Faut-il craindre le transhumanisme ?

La question du transhumanisme doit être pensée dans le cadre plus général de la lame de fond technologique de notre époque. On ne peut y réfléchir sans prendre en considération d’autres aspects de cette révolution. Le fait par exemple que chaque individu est désormais géolocalisable par son téléphone n’est que le premier pas vers un monde où il ne sera même plus nécessaire de s’équiper d’un portable, parce que le concept même d’anonymat ou d’absence aura disparu.

La science est la seule chose réellement universelle au monde, et l’ingéniosité déployée par l’homme pour maitriser la matière date de l’aube de l’humanité. Nietzsche avait d’ailleurs du dédain pour la science, précisément parce que l’observation du monde physique est accessible à tout un chacun.

Longtemps les hommes de science ont cherché à dégager une intention dans la réalité du monde sous forme de transcendance. L’approche aristotélicienne incluait le savoir et le sens dans un même ensemble. Mais le XVIIe siècle a vu l’émergence d’une nouvelle conception de la science en vertu de laquelle seules sont prises en considération les lois de la nature. Le divorce entre sens et science est consommé depuis.

Toute assertion concernant la science doit pouvoir être réduite à des notions quantitatives. La science pose des diagnostics et aboutit aux mêmes conclusions quels que soient les hommes qui les prononcent. La recherche scientifique relève de la logique et s’impose à l’homme.

La rigueur scientifique commande d’ignorer tout élément subjectif, politique ou téléologique[1]. La recherche n’a pas pour moteur quelque vision du monde que ce soit. Elle ne s’intéresse qu’aux faits. On ne peut en extrapoler ni interdit ni exigence. La science traite de la réalité, insère les faits dans un système où ils sont confrontés à d’autres faits, et révèle leurs liens fonctionnels.

Confronté à l’évidence scientifique, l’homme n’a d’autre choix que de s’y soumettre. Si ce qu’il découvre est incompatible avec ses valeurs, il ne peut faire autrement que de l’assumer. Il ne peut y avoir de dilemme lié au progrès scientifique et le chercheur n’a pas à anticiper les conséquences de ses travaux. Nous ne pouvons donc nous tourner vers la science pour découvrir ce qu’il convient de faire avec la science.

La science s’occupe de ce qui est, alors que l’éthique s’occupe de ce qui devrait être, ou de ce qui est souhaitable du point de vue humain. Tenter de déduire de l’éthique à partir de l’observation de la nature confine à la superstition, parce que l’éthique est une abstraction qui ne relève pas de la nécessité.  Yeshayahu Leibowitz[2] disait qu’il n’est  « jamais nécessaire pour un être humain de faire une chose particulière, et ceci quelle que soit la situation où il se trouve. Il peut toujours faire le contraire. C’est vrai de tout homme, de tout groupe humain et de toute réalité sociale et politique.[3] »

Ce constat illustre la liberté ontologique de l’homme, autrement dit le libre arbitre. Il conduit l’homme à s’interroger sur sa propre existence, à réfléchir à sa place dans le monde et à donner un sens à sa vie.

Une fois jeté dans le monde, l’homme est semblable à un enfant laissé à lui-même dans un magasin de jouets. Il est libre de saisir tout ce qui s’y trouve, mais dans un temps limité. Même sans connaître l’heure, l’enfant sait intuitivement que le magasin fermera à la tombée de la nuit, et qu’il ne pourra emporter aucun jouet avec lui. Cette conscience de la finitude, que même un enfant peut éprouver, est la source de l’angoisse métaphysique de l’homme adulte.

L’angoisse métaphysique est salvatrice. Elle nous renvoie à notre moi profond. Elle nous apprend l’embarras du choix face au monde et nous emmène à décider de nos interactions avec notre environnement. Elle nous apprend qu’en tant qu’individus nous ne pouvons procéder autrement qu’en faisant des choix dans un monde que nous n’avons pourtant pas choisi. L’angoisse métaphysique est liée à la certitude de la mort et constitue le moteur de la créativité.

Quand on demande à Woody Allen comment il souhaite qu’on se souvienne de lui après sa mort, il répond qu’il ne veut pas mourir. Mais s’il était éternel il ne réaliserait sans doute jamais de films, parce qu’il se dirait qu’il peut toujours s’y mettre le lendemain ou lors du millénaire suivant. La vérité est qu’il n’aurait rien à raconter. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Adam, le Premier Homme du récit biblique, n’a laissé aucune trace avant de devenir mortel.

La créativité humaine, c’est l’interaction entre l’esprit et la matière dans la perspective de la mort. C’est ainsi que ce qui détermine son action est ce qu’il veut.  En l’occurrence, nous ne devons pas nous demander ce que le transhumanisme pourrait faire de nous, mais ce que nous voulons faire du transhumanisme. Mais quoi que nous décidions nous devons nous méfier de tout consensus. Tout au plus pouvons-nous nous mettre d’accord sur base de compromis

La mouvance transhumaniste promeut l’usage combiné de différentes technologies en vue d’améliorer les capacités physiques et mentales des humains. Certaines recherches ont pour  finalité de créer des individus augmentés, de prolonger la vie, de supprimer le vieillissement, voire de tuer la mort.

Mais le progrès scientifique a toujours été à double tranchant. De la domestication du feu jusqu’au séquençage du génome humain, aucune découverte ne peut être considérée comme essentiellement éthique, ou au contraire incompatible avec elle.

Face au danger que pourrait constituer une technologie transhumaniste aux implications imprédictibles, l’on pourrait être tenté d’en contrôler le développement. Cela pourrait inciter la communauté internationale à confier à une institution impartiale la mission de faire barrage à toute dérive.

Mais cette peur de l’inconnu pourrait produire une idéologie hostile à la science en installant une technocratie régulatrice sans contrepouvoir. Celle-ci imposerait une politique transnationale contrôlant la recherche, l’économie, la culture et la vie privée. Les Etats renonceraient à leur souveraineté au bénéfice d’une union sacrée visant à intercepter toute initiative suspecte. Une telle gouvernance aurait dans son cahier de charge des dispositifs contraignants gommant les différences culturelles, ethniques et philosophiques au bénéfice d’une pensée unique.

La manière dont la pandémie du Corona a été gérée par de nombreux Etats est un cas d’école en la matière. Le confinement, la distanciation sociale et le catéchisme sanitaire ont été anxiogènes pour des peuples entiers et ont desservi l’économie. Les violations des droits de l’homme et la privation de libertés individuelles ont montré avec quelle désinvolture les démocraties les plus sûres pouvaient basculer dans le totalitarisme en un temps record.

Il faut se garder de combattre le mal par le mal en légiférant à tort et à travers. Une gouvernance universelle censée nous protéger constituerait une tyrannie. Il faut s’opposer à toute régulation à l’échelle du monde de la recherche scientifique, qu’il s’agisse de transhumanisme, d’écologisme, de bioéthique, de dérèglement climatique ou de toute autre menace réelle ou supposée pesant sur l’espèce humaine. Le communisme, le fascisme et le théocratisme n’ont jamais été que des universalismes menant à l’enfer par le chemin des bonnes intentions.

Considérons ce verset de la Parasha[4] Noé à propos de la Tour de Babel :

וַיְהִ֥י כׇל־הָאָ֖רֶץ שָׂפָ֣ה אֶחָ֑ת וּדְבָרִ֖ים אֲחָדִֽים׃

(Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables[5] )

Interprétation de Leibowitz : « Il existe à notre époque une idéologie qui pousse  à l’uniformisation de la pensée. Selon cette conception  l’humanité ne devrait former qu’un bloc indifférencié et sans conflits. Mais en réalité il n’y a rien de plus dangereux que ce conformisme qui étouffe la pensée. On ne peut imaginer tyrannie plus absolue. La Torah nous explique que Dieu a empêché la construction de la Tour de Babel en créant une humanité faite de contradictions, de différenciations et de valeurs multiples pour lesquelles les êtres humains doivent lutter afin de faire barrage à l’enfer  d’un universalisme  fait d’uniformité ».

En marge du transhumanisme il existe aussi une crainte diffuse selon laquelle des ordinateurs surpuissants pourraient un jour développer une pensée humanoïde en émulant l’action des synapses entre neurones et cellules nerveuses. Un enchainement de milliards de milliards de « 1 » et de « 0 » générerait ainsi une conscience animant des androïdes reproductibles aptes à aimer, à détester, à souffrir, à jouir, à désirer, à distinguer entre le bien et le mal, à produire de l’art, à tuer et à craindre la mort.   Au nom du droit des machines il serait alors interdit de leur nuire, de les humilier, de les torturer ou de les détruire. Leur existence bénéficierait du même caractère d’intangibilité que la vie humaine.  Nous serions solidaires de ces machines et elles le seraient de nous. Ne pas leur venir en aide en cas de panne logicielle ou mécanique constituerait un délit de non-assistance à machine en danger. Elles seraient justiciables sur base d’un code pénal similaire dans son principe au nôtre. Elles seraient soumises à l’impôt en tant qu’individus disposant de biens enregistrés dans la blockchain[6].

Mais il y a dans cette fantasmagorie une impasse logique. L’homme est peut-être à même de doter la machine de tous les mécanismes et algorithmes possibles, mais pas de la clé de sa propre liberté, puisqu’il ignore lui-même à quoi elle tient. Quelle que serait la capacité de calcul de la machine, elle serait incapable de manifester la moindre intention, étant donné que l’intention n’est déductible ni de la raison ni de la logique. Craindre dès lors que la machine pourrait décider de s’emparer du pouvoir des hommes est une hypothèse qui relève de la paranoïa plutôt que  de la science.

Ivan Fiodorovitch, l’un des personnages des « Frères Karamazov [7]» est un intellectuel qui s’interroge sur l’éthique et le libre arbitre, les deux étant liés. Il vient à la conclusion que sans croyance en Dieu le mal l’emporterait dans un monde livré à lui-même. Mais l’on peut aussi penser qu’en l’absence de Dieu le bien et le mal sont présents à parts égales dans le monde des hommes.

L’accélération du progrès technique doit nous faire réfléchir, sachant que toute nouvelle technologie porte en elle le meilleur et le pire. Un transhumanisme mal maitrisé pourrait être dévastateur en modifiant le corps humain de manière à le rendre hybride de manière irréversible. Il ne fait pas de doute que cela aurait des répercussions sociologiques, historiques et politiques majeures.

Mais l’homme pensant n’a pas changé depuis Aristote malgré l’incommensurable progrès technique, parce qu’aucune abstraction de l’esprit humain ne puise sa source dans la matérialité du monde. Ni les nations, ni l’argent, ni les droits de l’homme, ni la justice, ni le contrat social ni la démocratie ne se trouvent dans le monde physique. Ce sont des représentations sans lien avec la nature. Dans le même ordre d’idées, la technologie ne saurait neutraliser l’esprit humain, tout simplement parce qu’elle n’y a pas accès.

Nous assistons à un changement de civilisation multifactoriel dont les velléités transhumanistes constituent l’un des aspects, mais ce serait une erreur que d’en faire un épouvantail. Le passage à la révolution industrielle n’a pas été non plus de tout repos, mais a fini par réduire la misère dans le monde.

Considérons ce verset de la Genèse:

וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃

« Et Dieu dit faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »

En conclusion il est raisonnable de penser que ce ne sera jamais la matière qui transformera l’homme, et que l’homme continuera à assujettir la matière comme il le fait depuis le vol du feu par Prométhée.

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[1] L’idée que le monde obéit à une finalité.

[2] Chimiste, médecin, historien de la science, philosophe, érudit du judaïsme  et moraliste israélien, considéré comme l’un des intellectuels les plus marquants de la société israélienne, et l’une de ses personnalités les plus controversées pour ses avis tranchés sur la morale, l’éthique, la politique, et la religion. Rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque.

[3] Peuple, Terre et État, Paris, Éditions Plon, 1995

[4] Unité de division du texte de la Torah.

[5] Genèse 11:1

[6] Technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle.

[7] Le dernier roman de Fiodor Dostoïevski.

Intelligence artificielle et conscience.

Le « cogito ergum sum » – je pense donc je suis – de Descartes est une certitude qui ne peut être révoquée en aucune manière par celui-là même  qui l’exprime. L’homme qui pense, pour autant qu’il soit doué de raison, ne peut nier ni même douter qu’il pense et donc qu’il est. Penser, c’est  se questionner sur son existence, réfléchir sur sa place dans le monde et sur le sens de sa vie.  Penser et être ne sont en fait qu’une seule et même chose chez l’être humain. La certitude d’être précède et conditionne toutes les autres certitudes du point de vue méthodologique. Quant à la matière, on ne peut exclure que son existence ne soit, littéralement,  qu’une vue de l’esprit.

Le  matérialisme, en revanche,  postule qu’il n’y a au monde rien d’autre que de la matière, ou en tous cas que tout est physique. Vu sous cet angle, la pensée ne serait pas indépendante de la matière, mais en serait au contraire une manifestation assez récente dans l’histoire du monde. La pensée humaine  aurait émergé au fil d’une évolution s’étalant sur des milliards d’années, comme un des effets de la complexification du vivant. L’homo sapiens ne serait que l’aboutissement d’un processus biologique qui, partant de microorganismes unicellulaires, aurait fini par produire la pensée,  de la même manière qu’il a fini par produire le corps humain lui-même.

Des ordinateurs infiniment plus puissants que ceux d’aujourd’hui pourraient donc, du moins en théorie, produire elles aussi de la pensée, en émulant de manière artificielle l’action des synapses entre neurones et cellules nerveuses. Un enchainement de milliards de milliards  de « 1 » et de « 0 » se métamorphoseraient ainsi en pensée animant des robots ou des androïdes aptes à aimer, détester, souffrir, jouir, désirer,  distinguer entre le bien et le mal, produire de l’art, tuer et craindre la mort.

Ces machines pourraient donc, tout comme Descartes, dire « je pense donc je suis  ».  Cela poserait un défi éthique, puisqu’il serait interdit, au nom du droit des machines, de les peiner, de les humilier, de les torturer ou de les détruire. Leur existence bénéficierait ainsi du même caractère d’intangibilité que la vie humaine.  Nous serions solidaires de ces machines et elles seraient solidaires de nous. Ne pas leur venir en aide en cas de panne logicielle constituerait un délit de non-assistance à machine en danger. Elles seraient en revanche justiciables tout comme nous sur base d’un code pénal, peut-être adapté, mais similaire dans son principe au nôtre. Elles seraient même soumises à l’impôt en tant qu’individus à part entière disposant de revenus et de biens.

Mais il y a une impasse logique dans cette représentation, parce qu’elle suppose que le mécanisme de décision de la machine serait démontrable, ce qui est l’antithèse du concept de libre arbitre, lui-même indissociable de la pensée humaine. Autrement dit, si l’on pouvait remonter à ce qui fait que la machine pense nécessairement d’une certaine manière et pas d’une autre, révélerait qu’elle n’est pas libre. Ceci parce que la pensée humaine relève d’une intentionnalité liée à la conscience de soi, or une intention s’inscrivant dans une chaine causale ne saurait par définition être libre. L’hypothèse d’une pensée déterminée est donc une contradiction dans les termes et constitue une proposition antinomique.

Théocratie et dictature

Une théocratie est-elle forcement une dictature ? Du point de vue sémantique cette distinction s’impose, puisque ces termes ne sont en principe ni synonymes ni interchangeables. L’on note cependant que ces notions se confondent souvent dans le langage courant. La question est de comprendre pourquoi.

Selon ChatGPT  « les théocraties sont des systèmes politiques où le pouvoir est détenu par une autorité religieuse ou une divinité. La combinaison d’une théocratie avec un gouvernement dictatorial signifie que le dirigeant religieux ou spirituel exerce un contrôle absolu sur l’État et impose son autorité de manière arbitraire, sans respecter les droits et libertés fondamentales des citoyens. »

Cette définition relève empiriquement un lien de cause à effet entre théocratie et dictature au cours de l’Histoire. Autrement dit elle pose que toute théocratie tend à tourner à la dictature. La source de la Loi étant le gouvernement de Dieu, le peuple n’a pas le pouvoir de la modifier. C’est au guide spirituel ou au monarque de droit divin de l’interpréter sur base de textes sacrés. Mais comme le peuple n’a pas droit de cité, l’exercice du pouvoir par le clergé finit par tomber dans l’arbitraire.

Il y a un épisode dans la Torah au cours duquel le prophète Samuel tente de dissuader le peuple qui aspire à la monarchie. Il prévient que le Roi exercerait un pouvoir absolu sous couvert de religion.  Il lèverait des impôts et mobiliserait les hommes pour renforcer son emprise. Il confisquerait leurs biens pour les redistribuer à sa cour en prétextant servir Dieu. Cette prophétie se réalise sous le Roi Saül, qui en prenant de l’âge est victime de son Hubris, et sombre dans la folie.

Le Roi  Salomon quant à lui commence son règne dans le respect de la Torah. Mais plus tard il écrase le peuple par une intolérable pression fiscale afin de financer ses projets abyssaux, et entretenir ses innombrables femmes. Il leur installe des idoles païennes en plein milieu du Temple, qu’il a pourtant construit à la gloire du Dieu d’Israël.

Son fils Réhoboam lui succède et s’adresse au peuple en disant  « mon père vous a chargés d’un joug pesant et moi j’augmenterai votre joug; mon père vous a châtiés avec des fouets, et moi je vous châtierai avec des scorpions [1]». Le tout au nom de Dieu, bien entendu.

Yeshayahu Leibowitz, homme de science et philosophe, bien qu’étant lui-même Juif orthodoxe, soutenait avec passion le combat en faveur d’une séparation radicale entre religion et Etat en Israël. Il craignait l’avènement d’une théocratie, dont il prédisait qu’elle serait une dictature : «  l’on ne peut se fier à l’intelligence ni à la bonne volonté des hommes. Leur niveau intellectuel et spirituel est dans la plupart des cas médiocre. Ce qui donne tout son sens à la démocratie, c’est que bien que les hommes ne soient pas égaux ils ont des droits égaux. Il faut cependant se garder de l’idée que la voix du peuple est éthique du seul fait d’être majoritaire. Une majorité peut être bête et méchante, mais au moins la démocratie permet-elle de changer de gouvernement dans le cadre du système plutôt que par la violence.[2] »

Vu sous cet angle théocratie et dictature sont donc inextricablement liées.

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[1] Premier livre des Rois, chapitre 12.

[2] Compilé dans « Leibowitz ou l’absence de Dieu », Daniel Horowitz, Collection « Ouverture Philosophique », Editions l’Harmattan,

Fracture

« Fracture » est un téléfilm français qui date de 2010. Il raconte l’histoire d’Anna Kagan, une jeune professeure juive affectée à un poste  difficile dans une école où la plupart des élèves sont issus de l’immigration.

Deux thèses s’affrontent dans « Fracture ».

La première est qu’il n’y a pas de fatalité, que l’Education Nationale et le système de santé sont perfectibles moyennant une volonté politique au niveau économique et humain. Il faut donc chercher à changer les choses.

La deuxième est que la partie est perdue, et que non seulement le dévouement personnel ne sert plus à rien, mais qu’il détruit celui ou celle qui persiste à vouloir changer les choses.

Cette dialectique est illustrée par la scène-clé ou Vidal, professeur vétéran, annonce sa démission pour partir à la recherche du bonheur avec sa compagne, alors que Kagan, professeure débutante, refuse de baisser les bras, quitte à ruiner  son couple.

Le film dépeint la complexité d’une société qui dysfonctionne, où les tragédies s’enchainent sans qu’il y ait de coupables ou de responsables. Un mal systémique qui abrutit le sous-prolétariat (Slimane le djihadiste), même  si certains s’en sortent grâce à une trempe exceptionnelle (Zohra la coiffeuse).

Mais ce que Vidal et Kagan prennent pour quelque chose de ponctuel du point de vue historique est en réalité une lame de fond qui déferle sans entraves sur une civilisation occidentale à la dérive et en panne de spiritualité.

Plusieurs scènes du film décrivent à quel point leurs élèves ne se considèrent pas comme Français et estiment qu’ils n’ont pas à respecter la République.  Même nés en France ils restent mentalement rivés à leur origine. Ces adolescents se sentent d’ailleurs souvent plus proches des Palestiniens que de leurs propres concitoyens et pratiquent un antisionisme truffé de truismes antisémites.  Ils méprisent cette France de tradition chrétienne parce qu’ils considèrent l’Islam comme leur valeur suprême. Cette religion est d’une grande vitalité et a vocation à se propager dans une Europe en déclin.

L’Europe traîne une gueule de bois au bout d’un vingtième siècle sinistre qu’elle n’a toujours pas digéré. Elle est avachie et remet tout à des lendemains qui sans doute déchanteront. En attendant l’immigration extra-européenne qu’elle a encouragée n’est plus composée seulement d’individus, mais constitue en grande partie un peuple dans le peuple, sans intention de se dissoudre. Il y a désormais deux conceptions du monde qui s’affrontent dans la vielle Europe.

Kagan pense que ses élèves, aussi dissipés et récalcitrants soient-ils, sont amendables. Qu’en faisant preuve de pédagogie, d’intelligence, de compréhension et de patience, elle arrivera à les conduire sur le bon chemin. Mais c’est précisément cette notion de bon chemin qui pose problème.

Il n’existe, dans l’absolu, ni  bons  chemins ni bonnes  valeurs. Personne n’en a le monopole. Les spiritualités varient d’une culture à l’autre sans qu’il y ait de règle qui puisse les hiérarchiser ou en expliquer les différences de manière logique.

Le  bon chemin de Kagan est incompatible avec celui de ses élèves. L’imprégnation dans leur esprit de structures héritées de leurs ancêtres est profonde, or ils ne voient pas au nom de quoi ils les renieraient. Des valeurs telles que la laïcité, l’égalité hommes-femmes, la liberté d’expression ou le droit au blasphème sont vus par eux comme des sacrilèges. A leurs yeux la spiritualité dont ils sont porteurs prime sur ce que Kagan pourrait bien avoir à leur transmettre.

La préface de l’ouvrage « Puissance et décadence » du philosophe Michel Onfray se termine ainsi : « Le Titanic va couler. Il ne nous reste que l’élégance de la fin. Ca ne suffira pas pour construire une civilisation. Mais c’est assez pour opposer une résistance romantique à l’inéluctable ».

L’Art

Certains pensent que l’art relève uniquement du génie d’individus qui grâce à leurs dons hors-normes expriment quelque chose d’universel. Mais l’inspiration ne surgit pas par génération spontanée. L’art ne relève pas de l’âme d’une seule personne mais de celle d’une civilisation entière. Les créateurs ne sont pas dotés d’une grâce intemporelle venue de nulle part. L’art a ses racines dans la spiritualité des peuples et est l’avatar d’une maturation qui s’étale sur des siècles et parfois des millénaires. Ce sont les couches thésaurisées de l’Histoire qui rendent l’art possible. C’est le temps long de l’Histoire qui nourrit le temps court de la création artistique. Le Premier Homme du récit biblique ne produisait pas d’art parce qu’il se confondait avec l’éternité de la Nature. Ce n’est que quand il a été jeté dans le monde de la mort et du temps qu’il a commencé à créer.  Aussi innovants que soient les artistes ils n’expriment jamais que l’esprit du temps présent aux prises avec le temps passé.

Douglas Murray et l’étrange suicide de l’Europe 

Douglas Murray est un écrivain, journaliste et commentateur politique britannique néo-conservateur. Ci-dessous des extraits de « L’étrange suicide de l’Europe », traduit de l’anglais et publié en 2018 par « L’Artilleur » à Paris.

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Cette civilisation que nous appelons « Europe » a entamé un processus d’autodestruction, et que ni l’Angleterre, ni aucun pays d’Europe occidentale ne saurait échapper à ce destin. Car il semble bien que nous souffrions tous des mêmes symptômes et des mêmes pathologies. Quand la génération européenne actuelle s’éteindra, l’Europe ne sera plus l’Europe et ses peuples auront perdu leur patrie. Le seul endroit au monde où nous étions chez nous.

Quels que soient ses autres aspects positifs, les bienfaits économiques de l’immigration ne retombent en réalité quasiment que sur le migrant lui-même. Ce sont les immigrés qui ont accès aux infrastructures publiques pour lesquelles ils n’ont pas payé au préalable. Ce sont les immigrés qui bénéficient d’un salaire plus élevé que celui qu’ils pourraient atteindre dans leur pays d’origine. Et très souvent, l’argent qu’ils gagnent, ou du moins une bonne partie de cet argent, est envoyé à leur famille, résidant hors du Royaume-Uni, plutôt que d’être réinjecté dans l’économie locale.

Une étude Gallup menée en Grande-Bretagne révéla précisément que 0 % des musulmans britanniques (à partir d’un échantillon de 500) considéraient que l’homosexualité était moralement acceptable. Une autre étude menée en 2016 révéla que 52 % des musulmans britanniques estimaient qu’il faudrait rendre l’homosexualité illégale.

Pendant ces années, faire campagne sur ces agressions sexuelles, voire les mentionner, vous exposait à de très gros ennuis. Lorsque la députée Labour du Nord, Ann Cryer, s’empara de la question du viol de filles mineures dans sa propre circonscription, elle fut dénoncée comme « islamophobe » et « raciste ». Elle dut solliciter une protection policière. Il fallut des années au gouvernement central, à la police, aux édiles locaux et à l’autorité judiciaire pour oser faire affronter le problème. Lorsqu’ils commencèrent enfin à s’en préoccuper, une enquête officielle dans la ville de Rotherham révéla l’exploitation d’au moins 1 400 enfants de 1997 à 2014. Les victimes étaient toutes des jeunes filles blanches non musulmanes de la communauté locale, la plus jeune d’entre elles n’avait que 11 ans. Elles avaient toutes été sauvagement violées, certaines avaient été aspergées de pétrole et menacées d’être brûlées vives. D’autres avaient été obligées, sous la menace d’une arme, de regarder le viol d’une autre fille : on voulait ainsi les dissuader de raconter ce qu’elles avaient subi. En enquêtant sur ces faits, on découvrit que, même si les coupables étaient presque tous des hommes d’origine pakistanaise, opérant en gangs, les membres du conseil municipal exprimaient une « réticence à reconnaître les origines ethniques des coupables, de crainte d’être considérés comme racistes »

Partout en Europe de l’Ouest, la même vérité émergeait, au moins aussi lentement, souvent presque en même temps, qu’en Grande-Bretagne. Dans chaque pays, le refus des autorités d’intégrer aux statistiques criminelles des considérations ethniques ou religieuses contribua au maintien du silence. En 2009, la police en Norvège révéla que les immigrés d’origine non occidentale étaient responsables de « l’ensemble des viols rapportés » à Oslo22. En 2011, le bureau statistique de l’État norvégien accepta de reconnaître que les immigrés étaient « surreprésentés dans les statistiques de criminalité ».

Si la mondialisation fait qu’on ne peut plus empêcher quiconque de venir en Europe, il faut noter pourtant que ce problème planétaire n’affecte pas tous les pays. Si la cause en est l’attraction économique, alors il n’y a aucune raison pour que le Japon ne soit pas touché par les vagues d’immigration. En 2016, le pays était la troisième plus grande économie au monde, devant l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Mais bien sûr, malgré sa vitalité économique considérable, supérieure à celle de tous les pays européens, le Japon a évité l’immigration de masse en mettant en œuvre des mesures pour l’arrêter, en dissuadant les migrants de s’installer, en rendant l’accès à la citoyenneté japonaise difficile. Peu importe que l’on cautionne ou non la politique du Japon, mais l’exemple de ce pays montre que même à notre époque hyperconnectée, il est possible à une économie moderne d’éviter l’immigration de masse. Le processus n’est pas « inévitable ». De la même manière, bien que la Chine soit la deuxième plus grande économie mondiale, elle n’est pas un pays d’accueil pour demandeurs d’asile ou migrants économiques. En mettant de côté la question de la moralité de ce refus, il est assurément possible, y compris pour les nations les plus riches de la terre, de ne pas devenir le pôle d’attraction des migrants du monde entier. Si l’Europe est attractive, ce n’est pas seulement parce qu’elle fait miroiter richesse et emplois. Certaines raisons spécifiques expliquent qu’elle soit devenue une destination de choix pour les migrants, et ces raisons sont de son fait. Tout d’abord, les migrants ont conscience que l’Europe les autorisera très probablement à rester sur son territoire. Au top des motifs qui les poussent à affluer en Europe figure leur connaissance des mécanismes de l’État providence. Ils savent que l’État providence s’occupe des migrants qui arrivent et que, même s’il leur faudra du temps, même s’ils sont mal pris en charge, leur niveau de vie sera plus élevé et leurs droits plus étendus que nulle part ailleurs, a fortiori dans leur pays d’origine. La croyance, exacte et flatteuse pour les Européens, que l’Europe est plus tolérante, plus pacifique et plus accueillante que n’importe quelle autre partie du monde en fait aussi une destination privilégiée. S’il y avait plus de continents comme l’Europe, nous ne pourrions pas nous vanter d’être une des sociétés les plus généreuses de la planète. Si cette image d’unique endroit sur terre où il est facile de rentrer, facile de rester et sûr de vivre se renforce, alors le continent pourrait découvrir que l’attention qu’il suscite est bien moins flatteuse à long terme qu’elle peut l’être à court terme. Cependant, il n’est pas inévitable que les migrants du monde entier viennent en Europe. Ils viennent parce que l’Europe s’est rendue, pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons, attractive.

En décembre 2014, un jour où la mer était agitée, un navire parti des alentours de Nador dans le nord du Maroc et transportant plus de 50 Africains subsahariens tenta de rejoindre la côte du sud de l’Espagne. Le capitaine musulman camerounais accusa un pasteur nigérian chrétien d’être responsable du mauvais temps parce qu’il priait à bord. Le capitaine et l’équipage frappèrent le pasteur et le jetèrent par-dessus bord avant de contrôler les autres passagers, d’identifier les chrétiens, de les frapper, et de les jeter eux aussi par-dessus bord4.

Le terme « multiculturalisme » (et plus encore celui de multikulti en allemand) résonnait différemment selon les individus. Pendant des années et encore aujourd’hui, pour la plupart des gens, le terme signifie « pluralisme » et désigne simplement une société ethniquement diversifiée. Dire à ce moment-là qu’on était en faveur du multiculturalisme revenait à dire qu’on ne se souciait pas du fait que des gens de tous horizons vivent dans son pays.

En 2006, le ministre de la Justice hollandais, Piet Hein Donner, souleva une vague de colère aux Pays-Bas, en laissant entendre dans un entretien que, si les musulmans souhaitaient remplacer la loi du pays par la charia, ils pourraient le faire par des moyens démocratiques (sous-entendant par là : lorsque les musulmans seront devenus majoritaires). En 2004, Donner avait temporairement proposé la réinstauration du délit de blasphème afin de satisfaire aux exigences de certains musulmans.

Samuel Huntington: « Le multiculturalisme est une civilisation ontologiquement anti-européenne. C’est fondamentalement une idéologie anti-occidentale. »

Alors que l’ère multiculturelle commençait à accuser le coup, on chercha à tout prix un pays où ce concept avait fonctionné. Lorsque l’onde de choc des attentats a frappé Londres, les Britanniques se sont demandé si le modèle français de laïcité n’était pas la solution aux problèmes d’intégration. Puis, après la recrudescence du nombre d’attaques terroristes en France commises par des Français, on se demanda si le modèle anglo-saxon n’avait pas au fond tous les mérites. Entre-temps, on crut trouver en Scandinavie la solution miracle, jusqu’à ce que les problèmes de ces pays finissent par apparaître au grand jour. Globalement, l’opinion publique pouvait constater ce que les dirigeants politiques n’arrivaient pas à voir : malgré les différences entre les nations européennes, elles avaient toutes échoué à intégrer les nouveaux venus.

Pendant la crise, la chancelière Merkel téléphona au Premier ministre Benjamin Netanyahu. On raconte qu’elle voulait lui demander conseil. Israël est le seul pays au monde à avoir efficacement intégré un nombre comparable de gens sur une durée équivalente, comme on le vit à l’arrivée des Juifs russes, dans les années 1990. Sans compter les autres vagues migratoires à grande échelle qu’Israël est parvenu à absorber dans les décennies qui ont suivi sa création. Comment Israël avait-il réussi à accueillir autant d’individus tout en restant remarquablement uni, et peut-être même encore plus uni qu’auparavant ? De nombreuses raisons peuvent l’expliquer, notamment les liens que tissent l’expérience commune du service militaire obligatoire et les programmes d’assimilation mis en place par le Gouvernement en Israël. Ce que la courtoisie diplomatique a peut-être empêché le Premier ministre Netanyahu de souligner, mais qu’il eût sans doute été pertinent de dire, c’est que la quasi-totalité des gens qui pendant des dizaines d’années sont arrivés en Israël partageaient un héritage juif commun, alors que dans les mois et les années à venir, Angela Merkel et son pays allaient devoir admettre que les luthériens allemands étaient peu représentés parmi la masse de gens accueillis en 2015.

Le 5 octobre 1990, un dirigeant musulman religieux déclara lors d’une émission de radio – une station subventionnée d’Amsterdam – que « ceux qui résistent à l’islam, à l’ordre de l’islam ou qui s’opposent à Allah et à son prophète, peuvent être tués, pendus, massacrés ou bannis, comme le prescrit la charia ».

Au Royaume-Uni, la police admit n’avoir pas mené à terme de nombreuses enquêtes concernant la mort de jeunes femmes musulmanes, considérant que ce qui ressemblait bien à des « crimes d’honneur » constituait un phénomène interne, propre à la communauté musulmane. En 2006, l’association médicale britannique rapporta qu’en Grande-Bretagne, au moins 74 000 femmes avaient subi l’excision.

Alors qu’ils ne représentent que 1 % de la population, les juifs étaient victimes de près de la moitié des agressions racistes enregistrées en France. Le 14 juillet 2014, à Paris, des fidèles furent enfermés à l’intérieur d’une synagogue par des immigrés psalmodiant, entre autres, « Mort aux Juifs ». En 2012, un musulman armé a tué trois enfants et un professeur dans une école juive de Toulouse. En 2014, un musulman armé a assassiné quatre personnes au musée juif de Bruxelles. En 2015, un autre musulman armé a tué quatre juifs dans un hypermarché casher à Paris. En 2015, c’est encore un musulman armé qui a tué Des prophètes sans honneur un homme, juif, chargé de la protection à la grande synagogue de Copenhague. Ces assassinats, et d’autres agressions, poussèrent finalement à poser la question de l’antisémitisme musulman.

Fallaci cita l’ancien président algérien Houari Boumédiène. Celui-ci, en 1974, avait dit devant l’assemblée générale des Nations unies : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud de cette planète pour pénétrer dans l’hémisphère nord. Mais pas en amis. Parce qu’ils jailliront pour conquérir, et ils conquerront en le peuplant de leurs enfants. La victoire nous viendra du ventre de nos femmes.

Lors d’un meeting à Cologne en 2008, le Premier ministre (et futur Président) turc, Erdoğan, expliqua à une foule de 20 000 Turcs vivant en Allemagne, Belgique, France et aux Pays-Bas : « Je comprends très bien que vous soyez contre l’assimilation. On ne peut attendre de vous que vous vous assimiliez. L’assimilation est un crime contre l’humanité. » Cependant, il expliqua à son auditoire qu’il lui fallait s’impliquer dans la politique et gagner suffisamment d’influence pour que les cinq millions de Turcs vivant alors en Europe soient capables de ne plus être simplement des « invités » mais deviennent un « élément constitutif » majeur de la société européenne.

Un dernier pays dont l’existence même est reprochée aux Européens et dont on considère généralement qu’il procède du même « péché originel », c’est l’État d’Israël. Depuis sa fondation en 1948, ce « péché originel » n’a fait que se confirmer et s’accentuer. Peu importe que la création du Pakistan, la même année qu’Israël, ait immédiatement entraîné des massacres inimaginables et imposé la déportation forcée de millions de personnes. Le départ et les expulsions occasionnelles de milliers de Palestiniens en vue de créer l’État d’Israël en 1948 sont devenus le « péché originel » du seul État juif de la planète. Au fil des années, un terme arabe s’est popularisé pour décrire ce qui s’était passé : nakba, ou « catastrophe ». Rares sont les États qui ont été créés sans mouvements de population. De nombreux pays nés au XXe siècle (le Bangladesh par exemple) ont connu des mouvements de population et des effusions de sang qui excèdent très largement tout ce qui s’est jamais produit dans les années qui ont suivi la création d’Israël. Mais aujourd’hui, c’est Israël qu’on accuse constamment d’être né de ce « péché originel ». Les citoyens du Pakistan et du Bangladesh peuvent faire des reproches aux Britanniques, mais jamais on exigerait d’eux qu’ils se sentent coupables, comme on l’exige pourtant des Européens et de leurs descendants. Bien sûr, lorsqu’il s’agit d’Israël (État comparativement plus jeune), les suggestions les plus extrêmes pour régler la situation sont envisageables.

Les attentats de Paris accélérèrent le processus de rétropédalage qui était déjà plus ou moins à l’œuvre. La Norvège modifia précipitamment sa politique d’asile et, en l’espace d’une quinzaine de jours après les événements de Paris, même la Suède annonça qu’elle réintroduisait les contrôles à ses frontières. Dorénavant, les gens entrant dans le pays devraient montrer une pièce d’identité. Ce fut annoncé comme si personne n’avait jamais entendu parler d’une telle chose. Lorsque la Première ministre suédoise, Åsa Romson du Parti vert, fit cette déclaration, elle éclata en sanglots.

Un mois avant l’interdiction du burkini à Nice, un Tunisien, Mohammed Lahouaiej-Boulel, fonça en camion dans la foule massée sur la promenade des Anglais pour célébrer le 14 juillet. Quatre-vingt-six personnes furent tuées ce soir-là et bien davantage encore furent blessées. Daesh affirma que le terroriste avait répondu à l’ordre de commettre des attentats en Europe. Le gouvernement français prolongea encore une fois l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis novembre dernier. Mais il est fascinant de constater qu’à peine un mois après une telle atrocité, le plus virulent des débats publics ait porté sur un accoutrement nautique islamique inventé à peine dix ans auparavant. Être fasciné par un tel attachement aux détails, alors que la question centrale demeurait irrésolue, était tout à fait tentant. Un État est capable d’arrêter des gens qui tiennent des kalachnikovs mais comment peut-on empêcher des gens de mettre la main sur des camions ? On peut arrêter les extrémistes qui s’infiltrent dans le pays mais comment fait-on lorsque les extrémistes sont des citoyens français ?

En décembre 2015, le New York Times fit exception à la règle en publiant un reportage sur les stages suivis en Norvège par des réfugiés volontaires, stages destinés à leur apprendre comment traiter les femmes. Ceci visait à lutter contre la drastique augmentation des viols en Norvège. Pendant ces stages, on expliquait notamment aux réfugiés que, si une femme leur souriait ou était court vêtue, cela ne signifiait pas qu’ils pouvaient la violer. Ces formations, destinées à des gens qui (pour reprendre les paroles d’un des organisateurs) n’avaient jamais vu que des femmes en borka et pas en minijupe, plongeaient certains d’entre Apprendre à vivre avec eux dans des abîmes de perplexité. « Les hommes ont des faiblesses. Quand on voit quelqu’un qui nous sourit, c’est difficile de se contrôler », expliquait un demandeur d’asile de 33 ans. Dans son propre pays, l’Érythrée, continua-t-il, « si quelqu’un veut une femme, il n’a qu’à la prendre, il ne sera pas puni pour ça ».

Finalement, le tabou atteint de telles proportions qu’en septembre 2015, des fonctionnaires bavarois commencèrent à mettre en garde les parents allemands : ceux-ci devaient désormais s’assurer que leurs filles, lorsqu’elles sortaient, ne portent pas des vêtements trop près du corps. « Les décolletés, les minishorts et les minijupes peuvent susciter des malentendus », prévenait une lettre aux parents. Dans certaines villes bavaroises, notamment à Mering, la police incitait les parents à ne pas laisser leurs enfants sortir seuls. On conseilla aux femmes de ne pas se rendre à la gare sans être accompagnées. À partir de 2015, on enregistra quotidiennement des signalements de viols dans les rues d’Allemagne, les bâtiments publics, les piscines et en bien d’autres endroits. Des événements semblables furent signalés en Suède, en Autriche et partout ailleurs. Mais partout le sujet des viols resta sous le boisseau, étouffé par les autorités et considéré par la plupart des médias européens comme ne faisant pas partie des informations dignes d’être rapportées.

En janvier 2016, deux hommes politiques révélèrent la véritable ampleur du désastre. Lors d’un entretien accordé à la télévision néerlandaise, Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, reconnut que la majorité des gens arrivés en Europe l’année précédente n’étaient pas des demandeurs d’asile, mais bien des migrants économiques. Citant des chiffres de l’agence de contrôle des frontières Frontex, Timmermans admit qu’au moins 60 % des personnes arrivées en Europe l’année précédente étaient en réalité des migrants économiques, qui n’avaient pas davantage le droit de rester en Europe que n’importe quel autre étranger. Quant à ceux qui étaient originaires d’États d’Afrique du Nord, comme le Maroc et la Tunisie, Timmermans ajouta « qu’ils n’avaient aucune raison de demander le statut de réfugiés ».

Puis, le ministre de l’Intérieur suédois Anders Ygeman reconnut que, parmi les 163 000 personnes arrivées en Suède l’année précédente, seulement la moitié pouvait légitimement déposer une demande d’asile. M. Ygeman évoqua le nombre d’avions dont le gouvernement suédois allait avoir besoin pour les renvoyer dans leur pays, et prévint que plusieurs années seraient nécessaires pour expulser ces gens. Concernant les migrants présents en Suède en 2015, et dont le Gouvernement avait estimé qu’ils n’avaient pas le droit d’être là, il déclara : « Nous parlons de 60 000 personnes mais les chiffres pourraient monter à 80 000. » Il est terrifiant qu’un Gouvernement puisse aboutir à cette conclusion après avoir lui-même fait entrer tant de gens dans son pays.

À la fin du mois de mai 2016, l’Allemagne avait plus de 220 000 personnes sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Seules 11 300 d’entre elles furent expulsées, y compris vers les pays où elles étaient arrivées en premier lieu, comme la Bulgarie.

Lorsque les services belges ont enquêté sur les nombreux projets d’attentats fomentés par des Belges, ils ont découvert qu’une grande partie d’entre eux préparaient leur coup en étant toujours subventionnés par l’État. Salah Abdeslam, par exemple, le principal suspect et survivant des attentats de Paris en novembre 2015, avait perçu pendant la période précédant les attentats 19 000 euros d’allocations chômage. Ses dernières allocations remontaient à peine à quelques semaines avant les attentats. Cela fait des sociétés européennes les premières dans l’histoire du monde à payer les gens qui les attaquent.

Écrivains et penseurs se montraient autrefois moins réservés sur la question. Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler fait partie de ces ouvrages pessimistes et profondément vivifiants qui ont marqué la pensée allemande du début du XXe siècle. Il y défend précisément cette thèse. Spengler considère en effet que les civilisations, à l’instar des gens, naissent, s’épanouissent, dégénèrent et meurent. À ses yeux, l’Occident arrive au terme de ce processus. Une critique courante du « spenglérisme » consiste à dire qu’une des caractéristiques de la culture occidentale réside précisément dans la peur permanente de la décadence. En admettant que cette critique soit juste, cela n’empêche pas que l’Occident, qui aime à s’apitoyer sur son sort, ait effectivement entamé une phase de déclin.

Que détruisirent encore ces conflits et le choc des idéologies ? Très certainement l’idée consolatrice d’un Dieu miséricordieux, à défaut des derniers vestiges de religion. Si la disparition de cette idée ne s’était complètement accomplie dans les boues des Flandres, l’affaire fut définitivement réglée lors du « procès de Dieu » comme Elie Wiesel le décrivit à Auschwitz. Les juifs pouvaient continuer à honorer leurs traditions en tant que peuple et, s’ils avaient perdu leur foi en Dieu, ils pouvaient croire en leur peuple. Mais l’Europe chrétienne avait perdu la foi non seulement en son Dieu, mais aussi en ses peuples. Toute foi que l’homme pouvait encore avoir en l’homme avait été détruite en Europe. À partir des Lumières, la croyance et la confiance en Dieu s’étaient étiolées, mais la croyance et la confiance en l’homme les avaient partiellement remplacées. La croyance en un homme autonome s’était développée avec les Lumières, qui avaient mis l’accent sur la sagesse potentielle de l’humanité. Néanmoins, ceux qui s’étaient laissé guider par la raison avaient désormais l’air aussi ridicules que les autres. La « raison » et le « rationalisme » avaient mené les hommes à commettre les choses les plus déraisonnables et les plus irrationnelles qui soient. Ce n’était qu’un moyen utilisé par des hommes pour contrôler d’autres hommes. La croyance en l’autonomie de l’homme avait été détruite par l’homme.

Quelles répercussions peut avoir l’arrivée massive en Europe de gens qui n’ont reçu en héritage ni les doutes ni les intuitions des Européens ? Personne ne le sait à ce jour et personne ne l’a jamais su. La seule chose dont nous puissions être certains, c’est que cela ne saurait rester sans effet. Laisser s’installer des dizaines de millions de gens, avec leurs idées et leurs contradictions, sur un continent qui professe d’autres idées et porte d’autres contradictions, a nécessairement des conséquences. L’hypothèse que formulaient les tenants de l’intégration, selon laquelle tout le monde, avec le temps, pouvait se transformer en Européen, apparaît d’autant moins valide aujourd’hui que de nombreux Européens ne sont eux-mêmes pas vraiment certains de vouloir le rester.

Puis, par mégarde, M. Goldstein laissa filer une information intéressante. Des amis, qui enseignaient en lycée dans les zones principalement musulmanes de Molenbeek et de Schaerbeek, lui avaient raconté que, dès qu’il était question des terroristes qui avaient semé la désolation dans leur ville, « 90 % des lycéens, âgés de 17 à 18 ans, les considéraient comme des héros ». Ailleurs, dans un entretien accordé à De Standaard, le ministre de l’Intérieur belge, Jan Jambon, affirma qu’une part significative de la communauté musulmane avait dansé lorsque les attaques avaient eu lieu.

Un sondage effectué en Grande-Bretagne en 2006, un an après que les caricatures danoises furent publiées, montra que 78 % des musulmans britanniques pensaient qu’il fallait assigner en justice ceux qui les avaient publiées. Un pourcentage à peine plus faible (68 %) avait le sentiment qu’il fallait assigner en justice toute personne qui insultait l’islam. Le même sondage découvrait que près d’un cinquième des musulmans britanniques (19 %) respectait Oussama Ben Laden et 6 % déclaraient même le « respecter grandement2 ». Neuf ans plus tard, lorsque deux membres d’Aqmi entrèrent dans les bureaux de Charlie Hebdo et massacrèrent l’équipe de rédaction qui avait publié les caricatures de Mahomet, 27 % des musulmans britanniques estimèrent avoir « de la sympathie » pour les motifs des terroristes. Près d’un quart (24 %) disent trouver légitime la violence envers ceux qui publient des images de Mahomet3. La BBC, qui avait commandé le sondage, en fit le gros titre suivant : « La plupart des musulmans britanniques s’opposent aux représailles contre les caricaturistes de Mahomet. »

Ainsi, par exemple, le directeur du centre islamique de Luton, Abdul Qadeer Baksh, qui dirige une école locale, qui est l’allié d’élus locaux au rang desquels on compte quelques parlementaires, qui travaille avec les fonctionnaires du réseau interconfessionnel Luton Council of Faiths. Il pense par ailleurs que l’islam est depuis mille quatre cents ans en guerre avec « les juifs » et que, dans une société idéale, les homosexuels devraient être tués. Il défend l’idée de couper les mains aux voleurs ou de fouetter les femmes, car ce sont des punitions hudud de l’islam, donc acceptables.

Pendant l’été 2014, le festival musical We are Stockholm eut lieu comme chaque année. Sauf qu’en l’occurrence, des dizaines de jeunes filles, dont certaines n’avaient que 14 ans, furent encerclées par des bandes de migrants, principalement des Afghans, frappées et violées. La police locale étouffa l’affaire et n’en fit aucune mention dans son rapport sur le festival, lequel durait cinq jours. Il n’y eut aucune arrestation et la presse évita toute mention des viols. En 2015, des viols organisés par des bandes de migrants eurent lieu dans d’autres festivals de musique, à Stockholm, à Malmö et dans d’autres villes. Les statistiques étaient incroyables. Alors qu’en 1975, la police suédoise recensait 421 viols, en 2014 les chiffres annuels s’élevaient à 6 6205. En 2015, la Suède avait le taux de viols par habitant le plus élevé du monde, à l’exception du Lesotho.

Après le viol en réunion d’une jeune fille, à bord du ferry reliant Stockholm à Turku, en Finlande, la presse affirma que les coupables étaient suédois, alors qu’il s’agissait en réalité de Somaliens. Dans tous les pays voisins se produisaient les mêmes événements. Des études publiées au Danemark en 2016 montrèrent qu’à âge égal, les Somaliens avaient 26 fois plus de chances de commettre un viol que les Danois. Et pourtant, en Suède comme ailleurs, le sujet demeurait tabou.

Il aurait d’abord fallu se pencher sur les racines du problème : à qui l’Europe est-elle destinée ? Ceux qui pensent qu’elle appartient au monde entier n’ont jamais expliqué pourquoi ceci ne fonctionnait qu’à sens unique. Que les Européens parcourent le monde, et on les taxe de colonialisme. Que le monde vienne en Europe, et alors, ce n’est que justice. Ils n’ont pas non plus précisé que si l’immigration devait faire de l’Europe un endroit appartenant à tous, les autres pays en revanche restaient la propriété de leurs peuples. Ils ne sont parvenus à leurs fins que parce qu’ils ont trompé l’opinion et dissimulé ce qu’ils voulaient entreprendre.

Au milieu de ce siècle, alors que la Chine ressemblera probablement encore à la Chine, l’Inde à l’Inde, la Russie à la Russie et l’Europe de l’Est à l’Europe de l’Est, l’Europe occidentale ressemblera à une version à grande échelle des Nations unies.

Sam Harris, philosophe de la conscience.

Sam Harris est un auteur et philosophe spécialisé dans les neurosciences. Il est connu pour son athéisme militant. Il est régulièrement invité à Oxford, Cambridge, Harvard, Caltech, UC Berkeley et Stanford. Ci-dessous quelques unes de ses réflexions à propos de la conscience (« Pour une spiritualité sans religion » © Éditions Almora, septembre 2017)

« La question de savoir comment la conscience est reliée au monde physique reste, comme chacun sait, sans réponse. Il y a des raisons de croire qu’elle émerge sur la base d’un traitement de l’information dans des systèmes complexes comme un cerveau humain, parce que, quand nous regardons l’univers, nous voyons qu’il est rempli de structures plus simples, comme les étoiles, et de processus, comme la fusion nucléaire, qui n’offrent aucun signe extérieur de conscience. Mais nos intuitions ici peuvent ne pas valoir grand-chose. Après tout, comment le soleil apparaîtrait-il s’il était conscient ? Peut-être exactement comme il le fait maintenant. (Vous attendriez-vous à ce qu’il parle ?)

Et cependant, d’une certaine manière, il semble bien moins vraisemblable de croire que les étoiles soient conscientes et muettes plutôt qu’elles n’aient pas du tout de vie intérieure. Quelle que soit la relation ultime entre la conscience et la matière, à peu près tout le monde conviendra, qu’à un certain point, dans le développement des organismes complexes comme nous-mêmes, la conscience semble émerger. Cette émergence ne dépend pas d’un changement de matériaux, car vous et moi sommes construits des mêmes atomes qu’une fougère ou qu’un sandwich au jambon. C’est indubitablement un des plus profonds mystères qu’il nous est donné d’observer.

C’est sûrement un signe de progrès intellectuel qu’une discussion sur la conscience n’ait plus besoin de commencer par un débat concernant son existence. Dire que la conscience puisse seulement sembler exister, depuis l’intérieur, revient à admettre son existence sans réserve – car à partir du moment où une chose semble exister de quelque manière que ce soit, c’est cela qui est la conscience.

Même si je suis un cerveau dans une cuve en cet instant – et que tous mes souvenirs sont faux, et que toutes mes perceptions sont celles d’un monde qui n’existe pas – le fait que j’ai une expérience est indiscutable (pour moi, du moins). C’est tout ce qui m’est demandé (ou à un autre être sensible quel qu’il soit) pour établir pleinement la réalité de la conscience. La conscience est la seule chose dans cet univers qui ne puisse pas être une illusion.

Si nous n’étions pas déjà débordants de conscience nous-mêmes, il n’y aurait pour nous aucune preuve de son existence dans l’univers – et nous n’aurions aucune idée des nombreux états d’expérience auxquels elle donne naissance. La seule preuve que cela fait quelque chose d’être vous en ce moment est le fait (qui n’est évident que pour vous) que cela fait quelque chose d’être vous. Quelle que soit la manière dont nous proposons d’expliquer l’émergence de la conscience – que ce soit en des termes biologiques, fonctionnels, computationnels ou autres – nous sommes véritablement convaincus de ceci : d’abord il y a un monde physique, inconscient et bouillonnant d’événements non perçus ; ensuite, en vertu d’une certaine propriété ou d’un certain processus physique, la conscience elle-même jaillit, ou arrive chancelante, à l’être. Cette idée ne me semble pas simplement étrange mais complètement mystérieuse.

Affirmer que la conscience est survenue à un certain moment dans l’évolution de la vie, et qu’elle résulte d’un arrangement spécifique de neurones s’activant en concert dans un cerveau individuel, ne nous donne pas le moindre indice de la manière dont elle pourrait émerger de processus inconscients, même en principe.

La conscience pourrait très bien être le produit légitime d’un traitement d’informations inconscient. Mais je ne sais pas ce que cette phrase veut réellement dire – et je ne pense pas que quelqu’un d’autre le sache non plus..

La conscience est aussi ce qui donne à nos vies une dimension morale. Sans conscience, nous n’aurions aucune raison de nous demander comment nous devons nous comporter envers les autres êtres humains, et nous ne pourrions pas non plus nous soucier de la manière dont nous avons été traités en retour.

Si rien n’est réel à moins d’être observé, la conscience ne peut pas surgir d’événements électrochimiques dans les cerveaux d’animaux comme les nôtres ; elle doit plutôt faire partie du tissu même de la réalité.

Toute tentative pour comprendre la conscience en termes d’activité cérébrale établit simplement une corrélation entre la capacité d’une personne à décrire une expérience (démontrant ainsi qu’elle en est consciente) et des états spécifiques de son cerveau. Alors que de telles corrélations peuvent constituer une neuroscience fascinante, elles ne nous rapprochent absolument pas de l’explication de l’émergence de la conscience elle-même.

Le moment arrivera presque certainement où nous construirons un robot dont l’expressivité faciale, le ton de voix, et la flexibilité de pensée nous amèneront à nous demander si oui ou non il est conscient. Le robot pourrait même déclarer être conscient et être prêt à participer aux expériences que nous faisons maintenant sur les êtres humains, nous permettant de corréler ses réponses à des stimuli avec des changements dans son « cerveau ». Il semble clair, cependant, à moins que nous puissions faire plus que ceci, que nous ne saurons jamais si « cela fait quelque chose d’être une telle machine ».

Nous ne dirons jamais d’une chose qui ne mange pas, qui n’excrète pas, qui ne grandit pas, qui ne se reproduit pas, qu’elle pourrait être « vivante ». Elle pourrait, cependant, être consciente. Est-ce qu’une neuroscience adulte pourrait néanmoins offrir une explication correcte de la conscience en termes de processus cérébraux sous-jacents ? Encore une fois, il n’y a rien concernant le cerveau, quel que soit le niveau auquel on l’étudie, qui suggère qu’il puisse recéler de la conscience – en dehors du fait que nous faisons directement l’expérience de la conscience et que nous avons relié beaucoup de ses contenus, ou leur absence, avec des processus se passant dans nos cerveaux. Rien »

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