Les Palestiniens de Cisjordanie

Les peuples n’existent pas à l’état naturel. Ce sont des entités intersubjectives qui  s’incarnent à partir d’une conscience collective se référant à une continuité historique. Il est difficile de déterminer cas par cas comment nait une telle conscience, mais on peut en identifier des éléments constitutifs.  L’ethnie, le territoire, le régime politique ou la langue, par exemple, peuvent être des marqueurs. Mais il arrive aussi qu’un peuple se construise à partir d’un mythe fondateur unique, précis et daté.

Celui des apatrides Palestiniens est fait du refus obsessionnel du droit à l’existence d’Israël. La conscience collective qui les agrège est née du mépris atavique du Juif, souvent encore perçu comme Dhimmi dans  la psyché arabe.  Le veto des apatrides palestiniens contre toute souveraineté juive sur quelque portion de la Palestine historique que ce soit est fait à la fois d’antisémitisme et de rejet de la modernité.

Ces apatrides ont bien entendu le droit naturel à une citoyenneté, mais pas d’un Etat dont le projet serait de « jeter les Juifs à la mer »  conformément à la formule d’Ahmed Choukeiry, premier président de l’OLP[1]. Formule entretenue depuis par les ennemis d’Israël à travers le monde. Dans ces conditions, une Palestine souveraine entre Israël et la Jordanie n’aurait d’autre raison d’être que de reproduire le schéma irréductiblement criminel du Hamas à Gaza.

En réalité les Palestiniens de Cisjordanie sont des jordaniens. La Cisjordanie avait été annexée en 1950 par la Jordanie suite à la guerre d’indépendance d’Israël.  Ses habitants avaient reçu la nationalité jordanienne et ne revendiquaient pas d’Etat indépendant, les Jordaniens eux-mêmes étant en majorité ethniquement palestiniens.

Les Cisjordaniens n’ont commencé à exiger un Etat qu’après être passés sous contrôle israélien en 1967. Une manière réaliste de résoudre le conflit consisterait à se tourner à nouveau vers la Jordanie. A nouveau, parce que cette option avait déjà été envisagée par le passé, mais sans succès. Israël évacuerait la partie arabe de la Cisjordanie et la cèderait au royaume hachémite. Une nouvelle frontière serait convenue entre Israël et la Jordanie, qui prendrait en compte la consanguinité, la langue, la continuité territoriale et la sociologie des populations concernées. La plupart des Palestiniens et la plupart des Juifs de Cisjordanie resteraient là où ils sont, mais avec un statut modifié. Cette solution rendrait aux apatrides palestiniens leur dignité et leur nationalité au sein d’une fédération jordanienne dont la clé de voute ne serait donc plus juive.

[1] Organisation de Libération de la Palestine créé en 1964.

Terrorisme et riposte.

Suite au massacre perpétré en Israël par le Hamas, la sociologue Eva Illouz s’est exprimée au cours d’une interview sur la question de la proportionnalité de la riposte de Tsahal:

« …cette question de proportionnalité quand il s’agit d’un événement humain aussi important que la guerre me laisse perplexe. Qu’est ce que la proportionnalité ? Décapiter, violer, torturer 500 Palestiniens contre les 1500 Juifs qui sont morts dans des conditions similaires ? Comment créer une commensurabilité des massacres ? Parce qu’Israël vit constamment dans un état de guerre et de conflit, il a développé une doctrine militaire exigeant que l’ennemi paie un prix plus fort, pour le dissuader de recommencer. »

La question de la proportionnalité  se pose surtout – mais pas seulement – quand des civils innocents risquent d’être victimes d’affrontements entre forces armées. Mais il n’y a à Gaza  qu’une seule catégorie de civils dont on peut être certains qu’ils sont innocents, à savoir les enfants. Quant aux adultes ils sont certes sous l’emprise du Hamas, mais ils partagent généralement avec leurs maitres la haine des Juifs. Beaucoup de civils collaborent  activement aux crimes du Hamas, même sans en faire formellement partie.

Dans l’opinion publique israélienne il y a des voix qui s’élèvent pour exiger de suspendre l’aide humanitaire à Gaza aussi longtemps que ne seront pas libérés les otages enlevés lors du massacre du 7 octobre. Le spectacle de convois humanitaires qui approvisionnent Gaza ces jours-ci a quelque chose de surréaliste et d’indigne quand on pense qu’il y a parmi cette population d’innombrables  complices et assassins qui cherchent maintenant à échapper à la riposte de Tsahal.

Punir collectivement une population n’est jamais moral. Dans toute guerre il y des victimes collatérales, or la guerre contre le Hamas n’échappe pas à cette règle. Mais l’inhumanité du Hamas va jusqu’à sacrifier sa propre population en la transformant en bouclier humain. Israël n’a aucune responsabilité d’aucune sorte concernant ces victimes collatérales-là quand il s’agit de protéger ses propres civils, réellement innocents, eux, et pas seulement les enfants.

L’Alyah d’antan

Dans ma bonne ville flamande d’Anvers, nous étions une communauté juive vivant en autarcie. Des expatriés sans patrie. La plupart d’entre nous étions nés à Anvers, mais nos parents ou grands-parents venaient d’ailleurs, généralement d’Europe de l’Est.

Les Juifs étaient répartis en trois groupes: les séculiers, les religieux modérés et les ultraorthodoxes.  Les deux premiers de ces groupes étaient résolument sionistes. Il n’y avait en revanche pas de Juifs assimilés, ou alors ils l’étaient tellement, qu’ils n’étaient pas juifs du tout.

Les Juifs d’Anvers se conduisaient en citoyens respectueux de l’Etat, mais ne fréquentaient pas, ou très peu, les non-juifs. La quasi-totalité des enfants étaient scolarisés dans des écoles juives. Leur vie sociale était articulée autour de la judéité: école juive, club sportif juif, mouvement de jeunesse juif, religion juive. Une fois sortis de l’école, ceux qui ne partaient pas pour  Israël entraient dans l’industrie diamantaire, juive, elle aussi.

Les plupart des enfants fréquentaient un des mouvements de jeunesse sionistes. Ceux-ci avaient des sensibilités politiques qui allaient de l’extrême-droite à l’extrême gauche, mais avaient un indépassable horizon commun: l’Alyah. Il s’agissait de former les jeunes de  manière à les préparer à partir pour Israël et s’établir au kibboutz.

Cette conception était la continuation d’un vent nouveau qui soufflait sur les communautés juives à travers le monde depuis le début du siècle, mais qui avait été suspendu par la Shoah. Du point de vue idéologique, il ne s’agissait pas de promouvoir une Alyah tous azimuts, mais de galvaniser explicitement cette jeunesse d’après-guerre qui avait la vie devant elle.

Il s’agissait de bâtir Israël : c’était une affaire de jeunes. Les anciens ce serait pour plus tard. L’Etat d’Israël lui-même était ambivalent par rapport à l’Alyah d’éléments qui pourraient constituer une charge pour une économie encore fragile.

Il fallait inciter les générations montantes de la Diaspora à venir en Israël avant même d’apprendre un métier ou de faire des études. Ces choses-là pourraient être envisagées plus tard, en Israël, tout en travaillant la terre les armes à la main.

Dans ces mouvements de jeunesse on apprenait l’histoire du sionisme et celle de la terre d’Israël. Il fallait faire connaissance avec l’hébreu, intégrer  la géographie et se familiariser avec les codes de l’Etat juif. A l’âge de 15 ans les adolescents devaient prendre une part active dans la direction du mouvement et se déterminer par rapport à l’Alyah. En général cela se résumait à s’engager sur l’honneur à partir au kibboutz  dès la fin de la scolarité, à 18 ans.

Il ne s’agissait pas de projeter l’Alyah dans un futur indéfini en fonction des aléas de la vie. C’était le contraire : il fallait imprimer à sa vie un tournant indépendant de toute contingence,  dès la sortie de l’enfance : décider de « monter »  en Israël, au kibboutz, avant même de savoir en quoi consisterait cette existence juive d’un type nouveau.

Gérard Miller ou la doctrine de la cécité

Gérard Miller est un intellectuel français originaire d’une famille juive polonaise. Il est psychanalyste, professeur des universités et éditorialiste à la télévision.

Miller est un passionné du communisme. Il a adhéré, ou   a été compagnon de route, du Parti communiste français, de l’Union des étudiants communistes, du Parti communiste chinois , du Mouvement français marxiste-léniniste et de la Gauche prolétarienne. Aujourd’hui il soutient Jean-Luc Mélenchon, guide spirituel de La France insoumise^, parti islamogauchiste et wokiste et naturellement antisémite.

Il vient de commettre un article dans le journal « Le Monde », où il  condamne les Juifs qui soutiennent Marine Le Pen ou Eric Zemmour, respectivement dirigeants du « Rassemblement National » et de « Reconquête ».

Il est vrai que Le Rassemblement National traîne encore ses racines nazies, collaborationnistes et antisémites, malgré les tentatives de dédiabolisation de Marine Le Pen.  Il y a cependant des Juifs qui croient à sa reconversion et qui la soutiennent. Question d’opinion.

Mais il n’y a en revanche rien d’analogue chez Reconquête, parti de droite d’inspiration gaulliste. Aucun patriote, juif ou pas, ne doit craindre de se retrouver en mauvaise compagnie en soutenant le parti de Zemmour.

Miller dénonce le scandale que serait pour un Juif que de soutenir un de ces partis. Il est permis d’être sceptique quant à la rédemption du Rassemblement National, mais le fait est que le discours antisémite n’y a plus sa place depuis l’éviction de son fondateur Jean-Marie Le Pen. Les rares militants qui font des réflexions antijuives sont exclus sans ménagements.

En revanche, les dirigeants de La France Insoumise fraternisent sans états d’âme avec les antisémites de partis de gauche du Royaume-Uni ou d’ailleurs. Mélenchon vouait un amour inconditionnel à feu Hugo Chavez, président du Venezuela qui rappelait au monde qui avait tué le Christ.

Mais ce qui est à la fois sérieux et comique dans cette affaire, c’est que « La France Insoumise » puise une grande partie de sa clientèle chez les antisémites des « quartiers », où Miller dit lui-même que « des familles juives sont contraintes de déménager, et où  l’antisionisme a tout d’un antisémitisme à peine voilé.»

Dernièrement une députée Renaissance a même suggéré  la dissolution de « La France insoumise » pour antisémitisme. Les sorties  de Jean-Luc Mélenchon ne peuvent laisser aucun doute à ce sujet.

En conclusion, l’inénarrable Gérard Miller dissuade les Juifs tentés par la droite, mais appelle ses concitoyens à soutenir La France Insoumise,  seul parti politique de France littéralement possédé par l’antisémitisme.

Genèse d’une crise politique

Je soutiens l’opposition à la réforme judiciaire dans sa forme actuelle,  et exprime mon aversion du gouvernement qui la promeut. Je suis opposé à ce gouvernement pour une série de raisons, qui peuvent se résumer en une formule simple : j’estime qu’il n’est pas en phase  avec le projet sioniste, et qu’il ne respecte ni la lettre ni l’esprit de la déclaration d’indépendance d’Israël.

Je me sens néanmoins isolé concernant mon point de vue sur la genèse de la crise. Je trouve qu’il y a une manière déloyale, chez les opposants à Netanyahu, d’en escamoter l’origine. Tout se passe comme si leur détestation du personnage justifiait un déni de démocratie, ou pire.

Cela fait une dizaine d’années qu’un cercle vicieux fait des ravages dans la vie politique israélienne. Comme souvent dans ces cas-là, on a tendance à perdre de vue la genèse.

Benjamin Netanyahu a longtemps été soucieux concernant l’indépendance des juges en général, et de la Cour suprême en particulier. C’est Aharon Barak lui-même qui l’a encore récemment relevé . Netanyahu n’a jamais été dupe du caractère prétendument apolitique de la Cour suprême, mais estimait, comme beaucoup de monde, qu’en l’absence de Constitution cela valait mieux que rien. Et puis, soudain, il y a quelques années, il a commencé à se retourner contre le pouvoir judiciaire.

La question est de savoir pourquoi. La réponse simple, mais simpliste, est que c’est parce que cette fois-là c’était lui-même qui était mis en cause. Mais il  va de soi que dans ces cas-là on pense d’abord à soi-même, en particulier quand on n’a rien à se reprocher. C’est en tous cas la position que défend Netanyahu, et le centre de gravité de ma thèse.

Dès le début de la décennie précédente ses adversaires commençaient à désespérer de jamais pouvoir le déloger de manière démocratique. Des forces politiques, médiatiques et judiciaires se sont liguées pour le défaire d’une manière ou d’une autre. Il ne s’agit bien entendu pas d’un complot, mais d’une grogne diffuse qui avait saisi une partie de l’opinion publique, qui commençait à trouver que la démocratie n’avait pas que du bon.

Des moyens inouïs ont été mis en œuvre pour fouiller dans la vie publique et privée de Netanyahu. Intimidation de témoins, interrogatoires musclés et mises sur écoute ont été instrumentalisés sans compter.  Le coût financier de ce feuilleton est astronomique.

Selon le journaliste financier Ely Tsipori, le coût direct des poursuites judiciaires contre  Netanyahu s’élevait à plus de 500 millions de shekel en janvier 2022. Ceci sans compter le coût indirect des élections à répétition et de ses effets toxiques sur l’économie. Un an et demi plus tard nous sommes loin du dénouement.

Ma thèse repose sur un postulat, à savoir que le procès de Netanyahu est une fabrication. Comme toute fabrication de ce type, elle se donne une apparence légaliste. Dès les premières enquêtes s’est formé un front hostile avec pour seul motif que Netanyahu allait être inculpé pour de bonnes raisons. On ne lui reprochait pas sa politique, mais des délits qui restent à ce jour à démontrer.

Lorsque Benny Gantz a décidé de rallier le gouvernement de Netanyahu sous condition de rotation, celui-ci avait fait mine d’accepter, mais s’est ensuite ravisé. Il estimait que cette exigence était un chantage avec pour levier les accusations dont il était l’objet.

Dès que l’opposition a commencé à exiger que Netanyahu se démette, elle l’a fait d’une manière singulière : des ténors du journalisme et de la classe politique n’exigeaient pas qu’il aille en prison, mais qu’il aille à la maison. Bizarrement, personne ne voulait de punition autre que celle de le forcer à la retraite. Cette sorte d’acte manqué démontrait que pas grand-monde ne croyait à ce dont il était accusé, mais beaucoup comptaient sur une procédure longue qui l’écarterait, innocent ou pas.

Dernièrement, les trois juges qui mènent le procès contre Netanyahu  ont eu une réunion avec des représentants du Parquet.  Ils leur ont suggéré de renoncer à l’accusation de corruption, parce qu’ils estimaient que ce serait difficile d’en apporter la preuve. Le chef de la police d’alors a réagi en déclarant à la presse que personne n’avait envisagé que Netanyahu ne démissionnerait pas sous le coup d’une inculpation.  Cela a déclenché une violente réaction du Likoud, dont le porte-parole a estimé que l’inculpation n’avait jamais eu aucune chance de convaincre le tribunal,  mais que l’objectif avait été de  provoquer la démission de Netanyahu.

Le gouvernement Bennett/Lapid était censé offrir une solution à la crise en 2021. La seule certitude de cette parodie était qu’elle n’avait aucune chance de durer. Lors de sa campagne électorale, Naftali Bennett s’était adressé au pays à peu près en ces termes :

« Je ne contribuerai en aucune manière, à aucune condition, à un gouvernement où Lapid serait Premier ministre, parce qu’il s’agit d’un gauchiste. J’exclus la participation du parti Meretz parce qu’il s’oppose au principe d’un Etat juif et démocratique. Je m’engage à ne jamais soutenir de constellation autre qu’un gouvernement ancré à droite. Je mets Netanyahu en demeure de ne pas s’allier avec le parti arabe Ra’am. »

Après les élections Bennett a violé ses propres lignes rouges en arguant que cela avait été le prix pour mettre fin aux élections à répétition et sauver le pays. Mais il n’a ni sauvé le pays ni mis fin aux élections à répétition. Il a au contraire contribué à ce que l’anathémisation de Netanyahu accouche d’un gouvernement d’ultra-droite grâce au soutien de fanatiques ultra-orthodoxes et de voyous fascisants. Le gouvernement Bennet/Lapid a été une farce.

La manœuvre consistant à tenter d’éliminer Netanyahu du pouvoir autrement que par les urnes est un déni de démocratie intolérable. Cela a conduit à un nouveau déni de démocratie par le gouvernement actuel.

Maintenant cette question : si Netanyahu n’avait jamais été poursuivi en justice, en serions-nous là où nous sommes ? Je ne le pense pas. Il me semble même qu’une réforme judiciaire équilibrée aurait vu le jour de manière sereine, sous la conduite d’un gouvernement authentiquement démocratique.

La question de l’abaya en France

La question de savoir si l’abaya est un signe religieux a été tranchée. La recommandation de la porter vient des mosquées. Les femmes concernées disent elles-mêmes que ce vêtement correspond à une injonction religieuse. Les voix en faveur de l’abaya estiment d’ailleurs que l’interdire est islamophobe. Le corps enseignant quant à lui est contre l’abaya parce que quand un professeur entre en classe il identifie immédiatement les musulmans, ce qui est contraire à la tradition républicaine. Pour contourner cela il faudrait peut-être obliger toutes les filles à porter l’abaya et tous les garçons la djellaba, mais ce n’est peut-être pas  une bonne idée.

Interdire l’abaya à l’école est cohérent avec la laïcité à la française.  Lors de la polémique de 1989 à propos du voile, la notion de laïcité à la française n’était pas claire pour moi. Je pensais qu’il était légitime, au nom de la démocratie, de permettre à toutes les religions d’être prises en compte par l’école. En Belgique, en tous cas, la règle était simple : du moment qu’il y avait trois enfants dont les parents souhaitaient qu’ils aient des cours de religion, il fallait que l’école publique  y pourvoie.

En Israël il y a  des écoles laïques, religieuses, arabes (laïques ou religieuses), bilingues, pour minorités ethniques et pour éléments talentueux. Toutes ces écoles sont publiques.

A ce stade il ne s’agit plus en France de veiller à la paix scolaire en essayant de maitriser les tensions interreligieuses. Il y a cinquante ans il fallait accueillir les immigrés extra-européens  de manière humaine, de comprendre  leurs difficultés, de veiller à ce qu’ils s’assimilent, et que cela se fasse avec pédagogie. Cela réussissait parce que ces immigrés avaient intuitivement conscience qu’ils étaient venus dans un monde nouveau, et que s’ils voulaient que cela se passe bien il fallait en intégrer les règles.  S’approprier, au moins en partie, l’Histoire et les traditions du pays d’accueil.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec plus de deux millions de Juifs de l’Empire russe et d’Europe de l’Est, qui ont immigré aux États-Unis au tournant du 20ème siècle. En moins d’une génération ces millions de faméliques qui avaient fui les pogroms et qui souvent ne connaissaient que le Yiddish et la Torah, sont devenus des Américains de cœur et d’authentiques patriotes.

Aujourd’hui la donne est inversée en France à cause de la démographie. Il y a actuellement deux peuples dans ce pays.  Le plus récent, principalement d’origine africaine et du Moyen Orient, est de culture musulmane. La masse critique est telle qu’il semble légitime à ce peuple de revendiquer sa spécificité . Dans le  téléfilm « Fracture » qui date de 2010,  il y une scène qui illustre ce changement de paradigme: alors que la professeure explique qu’il y a plusieurs religions en France, elle mentionne aussi l’athéisme, qui prône qu’il n’y a pas de Dieu. Les élèves de sa classe, nés en France mais majoritairement musulmans,  semblent admettre qu’il peut y avoir plusieurs manière de s’adresser à Dieu, mais pas de colporter qu’il n’existe pas.

Il y a cinquante ans la professeure, forte de son autorité républicaine,  aurait pu leur  opposer qu’en France c’est comme ça et pas autrement et qu’il fallait s’y faire. Mais aujourd’hui elle peine à convaincre et n’est pas soutenue par sa hiérarchie, qui a peur de faire des vagues. Ces élèves se sentent justifiés d’objecter, puisqu’ils font partie d’un nouveau peuple, en France, qui juge que l’athéisme est un crime.

Donc ce qui naguère relevait du rapport entre Etat et religion est très différent de la tension actuelle. Revendiquer la primauté d’un peuple sur l’autre du seul fait qu’il occupe l’Hexagone depuis plus longtemps devient de moins en moins acceptable, en tout cas pour pour une partie de l’opinion publique.

Netanyahu et l’anti-bibisme

Netanyahu est au pouvoir depuis de longues années. Son bilan ne fait pas l’unanimité, mais on ne le juge généralement pas médiocre non plus. La plupart des observateurs conviennent que la bonne santé de l’économie lui est, au moins en partie, redevable. Concernant le conflit israélo-arabe, il a toujours été prudent et mesuré. Il a appelé à  un Etat palestinien vivant côte-à-côte avec Israël. Le rapprochement avec les Emirats, le Maroc, l’Arabie saoudite et autres régimes naguère hostiles s’est déroulé sous sa gouvernance. Les rapports avec les Etats-Unis ont connu des turbulences lors de la présidence d’Obama, mais celui-ci avait un rapport trouble avec Israël suite à ses liens avec un pasteur antisémite comme mentor.

Cela fait des  années que la classe politique de droite est irritée par la Cour Suprême quand elle retoque des lois pour des raisons plus idéologiques que juridiques. Il est vrai que celle-ci se comporte comme un parti politique, bien que ses juges soient nommés en fonction d’un système opaque. Les gouvernements de ces dernières années en sont  venus à s’abstenir de déposer certains projets de lois, sachant qu’ils ne passeraient pas la censure de la Cour Suprême.

Netanyahu est populaire depuis des décennies et remporte toutes les élections internes de son parti ainsi que la plupart des législatives. A noter que personne ne conteste la régularité de ces scrutins.

Confronté à sa remarquable longévité, un certain agacement  a commencé à se manifester vers 2015, aussi bien parmi ses alliés politiques que ses adversaires. Un pacte informel contre sa personne a vu le jour, visant à le renverser par des moyens  douteux.  Le tout soutenu par des forces politiques, médiatiques et judiciaires, alliés objectifs avec pour seul dénominateur commun l’acharnement à défaire Netanyahu.

De moyens énormes ont été mis en œuvre pour fouiller dans la vie publique et privée de Netanyahu. Il fallait le trainer en justice à tout prix. Intimidation de témoins, interrogatoires musclés et mises sur écoute ont été instrumentalisés sans compter.  Le coût financier de cette curée est astronomique, ceci dans le seul but de créer un climat de nature à forcer Netanyahu à se démettre.

Dernièrement l’accusation de corruption qui faisait partie des charges contre lui a été levée par les trois juges qui mènent son procès. Ils ont informé le Parquet que cette accusation n’était pas tenable. Suite à cela la presse a demandé au chef de la police sur quelle base il avait recommandé d’inculper Netanyahu pour corruption.  Il a répondu que c’était parce qu’il espérait que cela le forcerait à démissionner, sans plus.

Un autre volet  de cette saga juridique est la quantité de cadeaux que Netanyahu a reçus du magnat de cinéma Arnon Milchan sous forme de cigares, champagne et autres gâteries. Cet épisode ne semble pas délictueux non plus, puisqu’il a été établi que l’amitié entre Netanyahu et Milchan était réelle et ancienne.

Quant à l’implication potentielle de Netanyahu dans l’affaire des sous-marins livrés à l’Egypte par l’Allemagne, la justice n’a même pas ouvert d’enquête à son encontre.

Reste la suspicion de connivence entre Netanyahu et le patron de Yediot Aharonot[1], qui n’a débouché sur rien.

Il ressort de tout cela que même s’il se peut que Netanyahu ait eu un comportement contestable au plan éthique, il n’en demeure pas moins qu’il a un casier judiciaire vierge, et au fur et à mesure du temps qui passe il devient de plus en plus probable que son procès ne débouchera pas sur grand-chose.

Ces affaires ont néanmoins conduit des électeurs de droite à soutenir une coalition excluant le Likoud, pourtant principale force politique du pays. Cinq élections successives ont finit par accoucher de deux chimères : en 2021 le gouvernement de Naftali Bennet composé d’islamistes, de gauchistes, de centristes et de sionistes religieux. Ensuite, en 2022, une coalition fabriquée par Netanyahu avec des fanatiques ultraorthodoxes et des fous de Dieu fascistes.

Ceci dit il existe bel et bien dans l’opinion  publique un consensus en faveur d’une réforme judiciaire. Mais celle voulue par le gouvernement actuel a été mal ficelée, mal préparée, mal expliquée et est probablement excessive. La précipitation avec laquelle le gouvernement a voulu la faire adopter par la Knesset est en elle-même suspecte. Il faut savoir qu’elle a été lancée à l’initiative du Likoud, alors que les autres partenaires de la coalition n’y voient qu’une occasion de faire passer des lois sectorielles d’un égotisme écœurant.

La réforme en cours a – entre autres – pour objectif d’instaurer une représentativité plus juste au sein de la Cour suprême en modifiant le mode de nomination des juges. Elle vise à mieux adhérer à l’esprit de la Déclaration d’Indépendance d’Israël en pérennisant sa légitimité en tant qu’Etat juif. Le mode de gouvernement d’Israël est démocratique, mais doit être en phase avec l’Histoire du peuple juif.

La Cour Suprême doit dire le droit et s’abstenir de décréter des valeurs sociétales. L’évolution des mœurs  et la sociologie changeante n’est pas leur affaire. C’est celle du peuple souverain, dont la souveraineté est incarnée par ses représentants à la Knesset. Les juges ne doivent jamais s’y substituer.

La seule résolution digne de cette crise ne peut être qu’une nouvelle coalition entre le Likoud et les formations qui n’ont eu de cesse que de chercher à écarter Netanyahu tout en étant du même bord politique que lui.

A ce stade de la crise  il est légitime de poser aux responsables de la vie politique la question suivante : le combat qu’ils ont mené contre Netanyahu a-t-il été bénéfique pour le peuple d’Israël ?

[1] Quotidien israélien

L’ambassadeur et le cafetier

Ron Prosor est un diplomate, écrivain et chroniqueur israélien. Ancien major de réserve de Tsahal, il fut représentant d’Israël aux Nations-Unies, ambassadeur au Royaume-Uni et est actuellement ambassadeur d’Israël en Allemagne.

Comme tous les ambassadeurs au monde, Ron Prosor s’intéresse au quotidien de ses compatriotes vivant à l’étranger. La semaine dernière il a eu la bonne idée d’aller passer un moment de détente au « Café Dodo » à Berlin, établissement tenu par un Israélien.

Alors que l’ambassadeur était déjà attablé, le vaillant cafetier l’a identifié et interpelé pour lui signifier qu’il n’était pas le bienvenu en ces lieux[1]. Une des raisons avancées était que l’ambassadeur incarnait la politique du gouvernement d’Israël. L’excellent cafetier ignorait sans doute que la mission d’un diplomate consistait précisément à représenter son gouvernement quand il était en mission à travers le monde.

Mais l’intrépide   cafetier en voulait aussi à l’ambassadeur d’avoir accusé le Bundestag[2] et la presse locale d’être laxiste par rapport à l’antisémitisme qui sévit en Allemagne sous couvert d’antisionisme. L’on comprend sans peine l’honnête cafetier, qui avait bien raison de s’indigner de ce qu’un vil représentant de l’Etat juif se permette d’insinuer qu’il y aurait de l’antisémitisme dans le pays berceau du nazisme, dont la Croix Gammée ne fut en tout et pour tout l’emblème qu’une dizaine d’années.

Il s’agit donc d’une scène en Allemagne au cours de laquelle un Juif expulse un autre Juif de son café parce qu’il représente des millions de Juifs du pays dont il est lui-même citoyen.

Du point de vue légal il s’agit probablement d’une infraction relevant d’un refus de vente discriminatoire. Mais ce qui est bien plus important, c’est que cet incident a une portée scientifique non négligeable.  En effet, il y a un siècle, Albert Einstein, Juif allemand,  avançait  ceci: « Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine.  Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore la certitude absolue ».

Au moins une partie de cette proposition est-elle désormais démontrée grâce au brave cafetier berlinois.

[1] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/1690528600-l-ambassadeur-d-israel-en-allemagne-refoule-d-un-cafe-tenu-par-un-israelien-a-berlin

[2] Parlement allemand

Civitas ou le gardien de la chrétienté

« Civitas » est un groupuscule catholique intégriste français qui pourrait bientôt être dissous suite à des propos antisémites proférés par son dirigeant Pierre Hillard. Cette secte, qui est aussi un parti politique, ne compte que quelques énergumènes qui ne méritent pas que l’on s’attarde à eux.

Mais en cherchant des déclarations passées de Pierre Hillard, on trouve sur Internet une  vidéo d’une heure érudite, structurée et bien documentée. Ce connaisseur du judaïsme explique le combat de sa vie contre le peuple juif de manière posée, ce qui ne devrait pas surprendre, puisse qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’un rappel conforme, précis et scrupuleux de la doctrine antijuive autour de laquelle s’est articulée la chrétienté tout au long de l’Histoire.

L’accusation de « déicide » était encore valide au Vatican lors du pontificat de Pie XII et l’est toujours dans l’Église grecque-orthodoxe, dans de nombreuses  congrégations protestantes, dans l’anglicanisme  et dans la mouvance catholique intégriste.  Il ne s’agit donc pas d’un épiphénomène, mais bien de la raison d’être du christianisme.

Comme le christianisme s’est établi comme religion d’Etat à travers le monde pendant près de deux millénaires, la haine des Juifs continue d’irriguer les soubassements de la conscience collective, même là ou la religion est en déclin.   C’est ce qui explique qu’en sécularisant l’antisémitisme, les régimes nazis et communistes n’ont pas éprouvé le besoin d’en démontrer le bien-fondé auprès des masses. C’est aussi ce qui explique l’antisionisme, qui n’est qu’un travestissement de l’antisémitisme séculaire.

Théocratie et dictature

Une théocratie est-elle forcement une dictature ? Du point de vue sémantique cette distinction s’impose, puisque ces termes ne sont en principe ni synonymes ni interchangeables. L’on note cependant que ces notions se confondent souvent dans le langage courant. La question est de comprendre pourquoi.

Selon ChatGPT  « les théocraties sont des systèmes politiques où le pouvoir est détenu par une autorité religieuse ou une divinité. La combinaison d’une théocratie avec un gouvernement dictatorial signifie que le dirigeant religieux ou spirituel exerce un contrôle absolu sur l’État et impose son autorité de manière arbitraire, sans respecter les droits et libertés fondamentales des citoyens. »

Cette définition relève empiriquement un lien de cause à effet entre théocratie et dictature au cours de l’Histoire. Autrement dit elle pose que toute théocratie tend à tourner à la dictature. La source de la Loi étant le gouvernement de Dieu, le peuple n’a pas le pouvoir de la modifier. C’est au guide spirituel ou au monarque de droit divin de l’interpréter sur base de textes sacrés. Mais comme le peuple n’a pas droit de cité, l’exercice du pouvoir par le clergé finit par tomber dans l’arbitraire.

Il y a un épisode dans la Torah au cours duquel le prophète Samuel tente de dissuader le peuple qui aspire à la monarchie. Il prévient que le Roi exercerait un pouvoir absolu sous couvert de religion.  Il lèverait des impôts et mobiliserait les hommes pour renforcer son emprise. Il confisquerait leurs biens pour les redistribuer à sa cour en prétextant servir Dieu. Cette prophétie se réalise sous le Roi Saül, qui en prenant de l’âge est victime de son Hubris, et sombre dans la folie.

Le Roi  Salomon quant à lui commence son règne dans le respect de la Torah. Mais plus tard il écrase le peuple par une intolérable pression fiscale afin de financer ses projets abyssaux, et entretenir ses innombrables femmes. Il leur installe des idoles païennes en plein milieu du Temple, qu’il a pourtant construit à la gloire du Dieu d’Israël.

Son fils Réhoboam lui succède et s’adresse au peuple en disant  « mon père vous a chargés d’un joug pesant et moi j’augmenterai votre joug; mon père vous a châtiés avec des fouets, et moi je vous châtierai avec des scorpions [1]». Le tout au nom de Dieu, bien entendu.

Yeshayahu Leibowitz, homme de science et philosophe, bien qu’étant lui-même Juif orthodoxe, soutenait avec passion le combat en faveur d’une séparation radicale entre religion et Etat en Israël. Il craignait l’avènement d’une théocratie, dont il prédisait qu’elle serait une dictature : «  l’on ne peut se fier à l’intelligence ni à la bonne volonté des hommes. Leur niveau intellectuel et spirituel est dans la plupart des cas médiocre. Ce qui donne tout son sens à la démocratie, c’est que bien que les hommes ne soient pas égaux ils ont des droits égaux. Il faut cependant se garder de l’idée que la voix du peuple est éthique du seul fait d’être majoritaire. Une majorité peut être bête et méchante, mais au moins la démocratie permet-elle de changer de gouvernement dans le cadre du système plutôt que par la violence.[2] »

Vu sous cet angle théocratie et dictature sont donc inextricablement liées.

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[1] Premier livre des Rois, chapitre 12.

[2] Compilé dans « Leibowitz ou l’absence de Dieu », Daniel Horowitz, Collection « Ouverture Philosophique », Editions l’Harmattan,

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