Israël en l’absence d’une Constitution

La démocratie est un système de gouvernement et un cadre légal qui  s’adapte aux peuples de manière dynamique. La crise actuelle révèle à quel point  Israël n’est pas politiquement mûr de ce point de vue-là. La coalition au pouvoir n’a pu déposer son invraisemblable projet de réforme judiciaire que moyennant un néant constitutionnel.

Il faut d’urgence une base juridique de gouvernance afin d’exclure toute dérive totalitaire, qu’elle soit d’inspiration théologique ou idéologique.

Le hasard a voulu qu’en ce moment même il y ait une situation tendue en  France, avec des manifestations de grande ampleur. Bien que celles-ci semblent plus violentes qu’en Israël, les enjeux sont très différents.  En France il s’agit d’un mouvement social,  alors qu’en Israël nous assistons à un conflit civilisationnel entre une droite libérale, laïque, patriotique d’une part, et une droite obscurantiste, théocratique  et fascisante d’autre part.

La gauche quant à elle est pratiquement absente de l’échiquier politique, mais demeure influente dans la magistrature. Cela a pour effet que quand la Knesset légifère, la Cour Suprême dispose du droit d’annuler des lois si elle les juge déraisonnables, et peut le faire sans base juridique, logique ou constitutionnelle pour l’étayer. A sa seule discrétion, donc.

La Cour Suprême se comporte parfois comme une force politique à part entière mais dispose du pouvoir de retoquer des lois votées à la majorité par un parlement pourtant élu au suffrage universel. Cette anomalie existe depuis des décennies, mais la magistrature n’a jamais voulu céder la moindre parcelle de pouvoir malgré de nombreux appels à la réforme par une grande partie de l’opinion publique.

Cela a conduit l’extrême-droite et les partis ultra-orthodoxes du gouvernement actuel à soumettre à la Knesset une réforme judiciaire insensée, où les magistrats seraient désignés par le pouvoir en place et où la Cour Suprême n’aurait plus qu’un rôle consultatif.

Il est difficile de faire des prédictions, surtout quand il s’agit de l’avenir, comme disait l’autre. Mais ce qui pourrait arriver, du probable à l’improbable, pourrait être une marche arrière du gouvernement, sa chute suite à un désaccord interne, un compromis avec l’opposition, une paralysie des institutions, un coup d’Etat, ou une guerre civile.

Le problème est et demeure l’absence de Constitution,  bien que le pire ne soit jamais certain.

 

L’Etat d’Israël n’est pas né de la Shoah

L’historien Georges Bensoussan [1] démontrait lors d’une conférence récente à Tel-Aviv que l’idée reçue selon laquelle la compassion de l’Occident après la Shoah aurait facilité la création de l’Etat d’Israël, est une fiction.

Il rappelle qu’après soixante ans de sionisme, des bataillons entiers de jeunes allaient faire l’ossature du futur Etat juif, mais au lieu de cela sont partis en fumée dans les camps de la mort. Les mouvements sionistes en Europe de l’Est comptaient près d’un million de membres. Des dizaines de milliers de jeunes gens s’initiant à l’agriculture en vue de l’Alyah [2]furent empêchés de rallier la Palestine, et ensuite exterminés.

Pour l’historien Yehuda Bauer [3] également, le lien entre Shoah et l’Etat d’Israël est un mythe. Il avance la thèse que la Shoah a même manqué de peu d’empêcher la création de l’Etat. Il estime, tout comme Bensoussan, que la fable d’un Etat concédé aux Juifs en compensation de la Shoah est un non-sens. Il y avait en Europe de l’Est des millions de Juifs dont un tiers vivaient sous le seuil de pauvreté, qui auraient immigré en Palestine si les frontières n’avaient été verrouillées.

Après avoir vérifié les archives des échanges entre Etats qui s’apprêtaient à voter à l’ONU le partage de la Palestine, Bauer relève qu’il n’est jamais question de Shoah. Les plus fervents soutiens à l’ONU du Yishouv mettaient en évidence les réalisations des pionniers juifs en Palestine et leur droit à l’indépendance, mais jamais ils n’invoquaient la Shoah.

Pour comprendre l’absence de lien entre l’Etat d’Israël et la Shoah il est nécessaire de revoir la chronologie de l’épopée sioniste :

Suite au démantèlement de l’empire ottoman, la Palestine est placée sous Mandat britannique en 1923 par la Société des Nations, conformément à la résolution de la conférence de San Remo[4]. Ce Mandat a pour objectif la mise en place d’un foyer national juif tel que défini par la déclaration Balfour [5]de 1917.

En 1936 une révolte arabe exige l’abolition du Mandat britannique et la création d’un État pour mettre fin à l’immigration juive. Les notables de la révolte, dont le Grand Mufti de Jérusalem, pactisent avec Hitler et font alliance avec l’Allemagne nazie.

En 1937 une Commission d’enquête britannique présidée par Lord Peel [6] recommande que la Palestine soit partagée en deux Etats, l’un arabe et l’autre juif. Des modérés du Yishouv sont tentés d’accepter, mais du côté arabe personne n’ose se prononcer en faveur du projet. Quelque temps plus tard une nouvelle Commission venue de Londres y met fin.

En 1939, les Britanniques prévoient une autodétermination de la Palestine sous dix ans. Ils décident de limiter l’immigration des Juifs de manière drastique, ce qui les amènerait à être minoritaires dans un éventuel État arabe. Cette idée est rejetée par le Yishouv[7], qui la considère comme une violation de la déclaration Balfour. L’Irgoun[8] réagit en déclenchant une vague d’attentats antibritanniques, mais celle-ci est interrompue par le début de la Seconde Guerre mondiale.

En 1944 l’Irgoun reprend sa campagne d’attentats. En 1945 la Haganah[9] et le Palmah[10] ouvrent de leur côté une lutte armée contre l’administration et les soldats britanniques. Le ministre-résident anglais Lord Moyne est assassiné.

Les autorités britanniques lancent en juin 1946 l’opération « Agatha », également connue sous le nom de « Samedi Noir ». Les soldats et la police britannique procèdent à l’arrestation de milliers de Juifs et saisissent des armes. Le Lehi et l’Irgoun intensifient leurs attaques pour venger l’opération, et font sauter l’hôtel King David, centre de l’administration britannique à Jérusalem.

Les Britanniques sont démunis face à cette violence. Devant leur incapacité à concilier Arabes et Juifs, et confronté aux pertes militaires, le Ministre des Affaires Étrangères britannique Bevin annonce à l’ONU en février 1947 qu’il met fin au Mandat sur la Palestine et donne instruction à ses troupes de l’évacuer dans les meilleurs délais. Le Yishouv ayant réussi à chasser les Britanniques va choisir le moment opportun pour déclarer l’indépendance, qui n’est alors plus qu’une question tactique.

L’UNSCOP est une commission de l’ONU chargée en juillet 1947 d’étudier sur place les causes du conflit et de préparer un plan de partage de la Palestine. Au moment où ses membres sillonnent le pays, le Mossad [11] décide opportunément d’organiser une opération consistant à embarquer 4500 réfugiés sur un bateau baptisé « Exodus » à destination de la Palestine. Le but du Mossad consiste à faire impression sur L’UNSCOP.

Une fois arrivé dans les eaux territoriales, le bateau est arraisonné et les membres de L’UNSCOP assistent au pénible spectacle du transbordement des passagers à bout de forces à qui l’on refuse l’accès à la Terre Promise. Ils sont transférés à Chypre dans des conditions déplorables. Quelques mois plus tard ils reviendront en Palestine avec des visas en bonne et due forme.

En novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote un plan de partage de la Palestine visant à aboutir à la création d’un État juif et d’un État arabe après le départ des Britanniques. Les Juifs acceptent, mais les Arabes refusent. La première guerre israélo-arabe a commencé. Le 14 mai 1948, les derniers Britanniques quittent la Palestine et l’Etat Israël déclare son indépendance.

Près d’un an plus tard des armistices sont signés un à un à Rhodes avec les différentes parties, mais les lignes du cessez-le-feu ne sont définies qu’à des fins militaires et ne constituent de frontières permanentes pour aucun des belligérants.

Ce qu’il faut comprendre dans cette tragédie, c’est que le Mandat britannique n’avait jamais eu d’objectif autre que celui de gouverner la Palestine jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de le faire elle-même. Comme les institutions de l’Etat juif étaient en place quand les Britanniques ont plié bagage, Israël aurait proclamé son indépendance dans tous les cas de figure, avec ou sans l’aval de l’ONU, avec ou sans l’aval des Arabes.

L’Etat d’Israël n’est donc pas la conséquence de la Shoah. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que le fait qu’une nouvelle Shoah soit devenue impensable est lié à la naissance l’Etat d’Israël.

[1] Historien français spécialiste d’histoire culturelle de l’Europe des 19ème et 20ème siècle et en particulier, des mondes juifs occidentaux et orientaux.

Résilience et judéité

Les Juifs de la Diaspora sont des citoyens à part entière, du moins dans le monde libre. Ils perpétuent leurs rites ou leurs traditions dans la sphère privée comme le font les adeptes d’autres spiritualités. Mais cette situation ne date que depuis l‘Emancipation des Juifs, qui dans la foulée de la Révolution Française s’est étendue à tous les Juifs du monde occidental.

Avant l‘Emancipation, les Juifs n’ont jamais fait partie intégrante des peuples au sein desquels ils vivaient. Ils étaient au contraire un peuple dans le peuple, un corps étranger plus ou moins bien toléré selon les régimes et les époques.

Hannah Arendt[1] relève dans « Eichmann à Jérusalem[2] » qu’au vingtième  siècle encore « les Juifs d’Europe de l’Est étaient considérés comme un peuple distinct par leurs amis comme par leurs ennemis…   Je ne crois pas pour ma part m’être jamais considérée comme allemande – au sens d’appartenance à un peuple et non d’appartenance à un État, si je puis me permettre cette distinction[3] ».

Vers la fin de la seconde guerre mondiale cette intellectuelle de nationalité et de culture allemande ajoute qu’elle espère qu’émergera une Europe unie dans laquelle « les Juifs seraient reconnus en tant que nation européenne et représentés au Parlement[4]».

Les Juifs en exil ont de tous temps été un peuple dans le peuple partout où ils étaient établis. C’est ainsi qu’à Babylone la communauté juive eut pendant mille ans ses propres tribunaux, sa police, ses corporations, ses régions, ses académies, et même un souverain  avec pour titre officiel « Exilarque[5] ».

Dans la majeure partie du monde les Juifs étaient gouvernés par des institutions autonomes reconnues par le pouvoir local. Les décisions des tribunaux rabbiniques fonctionnaient sur base du droit talmudique[6] et avaient force de loi. Ils pouvaient même dans certains cas prononcer la peine de mort[7]. Des Juifs vivant en dehors de ce cadre étaient rarissimes et  finissaient le plus souvent par se convertir au christianisme ou à l’Islam. Quand au 17ème siècle Spinoza[8] est excommunié par les rabbins d’Amsterdam, il n’a pas vers qui se tourner. C’est pour cette raison qu’il est souvent considéré comme le premier Juif laïque.

Des théoriciens du sionisme des origines comme Ahad Ha’am[9] ou Bialik[10] avaient conscience du fait que l’Emancipation avait été une arme à double tranchant. Passer du statut de peuple dans le peuple à celui de citoyens à part entière risquait d’entraîner une extinction de la judéité par le l’assimilation.

Un peuple est une fiction à partir d’une conscience collective se référant à une continuité historique. Le sionisme est donc avant tout un mouvement de libération nationale de Juifs revendiquant un Etat au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Contrairement à une idée reçue, la résilience de la judéité en Diaspora est due à la persistance de l’appartenance à un peuple, et non pas à une religion.

A cela on oppose parfois que c’est la religion qui a permis de maintenir l’identité juive en Exil, mais cette manière de voir consiste à interpréter le passé à l’aune du présent. Aujourd’hui de nombreux Juifs sont non-pratiquants, voire athées, mais revendiquent leur appartenance au peuple juif, dont près de la moitié vit en Israël.

Israël n’est pas une théocratie, conformément au souhait de  Theodor Herzl[11] qui dans « l’Etat Juif[12] »  écrit  « nous ne laisserons pas prendre racine les velléités théocratiques de nos rabbins. Nous saurons les maintenir dans leurs synagogues de même que nous maintiendrons nos militaires dans leurs casernes. L’armée et le clergé doivent être honorés comme l’exige et le mérite leur fonction. L’État les respectera, mais ils n’auront rien à dire. »

La  Diaspora juive est en voie de disparition. Partout où la judéité n’est plus qu’une religion son déclin est inéluctable.  Les mouvances ultra-orthodoxes persisteront dans des enclaves aux Etats Unis ou ailleurs, mais c’est précisément parce quelles ne sont pas assimilables. Mais en dehors de cela, la résilience juive n’est plus pensable ailleurs qu’en Israël, l’Etat du peuple juif.

[1] Politologue, philosophe et journaliste juive allemande décédée en 1975.

[2] « Eichmann à Jérusalem », Viking Press, 1963, chapitre « Les déportations des Balkans »

[3] Idem

[4] Compilation des écrits de Hannah Arendt sur la judéité. Editions Fayard 2011.

[5] Le « Chef de l’exil » était le représentant du judaïsme babylonien reconnu par l’État et s’accompagnait de privilèges et prérogatives.

[6] המשפט העברי, מנחם אלון,1973 הוצעת מגנס

[7] Idem

[8] Philosophe rationaliste d’origine séfarade portugaise mort en 1677.

[9] Penseur nationaliste juif et leader des Amants de Sion. L’un des pères de la littérature hébraïque moderne.

[10] Poète, essayiste et journaliste en langue hébraïque d’origine ukrainienne. Mort en Palestine en 1934.

[11] Journaliste et écrivain juif austro-hongrois, mort en 1904. Fondateur du mouvement sioniste.

[12] Ouvrage de référence du sionisme publié par Theodor Herzl en 1896.

Mahmoud Abbas le récidiviste

Il y a quelques semaines à peine Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne, se demandait si « au bout de 74 ans depuis la Nakba et l’occupation, le temps n’est pas venu de mettre un terme à l’occupation pour que le peuple palestinien soit libre et indépendant  ». En d’autres mots qu’il n’y a pas de place pour un Etat juif dans la Palestine historique. Certains ont vu un lapsus dans cette référence à 1948, année de la naissance de l’Etat d’Israël, mais considérant les antécédents d’Abbas il ne fait pas de doute qu’il exprimait là le fond de sa pensée, volontairement ou pas.

Il faut savoir qu’Abbas est titulaire d’un doctorat sous forme de thèse négationniste. D’après lui la Shoah est une mystification dont les Juifs se sont servis pour s’emparer de la Palestine. Depuis lors Abbas n’a eu de cesse que de contester non seulement la légitimité d’Israël, mais aussi celle du peuple juif lui-même par ses déclarations antisémites à répétition.

La semaine dernière ce récidiviste a été reçu à Berlin par le chancelier Olaf Scholz. Abbas n’a pas voulu exprimer de regrets concernant l’assassinat de 11 athlètes israélien à Munich en 1972 par le Fatah, organisation  aujourd’hui sous sa direction. Il a minimisé ce massacre en disant que ce n’est pas grand-chose en comparaison des 50 Shoah perpétrées par les Juifs depuis 74 ans.

Basé sur cette révélation en forme de scoop il appert donc que 300 millions de Palestiniens auraient été exterminés par les Juifs. Mais il y a là une impasse logique: étant donné que le docteur Abbas estime lui-même que la Shoah juive  n’a jamais eu lieu alors ça fait combien 50 Shoah palestiniennes multipliées par zéro ?

Encore un gouvernement de désunion nationale ?

Le gouvernement de Naftali Bennett a vécu. La question maintenant est d’essayer  de comprendre les raisons de cet échec, et d’en tirer les conséquences en vue des prochaines élections. Il y a à ce propos trois courants de pensée : ceux qui savaient dès le début que ce gouvernement ne serait pas viable, ceux qui ne voulaient pas le savoir, et ceux qui aujourd’hui encore ne veulent toujours pas le savoir.

Pour mémoire, lors de la dernière campagne électorale en date, Bennet avait annoncé quelles lignes rouges il s’interdirait de franchir lorsque viendrait le moment de former un gouvernement: Il s’engageait à ne jamais soutenir Yaïr Lapid[1] comme premier ministre, s’opposait à une coalition qui comprendrait les gauchistes de Meretz[2], et excluait toute coopération avec les Arabes de Ra’am[3].

Après les élections, Bennett a formé un gouvernement en violation de toutes ses lignes rouges. Il s’en est expliqué en arguant que cela avait été le prix à payer pour mettre fin aux élections à répétition, et de disposer ainsi d’un gouvernement stable. Cette coalition s’est d’ailleurs autoproclamée « d’union nationale », alors qu’en réalité une telle  coalition ne s’impose que dans des situations extrêmes, quand il y a menace existentielle, comme par exemple lors de la « Guerre des Six-Jours » en 1967.

L’opposition à Netanyahu est légitime, mais former une coalition hétéroclite avec pour seul point commun de considérer que Netanyahu constitue une « menace existentielle », est extravagant et relève du délire. C’est tellement vrai qu’à peine intronisés, des membres du gouvernement Bennett se sont mis à menacer de le faire tomber s’ils n’obtenaient pas satisfaction sur des points mineurs. C’est d’ailleurs ce qui a fini par arriver, ce qui démontre que  les propres piliers du gouvernement ne prenaient pas au sérieux l’épouvantail donquichottesque de la « menace existentielle ».

On a beaucoup reproché à Netanyahu de ne pas se retirer et permettre ainsi à une force nouvelle d’émerger pour mettre fin à la crise de régime. Mais cet argument est à double tranchant : si l’on estime qu’il suffirait que Netanyahu s’éclipse pour régler le problème, on peut aussi penser que si le veto contre lui était levé le problème serait réglé encore plus vite. Bien que le bloc qui soutient Netanyahu ne suffise pas pour dégager une majorité parlementaire, au moins dispose-t-il d’un soutien plus important que n’importe lequel des leaders qui lui sont hostiles. C’est d’autant plus flagrant que l’électorat de droite est majoritaire dans le pays, et qu’il ne serait que démocratique que ce soit ce courant-là qui détienne le pouvoir.

On en arrive au paradoxe qu’un intellectuel de gauche comme Gideon Levy, journaliste emblématique du quotidien « Haaretz », post-sioniste notoire, en vient à considérer que l’opposition contre Netanyahu est une pathologie.  Voici l’essentiel de ce qu’il en dit lors d’un entretien avec Moshe Feiglin [4]: « Netanyahu est une personnalité impressionnante et talentueuse qui a de nombreuses réalisations à son actif. La rage de ses opposants à vouloir l’écarter à tout prix est insupportable. Je ne peux m’associer à cette campagne haineuse et irrationnelle. J’attends de ses adversaires qu’ils proposent quelque chose et quelqu’un, mais je ne vois rien ni personne arriver. Face à cet vide abyssal, et bien que je ne sois pas de son bord, j’en viens à conclure que je préfère Netanyahu. »

Qui dit mieux, à gauche ?

 

 


[1] Président et fondateur de Yesh Atid parti centriste.

[2] Meretz est un parti de gauche, membre de l’Internationale socialiste.

[3] Ra’am est un parti politique arabe proche des « Frères Musulmans ».

[4] Homme politique de droite, partisan de la séparation entre la religion et l’Etat, libéral au plan économique.

Yuval Dayan ou la duplicité en chantant

Lors de la visite récente du Président des Etats-Unis en Israël, la chanteuse Yuval Dayan  a chanté en son honneur au cours d’une cérémonie officielle. Le Président a été ému par sa performance, et a voulu lui serrer la main. Elle est restée les bras croisés, et a ostensiblement refusé la main tendue sous prétexte que sa religion lui interdisait tout contact avec des hommes. Joe Biden, d’un naturel accommodant, ne s’en est pas formalisé. Il n’en reste pas moins que duplicité de Dayan et son manque de savoir-vivre a déclenché une vive polémique.

La foi de Dayan semble être à géométrie variable. Il faut savoir que le judaïsme orthodoxe interdit non seulement aux femmes de serrer la main des hommes, mais aussi de chanter devant eux. Maïmonide, autorité majeure de la Loi juive, était hostile à la musique en général, excepté dans le cadre strict de la religion. Quant à Ovadia Yosef, grand-rabbin d’Israël et décisionnaire de premier plan, il interdisait aux femmes de chanter à la radio, à la télévision, et de se faire enregistrer.

Pourtant la députée Tzipi Hotovely, juive orthodoxe elle aussi, déclarait quand elle était Ministre qu’elle serrait la main des hommes parce que la Loi juive commande d’être courtois avec des dignitaires étrangers. Mais peut-être Dayan a-t-elle créé une nouvelle secte, dont la pratique consiste à vouloir le beurre et l’argent du beurre.

Annie Ernaux et la bête immonde

Annie Ernaux est une écrivaine française de talent, dont l’œuvre est essentiellement autobiographique. Elle vient d’un milieu modeste, où ses parents étaient exploitants d’un café-épicerie après avoir été ouvriers. A force de travail et de persévérance Ernaux arrive à s’extraire de son milieu et devient agrégée de lettres. Elle gardera toute sa vie un sentiment de culpabilité par rapport à la classe sociale dont elle est issue, mais , dont elle s’est éloignée par la force des choses.

Ernaux est lauréate de nombreux prix littéraires, dont le Renaudot en 1984 pour son ouvrage « La Place ». Elle figure parmi les grands écrivains français de notre temps. Elle est récemment passée à la télévision sur France 5, où elle était le principal centre d’intérêt. Indépendamment de sa belle plume, on a pu découvrir la dérive morale et intellectuelle de cette  femme de lettres par ailleurs brillante. Ernaux est néoféministe, raciste, indigéniste, communiste, antisémite, décoloniale, neoécologique, propalestinienne, ennemie d’Israël et militante de la France Insoumise depuis 10 ans. Elle est une inconditionnelle Jean-Luc Mélenchon, leader de ce parti islamogauchiste, qui adore lui aussi fréquenter les antisémites de son parti ou d’ailleurs.

Ernaux a cosigné dans le quotidien « Le Monde » une tribune de soutien à Houria Bouteldja, antisémite notoire, et appelé au boycott d’une manifestation culturelle franco – Israélienne.   Son amie Bouteldja juge que Miss Provence était indigne de participer à Miss France, parce qu’elle avait un père israélo-italien.  Elle trouve d’ailleurs d’une manière générale qu’on « ne peut pas être Israélien innocemment » et suggère d’envoyer tous les sionistes au Goulag.  C’est cette scélérate proche des pires ennemis de Juifs que soutient Annie Ernaux, qui n’a même pas l’excuse de l’ignorance.

Pie XII, disciple de Ponce Pilate

Nina Valbousquet est docteure en histoire et professeure à l’École française de Rome[1]. Elle fait de la recherche concernant le pontificat de Pie XII depuis que le Vatican a ouvert les archives le concernant.  Après avoir compilé des milliers de documents de cette époque, elle conclut qu’« il n’existe aucune preuve solide d’un supposé ordre, ou même encouragement direct de Pie XII protégeant les Juifs contre les persécutions nazies ; il y eut plutôt une sorte de laisser-faire. On ne peut pas attribuer au pape ce que d’autres catholiques ont eu le courage de faire sur le terrain[2] ».

Il ne fait pas de doute que d’une part l’Eglise a sauvé des Juifs, mais que d’autre part le silence de Pie XII était cohérent du point de vue théologique. Il ne s’agissait bien entendu pas pour lui de souscrire aux crimes nazis, mais bien de se taire concernant une Shoah qui lui semblait relever de la volonté divine. Tout comme Ponce Pilate, Pie XII se lavait les mains du sang juif versé par autrui. Revendiquer Urbi et Orbi la légitimité de l’existence  du peuple juif aurait résonné dans le monde chrétien comme un renoncement à la  « théologie de la substitution », fondement même du christianisme.

La « théologie de la substitution »  postule que le peuple d’Israël, autrefois élu par Dieu, est maudit depuis son rejet du Christ. Le judaïsme est obsolète, et n’est plus que la préfiguration de « l’Église triomphante, qui se substitue à Israël et devient le « verus Israel », le nouveau  peuple élu ».

Deux Pères de l’Eglise, Saint Augustin et Saint Chrysostome, considéraient  dès le quatrième siècle que les Juifs étaient les « assassins du Christ », en vertu de quoi ils avaient théorisé la doctrine du « peuple déicide ».  Celle-ci ne fut abandonnée que 1600 ans plus tard, lors de Vatican II en 1965. L’accusation de déicide était donc valide lors du pontificat de Pie XII, et l’est d’ailleurs restée dans l’Église grecque-orthodoxe, dans de nombreuses  mouvances protestantes, et chez les catholiques traditionalistes.

Saint Augustin explique que « les Juifs ont cherché à perdre l’âme du Christ, soit comme chef, puisqu’ils l’ont crucifié, soit comme corps, en persécutant après la mort du Sauveur ses premiers disciples. [3]»  Mais, paradoxalement, il défend la pérennité du peuple juif parce que leur rabaissement, la destruction de leur temple et leur dispersion constitue la preuve vivante du châtiment divin. Le christianisme ne peut donc tolérer la survivance de peuple juif que comme témoin souillé pour l’éternité par son rejet du Christ.

Saint Chrysostome  pour sa part décrit la synagogue comme « un endroit pire qu’un lupanar ou qu’un débit de boisson ; c’est un repaire de fripouilles, de bêtes sauvages, un temple de démons, le refuge de brigands, de débauchés, et la caverne des diables. La synagogue est  une assemblée criminelle d’assassins du Christ. Les démons résident dans la synagogue et dans l’âme des juifs,  qui sont juste bons à être massacrés[4] ».

Mille ans plus tard, Martin Luther, l’un des fondateurs du protestantisme, écrit dans son traité « Des Juifs et de leurs mensonges » que  « les synagogues des Juifs et leurs écoles doivent être brûlées, leurs livres de prières détruits, leurs rabbins interdits d’officier, leurs maisons rasées et leurs biens et argents confisqués. On ne peut montrer à leur égard aucune pitié ni aucune bonté, ni leur procurer de protection légale. Ces vers venimeux et vénéneux doivent être punis de travaux forcés ou expulsés une bonne fois pour toutes. Nous sommes fautifs de ne pas les tuer ».

Monseigneur Lefebvre, archevêque et figure charismatique du catholicisme traditionaliste, exige de Vatican II en 1965 le maintien de la doctrine de l’Eglise concernant « la responsabilité collective des juifs dans la mort du Christ, et de la  réprobation et malédiction de la religion judaïque »

En 2005, Yad Vashem fait figurer dans son musée la photo de Pie XII comme personnalité emblématique de « ceux dont on devrait avoir honte pour ce qu’ils ont fait aux Juifs ».

Denis Charbit, professeur de sciences politiques israélien, évoque dans « Histoire Universelle des Juifs »[5] le silence de Pie XII et de ceux qui comme lui « voyaient dans la Shoah la confirmation de la doctrine augustinienne réservant souffrance et déchéance au peuple qui avait renié Jésus, et qui méritait donc d’expier le sang versé de celui qu’il avait crucifié. »

L’idée, assez répandue il est vrai, que c’est la pièce de théâtre « Le Vicaire » de Rolf Hochhuth qui serait à l’origine de la controverse en 1963 concernant le silence de Pie XII, est un mythe. En réalité de nombreux catholiques avaient été troublés par le silence du Pape dès la fin de la guerre.

Paul Claudel, grand catholique mais antisémite repenti, écrit en décembre 1945 que « rien n’empêche plus la voix du pape de se faire entendre. Les horreurs sans nom et sans précédent dans l’Histoire commises par l’Allemagne nazie [contre les Juifs] auraient mérité une protestation solennelle du vicaire du Christ. Nous avons eu beau prêter l’oreille, nous n’avons entendu que de faibles et vagues gémissements. Le sang versé dans l’affreux silence du Vatican étouffe les chrétiens. [6]»

En 1946, Jacques Maritain, philosophe et ambassadeur de France près le Saint-Siège adjure Pie XII de « condamner explicitement l’antisémitisme, puisque désormais l’Église n’a pas à avoir peur des représailles nazies. Ses initiatives furent vaines.[7]» Silence à nouveau de Pie XII, donc, même un an après la Shoah.

En 1965 Vatican II remplace la « théologie de substitution », qui avait prévalu jusque là, par la doctrine des « deux alliances en vertu de laquelle Dieu n’aurait  jamais rompu son alliance avec le peuple d’Israël.  Il n’y a donc plus lieu de chercher à convertir les Juifs. La doctrine des deux alliances implique que la Bible, juive ou chrétienne, offre deux voies d’accès au salut »[8]. Mais, comme le souligne Henri Tincq, journaliste spécialiste de l’Etat du Vatican, « aussi stupéfiant que cela puisse paraître quarante ans après la guerre, Vatican II n’a toujours  pas dit un mot sur la Shoah et ses victimes[9]

Ce nouveau silence du Vatican n’avait probablement d’autre fonction que de ne rien faire qui pourrait compromettre l’éventuelle canonisation de  Pie XII, père fondateur du négationnisme.

[1] Institut de recherche en histoire, en archéologie et en sciences humaines et sociales dépendant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

[2] Entretien avec Nina Valbousquet, mensuel « Historia » juin 2021.

[3] Commentaire du psaume 63

[4] Jean Chrysostome, Adversus Judaeos, 1, 6.

[5] Ouvrage collectif publié sous la direction de l’historien et diplomate Elie Barnavi.

[6] « Le long péché par omission de Pie XII », Patrick Kéchichian, « Le Monde » décembre 2009.

[7] Entretien avec Nina Valbousquet, mensuel « Historia » juin 2021.

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ologie_des_deux_alliances

[9] https://www.lemonde.fr/idees/article/2005/11/01/entre-juifs-et-catholiques-une-paix-toujours-menacee-par-henri-tincq_705347_3232.html

 

« Leibowitz or God’s absence ».

J’ai le plaisir de vous annoncer la parution aux Etats-Unis de mon essai « Leibowitz ou l’absence de Dieu ». C’est la maison d’édition universitaire américaine « Academic Studies Press » basée à Boston qui publie la version anglaise, intitulée « Leibowitz or God’s absence ».  Celle-ci est disponible chez la plupart des grands réseaux de distribution, dont Amazon.

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