Stéphane Hessel ou l’innocence de la jeunesse

Stéphane Hessel à 93 ans, mais il n’est pas vieux. Quand il passe à la télévision on est frappé par sa vitalité, sa présence d’esprit et sa capacité d’écoute. La fraîcheur de sa vision du monde est particulièrement manifeste dans le texte qu’il vient de publier, où il appelle les générations montantes à s’indigner.

Il démontre qu’il vit avec son temps en clamant que sa principale indignation dans le monde actuel concerne la Palestine. Pas le Soudan, pas la Tchétchénie, pas l’Afghanistan, pas l’islamisme ni les dictatures. Non. C’est Israël qui est pour Stéphane Hessel la cause première des malheurs du monde. Rien de nouveau sous le soleil, disait déjà le Roi Salomon dans l’ « Ecclésiaste ».

La manière dont Stéphane Hessel manipule les contrevérités et les élucubrations antisionistes pour mettre en cause Israël – seule démocratie du Moyen-Orient – prouve qu’il est en phase avec son époque. Au lieu de défendre Israël comme un modèle dont pourraient s’inspirer les 22 dictatures qui l’entourent, il renverse le miroir et présente Israël comme un danger, ce qui est un comble. Au lieu d’attribuer le malheur des gazaouis au Hamas, il compatit avec cette mouvance mafieuse qui défenestre et mutile ses opposants en braillant que la loi de la Sharia doit être la référence universelle de l’humanité.

Stéphane Hessel mentionne dans son texte indigent les trois millions de réfugiés palestiniens comme si Israël y était pour quelque chose. En réalité c’est monde le arabe qui les confine dans des camps depuis des décennies afin de détourner l’attention des opinions publiques des vrais problèmes, à savoir la corruption et l’analphabétisme, et conséquemment le sous-développement. Il brandit un doigt accusateur contre Israël en mentionnant les morts de l’opération « Plomb Durci », alors que de l’aveu même du Hamas ces morts furent principalement des membres des milices participant aux bombardements des agglomérations civiles du Sud d’Israël.

La principale indignation de Stéphane Hessel, donc, concerne l’existence d’Israël. Il doit avoir raison, parce que si Israël disparaissait, les 22 dictatures qui l’entourent se transformeraient en Etats de droit, les femmes accèderaient à l’égalité, le chômage et l’ignorance disparaîtraient. C’est aussi simple que cela. On ne saisit pas bien pourquoi ni comment, mais il suffit de le réitérer avec suffisamment de constance pour que cela finisse par devenir vraisemblable. Surtout qu’il ne s’agit que de six millions de juifs concentrés dans un pays minuscule.

Stéphane Hessel regrette qu’il y ait peu de peuples qui tirent les leçons de l’Histoire. Mais il est probablement trop jeune pour se souvenir du passé. Sinon il saurait que s’il y a un bien peuple au monde qui tire les leçons de l’Histoire, c’est celui qui a fondé l’Etat Juif.

Régis Debray ou le combat de trop

Régis Debray est un inlassable combattant pour la justice. Quand il était jeune il est parti en Bolivie faire la révolution aux côté de Che Guevara, qui pensait qu’en allumant des foyers révolutionnaires un peu partout dans le monde on finirait par venir à bout de l’hégémonie américaine. Cela n’a pas vraiment réussi, mais l’important était de participer.

Beaucoup de temps s’est écoulé depuis, mais le tenace, le vigilant, l’ardent Régis Debray demeure paré pour combattre l’injustice quel que soit l’endroit du monde où elle se manifeste. Ces temps-ci il a trouvé un adversaire à sa mesure, autrement puissant que le régime bolivien qu’il combattit naguère. Le danger contre lequel il nous met en garde dans son dernier ouvrage au moyen de sa belle plume rappelle par certains aspects celui que mentionne déjà une chronique vielle de 2500 ans, appelée « Esther »: « un peuple dispersé et à part parmi les peuples, ayant des lois différentes de celles de tous les peuples et n’observant point les lois du roi. Il n’est pas dans l’intérêt du roi de le laisser en repos ».

L’avantage du nouvel engagement de Régis Debray, c’est qu’il n’est nullement obligé de voyager pour combattre. L’adversaire est à sa porte, mais aussi aux portes de tous les hommes de mauvaise volonté. Comme rien de ce qui est humain ne saurait être étranger à Régis Debray, son combat vise à ramener dans le droit chemin ceux qu’il caractérise comme des « fanatiques ». Tâche ardue, parce que le magma qu’il pourfend est multiforme, multiculturel, multiethnique et caméléonesque. Certains de ces individus peuvent même être des amis. Mais une majorité de quinze millions de conjurés qui encerclent une minorité de sept milliards d’assiégés est une affaire trop sérieuse pour qu’un intellectuel du format de Régis Debray s’en détourne.

La horde en question se perpétue au moyen de la pensée, ce qui fait qu’au moindre génocide elle renaît de plus belle. A l’occasion elle fait fleurir le désert, et depuis des millénaires pérennise le livre le plus grandiose jamais écrit. Régis Debray pense qu’il faut réagir, d’autant plus que cette tribu s’est mise à riposter quand elle est attaquée, alors que traditionnellement elle subissait. Cette engeance sera difficile à défaire, parce qu’elle se dissimule maintenant dans un pays expressément si petit qu’on ne le trouve même pas sur la carte.

Régis Debray nous invite à faire entendre raison à ce peuple avant qu’il s’avère que Régis Debray se trompe sur toute la ligne, et qu’il n’y comprend rien, comme dit Claude Lanzmann, réalisateur de l’inoubliable « Shoah ».

« A un ami israélien » de Régis Debray à Barnavi

L’écrivain et essayiste Régis Debray a récemment écrit un ouvrage intitulé « A un ami israélien » où il s’exprime sur le conflit israélo-arabe en s’adressant à Elie Barnavi, historien et ex-ambassadeur d’Israël à Paris. Je suis pour ma part en désaccord avec Barnavi, mais de la manière dont on peut l’être avec un juif israélien que l’on respecte. Je suis sceptique quant à son opinion comme quoi la solution israélo-palestinien devrait être imposée de l’extérieur. A partir du moment où Israël est une démocratie, je ne vois pas en vertu de quoi les Etats-Unis ou l’Union Européenne seraient habilités à déterminer la politique de son gouvernement.

Quant à Régis Debray, et en dépit de sa très belle plume, je pense que son point de vue sur Israël à travers ses écrits est détestable. Il se sert de poncifs anti-israéliens (pêché originel, colonisation, religion, apartheid, etc.. ) qui relèvent d’un antisionisme primaire. Il a en revanche un penchant affectif pro-palestinien marqué, ce qui est son droit, mais ce qui ne lui donne pas celui de falsifier l’Histoire. Le péché originel n’est pas du côté d’Israël comme il le prétend : il est du côté arabe qui a refusé le partage de la Palestine en 1948.

Cependant le fond de la pensée de Régis Debray perce à travers ses sophismes. Son discours rappelle celui de certains pionniers du sionisme qui regrettent qu’Israël ne se soit pas développé en centre spirituel uniquement. Cela sonne bien, mais en réalité c’est ce qu’ont tenté sans succès les juifs tout au long de 2000 ans d’Exil, ce qui a abouti à la nécessité de se constituer en État souverain « à l’intérieur de frontières sûres et reconnues » (résolution 242 de l’ONU).

Debray ne va pas jusqu’à nier le droit à Israël à l’existence, mais il y met des conditions telles que cela revient au même. C’est l’archétype du Gentil qui n’est à l’aise qu’avec des juifs intelligents mais peu musclés, à la rigueur religieux, de bonne compagnie, mais qui savent s’éclipser quand il le faut. Bref, il trouve qu’Israël est trop juif.

Il y des gens qui critiquent durement Israël tout étant amis. Je ne trouve pas que Debray rentre dans cette catégorie parce ce que, comme dit Claude Lanzmann, il n’y comprend rien. Or quand on s’appelle Régis Debray et qu’on n’y comprend à ce point rien, ce n’est pas l’intelligence qui est en cause, mais l’amitié. Il illustre parfaitement l’adage selon lequel avec des amis comme lui on n’a pas besoin d’ennemis.

 

Le Monothéïsme juif est un rationalisme

Il faut un grand effort pour conceptualiser une abstraction aussi intégrale que celle du monothéisme juif. C’est pour cette raison que le judaïsme de terrain est pragmatique, et tolère que l’on puisse se représenter Dieu comme une espèce de Roi du monde, une superpuissance à l’échelle de l’Univers. C’est le chemin que parcourt l’enfant quand il croit au Père Noël et qu’un fois adulte il comprend que c’est un concept  et non pas une personne véritable. Ce principe s’applique à la compréhension du monothéisme juif, qui n’est pas un dogme mais une quête.

L’étude approfondie de la Thora ne met pas en scène un Roi du Monde, même s’il est vrai que le style métaphorique du texte biblique peut prêter à confusion. La vérité est que le Dieu de la Thora n’a rien d’anthropomorphique. Il y a de nombreux penseurs juifs qui admettent même – quoique dans des cercles restreints – qu’ils n’ont pas la foi,  mais qui sont convaincus que le judaïsme est un mode de vie tellement remarquable que la question de Dieu en devient secondaire. En même temps ils estiment qu’il est préférable de ne pas exhiber ce point de vue de manière trop ostentatoire afin d’éviter  de semer le trouble.

La question de l’existence de Dieu est problématique  parce que du point du juif cette question n’a de sens que si l’on détermine d’abord à ce qu’on entend par là. S’il s’agit d’un être formidable qui règne sur l’Univers tout entier, alors on fait fausse route. Ce n’est qu’une projection humaine, qui tout comme l’homme lui-même, est limitée. Quand bien même il y aurait un être tellement  grand et puissant qu’il serait capable de créer  et de gérer le monde entier, il faudrait encore et toujours poser la question de savoir d’où Il vient, depuis quand il existe, pourquoi il existe, et comment il se fait qu’Il existe. La vraie question est là.

Le Dieu du judaïsme n’est pas un être, mais une référence à l’existence à l’état pur. Vu sous cet angle Dieu existe, tout comme l’existence existe, étant entendu que ce n’est pas une substance mais un état que tout le monde peut constater.

L’intellect ne peut appréhender ni l’infini du passé ni celui de l’avenir. Reste la perception de la nature dont le judaïsme tente dégager un sens. La Nature a ses lois, et ne saurait être surnaturelle. Si les objets se mettaient à flotter en l’air ce serait qu’ils obéiraient encore à une loi de la nature. C’est ainsi que l’assertion  que Dieu est bon n’est pas une appréciation morale mais exprime qu’il ne pourrait, par définition, en être autrement. Le principe qui sous-tend cela est que le mal n’est qu’absence de bien, tout comme l’obscurité n’est qu’absence de lumière, tout comme le froid n’est qu’absence de chaleur.

Donc ni l’obscurité ni le froid ni le mal n’existent en eux-mêmes. C’est à partir de cette idée simple et naturelle,  mais infiniment profonde, que l’essentiel de l’éthique juive s’est construite.

L’intervention de Dieu dans la Nature ou dans l’Histoire, la notion de récompense ou de punition en rapport avec le bien ou le mal sont des représentations pédagogiques qui ne peuvent en aucun cas être pris à la lettre dans le judaïsme.

Le judaïsme est prophétique dans ce sens que le monde est imparfait, et que l’homme dispose à la fois de l’intelligence et du pouvoir pour l’améliorer. C’est dans ce sens que le messianisme est consubstantiel à la Création et appelle à un futur où le monde serait réparé. Mais pour que cela soit possible tout se passe comme si Dieu s’était retiré du Monde après la Création.

Ce qui donne de l’épaisseur au rôle de l’homme c’est justement que Dieu n’est plus là. En d’autres mots, que l’homme est libre.

Antisémitisme et modernité

Un juif vivant aujourd’hui en Occident n’a pas à craindre les institutions ni le pouvoir en place. Mais peut-on croire que c’est définitif au regard de l’Histoire, en France où ailleurs, alors qu’il y a encore des gens en vie qui ont connu le « Statut des Juifs », quand on trouvait en plein Paris des panneaux « interdit aux juifs et aux chiens » ? Et comment oublier que, bien après la Shoah, l’Europe de l’Est, l’Union Soviétique et la plupart des pays arabes pratiquèrent un antisémitisme d’État dont on n’ose imaginer les effets si Israël n’avait été là pour accueillir les masses de juifs en déshérence ?

La modernité n’a rien changé à l’antisémitisme. De l’Argentine à la Russie, du Danemark à l’Afrique du Sud, de la Malaisie au Pakistan, du Venezuela à l’Iran, dans le monde entier des institutions ou des personnes juives sont le théâtre de violences physiques ou verbales de manière récurrente. L’idée que l’antisémitisme appartient au passé et serait dû à l’ignorance et à l’obscurantisme est fausse. Heidegger, Céline, Luther, Érasme, Maurras, Balzac, Wagner, Proudhon n’étaient ni ignorants ni obscurantistes.

Si Israël disparaissait, les juifs pourraient se retrouver à la merci d’un antisémitisme que rien n’arrête en temps de crise. Pense-t-on que l’Histoire est finie, que tout est dit sur la société humaine et qu’il n’y plus qu’à se laisser porter par la logique de la modernité pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Oublie-t-on que Voltaire fut un antisémite virulent ? Le Siècle des Lumières a permis l’émancipation des juifs, mais n’a en rien diminué l’antisémitisme. Au contraire : l’émancipation l’a renforcé, parce qu’en sortant des ghettos et  en devenant des citoyens à part entière, les juifs furent perçus comme des concurrents au plan intellectuel, politique, scientifique et économique.

Avancer qu’Israël n’a pas résolu la question juive parce que la guerre y sévit est inepte. C’est oublier que la France et ses voisins n’ont eu de cesse que de guerroyer tout au long de l’Histoire avant d’arriver à une pacification relative. Qui remet en question la légitimité de la France malgré les zones d’ombres qui certaines de ses frontières, en métropole comme ailleurs ? Pourquoi l’État d’Israël n’aurait-il les mêmes droits ?

Qui défendait les juifs avant l’État d’Israël ? Pour un seul Zola, combien de Maurras, combien de Drumont, combien de Brasillach, combien de Céline, combien de Laval ?

Le fait que la France ne soit pas officiellement antisémite ne change rien à l’intemporalité de la question juive, dont la seule solution légitime, pragmatique, pratique, praticable, pratiquée et qui sans aucun doute possible a fait ses preuves, c’est l’État d’Israël. Il y a une extraordinaire cécité à ne pas voir que la sécurité relative des juifs en Diaspora s’adosse à l’État d’Israël. Comment ne pas comprendre que chaque antisémite, qu’il soit une personne, un groupement ou un régime sait aujourd’hui que l’État d’Israël riposte à la judéophobie sans faillir, quel que soit l’endroit de la planète où elle se manifeste.

Quand le Conseil de l’Europe chercha un maestro pour adapter « l’Ode à la Joie » en hymne européen, il ne trouva rien de mieux que de confier la tâche à Von Karajan, immense musicien, mais ancien membre du parti nazi, pour chanter la fraternité humaine. Les nazis ont aujourd’hui pratiquement disparu, mais d’autres fanatiques promettent à leur tour d’éliminer ceux qui s’opposent à leur vision du monde.

On peut penser dans notre vieille Europe que ce nouveau fléau n’est qu’un mauvais rêve, que cela passera comme une mauvaise grippe. On peut le penser. Mais les juifs en Israël, sous le feu des missiles, n’ont que faire de ce que pense l’Europe, cette Europe judéophobe dont le sol n’est pas encore sec du sang juif versé dans l’indifférence la plus totale, toutes nations confondues. L’Europe et ses penchants criminels, comme dit Jean-Claude Milner, l’Europe amnésique traînant sa gueule de bois après un vingtième siècle sinistre, l’Europe titubant dans les relents des improbables noces nazies et staliniennes, l’Europe avachie qui s’ébroue, attend et remet tout à des lendemains qui forcément déchanteront.  Non, décidément non, cette Europe-là n’a pas de leçons à donner aux juifs.

Maïmonide et le monothéïsme

Le point de vue que je mets en avant concernant est celui de Maïmonide. La raison pour laquelle j’aime le faire connaître provient du fait que ce personnage hors-norme est considéré par tous les courants du judaïsme – tous sans exception – comme la référence absolue depuis Moïse lui-même. Il y a donc consensus autour de la conception Maïmonidienne du judaïsme, puisqu’aucun érudit juif ne la conteste aujourd’hui (ce qui ne fut pas le cas au cours du siècle qui a suivi sa mort).

Maïmonide a écrit une œuvre monumentale, aussi bien scientifique, théologique que philosophique, dont son « Guide des Egarés » (ou « Guide des Perplexes »). Cet ouvrage, écrit en arabe mais pensé en hébreu, en grec et en latin, se veut une explication magistrale et exhaustive du monothéisme.

C’est cependant un témoignage dont n’est pas absent un certain élitisme. Maïmonide part de l’idée qu’il n’y a qu’une infime partie du peuple capable de participer du débat philosophique. Cependant il craint que le commun des mortels ne cherche à l’angoisse métaphysique un exutoire dans la superstition ou l’idolâtrie. Il pose donc que l’idolâtrie est à combattre en priorité parce qu’elle constitue un danger en ce qu’elle brouille la Raison.

Mais selon Maïmonide la Raison n’évacue en rien la question de Dieu, puisqu’elle ne saurait venir à bout de la question de l’Infini. Le judaïsme réduit donc la question de Dieu à sa plus simple expression en disant que Dieu est, tout en posant qu’il est impossible d’appréhender ce qu’il est, puisque sa manière d’être ne ressemble en rien à ce que nous entendons par là. On peut en revanche appréhender ses œuvres, c’est-à-dire le Monde.

C’est là qu’intervient la Thora, allégorie de la condition humaine face à la Nature. Maïmonide pense que si baser son mode de vie sur la Thora au moyen de l’exégèse du Talmud n’a pour effet ne fût ce que de contenir l’idolâtrie, alors l’essentiel du judaïsme est accompli. Vu sous cet angle, on comprend le scepticisme juif face au christianisme, qui apparait comme une régression païenne, et qui illustre ce contre quoi Maïmonide met en garde.

Dieu est une question dans le judaïsme, pas une réponse

Le monothéisme selon  Maïmonide est avant tout le rejet de la superstition sous toutes ses formes. Mais l’idée d’un Dieu unique n’est pas forcement synonyme de monothéisme.  Si les peuples de l’Antiquité avaient révoqué leurs multiples divinités pour n’en garder qu’une seule cela n’en aurait pas pour autant fait des monothéistes.

Pour Maïmonide,  toute représentation anthropomorphique ou matérielle de Dieu est exclue.  Il ne peut être décrit sous aucune forme. Même se représenter Dieu en imagination est une entorse à ce principe. Même lui parler est insensé, parce qu’il n’a ni corps, ni lieu, ni nom. Il y a de nombreux termes pour l’invoquer, mais en vérité Dieu n’a pas de nom du tout. Le tétragramme YHVH qui le désigne dans la Thora est énigmatique, mais est du point de vue syntaxique il est plus plus proche du verbe que du substantif.

On ne peut donc décrire Dieu ni se le représenter parce qu’il ne se manifeste sous aucune forme, à aucun moment, pour personne. L’homme doit se servir de sa raison aussi naturellement que l’oiseau doit se servir de ses ailes. Pas plus que l’oiseau n’a besoin de Dieu pour voler, l’homme n’a  besoin de Dieu pour raisonner.

Mais s’il est impossible d’appréhender Dieu alors pourquoi s’en soucier ? Parce qu’il est des questions auxquelles la raison ne peut apporter de réponse : la finitude, la perplexité de constater qu’il y ait quelque chose plutôt que rien, le bien et le mal. Le judaïsme tente d’établir une passerelle entre ces questions et la condition humaine.

Quand la Thora dit que l’homme a été créé à l’image de Dieu, cela n’implique pas que Dieu ait un corps ou un lieu. La ressemblance réside en ce que l’homme participe du monde des idées. L’existence du monde des idées infère l’éternité, et conduit à penser que toutes les idées sont contenues dans une idée première. C’est une manière de formuler que tout se tient. Que les notions telles que le temps, la matière, le mouvement, l’énergie et la conscience participent d’une seule et même chose. Le judaïsme cherche à établir un lien entre cette unicité et la conscience individuelle.

Quand un prophète « voit » ou « parle » avec Dieu cela signifie que l’intuition, l’intelligence et l’inspiration sont en marche et dégagent une vision. C’est le summum de ce à quoi un être humain peut accéder en consacrant sa vie à l’étude.

Le Dieu du monothéisme juif s’est retiré du monde au moment de le créer. Il ne faut donc pas compter sur lui, mais avec lui. Maïmonide pense qu’il est inepte d’attribuer à Dieu un rôle dans des évènements comme les tempêtes, la perte des moissons ou les tragédies personnelles.

Maimonide pense que les miracles sont des phénomènes naturels.  Il se range parmi ceux qui tentent de décrypter les lois de la nature plutôt que de ceux qui voient la main de Dieu dans des phénomènes inexplicables. Il pense qu’il n’y a jamais lieu d’interpréter la Thora de manière littérale, et que tout ce qui y est irrecevable du point de vue de la raison relève de la métaphore.

Le judaïsme est  un code de conduite au niveau individuel et pour la vie en société. C’est sa fonction première. L’homme est libre de décider comment conduire sa vie. Il a par son action un rôle à jouer dans le cours de l’Histoire.

Dieu est une question dans le judaïsme, pas une réponse.

Le Talmud et la peine de mort

La Thora dit « Tu ne tueras point », mais dit aussi qu’il y a des cas où il est permis de tuer. C’est ainsi que Moïse, voyant un soldat égyptien sur le point de frapper à mort un esclave, intervient pour terrasser le soldat et sauve la vie de l’esclave.

Dans un ordre d’idée inverse, bien que la peine de mort existe, le Talmud impose des conditions extrêmes pour la prononcer et n’accorde cette autorité qu’à des juridictions obéissant à des règles strictes. Les conditions sont ainsi faites qu’en pratique aucun tribunal ne saurait être en mesure de la prononcer. Dans le traité « Sanhedrin » du Talmud il est écrit que pour le constat valide d’un meurtre il faut deux témoins. Ceux-ci doivent avoir l’occasion de dissuader par la parole le meurtrier potentiel. Celui-ci doit répondre de manière explicite et audible qu’il persiste dans son intention de tuer, sans quoi on peut supposer qu’il n’a pas entendu que les témoins essaient de le dissuader. On ne peut donc pas savoir s’il aurait changé d’avis en entendant leurs injonctions.

Lors d’un premier débat à ce sujet, le Talmud met en garde les magistrats en estimant qu’un tribunal qui prononcerait une peine de mort tous les sept ans serait considéré comme brutal. Plus tard, deux sages renforcent cette idée en estimant que même un tribunal qui ne prononcerait la peine de mort que tous les soixante-dix ans devrait être considéré comme brutal. Le dernier mot est à Rabbi Akiva, figure majeure  du Talmud, qui conclut en disant que si un jour le peuple juif devait reconstituer son appareil judiciaire, la peine de mort ne devrait jamais être prononcée.

L’approche du Talmud l’emporte  en sagesse sur le principe de l’abolition pure et simple de la peine de mort. En effet, si le Talmud refuse d’en abolir le principe, la Halakha (Loi juive) impose qu’il ne convient de ne la mettre en pratique que dans des cas rarissimes et extrêmes. Le droit israélien ne repose pas sur la Halakha, mais il est frappant de constater que l’exécution d’Eichmann a reflété ce point de vue en n’appliquant la peine de mort que dans des circonstances  exceptionnelles.

Yom Kippour

Yom Kippour est la fête la plus importante du calendrier juif. C’est un jour de jeûne, d’introspection, de retour sur soi et de méditation sur nos rapports avec le prochain et l’autre, l’étranger. Tout s’arrête, la rumeur du monde est suspendue La pendant vingt-quatre heures. C’est une expérience extraordinaire que d’être en Israël à Yom Kippour. La majorité des gens ne sont pas pratiquants, mais la culture israélienne a transformé ce concept en lui donnant une version laïque, un peu comme les athées fêtent Noël en Occident

C’est une journée sans voitures, une journée verte, une journée de calme, de promenade, et d’une manière générale une journée où le respect de l’environnement coule de source. Il s’agit de quelque chose de beaucoup plus radical que les journées sans voiture en Europe. C’est tout Israël qui s’arrête. Il n’y pas une seule voiture en mouvement en dehors des ambulances ou voitures de police occasionnelles.

C’est aussi la belle saison du point de vue climatique. Le soleil est radieux, les rayons caressent sans mordre, le ciel est d’un bleu profond et le petit matin est frais. Tout le monde, vieillards, handicapés en chaises roulantes ou enfants en poussette vadrouillent sans bruit sur les routes désertes. Absence de circulation, mais aussi fermeture des commerces, administrations, restaurants, musées, aubettes, kiosques ou autres marchands ambulants. Pas de musique, pas de baffles à décibels barbares, pas de manifestations, pas d’attroupements. Juste des humains qui déambulent dans une sérénité en contraste profond avec ce pays qui en temps normal bruisse à toute heure. Je n’ai connu de silence analogue qu’en montagne, l’hiver, par grand bleu et grand froid, quand la nature est figée et le vent absent.

Le livre de Job

Job est un homme juste et bon. Il est heureux, entouré d’une famille aimante, jouit d’une bonne santé et est prospère.

Dieu le met à l’épreuve en le dépouillant de tout, y compris de sa santé.

Satan essaie d’amener Job à se dire qu’il n’était peut-être pas aussi vertueux qu’il le pensait, le pousse à s’interroger et à faire son examen de conscience. Mais Satan est une métaphore du doute qui se glisse chez Job, qui se met à réfléchir aux fautes qu’il a pu commettre sans en avoir eu conscience. Il interpelle vigoureusement Dieu pour essayer de lui arracher en quoi il peut bien avoir failli. Mais Dieu garde le silence. Et c’est cette pesante non-réponse qui éclaire Job. Il comprend enfin qu’il n’y a aucun rapport entre son bonheur d’antan et sa vertu, et que la seule raison d’être bon, c’est d’être bon, qu’il n’y a rien à attendre en échange, sans quoi ce ne serait pas de la vertu.

La foi ne repose sur aucune preuve et peut faire l’objet d’aucune démonstration, sans quoi ce serait de la science. Le livre de Job, l’épisode de la Ligature d’Yitzhak et l’Ecclésiaste balaient toute velléité de baser la foi sur les notions de récompense ou de punition.

La foi juive pose que l’homme distingue le bien du mal. On peut gloser à l’infini sur l’Infini, mais croire, pour un juif, c’est croire que la morale fait partie intégrante de la personne humaine aussi bien que la matérialité de son corps, et que l’homme a le devoir de traduire cela en pratique.

Croire, c’est avoir la conviction qu’aucune épreuve, aucun revers, aucune barbarie, aucun malheur d’aucune sorte ne peut ébranler la notion de morale. Penser que la morale est fondée sur un jeu de récompenses et de punitions est un contresens. La morale doit être parce qu’elle doit être. Elle est en soi sa justification et son essence. Mais le judaïsme est pragmatique, et admet que l’on puisse être mû par l’intérêt en pratiquant le bien.

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