Les Juifs et le rêve américain

Lors d’un séjour en Israël, il y a plus de deux décennies, je suis à Tibériade pour participer à un séminaire international des dirigeants du Keren Hayesod[1]. Au cours d’une des séances, le professeur Della Pergola, universitaire spécialisé dans la démographie des communautés juives, nous parle des perspectives d’Israël. Il s’agit de réfléchir au potentiel   de croissance de la population juive dans les années à venir. L’antisémitisme et le marasme économique de l’URSS a certes suscité une émigration massive vers Israël, mais elle touche à sa fin.  La question est maintenant de savoir d’où pourrait bien venir une nouvelle Alyah significative.

Je propose une hypothèse aux participants du séminaire. Je commence par leur demander dans quel pays les Juifs sont à la fois les plus nombreux, les plus dynamiques, les mieux établis du point de vue intellectuel et économique, et aussi les plus intégrés en tant que citoyens. La réponse est bien entendu l’Amérique. La manière dont je décris la communauté juive des Etats-Unis semble suggérer qu’elle n’a pas vocation  à se tourner vers Israël.

Mais en analysant le profil de cette communauté  je relève qu’il a beaucoup d’analogie avec celui de l’Allemagne d’avant la Shoah.  Que c’est précisément ce genre de profil qui de tous temps a fini par se retourner contre les Juifs eux-mêmes.  Je rappelle l’Exode d’Egypte, l’expulsion d’Espagne et les Lois de Nuremberg[2]. Dans ces cas emblématiques les Juifs ont connu une descente aux enfers après avoir prospéré sur les sommets d’un âge d’or. Cela ne signifie pas qu’il pourrait y avoir une Shoah en Amérique, mais qu’une lame de fond antisémite pourrait s’avérer assez dévastatrice du point de vue moral pour décider de nombreux Juifs à se résoudre à l’Alyah.

Mon hypothèse laissa l’audience sceptique à l’époque, mais je pense qu’il n’est plus extravagant aujourd’hui de l’envisager. Cela fait des années que des institutions juives américaines sont attaquées ou subissent des actes de vandalisme. Le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas en Israël a eu pour effet de déclencher une flambée d’antisémitisme plus féroce en Amérique qu’ailleurs dans le monde occidental. Mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est qu’il a cours dans les universités les plus prestigieuses, là-même où sont formées les élites de la nation.

L’aile gauche du Parti Démocrate américain en particulier ne se retranche plus derrière un antisionisme de façade et manifeste son antisémitisme de manière de plus en plus décomplexée. Le Président Obama, fort de son prix Nobel immérité, s’en est pris à Israël après le massacre et a réussi un tour de force consistant à faire de la victime un coupable. Mais il doit être dans sa logique, puisque cet humaniste de pacotille a eu pendant vingt ans comme mentor et guide spirituel un antisémite notoire et qualifie la branche militaire du Hamas de « groupe de résistance palestinienne » dans son autobiographie[5].

Obama estime par ailleurs que « l’Amérique et l’islam se recoupent et se nourrissent de principes communs, à savoir la justice et le progrès, la tolérance et la dignité de chaque être humain.  L’Islam a une tradition de tolérance dont il est fier ».

De nos jours la réalité de la gauche dépasse la fiction de la droite.

***

[1] Appel unifié pour Israël. Organisme central financier du mouvement sioniste mondial ainsi que celui de l’Agence juive.

[2] Adoptées par le Reichstag en 1935 et mettant en place en Allemagne un système discriminatoire où les juifs sont exclus de la société.

[[5] « Une terre promise », Fayard

Manifestation contre l’antisémitisme ?

Le 7 octobre 2023 des Gazaouis perpétraient un pogrom en Israël et se retiraient le jour même avec plus de 200 otages. Ce massacre a eu pour conséquence de déclencher une monstrueuse vague d’antisémitisme à travers le monde. Comprenne qui pourra.

Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’une « importation du conflit israélo-palestinien », mais d’un antisémitisme d’une grande vitalité qui prospère à l’extrême-gauche et dans le monde musulman. Pour l’islamogauchisme ce massacre de Juifs est l’occasion de jubiler dans le monde entier.

La mouvance islamogauchiste avait pris l’habitude de camoufler son antisémitisme sous couvert d’antisionisme. Mais dernièrement elle ne semble même plus soucieuse de se servir de cet artifice.  Elle agresse directement les Juifs en tant que Juifs.

Face à ce phénomène, l’Assemblée nationale et le Sénat ont appelé à une manifestation à Paris contre l’antisémitisme. Elle aura lieu dimanche 12 novembre.

Maître Gilles-William Goldnadel, fondateur d’Avocats sans frontières  et président de France-Israël est connu pour son combat contre l’antisémitisme.  Il a pourtant annoncé qu’il ne se rendrait pas à la manifestation. Il estime que si ni l’extrême-gauche ni l’islamisme ni le Hamas ne sont explicitement mis en cause, et que si l’on ne réclame pas la libération des otages, alors cette manifestation est dénuée de sens.

Paul Amar, journaliste vétéran, réfléchit à la vacuité des défilés en silence. Ceux-ci consistent à valider la pleutrerie de l’Etat. C’est ratifier la doctrine du « pas de vagues », présentée comme une stratégie. C’est Munich à la sauce woke.  Les minutes de silence juif sont devenues au fil de l’Histoire des éternités de silence de mort.  Il a servi à quoi, ce silence? Qu’a-t-il changé ? Accompli ? Amélioré ? Dans quel lieu le silence est-il digne, ailleurs qu’au cimetière où reposent nos victimes du silence ? Faire silence à la manifestation de Paris quand Tsahal rompt le silence sur le champ de bataille ? Assez de silence. Vive les hurlements et la rage.

Lors de la Guerre des  Six-Jours en 1967 on ne manifestait pas contre l’antisémitisme, mais pour Israël. Il n’y a aucune différence de nature entre la tentative de  jeter les Juifs à la mer d’alors, et celle de maintenant. Même obsession génocidaire, même pathologie séculaire.

La manifestation contre l’antisémitisme à Paris est une manipulation. Une manœuvre pour ne pas nommer l’islamogauchisme. Cette manifestation devrait avoir pour unique thème le soutien à Israël. Rien d’autre.  Nous savons à quel point la France n’a pas été à même de  protéger les Juifs en temps de crise.

Reste l’Etat d’Israël, colonne vertébrale de la Diaspora. Aucun Juif ne peut tenir debout sans elle, ni en France ni ailleurs ni nulle part. Une manifestation contre l’antisémitisme sans drapeau d’Israël en tête est une tartufferie.

Jakubowicz contre Bensoussan

L’historien Georges Bensoussan est l’auteur de nombreux ouvrages traitant de l’histoire du peuple juif, en particulier celle du 19ème siècle jusqu’à nos jours. C’est un des rares chercheurs ayant une connaissance approfondie à la fois des mondes ashkénaze et sépharade.  Il a été responsable éditorial du Mémorial de la Shoah à Paris.

En 2002 Bensoussan dirige un ouvrage collectif intitulé « Les Territoires perdus de la République »,  où il donne la parole à des enseignants et chefs d’établissements scolaires. Ceux-ci témoignent de l’antisémitisme, du racisme et du sexisme qui règne  dans les banlieues parmi les jeunes issus de l’immigration.

En octobre 2015 Bensoussan et le sociologue Patrick Weil[1] sont invités par Alain Finkielkraut[2] à débattre dans l’émission « Répliques » sur France Culture. Le sujet du jour est « Le sens de la République ».  Dans le feu de la discussion, Bensoussan dit qu’il « n’y aura pas d’intégration tant qu’on ne se sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret. Il se trouve qu’un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : “C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère. »

Vérification faite par Finkielkraut, il ne s’agit pas d’une citation littérale, mais bien d’une métaphore édulcorée de ce que dit de Smaïn Laacher[3] dans le film mentionné par Bensoussan.

Le CCIF[4] signale l’émission à la préfecture de Paris, mais sans mentionner Smaïn Laacher, pourtant source des propos de Bensoussan sur l’antisémitisme qui sévit dans le monde musulman.  Le parquet se saisit de l’affaire et décide de poursuivre Bensoussan. La LICRA[5], dont l’avocat Alain Jakubowicz est le président, se constitue partie civile. Cela signifie qu’elle souhaite être incluse  au procès en qualité de plaignante.

En janvier 2017 Bensoussan est convoqué devant le tribunal correctionnel de Paris pour « incitation à la haine raciale ».  En mars de la même année il est relaxé. Le CCIF fait appel, mais en mai 2018 la Cour d’Appel relaxe Bensoussan « de toute accusation de racisme et d’incitation à la haine pour ses propos sur les musulmans ».

Jacques Tarnero[6], qui assiste au procès, juge que « ce n’est  pas à Georges Bensoussan d’être assis dans le box des accusés mais à ceux qui l’accusent d’y figurer ».

En septembre 2019 la Cour de cassation rejette tous les pourvois.

Mis hors de cause mais meurtri, lâché par certains et soutenu par d’autres, Bensoussan publie en 2021 « Un exil français », où il fait le point sur cet épisode qui l’a blessé dans sa vie d’homme et d’écrivain. Il est à la fois amer et nostalgique : « Ce procès   qui n’aurait jamais dû se tenir  sonnait pour moi, comme pour tant d’autres, d’ici et d’ailleurs, le glas d’un monde ancien. Je n’étais pas seulement du côté du « temps qui reste » mais sur la crête d’un pays qui glisse dans l’oubli. Ce que ces errements judiciaires avaient mis en lumière scindait ma vie ».

La semaine dernière Jakubowicz[7] était sur le plateau de «  L’Heure des Pros », émission sur Cnews animée par Pascal Praud[8].  Angoissé par la vague d’antisémitisme en cours, il  rappelle que lors de la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, un million de français étaient descendus dans la rue. Il se plaint de ce que l’aptitude à s’indigner se soit émoussée depuis. Mais ce qu’il omet de préciser, c’est qu’a l’époque c’était l’extrême-droite qui était en cause, or il n’y avait pas grand risque à manifester contre elle. Cela consistait à se donner bonne conscience  à  bas prix. De nos jours il y n’y a guère plus que  des non-manifestants avec pour mot d’ordre « pas de vagues », surtout quand il s’agit de celles en provenance de la Méditerranée.

Au cours de l’émission, Jakubowicz admet avoir commis des erreurs au cours de sa carrière. Il dit ne pas les regretter parce qu’il les attribue à son humanisme et  à sa candeur. Mais il assume son combat contre Bensoussan et persiste à le trouver coupable de généralisation concernant l’antisémitisme musulman.  Il ajoute que cette affaire est sans grande importance.

Ce que Jakubowicz trouve sans grande importance, c’est d’avoir permis que la LICRA s’associe au CCIF, organisation islamiste dissoute depuis,  pour commettre un lynchage médiatique au moyen d’une procédure visant à déshonorer Bensoussan, l’un des historiens les plus fins, les plus érudits, les plus lumineux  et les plus intègres du monde intellectuel juif.

L’antisémitisme que dénonce Bensoussan ne correspond peut-être pas à la case chère à Jakubowicz, homme de gauche à la pensée hémiplégique qui ne souffre que l’on s’attaque à l’antisémitisme que quand il vient de droite.  De là sans doute sa nostalgie des manifestations antifascistes de naguère.

Quoi qu’il en soit, la charge renouvelée de Jakubowicz contre Bensoussan  sur un plateau de télévision, ceci plusieurs années  après que celui-ci ait été innocenté, est une honte.

[1] Politologue, directeur de recherche au CNRS.

[2] Philosophe, écrivain, essayiste, polémiste, producteur de radio et académicien français.

[3] Professeur de sociologie a l’université de Strasbourg.

[4] Le CCIF a été dissous ultérieurement en tant que groupement de fait, accusé de « partager » et « cautionner » des idées terroristes.

[5] Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme

[6] Essayiste et un documentariste français. Spécialiste dans l’étude du racisme, de l’antisémitisme et de l’Islam.

[7] Avocat français. Président de la Licra de 2010 à 2017.

[8] Journaliste sportif, chroniqueur, animateur de radio et de télévision français.

Les Palestiniens de Cisjordanie

Les peuples n’existent pas à l’état naturel. Ce sont des entités intersubjectives qui  s’incarnent à partir d’une conscience collective se référant à une continuité historique. Il est difficile de déterminer cas par cas comment nait une telle conscience, mais on peut en identifier des éléments constitutifs.  L’ethnie, le territoire, le régime politique ou la langue, par exemple, peuvent être des marqueurs. Mais il arrive aussi qu’un peuple se construise à partir d’un mythe fondateur unique, précis et daté.

Celui des apatrides Palestiniens est fait du refus obsessionnel du droit à l’existence d’Israël. La conscience collective qui les agrège est née du mépris atavique du Juif, souvent encore perçu comme Dhimmi dans  la psyché arabe.  Le veto des apatrides palestiniens contre toute souveraineté juive sur quelque portion de la Palestine historique que ce soit est fait à la fois d’antisémitisme et de rejet de la modernité.

Ces apatrides ont bien entendu le droit naturel à une citoyenneté, mais pas d’un Etat dont le projet serait de « jeter les Juifs à la mer »  conformément à la formule d’Ahmed Choukeiry, premier président de l’OLP[1]. Formule entretenue depuis par les ennemis d’Israël à travers le monde. Dans ces conditions, une Palestine souveraine entre Israël et la Jordanie n’aurait d’autre raison d’être que de reproduire le schéma irréductiblement criminel du Hamas à Gaza.

En réalité les Palestiniens de Cisjordanie sont des jordaniens. La Cisjordanie avait été annexée en 1950 par la Jordanie suite à la guerre d’indépendance d’Israël.  Ses habitants avaient reçu la nationalité jordanienne et ne revendiquaient pas d’Etat indépendant, les Jordaniens eux-mêmes étant en majorité ethniquement palestiniens.

Les Cisjordaniens n’ont commencé à exiger un Etat qu’après être passés sous contrôle israélien en 1967. Une manière réaliste de résoudre le conflit consisterait à se tourner à nouveau vers la Jordanie. A nouveau, parce que cette option avait déjà été envisagée par le passé, mais sans succès. Israël évacuerait la partie arabe de la Cisjordanie et la cèderait au royaume hachémite. Une nouvelle frontière serait convenue entre Israël et la Jordanie, qui prendrait en compte la consanguinité, la langue, la continuité territoriale et la sociologie des populations concernées. La plupart des Palestiniens et la plupart des Juifs de Cisjordanie resteraient là où ils sont, mais avec un statut modifié. Cette solution rendrait aux apatrides palestiniens leur dignité et leur nationalité au sein d’une fédération jordanienne dont la clé de voute ne serait donc plus juive.

[1] Organisation de Libération de la Palestine créé en 1964.

Terrorisme et riposte.

Suite au massacre perpétré en Israël par le Hamas, la sociologue Eva Illouz s’est exprimée au cours d’une interview sur la question de la proportionnalité de la riposte de Tsahal:

« …cette question de proportionnalité quand il s’agit d’un événement humain aussi important que la guerre me laisse perplexe. Qu’est ce que la proportionnalité ? Décapiter, violer, torturer 500 Palestiniens contre les 1500 Juifs qui sont morts dans des conditions similaires ? Comment créer une commensurabilité des massacres ? Parce qu’Israël vit constamment dans un état de guerre et de conflit, il a développé une doctrine militaire exigeant que l’ennemi paie un prix plus fort, pour le dissuader de recommencer. »

La question de la proportionnalité  se pose surtout – mais pas seulement – quand des civils innocents risquent d’être victimes d’affrontements entre forces armées. Mais il n’y a à Gaza  qu’une seule catégorie de civils dont on peut être certains qu’ils sont innocents, à savoir les enfants. Quant aux adultes ils sont certes sous l’emprise du Hamas, mais ils partagent généralement avec leurs maitres la haine des Juifs. Beaucoup de civils collaborent  activement aux crimes du Hamas, même sans en faire formellement partie.

Dans l’opinion publique israélienne il y a des voix qui s’élèvent pour exiger de suspendre l’aide humanitaire à Gaza aussi longtemps que ne seront pas libérés les otages enlevés lors du massacre du 7 octobre. Le spectacle de convois humanitaires qui approvisionnent Gaza ces jours-ci a quelque chose de surréaliste et d’indigne quand on pense qu’il y a parmi cette population d’innombrables  complices et assassins qui cherchent maintenant à échapper à la riposte de Tsahal.

Punir collectivement une population n’est jamais moral. Dans toute guerre il y des victimes collatérales, or la guerre contre le Hamas n’échappe pas à cette règle. Mais l’inhumanité du Hamas va jusqu’à sacrifier sa propre population en la transformant en bouclier humain. Israël n’a aucune responsabilité d’aucune sorte concernant ces victimes collatérales-là quand il s’agit de protéger ses propres civils, réellement innocents, eux, et pas seulement les enfants.

L’Alyah d’antan

Dans ma bonne ville flamande d’Anvers, nous étions une communauté juive vivant en autarcie. Des expatriés sans patrie. La plupart d’entre nous étions nés à Anvers, mais nos parents ou grands-parents venaient d’ailleurs, généralement d’Europe de l’Est.

Les Juifs étaient répartis en trois groupes: les séculiers, les religieux modérés et les ultraorthodoxes.  Les deux premiers de ces groupes étaient résolument sionistes. Il n’y avait en revanche pas de Juifs assimilés, ou alors ils l’étaient tellement, qu’ils n’étaient pas juifs du tout.

Les Juifs d’Anvers se conduisaient en citoyens respectueux de l’Etat, mais ne fréquentaient pas, ou très peu, les non-juifs. La quasi-totalité des enfants étaient scolarisés dans des écoles juives. Leur vie sociale était articulée autour de la judéité: école juive, club sportif juif, mouvement de jeunesse juif, religion juive. Une fois sortis de l’école, ceux qui ne partaient pas pour  Israël entraient dans l’industrie diamantaire, juive, elle aussi.

Les plupart des enfants fréquentaient un des mouvements de jeunesse sionistes. Ceux-ci avaient des sensibilités politiques qui allaient de l’extrême-droite à l’extrême gauche, mais avaient un indépassable horizon commun: l’Alyah. Il s’agissait de former les jeunes de  manière à les préparer à partir pour Israël et s’établir au kibboutz.

Cette conception était la continuation d’un vent nouveau qui soufflait sur les communautés juives à travers le monde depuis le début du siècle, mais qui avait été suspendu par la Shoah. Du point de vue idéologique, il ne s’agissait pas de promouvoir une Alyah tous azimuts, mais de galvaniser explicitement cette jeunesse d’après-guerre qui avait la vie devant elle.

Il s’agissait de bâtir Israël : c’était une affaire de jeunes. Les anciens ce serait pour plus tard. L’Etat d’Israël lui-même était ambivalent par rapport à l’Alyah d’éléments qui pourraient constituer une charge pour une économie encore fragile.

Il fallait inciter les générations montantes de la Diaspora à venir en Israël avant même d’apprendre un métier ou de faire des études. Ces choses-là pourraient être envisagées plus tard, en Israël, tout en travaillant la terre les armes à la main.

Dans ces mouvements de jeunesse on apprenait l’histoire du sionisme et celle de la terre d’Israël. Il fallait faire connaissance avec l’hébreu, intégrer  la géographie et se familiariser avec les codes de l’Etat juif. A l’âge de 15 ans les adolescents devaient prendre une part active dans la direction du mouvement et se déterminer par rapport à l’Alyah. En général cela se résumait à s’engager sur l’honneur à partir au kibboutz  dès la fin de la scolarité, à 18 ans.

Il ne s’agissait pas de projeter l’Alyah dans un futur indéfini en fonction des aléas de la vie. C’était le contraire : il fallait imprimer à sa vie un tournant indépendant de toute contingence,  dès la sortie de l’enfance : décider de « monter »  en Israël, au kibboutz, avant même de savoir en quoi consisterait cette existence juive d’un type nouveau.

Gérard Miller ou la doctrine de la cécité

Gérard Miller est un intellectuel français originaire d’une famille juive polonaise. Il est psychanalyste, professeur des universités et éditorialiste à la télévision.

Miller est un passionné du communisme. Il a adhéré, ou   a été compagnon de route, du Parti communiste français, de l’Union des étudiants communistes, du Parti communiste chinois , du Mouvement français marxiste-léniniste et de la Gauche prolétarienne. Aujourd’hui il soutient Jean-Luc Mélenchon, guide spirituel de La France insoumise^, parti islamogauchiste et wokiste et naturellement antisémite.

Il vient de commettre un article dans le journal « Le Monde », où il  condamne les Juifs qui soutiennent Marine Le Pen ou Eric Zemmour, respectivement dirigeants du « Rassemblement National » et de « Reconquête ».

Il est vrai que Le Rassemblement National traîne encore ses racines nazies, collaborationnistes et antisémites, malgré les tentatives de dédiabolisation de Marine Le Pen.  Il y a cependant des Juifs qui croient à sa reconversion et qui la soutiennent. Question d’opinion.

Mais il n’y a en revanche rien d’analogue chez Reconquête, parti de droite d’inspiration gaulliste. Aucun patriote, juif ou pas, ne doit craindre de se retrouver en mauvaise compagnie en soutenant le parti de Zemmour.

Miller dénonce le scandale que serait pour un Juif que de soutenir un de ces partis. Il est permis d’être sceptique quant à la rédemption du Rassemblement National, mais le fait est que le discours antisémite n’y a plus sa place depuis l’éviction de son fondateur Jean-Marie Le Pen. Les rares militants qui font des réflexions antijuives sont exclus sans ménagements.

En revanche, les dirigeants de La France Insoumise fraternisent sans états d’âme avec les antisémites de partis de gauche du Royaume-Uni ou d’ailleurs. Mélenchon vouait un amour inconditionnel à feu Hugo Chavez, président du Venezuela qui rappelait au monde qui avait tué le Christ.

Mais ce qui est à la fois sérieux et comique dans cette affaire, c’est que « La France Insoumise » puise une grande partie de sa clientèle chez les antisémites des « quartiers », où Miller dit lui-même que « des familles juives sont contraintes de déménager, et où  l’antisionisme a tout d’un antisémitisme à peine voilé.»

Dernièrement une députée Renaissance a même suggéré  la dissolution de « La France insoumise » pour antisémitisme. Les sorties  de Jean-Luc Mélenchon ne peuvent laisser aucun doute à ce sujet.

En conclusion, l’inénarrable Gérard Miller dissuade les Juifs tentés par la droite, mais appelle ses concitoyens à soutenir La France Insoumise,  seul parti politique de France littéralement possédé par l’antisémitisme.

Douce France

Le 10 mai 1940 les nazis envahissaient  la Belgique et mes parents prenaient le premier train en direction de la France. Le bruit  courait que les Allemands arrêtaient les juifs valides pour les envoyer dans des camps de travail au service de la machine de guerre allemande.  A Lyon les autorités  locales attendaient mes parents pour les placer chez l’habitant. Ils ont été conduits à Albon, petit village niché au cœur des montagnes d’Ardèche et se sont installés chez madame Seauve, qui  accueillait le plus naturellement du monde ce couple de fugitifs coupable d’être juif.

Mon frère est né quelques mois plus tard. La guerre faisait rage, mais Albon continuait à vivre sa vie au gré des saisons et des moissons. C’était un coin de paradis où l’on ne manquait de rien. Mes parents et mon frère n’y ont jamais eu faim ni froid.  Ma mère faisait de la couture, mon père allait à la cueillette et tout le village tricotait pour celui qui allait être mon grand frère mais qui était encore petit. Ils sont restés trois ans, jusqu’à ce que les nazis les forcent à fuir à nouveau, vers la Suisse cette-fois-là.

Je suis né après cet épisode familial, mais mes parents l’ont tellement évoqué tout au long de mon enfance que je l’ai intériorisé comme si je l’avais vécu. A l’aide des photos qu’ils avaient conservées, je pouvais même me faire une idée du village et de ses personnages, plus vrais que nature. Sans les avoir jamais rencontrés je connaissais le boulanger, le boucher et le docteur, réfugié juif aussi, celui-là.

La fratrie des Magnan me fascinait. Deux sœurs et un frère, célibataires à vie, qui devaient appartenir à la petite noblesse de campagne  et vivaient dans un manoir à l’écart du village.  Ils semblaient sortir d’un roman avec leur côté balzacien à la fois désuet et digne. Le dimanche était jour de sortie, à l’occasion duquel ils sortaient leur automobile, que monsieur Magnan faisait laborieusement démarrer à coups de manivelle.

Les Magnan s’étaient donnés pour tâche de s’occuper des réfugiés et s’étaient entichés de mon frère. Quand mes parents venaient leur rendre visite il recevait un jouet ou une friandise. Les Magnan le regardaient avec une tendresse toute aristocratique, et quand mes parents prenaient congé ils se tournaient vers mon frère et disaient tristement « pauvre petit Juif ».

Mais le personnage central de ces années à Albon était madame Seauve, chez qui mes parents ont vécu sans qu’il n’y eût jamais la moindre tension. Cette veuve rivée au terroir était dotée d’une étonnante vision du monde. Son fils était universitaire à Lyon et venait de temps à autre lui apporter des nouvelles d’un monde qui brûlait.

Ma mère m’avait transmis une image de madame Seauve qui n’était ni plus ni moins que celle d’une sainte. Bien après la guerre, alors que j’avais douze ans et que j’étais en vacances dans la région dans le cadre d’un mouvement de jeunesse, je me suis éclipsé sans demander d’autorisation. Je brûlais de connaitre madame Seauve. J’avais économisé les quelques sous qu’il fallait pour payer l’autobus qui desservait Albon. J’ai débarqué sans crier gare. Madame Seauve m’a hébergé durant une semaine et m’a présenté au village comme si j’étais à la fois un héros et son petit-fils. J’en suis reparti en me disant que tout était conforme à ce que ma mère m’avait transmis, y compris la sainteté toute laïque de madame Seauve.

Il y quelques jours un ami d’un de mes fils recevait un message de quelqu’un qui cherchait une famille Horowitz qui aurait séjourné à Albon pendant la guerre. Le contact fut établi et rendez-vous  fut pris par vidéo avec mon fils et un fils de mon frère né à Albon, et moi-même.

La personne qui nous cherchait était Jeanne, la propre arrière petite-fille de madame Seauve. Elle est apparue à l’écran, et après quelques mots de bienvenue  nous a révélé qu’elle se trouvait à Albon, dans la maison même où mes parents et mon frère avaient passé trois années paisibles à l’ombre de la guerre. Elle nous a fait visiter par vidéo la maison, et ensuite le village, où nous avons fait connaissance de descendants d’Albonais que mes parents avaient connus.

En 1943, après le départ de mes parents, les Allemands ont commencé à traquer les Juifs de la région pour les expédier à Drancy afin d’être réduits en cendres dans les camps de la mort. C’est cette période que Jeanne cherche à reconstituer maintenant avec Chantal, la secrétaire de mairie,  des historiens et le directeur des archives départementales qui travaille sur les juifs cachés en Ardèche.

Pendant cette heure intense nous avons compris, mon fils, mon neveu et moi-même, que nous venions d’assister à un temps fort.  Cela nous a rappelé ce que cette France profonde a de bon et de beau. A suivre, sûrement.

Netanyahu et l’anti-bibisme

Netanyahu est au pouvoir depuis de longues années. Son bilan ne fait pas l’unanimité, mais on ne le juge généralement pas médiocre non plus. La plupart des observateurs conviennent que la bonne santé de l’économie lui est, au moins en partie, redevable. Concernant le conflit israélo-arabe, il a toujours été prudent et mesuré. Il a appelé à  un Etat palestinien vivant côte-à-côte avec Israël. Le rapprochement avec les Emirats, le Maroc, l’Arabie saoudite et autres régimes naguère hostiles s’est déroulé sous sa gouvernance. Les rapports avec les Etats-Unis ont connu des turbulences lors de la présidence d’Obama, mais celui-ci avait un rapport trouble avec Israël suite à ses liens avec un pasteur antisémite comme mentor.

Cela fait des  années que la classe politique de droite est irritée par la Cour Suprême quand elle retoque des lois pour des raisons plus idéologiques que juridiques. Il est vrai que celle-ci se comporte comme un parti politique, bien que ses juges soient nommés en fonction d’un système opaque. Les gouvernements de ces dernières années en sont  venus à s’abstenir de déposer certains projets de lois, sachant qu’ils ne passeraient pas la censure de la Cour Suprême.

Netanyahu est populaire depuis des décennies et remporte toutes les élections internes de son parti ainsi que la plupart des législatives. A noter que personne ne conteste la régularité de ces scrutins.

Confronté à sa remarquable longévité, un certain agacement  a commencé à se manifester vers 2015, aussi bien parmi ses alliés politiques que ses adversaires. Un pacte informel contre sa personne a vu le jour, visant à le renverser par des moyens  douteux.  Le tout soutenu par des forces politiques, médiatiques et judiciaires, alliés objectifs avec pour seul dénominateur commun l’acharnement à défaire Netanyahu.

De moyens énormes ont été mis en œuvre pour fouiller dans la vie publique et privée de Netanyahu. Il fallait le trainer en justice à tout prix. Intimidation de témoins, interrogatoires musclés et mises sur écoute ont été instrumentalisés sans compter.  Le coût financier de cette curée est astronomique, ceci dans le seul but de créer un climat de nature à forcer Netanyahu à se démettre.

Dernièrement l’accusation de corruption qui faisait partie des charges contre lui a été levée par les trois juges qui mènent son procès. Ils ont informé le Parquet que cette accusation n’était pas tenable. Suite à cela la presse a demandé au chef de la police sur quelle base il avait recommandé d’inculper Netanyahu pour corruption.  Il a répondu que c’était parce qu’il espérait que cela le forcerait à démissionner, sans plus.

Un autre volet  de cette saga juridique est la quantité de cadeaux que Netanyahu a reçus du magnat de cinéma Arnon Milchan sous forme de cigares, champagne et autres gâteries. Cet épisode ne semble pas délictueux non plus, puisqu’il a été établi que l’amitié entre Netanyahu et Milchan était réelle et ancienne.

Quant à l’implication potentielle de Netanyahu dans l’affaire des sous-marins livrés à l’Egypte par l’Allemagne, la justice n’a même pas ouvert d’enquête à son encontre.

Reste la suspicion de connivence entre Netanyahu et le patron de Yediot Aharonot[1], qui n’a débouché sur rien.

Il ressort de tout cela que même s’il se peut que Netanyahu ait eu un comportement contestable au plan éthique, il n’en demeure pas moins qu’il a un casier judiciaire vierge, et au fur et à mesure du temps qui passe il devient de plus en plus probable que son procès ne débouchera pas sur grand-chose.

Ces affaires ont néanmoins conduit des électeurs de droite à soutenir une coalition excluant le Likoud, pourtant principale force politique du pays. Cinq élections successives ont finit par accoucher de deux chimères : en 2021 le gouvernement de Naftali Bennet composé d’islamistes, de gauchistes, de centristes et de sionistes religieux. Ensuite, en 2022, une coalition fabriquée par Netanyahu avec des fanatiques ultraorthodoxes et des fous de Dieu fascistes.

Ceci dit il existe bel et bien dans l’opinion  publique un consensus en faveur d’une réforme judiciaire. Mais celle voulue par le gouvernement actuel a été mal ficelée, mal préparée, mal expliquée et est probablement excessive. La précipitation avec laquelle le gouvernement a voulu la faire adopter par la Knesset est en elle-même suspecte. Il faut savoir qu’elle a été lancée à l’initiative du Likoud, alors que les autres partenaires de la coalition n’y voient qu’une occasion de faire passer des lois sectorielles d’un égotisme écœurant.

La réforme en cours a – entre autres – pour objectif d’instaurer une représentativité plus juste au sein de la Cour suprême en modifiant le mode de nomination des juges. Elle vise à mieux adhérer à l’esprit de la Déclaration d’Indépendance d’Israël en pérennisant sa légitimité en tant qu’Etat juif. Le mode de gouvernement d’Israël est démocratique, mais doit être en phase avec l’Histoire du peuple juif.

La Cour Suprême doit dire le droit et s’abstenir de décréter des valeurs sociétales. L’évolution des mœurs  et la sociologie changeante n’est pas leur affaire. C’est celle du peuple souverain, dont la souveraineté est incarnée par ses représentants à la Knesset. Les juges ne doivent jamais s’y substituer.

La seule résolution digne de cette crise ne peut être qu’une nouvelle coalition entre le Likoud et les formations qui n’ont eu de cesse que de chercher à écarter Netanyahu tout en étant du même bord politique que lui.

A ce stade de la crise  il est légitime de poser aux responsables de la vie politique la question suivante : le combat qu’ils ont mené contre Netanyahu a-t-il été bénéfique pour le peuple d’Israël ?

[1] Quotidien israélien

L’ambassadeur et le cafetier

Ron Prosor est un diplomate, écrivain et chroniqueur israélien. Ancien major de réserve de Tsahal, il fut représentant d’Israël aux Nations-Unies, ambassadeur au Royaume-Uni et est actuellement ambassadeur d’Israël en Allemagne.

Comme tous les ambassadeurs au monde, Ron Prosor s’intéresse au quotidien de ses compatriotes vivant à l’étranger. La semaine dernière il a eu la bonne idée d’aller passer un moment de détente au « Café Dodo » à Berlin, établissement tenu par un Israélien.

Alors que l’ambassadeur était déjà attablé, le vaillant cafetier l’a identifié et interpelé pour lui signifier qu’il n’était pas le bienvenu en ces lieux[1]. Une des raisons avancées était que l’ambassadeur incarnait la politique du gouvernement d’Israël. L’excellent cafetier ignorait sans doute que la mission d’un diplomate consistait précisément à représenter son gouvernement quand il était en mission à travers le monde.

Mais l’intrépide   cafetier en voulait aussi à l’ambassadeur d’avoir accusé le Bundestag[2] et la presse locale d’être laxiste par rapport à l’antisémitisme qui sévit en Allemagne sous couvert d’antisionisme. L’on comprend sans peine l’honnête cafetier, qui avait bien raison de s’indigner de ce qu’un vil représentant de l’Etat juif se permette d’insinuer qu’il y aurait de l’antisémitisme dans le pays berceau du nazisme, dont la Croix Gammée ne fut en tout et pour tout l’emblème qu’une dizaine d’années.

Il s’agit donc d’une scène en Allemagne au cours de laquelle un Juif expulse un autre Juif de son café parce qu’il représente des millions de Juifs du pays dont il est lui-même citoyen.

Du point de vue légal il s’agit probablement d’une infraction relevant d’un refus de vente discriminatoire. Mais ce qui est bien plus important, c’est que cet incident a une portée scientifique non négligeable.  En effet, il y a un siècle, Albert Einstein, Juif allemand,  avançait  ceci: « Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine.  Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore la certitude absolue ».

Au moins une partie de cette proposition est-elle désormais démontrée grâce au brave cafetier berlinois.

[1] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/1690528600-l-ambassadeur-d-israel-en-allemagne-refoule-d-un-cafe-tenu-par-un-israelien-a-berlin

[2] Parlement allemand

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