Gaza et Molenbeek, même combat.

Le monde découvre avec stupeur l’existence de Molenbeek, cette obscure commune de l’agglomération bruxelloise devenue sanctuaire islamiste et repaire d’assassins. Il est vrai qu’après les attentats de Paris les autorités belges sont intervenues de manière musclée, mais le rôle des forces de l’ordre est comparable à celui des pompiers: on les appelle généralement quand l’incendie s’est déjà déclaré, c’est-à-dire trop tard.

Dans un société démocratique, prévenir le terrorisme consiste à ne pas transiger sur certains principes. De ce point de vue l’Europe a failli en fermant les yeux sur l’islamisme, dont les objectifs sont pourtant clairs. Penser que Paris pouvait échapper à cette calamité est d’un coupable aveuglement.

Tous les musulmans ne sont pas islamistes, mais il n’en est pas moins vrai que tous les islamistes vivent comme des poissons dans l’eau parmi les musulmans. Il y a une espèce d’omerta qui tétanise ces populations, dont on ne distingue pas bien si elle repose sur une adhésion tacite, une complaisance criminelle ou une terreur indicible.

Il y a une sorte de schizophrénie en Europe à ne pas admettre que les forces islamistes qui appellent à liquider Israël sont les mêmes que celles qui mettent des salles de spectacles et des restaurants à feu et à sang à Paris.

Le grand public a pu croire que les attentats visant l’Hyper Casher ou Charlie-Hebdo signalaient ce qu’il fallait ne pas être pour se sentir en sécurité en France. Le grand public a pu le croire, mais les autorités sont impardonnables de l’avoir cru. Certains ont même cru bon de suggérer que ne plus porter de kippa et ne plus s’en prendre au Prophète rétablirait le calme. Ces jours-ci le gouvernement belge a même franchi un nouveau pallier: ne plus aller au cinéma, ni aux compétitions sportives, ni à l’école. Pour le moment il semble encore permis de respirer, mais allez savoir ce que les politiciens vont encore trouver avant d’aller à l’essentiel.

Nous savons depuis la Shoah que l’antisémitisme est le plus sûr indice d’une société qui perd ses repères. Aujourd’hui c’est l’antisionisme – avatar de l’antisémitisme – qui joue ce rôle. Le parti-pris antisioniste d’une majorité d’intellectuels et de journalistes en Europe est inquiétant non seulement pour Israël, mais pour le monde libre lui-même. Faire une différence entre le Hezbollah, le Hamas et l’Iran d’une part, et Daesh et Al Qaeda d’autre part n’a aucun sens, parce que l’islamisme est une idéologie qui n’a ni feu ni lieu. Son ennemi est le genre humain tout entier, ce qui inclut les terroristes eux-mêmes, qui considèrent la mort – celle des autres comme la leur – comme valeur suprême.

Si l’Europe ne prend pas la mesure de ce fléau, les choses n’en resteront pas là, parce que les Djihadistes ne savent que trop bien avec quelle facilité ils peuvent opérer dans un Etat de droit. C’est pour cela qu’il y va de l’intérêt de l’Europe que de soutenir l’Etat d’Israël et de cesser de le stigmatiser avec des directives bêtes et méchantes comme l’étiquetage de produits de Cisjordanie. Il n’est pas anodin de noter que les  responsables politiques français ont voté cette ignominie qui a englouti des fortunes en commissions spéciales et en consultants, alors qu’au même moment des Djihadistes s’apprêtaient à exterminer des Parisiens à la Kalachnikov.

Ces mêmes Djihadistes qui de Tel Aviv à Paris sèment la mort partout où il y a des vivants; qui non seulement prônent que la fin justifie les moyens, mais que les moyens sont en eux-mêmes une fin; qu’il s’agit moins pour eux de s’emparer du monde que de le quitter avec éclat; que le paradis au ciel vaut bien l’enfer sur terre.

l’Europe a le devoir de soutenir cette minuscule démocratie qu’est l’Etat d’Israël confronté à une guerre dont l’Europe n’entend que les bruits de bottes mais qui deviennent de plus en plus audibles. A bon entendeur salut.

Israël et Europe, même combat.

Netanyahu et le Grand Mufti

Un orage médiatique s’est abattu ces jours-ci sur le Premier Ministre d’Israël Benjamin Netanyahu suite à ses propos tenus en anglais lors d’une conférence du Congrès Sioniste à Jérusalem. En voici la traduction:

« Hitler n’avait pas l’intention d’exterminer les Juifs à cette époque [1]. Il voulait les expulser. Le Grand Mufti de Jérusalem[2] alla trouver Hitler pour lui dire « si vous expulsez les Juifs ils iront tous là-bas [en Palestine]. Hitler lui demanda « mais alors que dois-je faire d’eux »? Les bruler, répondit le Grand Mufti « .

Suite à cela, journalistes, chroniqueurs, intellectuels d’obédiences diverses et historiens de tous bords ont été pris d’hystérie collective. Netanyahu a été accusé d’ignorance, de négationnisme, d’incitation à la haine, de déculpabilisation des Nazis et d’opportunisme politique. La Chancelière d’Allemagne s’est même crue obligée de préciser que c’étaient bien les Allemands qui avaient été responsables de la Shoah. En réalité, pratiquement personne ne s’est donné la peine d’écouter avec discernement les propos de Netanyahu ni de les vérifier, alors qu’il s’agissait d’une vérité à la portée de tous.

Mohammed Amin al-Husseini fut le Grand Mufti de Jérusalem de 1921 jusqu’à la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948.   Proche des Frères musulmans, il était non seulement favorable à la liquidation des Juifs de Palestine, mais aussi à celle des Juifs du monde entier. C’est le père spirituel de l’islamisme radical de notre époque, qui appelle à éradiquer Israël et à exterminer les Juifs où qu’ils soient. Mohammed Amin al-Husseini est considéré par les Palestiniens comme un héros national et une référence en matière religieuse.

C’est tout naturellement que le Grand Mufti fut séduit par les Nazis dès leur arrivée au pouvoir en 1933, et qu’il devint le plus grand des collaborateurs dans le monde arabe[3]. En récompense, il obtint le titre d' »Aryen d’honneur » et prêta allégeance à Hitler en déclarant que « les nations arabes sont convaincues que l’Allemagne va gagner la guerre. Ils sont les alliés naturels de l’Allemagne puisqu’ils ont les mêmes ennemis, à savoir les Anglais, les Juifs et les communistes. Ils sont donc prêts à coopérer de tout cœur avec l’Allemagne et à participer à la guerre, notamment en constituant une légion arabe« . Il mit cette promesse en pratique en créant une section arabe de la Waffen SS[4].

La philosophe Hannah Arendt releva au cours du procès Eichmann [5]que « les connexions du Grand Mufti avec les nazis étaient de notoriété publique, parce qu’il espérait qu’elles l’aideraient à exécuter une variante de la Solution Finale au Proche-Orient « [6].

Après la guerre, le Grand Mufti se réfugia à Paris sous l’œil complaisant des autorités, bien qu’étant recherché comme criminel de guerre. La France ne l’inquiéta pas, refusa de l’extrader, et craignant le monde arabe, finit par le laisser s’échapper avec la complicité du Quai d’Orsay[7], qui lui fournit un faux passeport.

Dieter Wisliceny, adjoint d’Eichmann, témoigna au tribunal de Nuremberg que « le Grand Mufti avait suggéré à plusieurs reprises à Hitler, Ribbentrop et Himmler d’exterminer le peuple Juif, considérant que ceci constituait la meilleure solution pour résoudre le problème palestinien[8]« . Les nombreux commentaires du Grand Mufti diffusés à partir de l’Allemagne exprimaient son soutien à la Solution Finale[9]. Dans ses émissions radiophoniques en direction du monde Arabe, il incitait à « tuer les Juifs où qu’ils se trouvent parce que c’est la volonté de Dieu ».

En accédant au pouvoir en 1933, les Nazis avaient fermement l’intention de se débarrasser des Juifs, tout en n’imaginant peut-être pas où cela allait les mener une décennie plus tard. Ils étaient persuadés à cette époque qu’en rendant la vie impossible aux Juifs, ceux-ci finiraient par partir, comme ce fut le cas lors de l’expulsion d’Espagne cinq siècles plus tôt.

Les lois raciales de Nuremberg de 1935 entrainèrent pour les Juifs le boycott, la révocation de la fonction publique, la radiation des avocats, l’exclusion des médecins, la mise au ban des artistes, le renvoi des journalistes, l’interdiction des stations thermales, des cinémas, des bibliothèques et des transports publics, le tout accompagné de pogroms.

Au cours de cette période, Eichmann fut chargé de prendre en compte le sionisme comme moyen de promouvoir l’émigration des Juifs vers la Palestine, et noua des contacts avec des milieux sionistes afin d’accélérer le processus. En 1937 il fit un voyage en Palestine pour étudier la question, après quoi il entreprit de stimuler l’émigration. Ses exploits furent applaudis par ses supérieurs et ses méthodes prises comme modèle pour la gestion des affaires juives. Il reçut la charge d’organiser l’émigration forcée avec un mélange de terreur et de chicanerie[10].

La « Haavara » fut un accord conclu en 1933 entre le régime nazi et la Fédération sioniste d’Allemagne, consistant à faciliter le transfert de biens juifs vers la Palestine afin d’inciter les Juifs à s’y établir. Cette formule était du point de vue nazi un moyen élégant de se défaire des Juifs du Reich. Werner Otto Von Hentig, haut fonctionnaire en charge des questions palestiniennes, soutint d’ailleurs avec force la création d’un État juif en Palestine. 50 000 Juifs parvinrent à y émigrer grâce cet accord, qui resta en vigueur jusqu’en 1942, année de la Conférence de Wannsee.

En 1938 Eichmann établit un mémorandum pour encourager l’émigration juive hors d’Europe[11] et fut chargé d’organiser la déportation de quatre millions de personnes à Madagascar. Il produisit un dossier prévoyant le transport annuel d’un million de juifs. Le plan prévoyait de les spolier pour financer la logistique, après quoi ils seraient forcés d’y émigrer. La SS s’occuperait du ramassage en Europe et de l’administration de l’île. Mais comme Madagascar était sous le contrôle des britanniques et que les Allemands n’arrivaient pas à les en déloger, ce plan ne vit jamais le jour.

Eichmann continua néanmoins à soutenir l’émigration par d’autres moyens, et travailla avec des passeurs sionistes pour expédier des Juifs en Palestine. Par ailleurs les autorités nazies envisagèrent un temps de les expulser vers la Russie, une fois que l’Armée rouge serait vaincue[12].

La démarche du Grand Mufti chez Hitler fut donc bel et bien l’expression de son inquiétude par rapport aux conséquences d’une éventuelle expulsion massive de Juifs du Reich, dont un nombre non négligeable risquait d’aboutir en Palestine et de renforcer ainsi le Yishouv[13].

Il s’avéra plus tard que cette perspective n’était plus à l’ordre du jour en 1941, parce que les Britanniques avaient verrouillé la Palestine au moyen du Livre Blanc[14] et qu’aucune autre puissance n’était disposée à accueillir les Juifs. C’est alors que s’imposa chez les Nazis la conviction que la seule solution restante, qui devait être finale, serait d’exterminer les Juifs de manière systématique et industrielle.

Netanyahu a donc raison de rappeler qu’au moment de la rencontre entre le Grand Mufti et Hitler, les Nazis en étaient encore à expulser les Juifs, même s’il est vrai que des tueries avaient commencé, encore que les meurtres de civils par les Allemands faisaient rage partout où ils mettaient les pieds.

Ce que Netanyahu a voulu mettre en évidence dans son discours, c’était que le Grand Mufti et Hitler avaient théorisé leur délire antisémite bien avant la Shoah, mais que le Grand Mufti avait été le premier des deux à envisager un génocide dès les années 1920, eu égard à la présence juive en Palestine. Netanyahu ne dit en revanche pas que c’est le Grand Mufti qui a donné à Hitler l’idée de la Solution Finale, mais bien qu’il a eu un rôle important dans sa promotion en s’opposant à l’émigration juive vers la Palestine.

Enfin Netanyahu a voulu rappeler la nature irréductible du courant fasciste, nazi et antisémite incarné par le Grand Mufti, dont l’idéologie irrigue et inspire en ce moment même l’Intifada des couteaux.

[1] « Cette époque » renvoie à l’entrevue entre le Grand Mufti et Hitler en 1941. La plupart des commentateurs semblent avoir ignoré ce point. Sans cette précision la phrase de Netanyahu aurait eu un tout autre sens.

[2] Un mufti est un religieux musulman qui a l’autorité d’émettre des fatwas. Dans chaque État de l’Empire ottoman le Grand Mufti était la plus haute autorité religieuse du pays.

[3] Etude de Matthias Küntzel publiée dans Jewish Political Studies Review

[4] Organisation paramilitaire et policière nazie

[5] Criminel de guerre nazi responsable de la logistique de la Solution Finale

[6] Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal de Hannah Arendt

[7] Tsilla Hershco: Histoire d’une évasion [archive], Revue Controverses, n°1, mars 2006.

[8] Zvi Elpeleg, Hamufti Hagado 1989, p. 74,75

[9] Zvi Elpeleg, Through the Eyes of the Mufti: The Essays of Haj Amin

[10] David Cesarini(2013-09-05). Adolf Eichmann

[11] David Cesarini(2013-09-05). Adolf Eichmann.

[12] David Cesarini(2013-09-05). Adolf Eichmann.

[13] Le Yishouv désigne la communauté juive en Palestine avant la création de l’État d’Israël.

[14] En mai 1939, alors que les Juifs sont persécutés par le Troisième Reich, les Britanniques leur réduit l’accès à la Palestine de manière draconienne.

Avraham Burg ou le chagrin de Trotski

Yosef Burg, le père d’Avraham Burg, était un érudit de culture allemande, polyglotte, rabbin et Docteur en mathématiques. Il échappa de justesse aux camps de la mort en 1939 en fuyant l’Allemagne pour émigrer vers la Palestine avant que le piège nazi ne se referme sur lui.

Une fois établi dans ce qui allait devenir l’Etat d’Israël, il y fonda une famille en y intégrant les valeurs de la modernité, du sionisme et de la religion, et fut de tous les combats en tant que patriote, député et ministre.

C’est ainsi que Burg père et fils résument à eux seul l’essence du sionisme. Une première génération qui fuit les persécutions, fonde l’Etat juif, et une deuxième qui produit un Juif nouveau, homme parmi les hommes au sein d’une nation parmi les nations.

Intelligent et doté d’une forte personnalité, Avraham Burg a néanmoins longtemps été une extension de son père. Officier parachutiste, Juif pratiquant, politicien surdoué, président de la Knesset et de l’Agence juive, il résume par sa trajectoire tout ce que le renouveau juif a pu façonner d’exemplaire au fil de l’épopée sioniste

Depuis une dizaine d’années Avraham Burg a cependant changé de bord et rejette l’idée même d’un Etat juif. Il soutient désormais le mouvement Hadash, avatar du parti communiste, proclame la fin du sionisme, appelle à l’abolition de la Loi du Retour, et d’une manière générale conteste tout lien formel entre l’Etat d’Israël et les Juifs de la Diaspora.

Avraham Burg a droit à sa vision du monde. Cependant on est pris de malaise devant un reniement d’une telle ampleur. Quand il s’exprime sur l’histoire du sionisme il est vrai qu’il reconnaît qu’il était normal qu’Israël ouvre ses portes aux rescapés de la Shoah après la Deuxième Guerre Mondiale, mais il est maintenant d’avis que cette époque est révolue, et que l’antisémitisme ne doit plus être combattu comme phénomène singulier, et que cette lutte doit s’inscrire dans une démarche plus largement humaniste.

Avraham Burg nous remmène un siècle en arrière, quand les intellectuels juifs nourris aux Lumières se divisaient en deux camps : les uns pensaient que pour éradiquer l’injustice il fallait s’identifier à l’URSS et hâter ainsi l’avènement d’un nouvel ordre mondial, alors que les autres pensaient qu’en attendant que cela arrive il fallait que les Juifs prennent leur destin en main sous peine de disparaître avant que la Révolution ne s’accomplisse.

Une incarnation du premier camp fut Trotski. Celle du deuxième fut Ben-Gourion. On connaît la suite : les communistes juifs furent persécutés par les communistes non-juifs, les mouvements tels que le Bund [1] sombrèrent corps et bien. Quant à l’Etat d’Israël, il vit le jour pour le plus grand bien de millions de Juifs et l’Histoire retient de l’aventure communiste qu’elle fut une calamité.

Ce qu’il y a de dérangeant dans les prises de positions d’Avraham Burg, c’est qu’il fait preuve d’un égoïsme inouï vis-à-vis des Juifs qui aspirent à l’Alyah.

Alors que lui et sa famille ont bouclé la boucle bimillénaire du retour du peuple juif à la souveraineté nationale, il entend claquer la porte à ceux qui n’ont pas eu cette chance. Alors qu’il y encore des centaines de milliers de survivants de la Shoah, il n’éprouve aucune gêne à proclamer que leurs enfants n’ont rien à chercher en Israël.

Avraham Burg se permet de déterminer où commence le sionisme et où il finit, où commence l’antisémitisme et où il finit. Il pontifie dans le déni d’une réalité d’un Israël qui demeure un recours pour de nombreux juifs  en quête d’identité dans un monde qui les vomit tous les jours un peu plus. Il fait l’impasse sur l’actualité qui montre que le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde [2].

Il fait penser à ces Juifs qui avant l’expulsion d’Espagne estimaient  leur avenir assuré, qui avant la Shoah croyaient être des allemands comme les autres, ou qui avant Vichy pensaient que la France était garante de leur citoyenneté.

A propos de ce dernier point, il y a par ailleurs un certain cynisme chez Avraham Burg à acquérir la nationalité française d’une part, et à mener un combat visant à entraver les Juifs français qui cherchent à acquérir la nationalité israélienne d’autre part.

Comme dit plus haut, Avraham Burg a droit à ses opinions, mais d’autres ont tout aussi bien le droit d’estimer que ses opinions sont autant d’outrages aux morts et aux vivants d’Israël.

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[1] Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie

[2] Allusion au nazisme dans une pièce de Bertolt Brecht

 

Le réel a lieu en Israël

Le parti-pris anti-israélien de l’essentiel de l’Intelligentzia européenne relève d’un syndrome qui a fait son apparition après la Deuxième Guerre mondiale.

A l’époque, il apparaissait de façon criante que les communistes se fourvoyaient partout où ils étaient au pouvoir, mais de nombreux observateurs supposément instruits et avertis étaient frappés d’autisme quand il s’agissait de l’URSS.

Le Goulag, Staline, la pénurie, la corruption, la misère, la dictature, l’arbitraire, la violence, un organe nommé « La Vérité » qui mentait, tout cela était flagrant pour tout être doué de bon sens. Alors que l’Intelligentzia n’y voyait que du feu, beaucoup de petites gens subodoraient la faillite du communisme dès les années 1950.

Michel Onfray, philosophe attaché depuis plus d’une décennie à écrire une monumentale « Contre-histoire de la Philosophie », a récemment publié un ouvrage intitulé « Le réel n’aura pas lieu », où il analyse le « Don Quichotte » de Cervantès.

Il lui applique une grille de lecture qui fait penser à la Pierre de Rosette, cette stèle de l’Égypte antique qui a permis le déchiffrement des hiéroglyphes. Onfray aborde le personnage de Don Quichotte sous un angle inattendu, mais qui semble d’une telle justesse après coup, qu’on se demande pourquoi on n’a pas été capable de s’en apercevoir soi-même.

Le mot-clé de la thèse d’Onfray est celui de « dénégation ». Don Quichotte est possédé par la dénégation parce que le monde tel qu’il est ne lui convient pas.

Ce monde ne lui permet pas de se faire valoir, alors il en invente un autre, imaginaire, qu’il espère fédérateur et qu’il entend mener du bout de sa lance. Don Quichotte n’est pas un illuminé, mais un sale type, un lâche, un menteur et un danger public. Vu sous l’angle d’Onfray l’argument de la folie douce, des bonnes intentions ou de la naïveté ne tiennent plus.

Il faut être pris d’hallucination donquichottesque pour estimer que c’est le monde arabe qui a raison contre Israël. Les masses arabo-musulmanes ont pour grande partie perdu leurs repères, souffrent d’ignorance, dénient aux femmes les droits de l’homme, gaspillent leurs ressources au nom de la religion, sont menées par les régimes les plus corrompus, les plus cruels et les plus dégénérés de la terre.

Il faut être donquichottesque pour estimer que tout cela n’existe pas, mais que c’est Israël, seul Etat de droit et seule démocratie de la région, qui est un obstacle à la paix, que ce soit au Moyen Orient ou ailleurs.

Une fois qu’on a lu « Le réel n’aura pas lieu » on ne peut plus appréhender de la même manière des gens apparemment de bonne composition comme Hessel, Besancenot, Mélenchon, Edgar Morin, Cohn-Bendit, Rony Brauman, Régis Debray ou d’autres ennemis d’Israël.

Ces esprits pleins de complaisance pour ceux qui cherchent à détruire les Juifs sont passés maîtres à inverser la réalité du conflit israélo-arabe.

Quand Onfray évoque ceux qui ont cette passion furieuse pour les idées au détriment de la réalité, cette religion de l’idéal sans souci du réel, on ne peut s’empêcher d’appliquer cette démarche au sentiment pro-palestinien de beaucoup de fabricants d’opinion qui sont dans la dénégation de l’islamisme mais qui pointent un doigt accusateur en direction d’Israël.

Tout comme le Don Quichotte d’Onfray ils ne veulent pas voir ce qui est et préfèrent voir ce qu’ils veulent. Ils sont bien entendus émus par les tueries des islamo-fascistes un peu partout dans le monde, mais le seul endroit où ils pensent que ces fous de Dieu ont un point de vue, c’est Israël. C’est le seul coin de la planète où ils suggèrent que la solution à la peste islamiste consiste à leur donner ce qu’ils veulent.

Si ces Don Quichotte du politiquement correct refusent de confronter leurs idées à la réalité quand il s’agit d’Israël, alors c’est à désespérer des autres, qui sont soit ignares soit antisémites.

Dans ces conditions, il est exclu qu’Israël se laisse impressionner par des artifices comme la reconnaissance par l’Europe ou par l’ONU d’une Palestine dont personne ne connaît les contours mais dont tout monde connaît les intentions.

Israël a raison, mille fois raison de faire de la sécurité sa priorité absolue, et rien ne doit lui faire dévier de son souci principal, qui est de vivre.

 

Précis de l’identité juive

Israël se définit comme Etat Juif, mais cette définition relève d’une identité, et non pas d’une religion. La religion juive est certes liée à la judéité, mais n’en est pas synonyme. Les Juifs étant un peuple, la judéité constitue l’ensemble de ce qu’on produit les Juifs, dont la religion. Il est vrai qu’en Israël celle-ci bénéficie de privilèges eu égard à l’Histoire, mais c’est également le cas de pays de tradition chrétienne comme le Royaume-Uni, la Norvège, le Danemark, l’Argentine ou la  Grèce, qui n’en sont pas pour autant des théocraties. La France quant à elle est dotée d’une loi séparant l’Eglise de l’Etat, mais cela n’empêche pas les jours fériés d’y être catholiques, ni la religion d’y jouir dans certains cas d’un statut officiel[1], ce qui fait que le clergé peut être payé par l’Etat et les évêques nommés par le Président la République.

De nos jours de nombreux Juifs à travers le monde sont athées tout en se revendiquant juifs à part entière.  Les ultra-religieux les appellent Apikorsim, référence à Epicure[2]. Mais alors que l’épicurisme a souvent une connotation péjorative, cette pensée est en réalité a l’opposé de l’acception courante, qui en est une caricature.

Epicure estimait que l’homme était autonome, maître de soi, de son corps, des ses actes et de ses pensées.  Quant au monde, il était soumis d’après lui aux seules lois de la Nature, qu’il se représentait comme un télescopage  d’atomes se combinant de manière aléatoire. Cette doctrine de l’absurde impliquait que l’aspiration au bonheur était la seule chose qui vaille.  Le bonheur ne consistait cependant pas pour Epicure à courir les plaisirs, mais plutôt à éviter la souffrance, à surmonter l’angoisse de la mort, à cultiver l’amitié, à se contenter des désirs naturels et nécessaires, et à ne pas hypothéquer la vie en escomptant l’immortalité. Epicure recevait indifféremment femmes, hommes et esclaves dans son Jardin[3], parce qu’il estimait que chacun était en mesure d’améliorer son sort en se cultivant. Il écartait par ailleurs toute idée d’intervention divine, et ne prétendait pas enseigner autre chose que ce que lui-même ne fût à même de comprendre. A noter que Maimonide[4] fait d’une certaine manière écho à cela en professant qu’on ne peut rien dire de Dieu[5], sauf qu’on ne peut rien en dire.

Les Apikorsim considèrent que la Thora[6] constitue un corpus dont chaque élément est imprégné par l’époque où il fut rédigé, ce qui en explique la diversité stylistique et l’hétérogénéité conceptuelle. Quoi que l’on en pense, il est établi que la tradition juive se nourrit de controverses, or  le Talmud[7] n’est rien d’autre qu’un gigantesque verbatim d’arguties et de palabres avec pour fil conducteur la raison.

Pour les Apikorsim ce n’est pas faire injure à la Thora que de la ranger parmi la littérature, pur produit de l’homme. Ils y  sont attachés autrement que les Juifs orthodoxes, fils spirituels des pharisiens. C’est ainsi qu’alors que les Apikorsim considèrent que la Thora fait partie du patrimoine de l’humanité, les orthodoxes estiment pour leur part qu’elle n’a de pertinence que pour les pratiquants. Les Apikorsim  adhèrent quant à eux à tout ce qui dans la Thora rejoint la pensée humaniste. Par exemple, ce qu’ils retiennent de la fête commémorant la Sortie d’Egypte[8], c’est le rejet de l’esclavage. Cette mise en évidence du droit à la liberté constitue d’ailleurs l’une des contributions les plus importantes du judaïsme à la civilisation occidentale.

La plupart des Juifs font circoncire leurs fils, célèbrent la bar-mitsva et se marient de manière rituelle tout en étant agnostiques. Beaucoup jeûnent à Yom Kippour et allument des bougies la veille de Shabbat en estimant contribuer ainsi à la continuité du judaïsme en tant que culture. L’adhésion au culte et la revendication de l’identité sont cependant deux démarches distinctes. Il est vrai que le peuple juif a une histoire particulière eu égard à la Diaspora, durant laquelle la religion a assuré la pérennité malgré l’éparpillement parmi les nations, mais à notre époque beaucoup délaissent la pratique, en particulier en Israël. C’était d’ailleurs déjà le cas pour la plupart des  pères fondateurs du sionisme,  qui revendiquaient d’autant plus leur identité qu’ils prenaient leurs distances par rapport à la religion.

Spinoza[9] avait estimé dès le dix-septième siècle que les Juifs avaient eu tort de se résigner à l’exil en attendant la venue du Messie, au lieu d’agir en vue d’une souveraineté nationale[10].  Mais tout en émettant cette idée il jugeait que seul un Etat laïque serait à même d’assurer la liberté intellectuelle et religieuse pour tous. C’est ce qui explique que Ben-Gourion,  Einstein et d’autres artisans de l’Etat juif étaient d’ardents spinozistes.  Ils considéraient d’ailleurs que leur maître à penser ayant été sioniste avant l’heure, il méritait qu’on lui fît une place dans le panthéon de la judéité après avoir été excommunié par la communauté juive d’Amsterdam.

En tant que penseur de la modernité, Spinoza considérait  que la Thora était avant tout un texte politique, posant en quelque sorte les fondements de la Constitution de la nation juive. Deux siècles plus tard, Moses Hess[11] affinait cette idée dans un ouvrage [12] où il développait les raisons en vertu desquelles il estimait que la finalité du judaïsme était la souveraineté nationale et non la pratique de la religion.

On ne peut parler d’identité juive sans évoquer en même temps l’antisémitisme, parce que cette parole circule à nouveau librement, en particulier en Europe, cette fois-ci  en imputant aux Juifs la responsabilité des troubles au Moyen-Orient. Selon une étude commanditée par l’Anti-Defamation League, un quart de la population mondiale nourrirait actuellement des sentiments antisémites. Il apparaît entre autres que l’idée que ce phénomène serait lié au conflit israélo- palestinien est un mythe. La Hongrie figure parmi les nations les plus antisémites du monde, mais il n’y dans ce pays ni arabes ni musulmans, ou presque[13].

Ni la Renaissance, ni les Lumières, ni la Révolution Française ni le Socialisme ne sont venus à bout de l’identité juive, qui renaît de plus belle depuis la création de l’Etat d’Israël. Après être sortis des ghettos au dix-neuvième siècle, la rapidité avec laquelle les Juifs ont rallié l’élite intellectuelle, artistique, scientifique et politique a suscité une perplexité durable dans le monde entier.

L’antisémitisme se présente à première vue comme un rejet du Juif, mais si les Juifs n’existaient pas il est clair que les antisémites les inventeraient. En réalité l’antisémitisme est une doctrine du rejet de l’Autre quel qu’il soit. Les Juifs d’abord, les autres ensuite. Les islamistes ont intégré cela depuis longtemps, qui ont fait du rejet une religion.

A bon entendeur salut.

[1] Concordat D’Alsace-Moselle

[2] Philosophe grec de l’antiquité que l’on oppose souvent à Platon.

[3] Référence à l’école de philosophie d’Epicure.

[4] Penseur juif du douzième siècle et référence majeure du judaïsme.

[5] « Le Guide des Egarés », traité philosophique de Maïmonide.

[6] La Torah prise au sens large est une vaste collection de textes rédigés, recopiés, amendés, commentés et revus par de nombreux auteurs au fil de trois millénaires.

[7] Corpus de la Loi Orale

[8] Pâque juive

[9] Philosophe juif d’Amsterdam d’origine marrane.

[10] Traité Théologico-Politique chapitre III

[11] Philosophe allemand proche de Marx et théoricien du sionisme

[12] Rome et Jérusalem

[13] L’on dénombre 0.2 % de musulmans en Hongrie, à comparer à près de 10 % en France, soit cinquante fois plus.

Edwy Plenel et sa lettre au Président

Le Président François Hollande a fermement condamné les agressions contre Israël,  et a  assuré le Premier Ministre israélien de sa solidarité. Il a également affirmé qu’il appartenait au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces. Edwy Plenel, journaliste et Directeur de Publication du site d’information  Médiapart, a publié un article pour s’élever contre la prise de position de François Hollande, assez exceptionnelle il faut le dire pour qui connaît la politique pro-arabe de la France inaugurée par de Gaulle en 1967. Edwy Plenel s’en prend à François Hollande, mais aussi à Israël. Le texte ci-dessous est donc adressé à Edwy Plenel afin d’attirer son attention sur les nombreuses erreurs d’appréciation concernant Israël qu’il commet dans sa lettre ouverte au Président:

Monsieur Edwy Plenel,

Avoir une politique équilibrée face au conflit israélo-palestinien ne peut consister, sous aucun prétexte, à soutenir une organisation terroriste. Or manifester contre Israël en ces heures sombres revient de fait à soutenir le Hamas et ses associés.

Israël est une démocratie où sévit une extrême-droite radicale, mais celle-ci est, tout comme en France, marginale, et n’est en tout cas pas au pouvoir.

La stigmatisation des Arabes en Israël est le fait de groupuscules insignifiants, et sans commune mesure avec l’antisémitisme d’Etat qui sévit dans le monde arabo-musulman. L’Autorité Palestinienne en particulier fait la promotion de l’antisémitisme dans les écoles et à la télévision, où les juifs sont vilipendés dans le plus pur style de la propagande nazie.

La proportionnalité dans la lutte contre le terrorisme n’obéit pas aux mêmes critères que les conflits conventionnels, que ce soit en Israël ou ailleurs. Quand l’assassin Mohammed Merah fut traqué dans la région de Toulouse, les autorités françaises mobilisèrent des centaines d’hommes armés jusqu’aux dents afin de trouver et de neutraliser ce seul criminel. En Israël il s’agit pour la nation entière de se défendre contre les islamistes qui ont vocation à casser du Juif n’importe où, dans n’importe quelles circonstances et sous n’importe quel prétexte. Cette obsession date de bien avant l’occupation de la Cisjordanie, et même d’avant la création de l’Etat d’Israël lui-même, quand le Mufti de Jérusalem fraternisait avec Hitler. Compter sur l’avènement d’un Etat palestinien pour mettre fin à la rage anti-juive au Moyen-Orient est un risque qu’aucun gouvernement israélien ne peut se permettre de prendre.

Renvoyer dos-à-dos le Likoud et le Hamas est une aberration. Le Hamas a pour programme explicite la liquidation pure et simple de l’Etat d’Israël par tous les moyens, à commencer par les plus barbares. Le Likoud quant à lui est un parti démocratique et donc respectable, que l’on partage ses idées ou pas. C’est une formation politique en tous points comparable à la droite républicaine incarnée par l’UMP en France. Le Likoud est ce parti qui sous la conduite de Menahem Begin, prix Nobel de la Paix,  a mis fin à la guerre avec l’Egypte en restituant la péninsule du Sinaï, ses puits de pétrole et son potentiel touristique.

Le Likoud est aussi ce parti qui a parié sur la paix en 2005 en mettant fin à l’occupation de Gaza.  Au cours de réunions bilatérales précédant l’évacuation, des responsables palestiniens avaient affirmé qu’on verrait enfin « de quoi ils étaient capables ». Ils avaient assuré que Gaza s’avèrerait un « miracle économique », un « Singapour du Moyen Orient », un cas d’école. Pour illustrer cette vision, des projets furent évoqués: réseau routier, port en eau profonde, centrale électrique, système d’égouts, aéroport, hôtels de tourisme, toutes ambitions que les places financières ne manqueraient pas de soutenir. On connaît la suite : le Hamas s’empare de Gaza, asservit sa population, instaure une dictature et consacre des fortunes à la fabrication de roquettes et au creusement de tunnels à seule fin de tuer des Juifs de l’autre côté de la frontière.

La Jordanie a annexé la Cisjordanie en 1950 sans la moindre intention d’y favoriser l’émergence d’un Etat palestinien. C’est à partir de ce territoire usurpé que les troupes jordaniennes ont attaqué Israël en 1967 pour tenter de s’emparer de Tel-Aviv  et du reste d’Israël, jeter les Juifs à la mer et étendre le Royaume de Jordanie à la totalité de la Palestine historique. C’est cela, et uniquement cela qui eut pour conséquence l’occupation de la Cisjordanie par Israël.

L’antisionisme est une transgression morale au même titre que l’antisémitisme. Etre antisioniste, c’est désavouer le mouvement de libération du peuple juif. Etre antisioniste, c’est lui contester le droit de disposer de lui-même. Etre antisioniste ce n’est pas critiquer tel ou tel aspect de la politique israélienne, mais c’est dénier à Israël le droit même à la vie. Etre antisioniste c’est s’associer aux filiales terroristes de l’Iran installées aux frontières d’Israël et qui œuvrent sa destruction.

Il y a une douzaine d’années le distingué sociologue et philosophe Edgar Morin fut  poursuivi pour antisémitisme après avoir cosigné avec deux autres intellectuels un article incendiaire contre Israël. Après quatre ans de procédure Il a fini par être mis hors de cause par une Cour de Cassation, mais ce qu’il faut retenir c’est qu’au fil de cette saga juridique  la Cour d’Appel de Versailles l’avait bel et bien condamné pour « diffamation raciale et apologie des actes de terrorisme ». On a le droit de s’interroger sur le point de savoir lesquels des magistrats de la Cour d’Appel ou de la Cour de Cassation ont vu juste.

Stéphane Hessel était un obscur diplomate à la pensée indigente qui serrait la main des dirigeants  du Hamas et qui trouvait que l’occupation de la France par les nazis était moins cruelle que celle de la Cisjordanie.  Il pensait par ailleurs que Gaza devait être le principal sujet d’indignation au monde, comme si les massacres en Syrie, en Iraq, au Darfour ou ailleurs n’étaient que de négligeables échauffourées.

Quant aux vociférations antisémites entendues lors de récentes manifestations anti-Israël en France, il n’est pas inutile de rappeler la conclusion des « Réflexions sur la Question Juive » de Sartre, à savoir que « pas un français ne sera en sécurité tant qu’un juif, en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie. »

 

Tuerie au musée juif de Bruxelles

Quels que soient les commanditaires de la tuerie au musée juif de Bruxelles, quelles que soient leurs motivations, et même s’il ne s’agit que d’un acte isolé, il ne fait pas de doute que cela se passe sur fond de haine antisioniste, qui n’est qu’un antisémitisme recyclé faisant écho au discours antijuif distillé des siècles durant par la Chrétienté et l’Islam. L’antisémitisme étant un symptôme plutôt qu’une idéologie, quatre innocents abattus à la kalachnikov en plein jour en pleine ville dans la capitale de l’Europe, cela concerne même ceux que ne sentent pas concernés.

Les ennemis d’Israël pensent qu’en s’attaquant aux Juifs de la Diaspora – ou à leurs symboles – ils affaiblissent le monde juif. Mais si l’on cherche à suivre ce raisonnement, aussi morbide soit-il, on s’y perd parce qu’il défie la logique la plus élémentaire. En effet, chaque agression, chaque atteinte à l’intégrité morale ou physique des Juifs accentue la solidarité des communautés juives à travers le monde, et dans beaucoup de cas le désir d’aller vivre en Israël. Cette option n’existait pas avant la création de l’Etat d’Israël. C’est ainsi que l’on assiste à une recrudescence de l’émigration à chaque manifestation d’antisémitisme, or la tuerie de Bruxelles n’échappera sans doute pas à cette règle. Les antisémites sont pris dans un dilemme cornélien : contenir leur haine des Juifs est nuisible pour leur santé, mais l’exprimer renforce, souligne et corrobore la raison d’être de l’Etat juif, dont l’une des fonctions consiste à combattre l’antisémitisme partout où il sévit. Tout acte antisémite entraine donc un effet boomerang sur son auteur du fait même de l’existence de l’Etat d’Israël.

Un climat antisémite empoisonne une part croissante de l’opinion publique européenne, mais il faut reconnaître qu’en Belgique il n’y pas d’antisémitisme officiel. Cette forme de racisme y est au contraire un délit, or la police, la magistrature et le gouvernement font ce qui est en leur pouvoir pour que la loi soit respectée. Mais c’est justement parce que l’antisémitisme ne saurait s’exprimer à visage découvert dans une démocratie comme la Belgique qu’il se travestit en antisionisme. Ce n’est donc pas l’Etat qui accompagne la montée de l’antisémitisme, mais ceux parmi les médias qui diffusent sans retenue une propagande antisioniste relayant les poncifs antisémites les plus éculés.

L’antisionisme, tout comme le racisme, ne relève pas de la liberté d’expression. L’antisionisme, c’est la contestation du droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Les médias ont en Europe un devoir de pédagogie lorsqu’ils abordent le thème du conflit israélo-palestinien. Quand des commentateurs critiquent l’Etat d’Israël dans les médias ils ont l’obligation morale de préciser qu’il ne s’agit pas de mettre en cause son existence. Ils doivent être vigilants et veiller à ce que leurs discours n’alimentent pas des velléités criminelles par le détour de l’antisionisme.

L’Europe a une dette envers les Juifs. La plupart des Etats, dont la Belgique, l’ont reconnu de manière solennelle, mais il y a encore beaucoup à faire au niveau de la mémoire collective, or c’est à l’intelligentsia qu’incombe cette tâche. Les journalistes, chroniqueurs et intellectuels doivent impérativement changer de vocabulaire s’ils désirent différencier la critique politique de l’Etat d’Israël de la harangue antisémite.

L’Histoire nous a appris que l’acquiescement – même muet et passif – à l’antisémitisme est le levier avec lequel on renverse les démocraties.

Comment le monde arabe a perdu ses juifs selon Nathan Weinstock

Nathan Weinstock est un avocat, criminologue et historien belge né à Anvers en 1939. Après une scolarité d’inspiration juive orthodoxe il se tourne vers le trotskysme, devient en 1967 antisioniste et pro-palestinien, et se répand en harangues féroces devant des auditoires nourris aux émissions de Radio-Le Caire, « savourant avec délices l’annonce que les vaillantes armées arabes sont sur le point de jeter les juifs à la mer ». D’une violence verbale extrême, Weinstock appelle au démantèlement d’Israël en posant qu’on ne peut être à la fois sioniste et socialiste.

Vers les années 1990 il change de cap en prenant conscience du fait que la cause palestinienne n’est qu’un avatar de l’antisémitisme, et qu’elle est nourrie par la haine des Juifs plutôt que par une vision  politique.  Weinstock fait alors un virage à cent quatre-vingt degrés et se met à soutenir Israël en déconstruisant avec lucidité et courage son parcours d’intellectuel fourvoyé dans le dédale du marxisme, considérant ses écrits antérieurs comme « bourrés de conclusions simplistes et abusives ».

Weinstock  publie en 2008 un essai [1] sur la disparition des communautés juives du monde arabe. Ce gros ouvrage parait maintenant en hébreu, à l’occasion de quoi le quotidien israélien de gauche « Haaretz » consacre un long article dans son supplément de fin de semaine. Ce qui suit n’en est  pas une traduction littérale, mais est basé sur l’essentiel du propos, à savoir l’évocation par Weinstock du statut de « Dhimmi » dans le monde arabe.

Le statut de « Dhimmi » constituait en principe une forme de protection des non-musulmans monothéistes, mais au prix de règles infamantes telles que l’interdiction de posséder des armes, de témoigner au tribunal,  de monter à cheval, de l’obligation de porter des signes distinctifs, d’être assujettis à une taxe spéciale et de veiller à ce que les habitations fussent plus basses que celles des musulmans. Au Yémen les « Dhimmi » juifs avaient pour tâche de vider les fosses d’aisance et de dégager les cadavres d’animaux encombrant les routes.

Au fil du temps ces usages ont diminué d’intensité ou disparus, mais les esprits continuent à en porter l’empreinte. Que les règles concernant les « Dhimmi » soient appliquées ou pas, elles subsistent de manière symbolique dans de larges franges de l’inconscient collectif arabe et y pérennisent une image de soumission au pouvoir musulman.

L’histoire des Juifs du monde arabe est une tragédie. Des communautés entières installées depuis des temps immémoriaux ont été traquées, chassées ou éliminées dans l’indifférence la plus totale de la Communauté Internationale, auprès de laquelle les Juifs en déshérence n’ont jamais obtenu le statut de réfugiés, contrairement aux palestiniens, chez lesquels ce statut se transmet de génération en génération.

En 1945 il y avait dans le monde arabe près d’un million de Juifs. Il en reste quelques milliers, essentiellement au Maroc. La manière dont ils ont été délogés diffère d’une région à l’autre, mais le dénominateur commun en est un antisémitisme remontant à l’époque du Prophète, qui avait voulu dans un premier temps rallier les Juifs à l’Islam, mais qui s’est retourné contre eux quand il a pris conscience qu’il n’y parviendrait pas.

L’idée  que les Juifs sont partis du monde arabe parce qu’ils étaient sionistes est un mythe. La majorité ne l’était pas, et ne s’est expatriée que contrainte et forcée, abandonnant tout pour recommencer une vie nouvelle ailleurs. Ils étaient pourtant attachés à la culture arabe, à laquelle ils avaient largement contribué. La présence des  juifs datait d’ailleurs souvent d’avant celle des arabes eux-mêmes.

C’est en considérant les rapports entre la minorité juive et la majorité musulmane que l’on comprend le séisme qu’a constitué l’avènement de l’Etat d’Israël dans la psyché des masses arabes. Celles-ci portent en elles de manière plus ou moins marquée la mémoire de cette période où les Juifs pouvaient être humiliés et spoliés en toute légalité, ce qui explique leur regard incrédule sur l’Israël d’aujourd’hui, qui leur échappe et dont ils souhaitent la disparition, pour laquelle ils sont disposés à consentir des efforts qui ne débouchent en pratique sur rien d’autre que leur propre affaiblissement.

Quand les puissances coloniales ont voulu mettre un terme à la dhimmitude cela fut ressenti comme une atteinte à la dignité arabe et comme une violation de l’ordre divin. D’une manière générale la notion occidentale de droits de l’homme fut considérée comme incompatible avec les valeurs de l’Islam, ce qui est d’ailleurs encore le cas dans une grande partie du monde arabo-musulman.

Quand à l’aube du vingtième siècle les Juifs se sont mis à pratiquer l’agriculture intensive en Palestine ils décidèrent de remplacer les gardiens arabes par des Juifs. Ce changement fut vécu par beaucoup d’arabes comme un insoutenable  retournement de situation. Alors que dans leur esprit les Juifs n’avaient pas vocation à être paysans ni à porter des armes, ce nouvel ordre – celui de la modernité – s’édifiait sous leurs yeux en lieu et place de l’ordre ottoman en perte de vitesse. Cet avènement d’un « Juif Nouveau » dépassait l’entendement de l’opinion publique arabe, pour laquelle la soumission des Juifs allait de soi et découlait en quelque sorte d’une loi de la Nature.

L’impasse du conflit israélo-palestinien perdure – au moins en partie – parce que du point de vue arabe la création d’Israël est perçue comme une vengeance des Juifs eu égard à leur servitude passée, alors qu’en réalité le sionisme n’est qu’un mouvement de libération nationale. C’est l’inaptitude ontologique  d’admettre que le mouvement sioniste a mis fin à la dhimmitude  en Palestine qui est la cause profonde du refus arabe de se conformer à la Résolution de l’ONU de 1947 recommandant de la partager en deux Etats, l’un juif et l’autre arabe.

 


[1] Une si longue présence : Comment le monde arabe a perdu ses juifs, 1947-1967, (Editions Plon)

Réponse au rabbin Yehiel Brand

C’est par les hasards de l’Internet que je suis tombé sur un site qui publiait une réaction plutôt vive à l’une de mes chroniques (« Comment croire en Dieu après la Shoah ») publiée sur mon blog hébergé par « Le Monde.fr ». J’ai par la suite eu quelques échanges avec l’auteur de cette réaction, le rabbin Yehiel Brand. Je reprends ci-dessous l’esprit des arguments que je lui ai opposés, essentiellement inspirés par l’enseignement de Yeshayahu Leibowitz, scientifique et érudit israélien de culture allemande décédé il y a une vingtaine d’années.

La croyance en la récompense ou la punition divine n’a aucune signification religieuse, bien que ce soit dans la nature de l’homme que de penser qu’en accomplissant un effort il est en droit d’attendre quelque chose en retour. Pratiquer les Commandements dans cette perspective est peut-être acceptable du point de vue religieux, mais cela ressort de la notion de   לא לשמה(de manière intéressée). Il n’en reste pas moins que le pratiquant n’a aucune chance de voir ses vœux exaucés, ce que la tradition juive elle-même concède par le constat que צדיק ורע לו רשע וטוב לו (le juste est frappé tandis que le scélérat prospère), confirmant ainsi  qu’il n’existe aucune corrélation entre ce qui arrive et le fait de pratiquer [la religion]. C’est une réalité empirique avec laquelle aucun être doué de raison ne peut être en désaccord (Leibowitz).

Maïmonide, autorité majeure du judaïsme depuis le Moyen-âge, savait que  sa pensée n’était pas à la portée de tous, et que ce qui importait était que l’on observât les Commandements. Il estimait que seule une élite était à même de les pratiquer de manière désintéressée, et que si la masse le faisait avec l’illusion d’une récompense c’était un moindre mal. Maïmonide distinguait explicitement entre croyances « vraies » et croyances « nécessaires ».

Leibowitz estime que l’on ne peut rien apprendre sur Dieu à partir de l’observation du monde. Le poète juif andalou du douzième siècle Ibn Gabirol invoquait Dieu en déclamant אדון עולם אשר מלך בטרם כל יציר נברא (O Seigneur du monde  qui régnait avant même l’existence de toute chose). Sur quoi régnait-il au juste, s’il n’y avait rien ? Le philosophe des Lumières Emmanuel Kant disait pour sa part « si Dieu n’est ni dans le temps ni dans l’espace alors il n’y a rien à prouver ».

Dieu étant transcendant n’intervient ni dans la Nature ni dans l’Histoire, et tout ce que nous savons de la mort c’est que nos corps se décomposent quand la vie nous quitte. Pour Leibowitz rien n’a de signification dans le monde, qui est contingent et qui aurait pu ne pas être. Le salut n’est donc pas une notion qui pointe vers le Ciel, mais vers la Terre, parce que l’on n’accède pas au salut après la mort, mais pendant la vie.

La religion juive vise à favoriser l’intellect en libérant l’homme des passions tristes. Une fois ce niveau d’indifférence atteint, il accède au vrai mysticisme, qui n’est pas hallucinatoire, mais au contraire lucide. L’homme est מושלם (accompli) quand il atteint un niveau où seul l’intellect gouverne son existence, or à ce stade il est déjà de fait dans le  עולם הבא  (le monde à venir)

Ibn Ezra, rabbin de l’âge d’or de la culture juive en Espagne, suggérait que la Thora avait peut-être été écrite après la sortie d’Egypte, et donc pas par Moïse. Plus tard Spinoza estima que la Thora devait pouvoir être appréhendée comme n’importe quelle création littéraire. Il ne s’agit pas de douter de la sincérité des prophètes d’Israël ni de celle de beaucoup de pratiquants, pas plus que de celle de croyants chrétiens ou de musulmans, mais les convictions, pour respectables qu’elles soient, ne sont en rien des démonstrations.

A propos du Messie, Leibowitz renvoie au Michne Thora, codification exhaustive de la loi juive, où Maïmonide dit qu’il ne faut pas s’attendre à ce que la venue du Messie aille de pair avec quoi que ce soit de surnaturel. Beaucoup de croyants sont convaincus du contraire, et il y en a même qui pensent que le Troisième Temple descendra tout droit du Ciel à Jérusalem. Pourtant les avertissements de Maïmonide sont sans équivoque:

.אל יעלה על דעתך שהמלך המשיח צריך לעשות אותות ומופתים, ומחדש דברים בעולם, או מחיה מתים, וכיוצא בדברים אלו שהטפשים אומרים

.אל יעלה על הלב שבימות המשיח יבטל דבר ממנהגו של עולם, או יהיה שם חידוש במעשה בראשית, אלא עולם .כמנהגו נוהג

.וכן כל כיוצא באלו הדברים הכתובין בעניין המשיח, משלים הם; ובימות המלך המשיח יוודע לכול לאיזה דבר היו משל, ומה עניין רמוז בהן.  אמרו חכמים, אין בין העולם הזה לימות המשיח, אלא שיעבוד מלכייות בלבד

(Ne vous figurez pas que le Messie fera des miracles, ou apportera un changement dans la marche du monde, ou ressuscitera les morts, ou autres inepties colportées par les imbéciles.

Abstenez-vous de penser que quoi que ce soit aura disparu du monde ou qu’il y aura quelque chose que de changé dans les lois de la Nature. Le monde continuera tel quel.

Tous les écrits faisant allusion au Messie sont des paraboles, mais lorsqu’adviendront les temps messianiques celles-ci seront élucidées, et nous comprendrons  alors à quoi elles faisaient allusion. Les Sages [du Talmud] enseignaient qu’entre le monde tel que nous le connaissons et celui du Messie la seule différence sera la fin de l’assujettissement [des juifs] aux Nations.)

Les treize articles de foi qui figurent dans le סידור (livre de prières) sont une paraphrase d’un passage de l’Introduction au Talmud, où Maïmonide énumère treize clés pour le judaïsme. Des contemporains s’en sont inspirés pour produire les Treize Principes de la foi, et de version en version ils se sont éloignés de la source, tant et si bien que Leibowitz estime qu’ils ne reflètent ni le style ni la pensée de Maïmonide. L’arrière-plan historique est qu’il y avait à l’époque une tentation parmi les juifs à se convertir à l’Islam, or ces Principes de la foi sont un procédé liturgique itératif qui a pour fonction d’enrayer un basculement dans l’apostasie tout en n’attaquant pas l’Islam de front. Par exemple, le septième article dit « Je crois d’une foi entière que la prophétie de Moïse notre maître, la paix soit sur lui, était vraie, et qu’il fut le père de tous les Prophètes, ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi. » Maïmonide enjoignait ainsi de manière subliminale à ignorer le Prophète des musulmans.

Il existe une vidéo où l’on voit une érudite poser à Leibowitz la question suivante: « Professeur Leibowitz, pensez-vous que le Messie viendra? » Il répond d’un air pensif « Oui, je figure parmi ceux qui pensent qu’il viendra » en mettant l’accent sur « Il viendra« . Son interlocutrice insiste et demande: « Quand ? « . Leibowitz  hausse le ton et rétorque avec agacement: « J’ai dit qu’il viendra! Eternellement! Tout Messie  qui fait effectivement  son apparition est un faux Messie, parce que l’essence du Messie, c’est qu’il viendra. »

L’ensemble des  25 chapitres que Maïmonide consacre dans son « Guide des Egarés » au sens des Commandements est ambigu.  Il en fait une analyse extensive, replace les Commandements dans leur contexte, démontre que certains dérivent de rites païens, et laisse entendre que d’autres ont une fonction dans la vie quotidienne. Plus loin il dit que ceux parmi les Commandements dont le sens nous échappe n’ont d’autre but que de nous éloigner de l’idolâtrie. Tout à la fin il conclue en établissant que tous les Commandements sans exception n’ont pour objectif que de se détacher du monde, qu’ils ne visent à amender ni l’homme ni la société, mais qu’ils constituent en eux-mêmes le service de Dieu.

Chaïm Cohen, éminent juge de la Cour Suprême d’Israël, confia un jour à Leibowitz que bien qu’originaire d’un milieu orthodoxe, il avait perdu la foi suite à la Shoah. Leibowitz lui rétorqua que cela démontrait qu’il avait en fait toujours été athée, parce qu’étant donné que Dieu ne s’occupait pas du monde il n’y avait aucune raison de compter sur son intervention, que ce soit avant ou après la Shoah, ou pour tout autre évènement.

Une anecdote comparable est celle de cette mère qui relatait à Leibowitz que son enfant avait été gravement malade, mais qu’il avait guéri en dépit des pronostics, et que suite à cela elle était devenue croyante. Leibowitz lui dit que si cela signifiait que si l’enfant n’avait pas survécu elle ne serait pas venue à la religion, c’était quelle n’y était toujours pas. En revanche, il lui dit si l’enfant avait succombé mais  qu’elle était devenue pratiquante en dépit de cela, c’aurait été une manifestation de foi.

Il y a l’histoire d’Elisha ben Abouya, sage du Talmud qui assiste à une scène ou un père expédie son fils sur un arbre pour déloger un oiseau  et s’emparer des oisillons. Le fils tombe de l’arbre et se tue. Elisha ben Abouya perd la foi parce qu’il ne peut accepter que l’enfant meure en accomplissant deux Commandements, soit שילוח הקן (anéantissement du nid) et  כבד את אביך ואת אמך (honore ton père et ta mère)  qui tous deux sont assorties d’une promesse de  אריכות ימים (vie prolongée). Rabbi Akiva, figure capitale du Talmud, confronté au même cas de figure n’éprouve aucun trouble, parce que son amour de Dieu transcende toute autre considération.

La עקידת יצחק (Ligature d’Isaac) est le modèle par excellence du service de Dieu לשמה (de manière désintéressée). Isaac est pour Abraham tout ce qu’il y a de plus cher. C’est pour cela que l’égorger et le sacrifier est emblématique de l’affranchissement  de tout ce à quoi un être humain est susceptible d’aspirer. C’est le signe que la morale elle-même est subordonnée au service de Dieu.

Leibowitz relève que la Thora Orale est une création humaine. Dans un livre d’entretiens על עולם ומלואו- ישעיהו ליבוביץ בשיחות עם מיכאל ששר (conversations avec Michael Shasar) il s’en explique:

יסוד האמוני שלנו הוא שתורתנו שבעל-פה – שהיא מעשה ידי-אדם – היא התורה האלוהית המחייבת אותנו. תורה שבעל-פה קובעת שאלה הם כתבי הקודש. אנחנו מאמינים שהקביעה האנושית הזו היא-היא הקביעה האמונית הדתית. מה שאני אומר אין בו שום חידוש ואוכל להראות לך דברים אלה במקורות הרבניים המובהקים. תורה שבעל-פה היא יצירה אנושית מצד אחד, ומצד שני אנחנו מקבלים אותה כתורה אלוהית. אותה תורה שאנחנו בעצמנו יצרנו

(Le fondement de notre foi est la Thora Orale, qui est le fait de l’homme, mais qui nous engage néanmoins en tant que Loi Divine. C’est d’ailleurs la Thora Orale qui détermine le canon de la Torah Ecrite. Nous croyons que c’est cette œuvre qui détermine la foi. Ce que je dis n’a rien d’inédit, et je peux vous en démontrer les sources rabbiniques. Bien que la Thora Orale soit une création humaine, nous la proclamons  divine tout en l’ayant nous-mêmes conçue.)

Maïmonide explique qu’il y a des croyances vraies et des croyances nécessaires dans le « Guide des Egarés » (Livre III chapitre 28):

.ועוד צותה התורה להאמין קצת אמונות שאמונתם הכרחית בתיקון עניני המדינה, כאמונתנו שהוא ית’ יחר אפו במי שימרהו – ולזה ראוי שייראו ויפחדו ממרות בו

.והבן מה שאמרנוהו באמונות, כי פעמים שתתן המצוה אמונה אמיתית היא המכוונת לא זולת זה, כאמונת היחוד, וקדמות השם, ושאינו גוף. ופעמים תהא האמונה ההיא הכרחית להסיר העול או לקנות מדות טובות, כאמונה שהשם יתעלה יחר אפו על מי שיעשוק

(La Thora nous a invités à croire certaines choses dont la croyance est nécessaire pour la bonne marche de l’Etat, comme par exemple que Dieu est irrité contre ceux qui lui désobéissent, et qu’à cause de cela il faut le craindre, le respecter et lui obéir.

Il faut te pénétrer de ce que nous avons dit sur les croyances: tantôt le commandement inculque une croyance vraie qui en elle même est le seul but, comme par exemple la croyance à l’unité et à l’incorporalité de Dieu; tantôt c’est une croyance nécessaire pour faire cesser la violence ou pour faire acquérir de bonne mœurs, comme par exemple la croyance que Dieu est irrité contre celui qui commet la violence.)

Il ressort de ces extraits que Maïmonide recommande de recourir à des croyances nécessaires chaque fois qu’il faut faire peur et que les conditions l’imposent. Ceci est dans le droit fil de Platon qui pensait déjà que toute vérité n’était pas bonne à révéler au commun.

Toute comme Dieu n’éprouve ni colère, ni joie, ni tristesse, etc.., Maïmonide insiste sur son incorporalité, ce pourquoi chaque fois qu’il est question que Dieu créé, produit, fait, parle, voit, entend, monte, descend, etc.. il faut considérer que ce sont des métaphores.

Concernant le Livre de Job, c’est le côté inconditionnel de la foi qui en est le message le plus impressionnant. Malgré tous les malheurs qui s’abattent sur Job, sa foi ne vacille jamais. C’est, avec Abraham lors de la עקידת יצחק (Ligature d’Isaac), l’archétype du croyant «לשמה (désintéressé)».

Mes échanges avec le rabbin Yehiel Brand n’ont certes pas réussi à rapprocher nos points de vue, mais en ce qui me concerne ils m’ont incité à me documenter suffisamment pour que ce qui n’était qu’une intuition se transforme en conviction, à savoir que l’homme n’a de comptes à rendre qu’à lui-même, parce que, comme l’enseignait Protagoras il y a deux mille cinq cent ans, l’homme est la mesure de toute chose.

 

Réflexions sur les Réflexions sur la Question Juive de Sartre

« Réflexions sur la Question  Juive » est un essai publié en 1946 par Jean-Paul Sartre qui a souvent été décrié dans des milieux juifs parce que ceux-ci estimaient que sa définition du juif était par trop sommaire et manquait de profondeur.

D’après cet ouvrage le juif est un homme que les autres tiennent pour juif[1], et n’a donc pas de consistance autre que celle que le regard d’autrui lui confère. Sartre pensait que ce n’était ni leur passé, ni leur religion, ni leur sol qui unissaient les fils d’Israël, et que bien que le juif  fût parfaitement assimilable, il se définissait comme celui que les nations ne voulaient pas assimiler.Pour mettre un terme à l’antisémitisme ce n’était donc pas le juif qu’il fallait changer, mais l’antisémite. Il estimait en effet que même dans les démocraties avancées les antisémites maintenaient un cordon sanitaire qui permettait certes aux juifs de participer à la vie publique, mais qui les forçaient néanmoins à rester juifs envers et contre eux-mêmes. Dans ses “Réflexions”, Sartre estime qu’il y a ainsi un antisémitisme latent même chez les esprits qui se veulent ouverts, et qu’on peut distinguer chez le démocrate libéral une nuance d’antisémitisme: il est hostile au juif dans la mesure ou le juif s’avise de se penser comme juif.

Il y a selon les « Réflexions » deux catégories de juifs: d’une part les authentiques qui subissent leur condition de paria avec stoïcisme, et d’autre part les inauthentiques qui cherchent a se fondre dans la masse, mais sans jamais y parvenir. Cette difficulté a s’assimiler n’est en réalité que partiellement vraie, parce que bien que le juif qui le désire n’y arrive pratiquement jamais de son vivant, deux ou trois générations plus tard l’assimilation est néanmoins accomplie. Quand bien même Montaigne, Cervantès ou Christophe Colomb auraient eu du sang juif dans leurs veines comme certains le pensent, la dilution en était telle que même les antisémites les plus sévères ne s’en sont jamais formalisés.

C’est ainsi que de nombreux juifs se sont assimilés depuis plus de trois millénaires, sans quoi l’on en dénombrerait dans le monde d’aujourd’hui beaucoup plus que les quelque treize millions qui se revendiquent comme tels. Des douze tribus de l’Antiquité, dix se sont mélangées aux assyriens. Avant même l’ère chrétienne, des juifs s’hellénisaient de leur propre initiative. Plus tard une grande partie fut christianisée ou islamisée, le plus souvent de force. L’erreur de Sartre est de ne pas avoir concédé – ou compris – qu’il y avait parallèlement aux candidats à l’assimilation des juifs aspirant de toute leur âme à pérenniser le judaïsme en tant que culture, langue ou religion, sans oublier le rapport particulier à la terre d’Israël. C’est donc la complexité d’une  conscience identitaire sans soubassement territorial qui a entretenu la singularité du judaïsme, et non pas l’antisémitisme, comme le pensait Sartre. Le fait est que les juifs ont de tous temps eu la possibilité de s’assimiler, et y ont même été incités ou contraints. Mais il y eut aussi toujours un noyau dur qui s’y refusait de manière irréductible en considérant que s’assimiler revenait à choisir une solution de facilité au prix d’un reniement.

L’on peut comprendre à quel point la réduction du juif à une dimension sartrienne  peut être frustrante, voire blessante,  pour des juifs porteurs d’une spiritualité datant d’avant les grecs, d’avant la chrétienté et d’avant l’Islam. Mais cela n’empêche pas les « Réflexions » de relever d’une perspicacité et d’une finesse exceptionnelle pour tout ce qui concerne la psychologie du juif inauthentique et aussi celle de l’antisémite, que Sartre dépeint comme un lâche que ne veut pas s’avouer sa lâcheté.

Sartre représente le juif inauthentique comme un homme que les autres tiennent pour juif et qui a choisi de fuir devant cette situation insupportable.  Il joue à ne pas être juif  parce qu’il se sait regardé et prend les devants. Partout où il s’introduit pour fuir la réalité  juive il sent qu’on l’accueille comme juif et qu’on le pense à chaque instant comme tel. Quoi qu’il fasse, le juif inauthentique est habité par la conscience d’être juif. Il affirme qu’il n’est qu’un homme parmi d’autres, comme les autres, et pourtant se sent compromis par l’attitude du premier passant si ce passant est juif.

De nos jours encore, beaucoup d’intellectuels pourraient correspondre à la définition du juif inauthentique. Thierry Levy, avocat et écrivain notoire, a publié il y a quelques années un ouvrage intitulé  « Levy Oblige » dont l’objet est d’asséner à longueur de page qu’il n’est juif en rien, d’autant plus qu’il dit se sentir « chez soi dans une église », encore qu’il martèle qu’il « ne pratique aucune religion, ne respecte aucune tradition, ne fait partie d’aucun groupe, d’aucune coterie, d’aucun réseau », et enrage quand on lui prête des opinions sur base de son seul patronyme. Mais dans son ouvrage il va au-delà de son propos initial, commet une attaque en règle contre la communauté juive et dénonce  le retour en force du conservatisme religieux, de la fièvre identitaire associée au repli communautaire et de la persistance de la guerre en Palestine, sans que l’on comprenne en quoi cela relève du thème de son livre. Il pontifie et disserte à propos d’une culture dont il ignore à peu près tout malgré les miettes qu’il puise dans des lectures ciblées.

Oscar Mandel, dramaturge et essayiste américain, est l’auteur d’un pamphlet intitulé “Etre ou ne pas être juif” où il règle ses comptes avec ses origines. Il considère que son ascendance ne le définit en rien, mais ressent néanmoins le besoin d’exprimer un malaise face à ce qu’il ressent comme une pression – juive pour le coup – qui lui dénie le droit de se défaire de sa judéité.

Jean Daniel, écrivain et fondateur du « Nouvel Observateur », critique Israël avec un acharnement sinistre tout en se distanciant d’une manière appuyée de ses origines juives. Dans son essai « La Prison Juive » , il accuse certains juifs de s’être virtuellement enfermés dans une prison théologique, faisant ainsi obstacle à la paix en Israël. Il semble oublier que les islamistes du monde entier clament eux-mêmes qu’ils mènent une guerre de religion avec l’objectif déclaré de liquider Israël au nom de Dieu.

Des universitaires comme Edgar Morin ou Noam Chomsky, dont le métier consiste à penser, font preuve d’une hostilité irrationnelle et monomaniaque contre Israël, ce qui arrange les antisémites de tous bords, qui se procurent ainsi une légitimité à bon compte sous couvert d’antisionisme. Ils prennent ces personnalités à témoin, mais prennent aussi soin de renvoyer à leurs origines juives, ce qui conforte la thèse sartrienne de l’impossibilité de se déjudaïser aux yeux d’autrui.

Sartre fut un indéfectible compagnon de route des juifs. L’historien Michel Winock rappelle qu’il rompit avec l’Unesco en raison de positions anti-israéliennes de cet organisme; qu’il refusait les honneurs, dont le prix Nobel, mais acceptait d’être docteur honoris causa de l’Université Hébraïque de Jérusalem; qu’il défendait la légitimité de l’État juif malgré l’antisionisme de ses amis maoïstes; que face à l’embargo décrété par le général de Gaulle en 1967 il disait que « si l’on prétend aboutir à une paix négociée en retirant les armes à tout le monde, cela consiste à livrer l’État d’Israël aux Arabes »; qu’il réfutait le slogan comme quoi Israël serait une colonie;  qu’il estimait qu’on ne pouvait  reprocher aux Israéliens  de riposter « parce qu’on ne peut pas leur demander de se laisser systématiquement tuer sans répliquer ».

Il y a dans les « Réflexions sur la Question  Juive » de nombreuses pages qui attestent d’un incontestable entendement de l’âme juive: On  ne comprendra rien au rationalisme des juifs si l’on veut voir je ne sais quel goût abstrait pour la dispute au lieu de le prendre pour ce qu’il est: un jeune et vivace amour des hommes. Le rationalisme auquel le juif adhère si passionnément, c’est d’abord un exercice d’ascèse et de purification, une évasion dans l’universel. Le juif a le goût de l’intelligence pure, qu’il aime à exercer à propos de tout et de rien. Les juifs sont passionnément ennemis de la violence. Cette douceur obstinée qu’ils conservent au milieu des persécutions les plus atroces, ce sens de la justice et de la raison qu’ils opposent comme leur unique défense à une société hostile, brutale et injuste, c’est peut-être le meilleur du message qu’ils nous délivrent et la vraie marque de leur grandeur.

Sartre avait une perception aigüe de l’angoisse existentielle juive: un juif n’est jamais sûr de sa place ou de ses possessions; il ne saurait même affirmer qu’il sera encore demain dans le pays qu’il habite aujourd’hui, sa situation, ses pouvoirs et jusqu’à son droit de vivre peur être mis en question d’une minute à l’autre; en outre, il est hanté par cette image insaisissable et humiliante que les foules hostiles ont de lui. Son histoire est celle d’une errance de vingt siècle; à chaque instant, il doit s’attendre à reprendre son bâton. Le sang juif retombe sur toutes nos têtes.

Les « Réflexions » soulèvent aussi la lourde responsabilité du christianisme dans l’antisémitisme: ce qui pèse sur le juif originellement, c’est qu’il est l’assassin du Christ. Si l’on veut savoir ce qu’est le juif contemporain, c’est la conscience du chrétien qu’il faut interroger: il faut lui demander non pas « qu’est ce qu’un juif » ? mais « qu’as tu fait des juifs ». Comme le juif dépend de l’opinion pour sa profession, ses droits et sa vie, sa situation est tout à fait instable; légalement inattaquable, il est à la merci d’une humeur, d’une passion de la société « réelle ». Il guette les progrès de l’antisémitisme, il prévoit les crises comme le paysan guette et prévoit les orages; il calcule sans relâche les répercussions que les évènements auront sur sa propre position. Il n’acquerra jamais la sécurité du chrétien le plus humble.

En ignorant la réalité d’un judaïsme ne devant rien à l’antisémitisme, l’essai de Sartre avait témoigné en 1946 d’une regrettable lacune. Celle-ci fut comblée vers la fin de sa vie par son secrétaire Benny Levy, fondateur de la Gauche Prolétarienne devenu plus tard juif orthodoxe et docteur en philosophie. Grâce à lui Sartre finit par considérer que le judaïsme était une pensée digne d’examen, alors que toute sa vie il avait défendu l’athéisme.

La toute dernière phrase des « Réflexions sur la Question Juive » est lancinante, et forte d’une conviction qui près de sept décennies après sa parution n’a pas pris une ride:

Pas un français ne sera en sécurité tant qu’un juif, en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie.


[1] Les extraits repris en italique sont parfois modifiés au niveau de la syntaxe afin de pouvoir s’intégrer de manière naturelle dans le propos. Par ailleurs certains passages figurent ici de manière contiguë alors que dans le texte original ce n’est pas toujours le cas.

 

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