La question de l’abaya en France

La question de savoir si l’abaya est un signe religieux a été tranchée. La recommandation de la porter vient des mosquées. Les femmes concernées disent elles-mêmes que ce vêtement correspond à une injonction religieuse. Les voix en faveur de l’abaya estiment d’ailleurs que l’interdire est islamophobe. Le corps enseignant quant à lui est contre l’abaya parce que quand un professeur entre en classe il identifie immédiatement les musulmans, ce qui est contraire à la tradition républicaine. Pour contourner cela il faudrait peut-être obliger toutes les filles à porter l’abaya et tous les garçons la djellaba, mais ce n’est peut-être pas  une bonne idée.

Interdire l’abaya à l’école est cohérent avec la laïcité à la française.  Lors de la polémique de 1989 à propos du voile, la notion de laïcité à la française n’était pas claire pour moi. Je pensais qu’il était légitime, au nom de la démocratie, de permettre à toutes les religions d’être prises en compte par l’école. En Belgique, en tous cas, la règle était simple : du moment qu’il y avait trois enfants dont les parents souhaitaient qu’ils aient des cours de religion, il fallait que l’école publique  y pourvoie.

En Israël il y a  des écoles laïques, religieuses, arabes (laïques ou religieuses), bilingues, pour minorités ethniques et pour éléments talentueux. Toutes ces écoles sont publiques.

A ce stade il ne s’agit plus en France de veiller à la paix scolaire en essayant de maitriser les tensions interreligieuses. Il y a cinquante ans il fallait accueillir les immigrés extra-européens  de manière humaine, de comprendre  leurs difficultés, de veiller à ce qu’ils s’assimilent, et que cela se fasse avec pédagogie. Cela réussissait parce que ces immigrés avaient intuitivement conscience qu’ils étaient venus dans un monde nouveau, et que s’ils voulaient que cela se passe bien il fallait en intégrer les règles.  S’approprier, au moins en partie, l’Histoire et les traditions du pays d’accueil.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec plus de deux millions de Juifs de l’Empire russe et d’Europe de l’Est, qui ont immigré aux États-Unis au tournant du 20ème siècle. En moins d’une génération ces millions de faméliques qui avaient fui les pogroms et qui souvent ne connaissaient que le Yiddish et la Torah, sont devenus des Américains de cœur et d’authentiques patriotes.

Aujourd’hui la donne est inversée en France à cause de la démographie. Il y a actuellement deux peuples dans ce pays.  Le plus récent, principalement d’origine africaine et du Moyen Orient, est de culture musulmane. La masse critique est telle qu’il semble légitime à ce peuple de revendiquer sa spécificité . Dans le  téléfilm « Fracture » qui date de 2010,  il y une scène qui illustre ce changement de paradigme: alors que la professeure explique qu’il y a plusieurs religions en France, elle mentionne aussi l’athéisme, qui prône qu’il n’y a pas de Dieu. Les élèves de sa classe, nés en France mais majoritairement musulmans,  semblent admettre qu’il peut y avoir plusieurs manière de s’adresser à Dieu, mais pas de colporter qu’il n’existe pas.

Il y a cinquante ans la professeure, forte de son autorité républicaine,  aurait pu leur  opposer qu’en France c’est comme ça et pas autrement et qu’il fallait s’y faire. Mais aujourd’hui elle peine à convaincre et n’est pas soutenue par sa hiérarchie, qui a peur de faire des vagues. Ces élèves se sentent justifiés d’objecter, puisqu’ils font partie d’un nouveau peuple, en France, qui juge que l’athéisme est un crime.

Donc ce qui naguère relevait du rapport entre Etat et religion est très différent de la tension actuelle. Revendiquer la primauté d’un peuple sur l’autre du seul fait qu’il occupe l’Hexagone depuis plus longtemps devient de moins en moins acceptable, en tout cas pour pour une partie de l’opinion publique.

Netanyahu et l’anti-bibisme

Netanyahu est au pouvoir depuis de longues années. Son bilan ne fait pas l’unanimité, mais on ne le juge généralement pas médiocre non plus. La plupart des observateurs conviennent que la bonne santé de l’économie lui est, au moins en partie, redevable. Concernant le conflit israélo-arabe, il a toujours été prudent et mesuré. Il a appelé à  un Etat palestinien vivant côte-à-côte avec Israël. Le rapprochement avec les Emirats, le Maroc, l’Arabie saoudite et autres régimes naguère hostiles s’est déroulé sous sa gouvernance. Les rapports avec les Etats-Unis ont connu des turbulences lors de la présidence d’Obama, mais celui-ci avait un rapport trouble avec Israël suite à ses liens avec un pasteur antisémite comme mentor.

Cela fait des  années que la classe politique de droite est irritée par la Cour Suprême quand elle retoque des lois pour des raisons plus idéologiques que juridiques. Il est vrai que celle-ci se comporte comme un parti politique, bien que ses juges soient nommés en fonction d’un système opaque. Les gouvernements de ces dernières années en sont  venus à s’abstenir de déposer certains projets de lois, sachant qu’ils ne passeraient pas la censure de la Cour Suprême.

Netanyahu est populaire depuis des décennies et remporte toutes les élections internes de son parti ainsi que la plupart des législatives. A noter que personne ne conteste la régularité de ces scrutins.

Confronté à sa remarquable longévité, un certain agacement  a commencé à se manifester vers 2015, aussi bien parmi ses alliés politiques que ses adversaires. Un pacte informel contre sa personne a vu le jour, visant à le renverser par des moyens  douteux.  Le tout soutenu par des forces politiques, médiatiques et judiciaires, alliés objectifs avec pour seul dénominateur commun l’acharnement à défaire Netanyahu.

De moyens énormes ont été mis en œuvre pour fouiller dans la vie publique et privée de Netanyahu. Il fallait le trainer en justice à tout prix. Intimidation de témoins, interrogatoires musclés et mises sur écoute ont été instrumentalisés sans compter.  Le coût financier de cette curée est astronomique, ceci dans le seul but de créer un climat de nature à forcer Netanyahu à se démettre.

Dernièrement l’accusation de corruption qui faisait partie des charges contre lui a été levée par les trois juges qui mènent son procès. Ils ont informé le Parquet que cette accusation n’était pas tenable. Suite à cela la presse a demandé au chef de la police sur quelle base il avait recommandé d’inculper Netanyahu pour corruption.  Il a répondu que c’était parce qu’il espérait que cela le forcerait à démissionner, sans plus.

Un autre volet  de cette saga juridique est la quantité de cadeaux que Netanyahu a reçus du magnat de cinéma Arnon Milchan sous forme de cigares, champagne et autres gâteries. Cet épisode ne semble pas délictueux non plus, puisqu’il a été établi que l’amitié entre Netanyahu et Milchan était réelle et ancienne.

Quant à l’implication potentielle de Netanyahu dans l’affaire des sous-marins livrés à l’Egypte par l’Allemagne, la justice n’a même pas ouvert d’enquête à son encontre.

Reste la suspicion de connivence entre Netanyahu et le patron de Yediot Aharonot[1], qui n’a débouché sur rien.

Il ressort de tout cela que même s’il se peut que Netanyahu ait eu un comportement contestable au plan éthique, il n’en demeure pas moins qu’il a un casier judiciaire vierge, et au fur et à mesure du temps qui passe il devient de plus en plus probable que son procès ne débouchera pas sur grand-chose.

Ces affaires ont néanmoins conduit des électeurs de droite à soutenir une coalition excluant le Likoud, pourtant principale force politique du pays. Cinq élections successives ont finit par accoucher de deux chimères : en 2021 le gouvernement de Naftali Bennet composé d’islamistes, de gauchistes, de centristes et de sionistes religieux. Ensuite, en 2022, une coalition fabriquée par Netanyahu avec des fanatiques ultraorthodoxes et des fous de Dieu fascistes.

Ceci dit il existe bel et bien dans l’opinion  publique un consensus en faveur d’une réforme judiciaire. Mais celle voulue par le gouvernement actuel a été mal ficelée, mal préparée, mal expliquée et est probablement excessive. La précipitation avec laquelle le gouvernement a voulu la faire adopter par la Knesset est en elle-même suspecte. Il faut savoir qu’elle a été lancée à l’initiative du Likoud, alors que les autres partenaires de la coalition n’y voient qu’une occasion de faire passer des lois sectorielles d’un égotisme écœurant.

La réforme en cours a – entre autres – pour objectif d’instaurer une représentativité plus juste au sein de la Cour suprême en modifiant le mode de nomination des juges. Elle vise à mieux adhérer à l’esprit de la Déclaration d’Indépendance d’Israël en pérennisant sa légitimité en tant qu’Etat juif. Le mode de gouvernement d’Israël est démocratique, mais doit être en phase avec l’Histoire du peuple juif.

La Cour Suprême doit dire le droit et s’abstenir de décréter des valeurs sociétales. L’évolution des mœurs  et la sociologie changeante n’est pas leur affaire. C’est celle du peuple souverain, dont la souveraineté est incarnée par ses représentants à la Knesset. Les juges ne doivent jamais s’y substituer.

La seule résolution digne de cette crise ne peut être qu’une nouvelle coalition entre le Likoud et les formations qui n’ont eu de cesse que de chercher à écarter Netanyahu tout en étant du même bord politique que lui.

A ce stade de la crise  il est légitime de poser aux responsables de la vie politique la question suivante : le combat qu’ils ont mené contre Netanyahu a-t-il été bénéfique pour le peuple d’Israël ?

[1] Quotidien israélien

L’ambassadeur et le cafetier

Ron Prosor est un diplomate, écrivain et chroniqueur israélien. Ancien major de réserve de Tsahal, il fut représentant d’Israël aux Nations-Unies, ambassadeur au Royaume-Uni et est actuellement ambassadeur d’Israël en Allemagne.

Comme tous les ambassadeurs au monde, Ron Prosor s’intéresse au quotidien de ses compatriotes vivant à l’étranger. La semaine dernière il a eu la bonne idée d’aller passer un moment de détente au « Café Dodo » à Berlin, établissement tenu par un Israélien.

Alors que l’ambassadeur était déjà attablé, le vaillant cafetier l’a identifié et interpelé pour lui signifier qu’il n’était pas le bienvenu en ces lieux[1]. Une des raisons avancées était que l’ambassadeur incarnait la politique du gouvernement d’Israël. L’excellent cafetier ignorait sans doute que la mission d’un diplomate consistait précisément à représenter son gouvernement quand il était en mission à travers le monde.

Mais l’intrépide   cafetier en voulait aussi à l’ambassadeur d’avoir accusé le Bundestag[2] et la presse locale d’être laxiste par rapport à l’antisémitisme qui sévit en Allemagne sous couvert d’antisionisme. L’on comprend sans peine l’honnête cafetier, qui avait bien raison de s’indigner de ce qu’un vil représentant de l’Etat juif se permette d’insinuer qu’il y aurait de l’antisémitisme dans le pays berceau du nazisme, dont la Croix Gammée ne fut en tout et pour tout l’emblème qu’une dizaine d’années.

Il s’agit donc d’une scène en Allemagne au cours de laquelle un Juif expulse un autre Juif de son café parce qu’il représente des millions de Juifs du pays dont il est lui-même citoyen.

Du point de vue légal il s’agit probablement d’une infraction relevant d’un refus de vente discriminatoire. Mais ce qui est bien plus important, c’est que cet incident a une portée scientifique non négligeable.  En effet, il y a un siècle, Albert Einstein, Juif allemand,  avançait  ceci: « Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine.  Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore la certitude absolue ».

Au moins une partie de cette proposition est-elle désormais démontrée grâce au brave cafetier berlinois.

[1] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/1690528600-l-ambassadeur-d-israel-en-allemagne-refoule-d-un-cafe-tenu-par-un-israelien-a-berlin

[2] Parlement allemand

Civitas ou le gardien de la chrétienté

« Civitas » est un groupuscule catholique intégriste français qui pourrait bientôt être dissous suite à des propos antisémites proférés par son dirigeant Pierre Hillard. Cette secte, qui est aussi un parti politique, ne compte que quelques énergumènes qui ne méritent pas que l’on s’attarde à eux.

Mais en cherchant des déclarations passées de Pierre Hillard, on trouve sur Internet une  vidéo d’une heure érudite, structurée et bien documentée. Ce connaisseur du judaïsme explique le combat de sa vie contre le peuple juif de manière posée, ce qui ne devrait pas surprendre, puisse qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’un rappel conforme, précis et scrupuleux de la doctrine antijuive autour de laquelle s’est articulée la chrétienté tout au long de l’Histoire.

L’accusation de « déicide » était encore valide au Vatican lors du pontificat de Pie XII et l’est toujours dans l’Église grecque-orthodoxe, dans de nombreuses  congrégations protestantes, dans l’anglicanisme  et dans la mouvance catholique intégriste.  Il ne s’agit donc pas d’un épiphénomène, mais bien de la raison d’être du christianisme.

Comme le christianisme s’est établi comme religion d’Etat à travers le monde pendant près de deux millénaires, la haine des Juifs continue d’irriguer les soubassements de la conscience collective, même là ou la religion est en déclin.   C’est ce qui explique qu’en sécularisant l’antisémitisme, les régimes nazis et communistes n’ont pas éprouvé le besoin d’en démontrer le bien-fondé auprès des masses. C’est aussi ce qui explique l’antisionisme, qui n’est qu’un travestissement de l’antisémitisme séculaire.

Théocratie et dictature

Une théocratie est-elle forcement une dictature ? Du point de vue sémantique cette distinction s’impose, puisque ces termes ne sont en principe ni synonymes ni interchangeables. L’on note cependant que ces notions se confondent souvent dans le langage courant. La question est de comprendre pourquoi.

Selon ChatGPT  « les théocraties sont des systèmes politiques où le pouvoir est détenu par une autorité religieuse ou une divinité. La combinaison d’une théocratie avec un gouvernement dictatorial signifie que le dirigeant religieux ou spirituel exerce un contrôle absolu sur l’État et impose son autorité de manière arbitraire, sans respecter les droits et libertés fondamentales des citoyens. »

Cette définition relève empiriquement un lien de cause à effet entre théocratie et dictature au cours de l’Histoire. Autrement dit elle pose que toute théocratie tend à tourner à la dictature. La source de la Loi étant le gouvernement de Dieu, le peuple n’a pas le pouvoir de la modifier. C’est au guide spirituel ou au monarque de droit divin de l’interpréter sur base de textes sacrés. Mais comme le peuple n’a pas droit de cité, l’exercice du pouvoir par le clergé finit par tomber dans l’arbitraire.

Il y a un épisode dans la Torah au cours duquel le prophète Samuel tente de dissuader le peuple qui aspire à la monarchie. Il prévient que le Roi exercerait un pouvoir absolu sous couvert de religion.  Il lèverait des impôts et mobiliserait les hommes pour renforcer son emprise. Il confisquerait leurs biens pour les redistribuer à sa cour en prétextant servir Dieu. Cette prophétie se réalise sous le Roi Saül, qui en prenant de l’âge est victime de son Hubris, et sombre dans la folie.

Le Roi  Salomon quant à lui commence son règne dans le respect de la Torah. Mais plus tard il écrase le peuple par une intolérable pression fiscale afin de financer ses projets abyssaux, et entretenir ses innombrables femmes. Il leur installe des idoles païennes en plein milieu du Temple, qu’il a pourtant construit à la gloire du Dieu d’Israël.

Son fils Réhoboam lui succède et s’adresse au peuple en disant  « mon père vous a chargés d’un joug pesant et moi j’augmenterai votre joug; mon père vous a châtiés avec des fouets, et moi je vous châtierai avec des scorpions [1]». Le tout au nom de Dieu, bien entendu.

Yeshayahu Leibowitz, homme de science et philosophe, bien qu’étant lui-même Juif orthodoxe, soutenait avec passion le combat en faveur d’une séparation radicale entre religion et Etat en Israël. Il craignait l’avènement d’une théocratie, dont il prédisait qu’elle serait une dictature : «  l’on ne peut se fier à l’intelligence ni à la bonne volonté des hommes. Leur niveau intellectuel et spirituel est dans la plupart des cas médiocre. Ce qui donne tout son sens à la démocratie, c’est que bien que les hommes ne soient pas égaux ils ont des droits égaux. Il faut cependant se garder de l’idée que la voix du peuple est éthique du seul fait d’être majoritaire. Une majorité peut être bête et méchante, mais au moins la démocratie permet-elle de changer de gouvernement dans le cadre du système plutôt que par la violence.[2] »

Vu sous cet angle théocratie et dictature sont donc inextricablement liées.

***

[1] Premier livre des Rois, chapitre 12.

[2] Compilé dans « Leibowitz ou l’absence de Dieu », Daniel Horowitz, Collection « Ouverture Philosophique », Editions l’Harmattan,

Idéologie et économie en Israël même combat ?

Singapour est dirigé par une même famille et le même parti politique depuis près de soixante ans. Le taux d’application de la peine de mort y est parmi les plus élevés du monde. L’Etat peut infliger à ses opposants politiques, comme à des délinquants de droit commun, des détentions administratives illimitées. La population est sous surveillance et est exposée à une répression permanente. La presse est censurée et l’Internet filtré.  La possession d’antennes paraboliques de télévision est interdite. Les bonnes mœurs sont décrétées par l’Etat.

Singapour jouit néanmoins d’une économie prospère et moderne. Elle est classée au haut de l’échelle dans l’indice mondial de l’innovation, dont le High-tech est l’un des piliers. La confiance des marchés financiers lui est acquise depuis longtemps et pour longtemps.  L’afflux de capitaux y est massif.

Singapour est classée AAA par les agences de notation Moody’s, S&P et Fitch, avec en prime une perspective stable. Les Emirats Arabes Unis et le Qatar sont d’autres exemples d’économies qui ne doivent pas grand-chose à la démocratie mais qui sont néanmoins appréciées par Moody’s et compagnie, malgré leur constitution basée sur la Charia.

Contrairement à une idée colportée par certains médias, Moody’s a récemment exprimé des réserves concernant l’économie israélienne non pas par rapport à la réforme judiciaire en marche, mais par crainte d’instabilité politique vu l’ampleur des manifestations antigouvernementales.

Ce n’est pas parce que le gouvernement d’Israël est détestable pour beaucoup d’entre nous et qu’il est noyauté par des ultraorthodoxes fanatiques et des messianiques fascisants, que tout est permis pour le déloger. La rhétorique est choquante, de ceux qui s’emploient à scier la branche de l’économie sur laquelle nous sommes tous assis. L’idée que la réforme judiciaire ébranlerait l’économie si par malheur elle passait est une fable contreproductive. La bourse et la monnaie israélienne sont attaquées parce que les marchés  ont horreur de l’incertitude, quelle qu’en soit la nature. L’argument consistant à établir un lien entre la perspective d’une dictature et la faiblesse de l’économie est une contrevérité qui empoisonne le débat.

Ne nous trompons pas de combat.  La bataille qui déchire le pays en ce moment est une bataille entre démocratie et théocratie. C’est  un conflit idéologique et éthique. Espérons que la démocratie l’emportera, mais laissons  l’économie en dehors de l’équation.

Fracture

« Fracture » est un téléfilm français qui date de 2010. Il raconte l’histoire d’Anna Kagan, une jeune professeure juive affectée à un poste  difficile dans une école où la plupart des élèves sont issus de l’immigration.

Deux thèses s’affrontent dans « Fracture ».

La première est qu’il n’y a pas de fatalité, que l’Education Nationale et le système de santé sont perfectibles moyennant une volonté politique au niveau économique et humain. Il faut donc chercher à changer les choses.

La deuxième est que la partie est perdue, et que non seulement le dévouement personnel ne sert plus à rien, mais qu’il détruit celui ou celle qui persiste à vouloir changer les choses.

Cette dialectique est illustrée par la scène-clé ou Vidal, professeur vétéran, annonce sa démission pour partir à la recherche du bonheur avec sa compagne, alors que Kagan, professeure débutante, refuse de baisser les bras, quitte à ruiner  son couple.

Le film dépeint la complexité d’une société qui dysfonctionne, où les tragédies s’enchainent sans qu’il y ait de coupables ou de responsables. Un mal systémique qui abrutit le sous-prolétariat (Slimane le djihadiste), même  si certains s’en sortent grâce à une trempe exceptionnelle (Zohra la coiffeuse).

Mais ce que Vidal et Kagan prennent pour quelque chose de ponctuel du point de vue historique est en réalité une lame de fond qui déferle sans entraves sur une civilisation occidentale à la dérive et en panne de spiritualité.

Plusieurs scènes du film décrivent à quel point leurs élèves ne se considèrent pas comme Français et estiment qu’ils n’ont pas à respecter la République.  Même nés en France ils restent mentalement rivés à leur origine. Ces adolescents se sentent d’ailleurs souvent plus proches des Palestiniens que de leurs propres concitoyens et pratiquent un antisionisme truffé de truismes antisémites.  Ils méprisent cette France de tradition chrétienne parce qu’ils considèrent l’Islam comme leur valeur suprême. Cette religion est d’une grande vitalité et a vocation à se propager dans une Europe en déclin.

L’Europe traîne une gueule de bois au bout d’un vingtième siècle sinistre qu’elle n’a toujours pas digéré. Elle est avachie et remet tout à des lendemains qui sans doute déchanteront. En attendant l’immigration extra-européenne qu’elle a encouragée n’est plus composée seulement d’individus, mais constitue en grande partie un peuple dans le peuple, sans intention de se dissoudre. Il y a désormais deux conceptions du monde qui s’affrontent dans la vielle Europe.

Kagan pense que ses élèves, aussi dissipés et récalcitrants soient-ils, sont amendables. Qu’en faisant preuve de pédagogie, d’intelligence, de compréhension et de patience, elle arrivera à les conduire sur le bon chemin. Mais c’est précisément cette notion de bon chemin qui pose problème.

Il n’existe, dans l’absolu, ni  bons  chemins ni bonnes  valeurs. Personne n’en a le monopole. Les spiritualités varient d’une culture à l’autre sans qu’il y ait de règle qui puisse les hiérarchiser ou en expliquer les différences de manière logique.

Le  bon chemin de Kagan est incompatible avec celui de ses élèves. L’imprégnation dans leur esprit de structures héritées de leurs ancêtres est profonde, or ils ne voient pas au nom de quoi ils les renieraient. Des valeurs telles que la laïcité, l’égalité hommes-femmes, la liberté d’expression ou le droit au blasphème sont vus par eux comme des sacrilèges. A leurs yeux la spiritualité dont ils sont porteurs prime sur ce que Kagan pourrait bien avoir à leur transmettre.

La préface de l’ouvrage « Puissance et décadence » du philosophe Michel Onfray se termine ainsi : « Le Titanic va couler. Il ne nous reste que l’élégance de la fin. Ca ne suffira pas pour construire une civilisation. Mais c’est assez pour opposer une résistance romantique à l’inéluctable ».

Anne Sinclair ou la Tartuffe de service

Anne Sinclair a récemment publié une tribune dans le journal « Le Monde ».  Elle a choisi ce quotidien antisioniste proche de l’islamogauchisme pour s’attaquer à Israël.

La « Loi du Retour » est une disposition de l’Etat d’ Israël qui garantit à tout Juif le droit d’immigrer à tout moment et de devenir citoyen sur simple demande. Cette loi stipule que « L’État déploiera des efforts pour garantir la sécurité des membres du Peuple Juif et de ses citoyens se trouvant en détresse ou emprisonnés en raison de leur judéité ou de leur citoyenneté ».

Les Juifs à travers le monde qui sont partie prenante de la « Loi du Retour », concrètement ou symboliquement, pour eux-mêmes ou pour leurs descendants,  maintenant ou plus tard, ont une obligation de réserve envers Israël, qui s’engage à accueillir les Juifs de la Diaspora en temps de paix comme en temps de crise.

Il y a quelques années, quelque 400 Juifs britanniques ont écrit à l’Ambassade d’Israël à Londres pour lui signifier qu’ils rejetaient à titre définitif tout recours à la « Loi du Retour ». Ils ont déclaré ne pas se sentir concernés par cette loi, ni concrètement ni symboliquement, ni pour eux-mêmes ni pour leurs descendants, ni maintenant ni plus tard. Ils ont donc le droit moral de critiquer Israël et même de lui être hostile en vertu de la liberté d’expression.

Si Anne Sinclair estime qu’elle n’a pas de devoir de réserve envers Israël elle devrait faire pareil. Elle pourra alors publier des tribunes contre l’Etat juif dans tous les torchons du monde en ayant la conscience tranquille.

Israël en l’absence d’une Constitution

La démocratie est un système de gouvernement et un cadre légal qui  s’adapte aux peuples de manière dynamique. La crise actuelle révèle à quel point  Israël n’est pas politiquement mûr de ce point de vue-là. La coalition au pouvoir n’a pu déposer son invraisemblable projet de réforme judiciaire que moyennant un néant constitutionnel.

Il faut d’urgence une base juridique de gouvernance afin d’exclure toute dérive totalitaire, qu’elle soit d’inspiration théologique ou idéologique.

Le hasard a voulu qu’en ce moment même il y ait une situation tendue en  France, avec des manifestations de grande ampleur. Bien que celles-ci semblent plus violentes qu’en Israël, les enjeux sont très différents.  En France il s’agit d’un mouvement social,  alors qu’en Israël nous assistons à un conflit civilisationnel entre une droite libérale, laïque, patriotique d’une part, et une droite obscurantiste, théocratique  et fascisante d’autre part.

La gauche quant à elle est pratiquement absente de l’échiquier politique, mais demeure influente dans la magistrature. Cela a pour effet que quand la Knesset légifère, la Cour Suprême dispose du droit d’annuler des lois si elle les juge déraisonnables, et peut le faire sans base juridique, logique ou constitutionnelle pour l’étayer. A sa seule discrétion, donc.

La Cour Suprême se comporte parfois comme une force politique à part entière mais dispose du pouvoir de retoquer des lois votées à la majorité par un parlement pourtant élu au suffrage universel. Cette anomalie existe depuis des décennies, mais la magistrature n’a jamais voulu céder la moindre parcelle de pouvoir malgré de nombreux appels à la réforme par une grande partie de l’opinion publique.

Cela a conduit l’extrême-droite et les partis ultra-orthodoxes du gouvernement actuel à soumettre à la Knesset une réforme judiciaire insensée, où les magistrats seraient désignés par le pouvoir en place et où la Cour Suprême n’aurait plus qu’un rôle consultatif.

Il est difficile de faire des prédictions, surtout quand il s’agit de l’avenir, comme disait l’autre. Mais ce qui pourrait arriver, du probable à l’improbable, pourrait être une marche arrière du gouvernement, sa chute suite à un désaccord interne, un compromis avec l’opposition, une paralysie des institutions, un coup d’Etat, ou une guerre civile.

Le problème est et demeure l’absence de Constitution,  bien que le pire ne soit jamais certain.

 

Israël démocratique et juif ?

Depuis l’indépendance d’Israël en 1948, et pendant des décennies, il allait de soi que le courant politique dominant était celui d’une social-démocratie accommodante, à la fois avec l’humanisme et  le judaïsme. C’était d’ailleurs ce que la plupart des pères fondateurs avaient souhaité. Mais les temps ont changé, et il va falloir déterminer ce que signifie « Israël Etat juif et démocratique », selon la formule consacrée.

En réalité cette formule implique une hiérarchie dans les termes. La s0ociologie de la population a changé, et l’espèce de consensus  qui a longtemps prévalu ne semble plus avoir cours face à la polarisation de la vie politique. Les nouvelles générations n’ont peut-être pas grandi, à tort ou à raison, avec le sentiment qu’une menace existentielle pesait encore sur Israël.

Suzie Navot est professeure de droit constitutionnel et vice-présidente de la recherche à l’ »Israël Democracy Institute ». Elle est opposée au projet de réforme du gouvernement actuel.  Mais au-delà de cette prise de position il est intéressant d’entendre ce que cette juriste au dessus de tout soupçon  entend par Israël pays « juif et démocratique ».

Au cours d’une interview récente Navot explique que cette formule doit être comprise « dans cet ordre ». En d’autres termes qu’Israël est d’abord juif et ensuite démocratique. Elle estime que le pays ne pourra jamais être cent pourcent démocratique, parce que la démocratie doit parfois céder la place au caractère juif de l’Etat. Cela  entraine que certains droits, au sens humaniste du terme, ne seront jamais accordés dès lors qu’il entreraient en conflit avec des valeurs juives. Navot précise qu’elle assume cela et estime qu’il fait bon vivre dans un tel pays en tant que juif.

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