côté israélien s’engouffre dans le vide juridique concernant les frontières de la Palestine, ce qui est – littéralement – de bonne guerre quand il n’y pas à qui parler de l’autre côté.

Les implantations  israéliennes constituent une arme de guerre comme une autre. Personne ne peut nier que la colonisation du Sinaï a été décisive pour emmener l’Egypte à signer un traité de paix avec Israël. En maintenant le Sinaï comme monnaie d’échange jusqu’à ce moment historique Israël n’a fait que faire preuve de bon sens.

Cependant la stratégie des territoires occupés comme monnaie d’échange n’est pas efficace contre ceux qui nient le droit à l’existence d’Israël . Pour eux il n’y aucune différence entre les implantations le long de la ligne verte, les colonisations sauvages, et Tel Aviv ou Haïfa. C’est pour cela que ni le retrait du Liban ni celui de Gaza n’ont pu créer de climat favorable à la paix.

La Résolution 2334 est scélérate parce qu’elle fait l’impasse sur la doctrine de destruction d’Israël par ses ennemis. L’Unesco a d’ailleurs récemment abondé dans ce sens en adoptant un texte qui nie tout lien entre le peuple  juif et Jérusalem.

Le fil conducteur entre le texte de l’Unesco et la Résolution 2334 de l’ONU saute aux yeux: il s’agit de dénier au peuple Juif le droit à la souveraineté en réécrivant l’Histoire.

Ury Avnery et les « Trois Non » de Khartoum

Uri Avnery est un écrivain et journaliste israélien aujourd’hui âgé de 93 ans. Il a récemment publié sa biographie, qui couvre donc l’Histoire d’Israël sur près d’un siècle.

Ci-dessous un passage où il évoque la réunion d’urgence de la Ligue Arabe à Khartoum en 1967 suite à la Guerre des Six-Jours.

Tome II, page 120.

Fin août 1967, le gouvernement israélien reçut un cadeau inespéré. Les leaders du monde arabe –Rois, Princes et Présidents – se réunirent à Khartoum, capitale du Soudan, et décrétèrent les fameux « Trois Non » : Non à la paix avec Israël, Non à la reconnaissance d’Israël, Non à la négociation avec Israël. Cela procura un prétexte légitime à Israël pour ne pas ouvrir de négociation, ni pour rendre les territoires conquis. Qu’est-ce qui mena les leaders arabes à une conduite d’une stupidité aussi monumentale ? Pour saisir cela il faut prendre en compte le fond psychologique : cette guerre leur avait infligé une défaite tellement cuisante que l’humiliation en était insoutenable, et leur pouvoir commençait à vaciller dangereusement. Il leur sembla qu’une démonstration d’orgueil national, fût-elle artificielle et sans substance, rétablirait leur prestige. 

Ce passage est caractéristique de la déconnexion mentale d’idéologues comme Avnery qui, quand la réalité ne leur convient pas, échouent dans un déni qui a au moins pour eux l’avantage d’être politiquement correct. Qu’était censé faire Israël après avoir repoussé les armées arabes qui s’apprêtaient à rayer le pays de la carte ?

S’excuser de s’être défendu ?

Personne ne peut nier que le monde arabe n’a eu de cesse que de chercher à liquider Israël dès sa création. Plus de vingt nations se sont liguées à l’époque pour l’éliminer par tous les moyens : guerre, terrorisme ou asphyxie économique. Ces dictatures ou théocraties comptaient – et comptent encore toujours – parmi les plus sanguinaires, les plus arriérées et les plus cruelles du monde.

Elles affamèrent leurs peuples pour consacrer leurs ressources à une folle course aux armes entre 1947 et 1967 afin de réaliser leur fantasme de Solution Finale de la question juive au Moyen-Orient. Elles empruntèrent à la tradition antisémite les clichés les plus éculés afin de donner à leurs enfants le goût du sang juif dès l’âge de raison. Tout cela pour aboutir au Jour J de la liquidation d’Israël prévue pour juin 1967. Ce fut la Guerre des Six-Jours.

La coalition arabe ouvrit les hostilités après une longue et méticuleuse préparation, alimentée par la conviction profonde de mener une guerre sainte. Ahmed Choukeiry, leader de l’OLP à l’époque, fut dans les semaines précédant la Guerre des Six-Jours, porté en triomphe dans les capitales arabes aux cris de « les Juifs à la mer » vociférés par des foules en délire.

Après cela, après que le monde arabe eut subi une défaite militaire sans précédent dans l’histoire moderne, après seulement six jours de combats, après des dizaines de milliers de soldats arabes fauchés en pleine jeunesse par la folie de leurs dirigeants, après les « Trois Non » de Khartoum, après que ces potentats réunis en conclave eussent juré devant le monde entier qu’ils étaient déterminés à continuer la lutte contre Israël quoi qu’il arrive, Ury Avnery en arrive – en dépit du bon sens – à estimer que c’était Israël qui ne voulait ni la paix ni rendre les territoires conquis.

C’est ainsi, que selon lui, les « Trois Non » constituèrent un « cadeau » pour Israël, qui pouvait donc continuer à guerroyer contre les Arabes la conscience tranquille.

Le fait qu’Israël ait accepté de rendre le Sinaï à l’Egypte contre la simple reconnaissance de son droit à l’existence ne semble pas avoir ébranlé la conviction d’Avnery que c’était Israël le fauteur de guerre.

Il est vrai que cela correspond aux divagations de ses acolytes qui à Paris, à Londres ou ailleurs portent et colportent la détestation d’Israël.

Avnery fut un temps le seul député de son parti à la Knesset. Un contre cent-vingt, aimait-il à dire. Seul contre tous, donc.

Encore heureux.

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