Sarah Halimi ou la justice postmoderne

Sarah Halimi est une femme juive de soixante-cinq ans décédée en avril 2017 après avoir été rouée de coups et défenestrée. L’assassin est son voisin Kobili Traoré, jeune Africain multi récidiviste 20 fois condamné pour violence aggravée ou autres méfaits, mais jamais considéré comme irresponsable.

La cour d’appel de Paris a néanmoins conclu à l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré. Il ne sera donc pas jugé et devrait sous peu être libéré de son internement en milieu psychiatrique, étant donné qu’il ne souffre de troubles mentaux que lorsqu’il est saisi de pulsions le poussant à casser du juif au nom de l’Islam.

Comment cela est-il possible ? 

La nouvelle épidémie qui sévit dans une certaine intelligentsia, une certaine presse et une certaine magistrature s’appelle la pensée postmoderne. C’est ainsi que cette vision du monde fait l’impasse sur la notion de libre arbitre. L’essence de l’individu au sens postmoderne n’est que le reflet de sa communauté, de sa culture et de son histoire. Il n’y a donc pas d’individus dans la postmodernité: il n’y a que des identités.  Le pluralisme s’est transformé en principe d’égalité à tous crins, ce qui a pour conséquence que l’égalité « est devenue folle », comme dit Finkielkraut.

La décision de la cour d’appel de Paris revient à considérer Kobili Traoré comme un avatar de son identité.  Il ne serait pas plus coupable d’être un assassin drogué antisémite et islamiste que Sarah Halimi n’est coupable d’être une paisible femme médecin juive.  Il semble donc que pour certaines juridictions il est tout compte fait devenu moins important de rendre la justice que de rendre l’égalité.

Antisionisme = Antisémitisme n’est plus une question (suite)

Robert Badinter, ancien Ministre de la Justice: « On a désormais affaire à de l’antisionisme, devenu antisémitisme, nourri par l’islamisme radical.
Emmanuel Macron, Président de la République: « l’antisionisme est l’antisémitisme réinventé »
Manuel Valls, Premier Ministre : « l’antisionisme est synonyme de l’antisémitisme »

Il y a de récents ouvrages consacrés à la mutation de l’antisémitisme en antisionisme, dont « La Judéophobie des Modernes » de Pierre-André Taguieff et « La France soumise » de Georges Bensoussan. Il en ressort que l’antisionisme a repris les clichés antisémites traditionnels les plus basiques comme quoi les Juifs dominent la politique, la finance, la presse, l’industrie, et même le Prix Nobel. Ces discours sont loin de viser uniquement Israël mais font au contraire un amalgame entre Juifs où qu’ils soient, quelle que soit leur nationalité et quelles que soient leurs orientations politiques. Les slogans et les caricatures antisionistes sont des copies conformes de la propagande nazie des années 1930. Alors qu’il pouvait encore subsister un doute il y a quelque temps, quiconque refuse de prendre acte de cette évolution aujourd’hui est de mauvaise foi. Les « Indigènes de la République » en France et le Parti Socialiste anglais sont des exemples parmi d’autres qui ne peuvent laisser subsister aucun doute sur la duplicité d’un discours dont les éléments fondamentaux sont antisémites sous couvert d’antisionisme.

Le Sionisme en tant que tel n’a aucune couleur politique quelle qu’elle soit. Il s’agit du Mouvement de Libération du Peuple Juif où toutes les tendances s’expriment librement depuis le premier Congrès Sioniste jusqu’à ce jour.

Voici ce que dit Yeshayahu Leibowitz du Sionisme : « Il y a beaucoup d’hétérogénéité entre les courants sionistes, mais il y a un dénominateur commun qui permet de le définir : il s’agit de l’aspiration du peuple juif à la souveraineté nationale en Israël. »

Nul n’a le droit moral, et maintenant nul n’a le droit légal (aux Etats Unis), de s’y opposer. On peut prendre acte du fait qu’avant l’admission d’Israël comme Etat souverain à l’ONU il ait pu y avoir des résistances. Mais depuis 1948 être antisioniste n’a qu’une seule signification, à savoir l’opposition au droit à l’autodétermination du peuple juif. Il ne s’agit donc pas d’exiger des Palestiniens de se déclarer sioniste, mais d’exiger qu’ils renoncent à l’antisionisme parce que ce c’est un délit quel que soit l’angle d’où on l’examine. Cela ne contredit par ailleurs en rien le droit de critiquer la politique du gouvernement israélien, et ceux qui confondent encore cela avec l’antisionisme n’ont qu’à mettre à jour leur vocabulaire en prenant connaissance de la décision américaine en la matière.

Antisionisme = Antisémitisme n’est plus une question

En novembre 2011 j’écrivais dans un article « qu’exprimer son opposition à Israël en se disant antisioniste est une dérive sémantique aux graves implications parce que l’antisionisme est une transgression au même titre que l’antisémitisme, et devrait donc être proscrit

Etre antisioniste c’est contester le droit du peuple juif à disposer de lui-même. C’est nier les implications de dispositions relevant Droit International telles que la Déclaration Balfour, la Conférence de San Remo, la Commission Peel et les Résolution 181 et 242 de l’ONU.

Etre antisioniste ce n’est pas critiquer tel ou tel aspect de la politique israélienne, mais dénier à Israël le droit d’exister. C’est s’associer à la dictature iranienne et à ses filiales terroristes installés aux frontières d’Israël qui appellent à sa destruction ».

L’Administration américaine vient de prendre une décision qui pourrait avoir des implications géopolitiques importantes, mais aussi des répercussions sans précédent dans la conscience collective juive. Cette décision  met en évidence le fait que le judaïsme est à l’origine non seulement d’une religion, mais aussi d’un peuple dont l’Etat d’Israël est le foyer naturel.

Le Ministère de l’Education américain stipule que « le judaïsme n’est désormais plus seulement considéré comme religion, mais également comme origine ethnique ». S’en prendre à Israël par le détour de l’antisionisme est donc devenu aux Etats-Unis synonyme d’antisémitisme, et tombe désormais sous le coup de la loi.

L’Organisation Sioniste Mondiale a été avisée par le Ministère de l’Education américain que celui-ci « considérera comme antisémite toute tentative de dénier au peuple juif le droit à l’autodétermination, qui prétendra que l’existence de l’Etat d’Israël est une forme de racisme ou qui emploiera des doubles standards entre Israël et d’autres pays démocratiques. »

Cela fait longtemps qu’il est clair que l’antisionisme est synonyme d’antisémitisme.  Manuel Valls l’a constaté en qualité de Premier Ministre, ainsi que le Président en exercice Emmanuel Macron.  Cependant l’Etat français n’en a pas tiré les conséquences pratiques. L’antisémitisme étant un délit il serait pourtant logique que l’antisionisme soit également sanctionné comme tel.

Il y avait un vide juridique qui permettait à des organisations comme BDS ou des antisémites comme Dieudonné de déverser leur délire raciste en toute impunité sous prétexte qu’ils « ne s’attaquent qu’au sionisme ». On ne peut que souhaiter que toutes les démocraties suivent l’exemple des Etats-Unis et corrigent cette anomalie.

 

Christianisme et judaïsme selon Yeshayahu Leibowitz

Ci-dessous une réflexion inspiré d’un texte [1] de Yeshayahu Leibowitz[2] traitant des rapports entre christianisme et judaïsme.

Il est notoire que le Pape Pie XII observa durant la Seconde Guerre mondiale un silence assourdissant face aux persécutions des Juifs alors qu’il est établi que le Vatican ne pouvait ignorer ce qui se passait. La question est de savoir pourquoi l’Evêque de Rome n’a pas dénoncé ces crimes à la face du monde.

La réponse est que c’était sa foi qui le guidait. En tant que représentant de Dieu sur terre, il ne pouvait en son âme et conscience que laisser faire les Nazis. La Shoah lui semblait une mise en œuvre  de ce qui était contenu dans l’essence même du christianisme dès les origines. Il ne s’agit cependant pas de l’accuser d’indifférence ni de supposer qu’il ne compatissait pas au sort d’être humains  menés à l’abattoir.  Mais ce grand chrétien voyait dans la Shoah le début de la fin du judaïsme, or c’était cela qui était prioritaire pour lui.  Sa conviction profonde, tout comme celle de tout chrétien véritable, était que le judaïsme était une entrave à la christianisation – et donc au Salut – du monde entier.

Le rapport du christianisme avec le judaïsme est différent de qu’il est avec d’autres  religions parce qu’étant donné que le christianisme adopte la Thora, il prétend être le vrai judaïsme. Mais le christianisme étant historiquement ultérieur au judaïsme c’est un peu l’image du fils qui dépouille son père de son vivant, mais qui continue néanmoins à craindre pour son héritage aussi longtemps que son père n’est pas mort.

C’est ainsi qu’un judaïsme non-chrétien est illégitime du point de vue de l’Eglise, et le fait qu’il persiste malgré tout ne peut être considéré que comme une outrage au divin. L’Eglise ne peut s’y résigner qu’à condition que les Juifs soient humiliés jusqu’à leur disparition, ce qui est une manière de démontrer en attendant que leurs souffrances sont liées à leur mécréance.

Il est vrai que dans un premier temps l’Eglise ne souhaitait pas la liquidation des Juifs, mais bien celle du judaïsme. La conversion de chaque Juif était d’ailleurs précieuse pour les chrétiens parce que cela démontrait dans leur esprit la continuité entre judaïsme et christianisme. Mais comme au bout de  multiples de générations il s’est avéré impossible de convertir le peuple juif en  entier il ne restait plus qu’à s’en défaire.

Mais l’Eglise s’est retrouvée devant un dilemme entre son désir d’annihilation des Juifs et le problème éthique consistant à le décréter de manière explicite. L’apparition d’Hitler fut donc une aubaine pour une grande partie du monde chrétien parce que la besogne allait être exécutée par autrui. C’est ainsi que le pape ne pouvait pas voir dans l’avènement d’Hitler autre chose que la main de Dieu. Le Pape Eugenio Pacelli en tant qu’aristocrate italien n’avait par ailleurs aucune sympathie pour Hitler, et méprisait les Nazis qu’il considérait comme des brutes incultes. Cependant il estimait qu’il ne pouvait s’opposer à la Providence qui les avait fait accéder au pouvoir afin d’éradiquer le judaïsme. Il pensait que du point de vue théologique il n’avait pas le droit d’empêcher, ou même de ralentir, une « Solution Finale » qu’il percevait comme reflétant la volonté divine, dont les Nazis n’étaient finalement que le bras séculier.

Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas le mythe du déicide qui est à l’origine  de l’antisémitisme chrétien. Le déicide peut être réinterprété par les Chrétiens eux-mêmes en fonction de l’air du temps, et le fait est qu’il n’est plus devenu politiquement correct  dans le monde d’après-Shoah d’accuser les Juifs d’avoir tué Dieu.  La décision du concile  Vatican II de mettre une sourdine à l’accusation de déicide fut un geste de bonne volonté, mais n’a rien changé à la répulsion endémique du chrétien fervent à l’égard des Juifs. La persistance du judaïsme est perçue par lui comme un déni de la foi chrétienne, ce pourquoi sa conscience ne s’opposerait peut-être pas à une nouvelle « Solution finale » le cas échéant.

Pour Karl Barth, universitaire suisse considéré comme un des théologiens majeurs du XXe siècle , « le judaïsme est une plaie ouverte dans le corps de Jésus. Il est inadmissible qu’après Jésus il y ait une quelconque légitimité à un judaïsme qui ne serait pas chrétien. Il faut absolument empêcher cela. La synagogue c’est la maison de Satan » . Par ailleurs la détestation des Juifs persiste chez les élites et dans les milieux intellectuels athées, qui bien qu’ayant renoncé au christianisme n’en demeurent pas moins imprégnés de ses valeurs. S’il est vrai qu’ils sont parvenus à refouler leur antisémitisme ils continuent de ressentir par rapport aux Juifs une étrangeté ontologique à nulle autre comparable. C’était déjà le cas à l’époque des Lumières, quand Voltaire, Kant, Goethe ou Hegel pensaient que les Juifs n’avaient pas de place dans le monde des droits de l’homme qui s’annonçait.

L’indifférence du monde libre par rapport à la Shoah lors de la Deuxième Guerre Mondiale est inexplicable sinon par l’existence d’un inconscient collectif chrétien qui tend à accepter l’idée que l’humanisme des Lumières ne s’applique pas aux Juifs comme aux autres êtres humains, et que s’il ne fallait retenir qu’une seule chose du christianisme, même après l’avoir abandonné, c’était le bien-fondé de l’exclusion des Juifs de la communauté des hommes.

En conclusion, la coexistence entre spiritualité juive et spiritualité chrétienne est inconcevable si l’on tient à être intellectuellement honnête. Un tel échange n’est envisageable qu’entre Juifs déjudaïsés ayant renié leur foi et Chrétiens déchristianisés ayant renié leur Messie.

[1] « La faute de Hochhuth » Leibowitz y la critique de la position de l’auteur de la pièce « Le Vicaire », qui condamnait le silence du pape PI XII lors de la Shoah.

[2] Décédé en 1994.  Professeur de biochimie, philosophie, neuropsychologie, chimie organique et neurologie. Érudit de la pensée juive, il fut pendant vingt ans rédacteur en chef de la première encyclopédie universelle en langue hébraïque.

Des antisémites à la Marche Blanche ?

Jean-Luc Mélenchon a été accusé d’antisémitisme il y a quelques années suite à des propos concernant Pierre Moscovici, alors Ministre juif de l’Economie ou Juif Ministre de l’Economie, on ne sait plus très bien. Par ailleurs Mélenchon vouait une admiration béate à l’antisémite Hugo Chavez, Président du Venezuela décédé depuis.

Clémentine Autain, Danièle Obono, Muriel Ressiguier et Michel Larive, tous députés du mouvement « La France Insoumise »  de Mélenchon, ont récemment témoigné de leur soutien à l’assassin Marouane Barghouti, terroriste emprisonné pour avoir commis plusieurs meurtres de Juifs du seul fait qu’ils étaient juifs.

Quant au « Front National » c’est un parti d’extrême-droite au lourd passé raciste qui a certes évolué dans son discours, mais peut-être pas assez pour mériter sa place dans une manifestation contre l’antisémitisme. C’est d’ailleurs pour cette raison que Marine Le Pen n’est pas la bienvenue en Israël.

Francis Kalifat, le Président du CRIF, a appelé à une « Marche Blanche » contre l’antisémitisme. Il a cependant précisé que ni la « France Insoumise » ni le « Front National » n’étaient les bienvenus compte tenu de la surreprésentation d’antisémites dans leurs rangs.

On ne peut dénier à Kalifat le droit moral de stigmatiser ces organisations. Si pas maintenant, quand ? Au nom de quoi faire l’impasse, justement à cette occasion, des penchants  antisémites de l’extrême droite comme de l’extrême-gauche ?

Kalifat a aussi dit que la rue n’appartenait à personne, n’a pas appelé à la violence et n’a pas exigé d’interdire à qui que ce soit de se joindre à la manifestation.  Tout ce qu’il a dit était que « La France Insoumise » et le « Front National » n’étaient pas les bienvenus. C’est son sentiment, or c’est ce qui s’appelle exercer sa liberté d’expression.

A ceux qui estiment que cette marche devait être ouverte à tout le monde, qu’auraient-ils pensé si « Les Indigènes de la République » ou les « Frères Musulmans » avaient envoyé une délégation ?

Non, cette manifestation ouverte à tout le monde n’était pas ouverte aux antisémites.

 

Zeev Sternhell ou le naufrage de la pensée

Zeev Sternhell est historien et professeur de science politique à l’Université Hébraïque de Jérusalem. « Le Monde »  a publié  un article de sa main intitulé « En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts ».

Cette publication n’est pas une surprise, parce que c’est dans la logique d’une grande partie de la presse que d’être hostile à Israël. Celle-ci se régale de tout ce qui peut être nuisible à l’Etat juif et ne demande pas mieux que d’ouvrir ses colonnes à des Israéliens pour asseoir sa propagande antisioniste.

Dans son article Sternhell nous apprend que l’Etat d’Israël « est devenu un monstre pour les non-juifs sous sa domination » et fait un procès d’intention à la droite en posant que celle-ci réserve aux Palestiniens, aux Soudanais et aux Érythréens le même sort que les Nazis d’antan réservaient aux Juifs.

Il précise que beaucoup d’Israéliens ont honte de leurs élus tout en votant pour eux. On ne voit pas ce qui lui permet d’affirmer cela, mais on peut supposer que cet éminent intellectuel a l’autorité morale de considérer la majorité des Israéliens comme des crétins à rééduquer.

Sternhell et ses amis politiques ont peu d’audience en Israël, alors ils se déshonorent en s’exprimant dans des forums internationaux qui jubilent quand un Juif associe la démocratie israélienne au nazisme.

Sternhell mais n’a pas le droit moral de traiter Israël d’Etat « nazi », « d’Etat d’apartheid » ni de « monstre ». Cet historien, ce juif polonais qui a échappé aux vrais Nazis le sait mieux que quiconque. Ce qu’il écrit est un amalgame d’élucubrations de quelqu’un qui veut à tout prix exister. Il fait exprès de ne pas distinguer entre l’Etat d’Israël et une extrême-droite qui n’est ni pire ni meilleure que celle de Belgique ou de France. Par ailleurs il fait l’impasse sur l’extrême-gauche, qui elle constitue un véritable danger pour la démocratie en Israël comme ailleurs.

On ne peut accorder le moindre crédit à ce Juif qui pour obtenir une tribune dans « Le Monde » est prêt à traiter Israël de nazi. Non seulement est-ce insultant, mais c’est une manière de banaliser la Shoah. Si la vie quotidienne à Ramallah est comparable à celle d’Auschwitz cela rejoint le point de vue négationniste comme quoi la Shoah n’aurait pas été si grave que cela.

Nul besoin de Sternhell pour déterminer si Israël est une démocratie. Le danger du populisme existe dans beaucoup de pays occidentaux, à la différence près qu’Israël démontre la solidité de ses institutions malgré l’état de guerre. Pas sûr que la France ou la Belgique seraient encore des démocraties si ces pays avaient à faire face aux défis qu’Israël subit à ses frontières, ou si une puissance comme l’Iran les menaçait de destruction par le feu nucléaire.

Quand des intellectuels comme Sternhell alignent leurs positions sur celles d’Edwy Plenel, de Mélenchon ou de prédicateurs islamistes, quand ils contestent la légitimité  même d’Israël ce ne sont pas des adversaires politiques, mais des ennemis.

Sidération collective à propos de Trump et Jérusalem.

Il est difficile de comprendre la sidération collective en réaction à la déclaration de Trump concernant Jérusalem, alors que ce n’est ni plus ni moins que la réalisation d’une de ses promesses électorales. Il semble que les opinions publiques soient tellement habituées à ce que les promesses électorales soient violées que pour une fois qu’elles ne le sont pas il y a comme un réflexe pavlovien pour s’en étonner.

Quant au plaisir que cela fait aux israéliens, là encore, pourquoi s’en étonner ? La quasi-totalité de l’échiquier politique s’en est réjouie. Est-on extrémiste parce que l’on se réjouit de ce que la première puissance au monde, qui en plus se considère comme allié privilégié d’Israël, reconnaisse que Jérusalem en est la capitale ? Depuis les origines du sionisme, Israël a veillé à s’assurer de la légitimité internationale. La Déclaration Balfour, la Conférence de San-Remo, la Commission Peel, la Résolution de des Nations-Unies appelant à la partition de la Palestine, la Proclamation de l’Indépendance et l’admission à l’ONU témoignent d’une incontestable continuité, même si celle-ci est contestée malgré tout par de mauvais coucheurs que le succès d’Israël indispose.

Les Etats-Unis d’Amérique viennent de franchir un pas de plus dans cette direction. Par ailleurs cela ne compromet en rien le processus de paix, parce que Trump n’a pas indiqué où serait installée l’ambassade. Il est d’ailleurs dommage qu’il n’ait pas choisi de le faire à Jérusalem – Ouest, parce qu’on aurait vu à ce moment-là que les Palestiniens ne l’auraient pas admis non plus, pas plus qu’ils n’admettent que Tel-Aviv se trouve dans une Etat juif.

Israël et la question de l’athéisme

La plupart des pères fondateurs du sionisme étaient athées, ou du moins agnostiques. Jabotinsky, Ben-Gourion Ahad Ha’am, Bialik et d’autres penseurs du sionisme étaient imprégnés de pensée juive mais aucun d’eux ne souhaitait de théocratie, et étaient même souvent même opposés à la religion, tout en étant férus de judaïsme. Herzl quant à lui était un Juif assimilé qui a même préconisé une conversion massive des Juifs sous les auspices du Vatican pour mettre fin à l’antisémitisme.

L’establishment rabbinique a pour sa part longtemps été essentiellement hostile au projet d’un Etat juif, et une partie non négligeable des Juifs orthodoxes d’aujourd’hui l’est d’ailleurs toujours, justement parce que ceux-là ne considèrent pas Israël comme un Etat juif au sens religieux du terme, ce en quoi ils n’ont pas tort. Mais d’une manière générale l’histoire du sionisme n’est pas un épisode religieux, mais bien le mouvement de libération nationale d’un peuple, comme il y en a eu d’autres au cours du vingtième siècle.

Beaucoup d’athées tiennent à Israël pour des raisons historiques, culturelles, familiales ou affectives. Il serait donc contre-nature pour eux de se détourner d’Israël ou de lui être indifférent du seul fait d’être athée.

Ceci dit la question de savoir si la pérennité d’Israël peut uniquement reposer sur l’idée de nation est une question ouverte, et dépasse d’ailleurs le cas d’Israël. Après tout les nations européennes sont de culture chrétienne mais leur spécificité repose sur des narratifs historiques, et non pas sur la religion.

Ce qui est vrai c’est que l’époque de l’Etat-nation est peut-être révolue parce que l’air du temps pousse plutôt à l’individualisme qu’au projet collectif. La question est de savoir si la pensée juive est assez puissante du point de vue spirituel pour survivre – ou remplacer – la religion qui lui est traditionnellement associée.

Rien n’est moins sûr, mais en fin de compte cela dépend des gens. S’il y en a suffisamment pour vouloir préserver un Etat à caractère juif, mais dissocié de la religion, alors c’est envisageable. Sinon Israël perdra son identité et ne sera, au mieux, qu’un Etat occidental parmi d’autres. Il se fondra dans ce cas-là dans le « village global » et la pensée juive rejoindra la mythologie grecque à l’Université et dans les musées. La religion juive en tant que telle survivra sans doute en Diaspora, mais cela ne concernera pas – par définition –  les athées.

Réponse à Eytan à propos de Leibowitz

Accuser Leibowitz d’incohérence ou de provocation est une manière d’éluder le débat d’idées. Il est plus intéressant de s’attaquer à des points précis et d’essayer de les réfuter. La difficulté c’est que la plupart de ceux qui s’y frottent s’égarent dans une confusion entre foi et raison, ou opposent de l’émotion à des arguments.

La puissance intellectuelle de Leibowitz réside dans son imperturbable logique. Il est vrai qu’il lui est arrivé d’avoir des écarts de langage injustifiables, mais à d’autres occasions ses formules ont fait mouche parce qu’elles illustraient une réalité dérangeante.

Dans son cycle sur le « Guide des Égares » de Maïmonide,  un des élève de Leibowitz défend l’idée de l’intervention divine en relevant que « l’historiographie de la Thora nous enseigne que la Providence  veille sur le sort du peuple juif de manière spécifique. »

Réponse de Leibowitz : « A moi la Torah m’apprend que Jéroboam ben Yoash, le plus conquérant des Rois, celui  qui compte parmi les plus aguerris  qui ait jamais régné sur Israël, qui « rétablit la frontière d’Israël depuis Hamat jusqu’à la mer de la Plaine » et dont « les victoires permirent de restituer Damas à Israël» (Melakhim 2 Chap 14),  fut aussi un mécréant qui précipita le peuple d’Israël dans le péché, ce qui ne l’empêcha pas de prospérer tout au long de quarante deux ans de règne. Par opposition, je lis aussi dans la Thora que Josias Ben Amon, le seul Roi d’Israël véritablement vertueux (צדיק),  qui préserva le judaïsme et la Torah, qui servit Dieu de toute son âme, qui extirpa l’idolâtrie,  fut assassiné à trente-neuf ans, entraînant dans sa chute l’asservissement d’Israël. Voilà l’historiographie que je trouve dans la Torah, ce qui fait que je n’arrive pas du tout à comprendre comment vous en arrivez à voir un quelconque lien entre Histoire et foi. »

Le « Guide des Égares » ne figure pas dans la bibliographie du judaïsme orthodoxe, mais c’est pour des raison identiques à celles qui font que ces milieux se méfient de Leibowitz. Vous abondez dans mon sens en le relevant, parce que cela démontre qu’il y a bel et bien continuité entre Maïmonide et Leibowitz. Le « Guide des Égarés » que vous traitez de quantité négligeable, dont vous dites qu’il « n’intéresse que les milieux académiques » comme si c ‘était un anomalie,  a été écrit à l’âge de la maturité intellectuelle de Maïmonide, à un stade où il avait intégré l’essentiel du savoir philosophique, religieux, et scientifique de son temps. C’est le couronnement de sa pensée à la lumière de laquelle tout ce qu’il a écrit précédemment s’éclaire.

Des ouvrages de Maïmonide ont été brûlés en place publique après sa mort, mais cela en dit plus long sur les incendiaires que sur les incendiés. Comme disait le poète Heinrich Heine, « Là ou on brûle des livres on finit tôt ou tard par brûler des hommes. »  

Les sommités que vous citez en rapport avec la Kabbale sont toutes apparues de nombreux  siècles après la clôture du Talmud. Il est vrai que l’on murmure que la tradition mystique de la Kabbale date depuis la création du monde, mais le fait est que les Tanaïm  tout comme Maïmonide s’ont sont bien passés.

Tout dans la Torah est affaire d’interprétation, mais  si vous pensez que la Révélation est un fait historique, alors l’honnêteté intellectuelle commande que vous vous serviez des mêmes outils que pour démontrer n’importe quelle autre événement.

La question de savoir pourquoi accomplir les Commandements est centrale. Si c’est en vue d’obtenir quelque chose, alors c’est proche du paganisme, qui depuis l’aube de l’humanité tend à amadouer les Dieux pour obtenir une bonne vie. C’est ce qui dans le judaïsme s’appelle « emouna lo lishma » (la foi intéressée). Ce n’est pas proscrit par la Halakha, parce que Hazal estimaient que la foi intéressée finissait par mener à la « emouna lishma » (la foi pour elle-même).

לעולם יעסוק אדם בתורה ובמצווה, אפילו שלא לשמה, שמתוך שלא לשמה – בא לשמה

 

A quoi sert la pensée de Yeshayahu Leibowitz ?

L’on a tendance à qualifier Yeshayahu Leibowitz de philosophe, mais quand il s’agissait de judaïsme  il se limitait à enseigner une méthode et non pas à formuler des concepts ou à innover de quelque manière que ce soit. C’est cela qui rend sa doctrine si difficile à réfuter. Il expliquait à ses contradicteurs que rien de ce qu’il avançait n’était nouveau, et les confondait avec une virtuosité éblouissante en puisant dans les sources les plus traditionnelles du Talmud.

Son maître à penser était Maïmonide, considéré comme le plus grand des penseurs juifs depuis l’Antiquité,  or c’est à travers cette filiation qu’il faut appréhender Leibowitz. Les faiblesses que l’on peut trouver chez lui en matière de judaïsme ne sont donc jamais que les faiblesses de Maïmonide lui-même.

Il est important de comprendre qu’au Moyen-âge il y eut deux courants majeurs dans la pensée juive, qui, s’ils n’ont pas conduit à un schisme, sont néanmoins très éloignés l’un de l’autre du point de vue conceptuel.

Il y eut  d’une part Yehuda Halevy, père spirituel du sionisme religieux, relayé plus tard par le Rav Kook, et d’autre part Maïmonide, relayé lui par Leibowitz. Alors que le Rav Kook était un mystique imprégné de Kabbale, Leibowitz considérait celle-ci comme une intrusion de l’idolâtrie dans le judaïsme. Maïmonide n’a pas connu la vague kabbalistique qui n’a commencé à se répandre que vers le douzième siècle, mais il est probable qu’en tant que rationaliste il ne l’aurait jamais avalisée.

Certains se demandent à propos de Leibowitz à quoi peut bien servir une pensée qui ne donne aucune réponse aux questions existentielles du présent.   A cela Leibowitz aurait sans doute répondu que cette question n’a aucun sens si on la pose dans le contexte du judaïsme, parce qu’il ne faut pas chercher chez Dieu de réponse aux questions du passé, du présent ou de l’avenir. Attendre qu’il résolve des questions existentielles revient à croire que Dieu doit servir à quelque chose, alors que dans le judaïsme c’est l’homme qui doit servir Dieu.

Leibowitz aimait à dire que Dieu n’était ni un service de santé ni un parti politique. Quand un rescapé de la Shoah lui confiait qu’il avait cessé de croire après la guerre, Leibowitz lui rétorquait que c’était qu’avant la guerre il n’avait pas cru non plus en Dieu, mais seulement en l’aide de Dieu, ce qui n’est pas pareil.

Quelle est la signification profonde du premier verset de la Torah qui dit « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » ? D’après Leibowitz la seule chose que nous pouvons déduire de cette formulation cryptique c’est que Dieu ne fait pas partie du monde, puisque qu’Il était avant que le monde ne fût(אדון עולם אשר מלך בטרם כל יציר נברא).

Cela signifie que même si l’on considère que tout procède de Dieu, le monde tel que nous le connaissons n’obéit qu’aux lois de la Nature. C’est cela, selon Maïmonide, la Providence universelle.  La Providence individuelle quant à elle c’est le libre arbitre, qui fait que contrairement à tout ce que nous connaissons du Cosmos, l’homme a l’incompréhensible faculté de vouloir, ce qui est à l’image de Dieu (צלם אלוהים).

Croire que Dieu intervient dans la  Nature ou dans l’Histoire est une impasse  logique et confine à la superstition. Leibowitz insistait pour dire que n’importe qui doué de bon sens pouvait constater qu’il n’y avait aucune corrélation entre la pratique religieuse et ce qui nous arrive, à nous, à nos proches, à nos ennemis ou au monde en général. (צדיק ורע לו, רשע וטוב לו).

Tout cela n’enlève rien à la valeur de l’impressionnant corpus du judaïsme.  Ce monument d’intelligence a été construit au fil de millénaires par nos Anciens et constitue la colonne vertébrale et la raison d’être du peuple juif. Cette œuvre faite par des hommes pour des hommes doit donc continuer à être enseignée et enrichie pour que vive le peuple juif.  C’est d’ailleurs ce qu’a fait Leibowitz toute sa vie tout en sachant que les 613 Commandements de la Torah n’avaient aucun rapport  avec la marche du monde, dont il était convaincu que seule la science pouvait percer certains des secrets (עולם כמנהגו נוהג).

La conception de Leibowitz de la religion est la seule acceptable pour un esprit rationnel. Ceci par opposition à toute construction intellectuelle qui reposerait sur la Révélation comme fait historique, ce qui ne saurait être pris en compte par aucun système de pensée.

L’enseignement de Leibowitz comme celui de Maïmonide a consisté à remettre Dieu à sa vraie place, qui est celle de la transcendance, et qui n’est donc pas de ce monde. Par conséquent la réponse à la question « à quoi sert la pensée de Yeshayahu Leibowitz ? » est qu’elle sert à penser.

Ce n’est pas rien.

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