L’âme des peuples

Bien que né en Suisse suite aux aléas de la Seconde Guerre Mondiale, ma jeunesse  et l’essentiel de ma vie adulte s’est déroulée en Belgique dans la bonne ville flamande d’Anvers. Mes parents étaient polonais mais s’exprimaient en yiddish. J’ai été scolarisé en néerlandais mais la communauté juive était francophone.

Je ne me suis jamais identifié comme Suisse, Polonais ou Flamand, mais comme Juif. Il n’empêche que je me considérais comme citoyen belge à part entière, et ne voyais aucune incompatibilité entre cela et mon appartenance au peuple juif.

Il y avait dans la population un antijudaïsme endémique, mais l’Etat n’était pas antisémite, et plutôt bienveillant envers la communauté juive. Celle-ci lui était en tous cas reconnaissante de vivre dans un Etat de droit tout en constituant un peuple dans le peuple. Il n’est en effet pas anodin de relever que les cérémonies officielles des institutions juives d’Anvers se clôturaient non seulement par l’hymne national belge, mais aussi par l’israélien.

L’école juive que je fréquentais appliquait le programme d’Etat avec rigueur, et nous avions en plus de cela des cours d’hébreu, de judaïsme et de sionisme. Mais personne  ne trouvait anormal que l’on nous enseigne aussi que nos ancêtres étaient des Gaulois.  Nous étions même plutôt fiers d’apprendre  que Jules César considérait que « de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves »[1].

Au fur et à mesure de la construction de l’Europe je trouvais qu’en plus d’être juif il était légitime que je m’identifie également comme Européen.  Lors de la Seconde Guerre Mondiale, la philosophe politique Hannah Arendt avait promu l’idée d’une nation juive à intégrer au sein d’une future Europe Fédérale qu’elle appelait de ses vœux. Elle pensait qu’après la Guerre  « les Juifs devraient y être reconnus en tant que nation, et représentés en tant que tels au Parlement européen[2]

Je savais pour ma part que l’Europe n’était pas une nation, mais j’étais en faveur d’une intégration des peuples qui la constituaient, qui finiraient par former une entité qui s’appellerait peut-être les « Etats-Unis d’ Europe », à l’image des Etats-Unis d’Amérique. En plus des avantages économiques d’un tel projet,  je pensais que l’interdépendance de peuples qui s’étaient combattus pendant si longtemps rendrait désormais la guerre impensable.

Je considérais les eurosceptiques comme réactionnaires et archaïques, et j’ai été choqué le jour où les Britanniques sont sortis de l’Union Européenne. J’y voyais un craquement dans ce continent pacifiée et prospère. J’estimais qu’une Europe politique était compatible avec des particularismes régionaux, et qu’il n’y avait pas de mal à ce que les nations de la vielle Europe cèdent une part de leur souveraineté à un pouvoir central. Je pensais que cela correspondait au bien commun.

Mais après avoir avoir émigré en Israël, ma perspective concernant l’Europe à changé.  Quand j’ai pris conscience qu’en Israël ma nouvelle citoyenneté et mon identité se confondaient, j’ai compris du même coup ceux qui voient dans l’Union Européenne un piège mortel pour l’âme des peuples.

Par association d’idées j’espérais que le jour arriverait où Israël aurait des relations apaisées avec ses voisins du monde arabo-musulman, mais pas au point de se fondre en une entité supranationale qui s’appellerait les « Etats-Unis du Moyen-Orient ».

J’ai le sentiment que les peuples peuvent vivre en bonne entente les uns à côté des autres,  mais qu’ils n’ont pas vocation à vivre les uns avec les autres.

[1] « Guerre des Gaules », Jules César

[2] « Hannah Arendt.  Ecrits juifs » Fayard, 2011.

Guerre et paix

Il y a plus de deux décennies je suis en vacances à Courchevel. Le temps est radieux et je décide de prendre le télésiège qui donne accès aux différentes stations du domaine skiable.  Je médite au fil de la montée sur le bonheur de pratiquer le ski. C’est une de ces journées parfaites qui n’existent qu’en montagne. Silence  total. Ciel immobile et   soleil glacé qui éclaire les sommets enneigés dans leur splendeur. Je me réjouis à l’avance de la descente que je vais faire.

Tout à coup surgissent quatre chasseurs de l’armée de l’air qui filent en direction de l’Est. Ils volent bas et j’arrive à  distinguer la silhouette des pilotes. Quelques secondes plus tard ils prennent de l’attitude et disparaissent dans l’azur en laissant une traînée blanche derrière eux mais qui se dissipe aussitôt.

Je passe une heure à enchainer les descentes. Je m’arrête au bout d’un moment sur une crête qui surplombe la vallée afin de reprendre mon souffle et admirer le paysage. Un vrombissement lointain annonce un nouveau passage d’avions. Je lève la tête et aperçois la même escadrille que tout à l’heure mais qui se déplace d’Est en Ouest cette fois-ci.  J’ai l’impression que ces appareils ont quelque chose de changé. Ils ont une allure plus fine. Moins pesante. Je les suis du regard et soudain je comprends. Ils n’ont plus de bombes sous leurs ailes.

Je me souviens que la guerre fait rage en Yougoslavie.  Mission accomplie ces pilotes rentrent à leur base après avoir largué leurs engins de mort. Bien que je ne sois pas concerné je prends conscience que j’ai assisté à un de ces épisodes au cours desquels des hommes bombardent d’autres hommes. Perplexe j’essaie d’intérioriser ce que je viens de vivre.  Finalement je me dis que cela n’a pas de sens et je continue à tracer mes virages dans la neige.

Un peu plus tard les ombres s’allongent. Le soleil disparaît et il commence à faire   froid. Je me dis qu’il est temps de rentrer.

C’était une belle journée.

Zemmour et Vichy ou la confusion des sentiments

Le « Suicide français » est un ouvrage de l’écrivain, journaliste et intellectuel Éric Zemmour. La thèse qui sous-tend cet essai est que la France est en déclin.  Un des chapitres contient un passage tendant à réfuter la manière donc Robert Paxton, historien de la Seconde Guerre Mondiale, analyse le régime de Vichy.

Zemmour note que Paxton constate dans son livre « La France de Vichy » que les trois quarts des Juifs français ont pu échapper à la mort sous le gouvernement de Pétain. L’explication en serait, d’après Paxton, que ce sont les opposants au régime, parmi lesquels les « Justes  des  Nations », qui ont sauvé ces  Juifs.

Mais, s’interroge Zemmour,  si l’on estime que  ce sont ces français-là qui ont rendu possible un sauvetage d’une telle ampleur,  comment se fait-il que les Hollandais n’ont pas réussi à en faire autant ? Le nombre de leurs « Justes » était supérieur celui de la France, mais les Juifs des Pays-Bas ont néanmoins été exterminés à près de 100 %.

D’après Zemmour, Paxton a tort de considérer que le régime de Vichy relevait du mal absolu. Il pense plutôt que l’intention avait été de se placer entre le marteau et l’enclume afin de modérer la folie criminelle nazie. Après tout la France avait été écrasée par un ennemi qui ne lui laissait guère le choix. Vichy aurait donc, dans ces conditions, pris le parti de jouer une sorte de double-jeu en  tentant de sauver ce qui pouvait l’être, tout en faisant mine de collaborer avec l’occupant.

Zemmour cite Raul Hilberg, spécialiste de l’histoire de la Shoah, selon lequel le gouvernement de Vichy se serait efforcé de contenir les exigences allemandes concernant les  Juifs. Mais ces pressions devenant de plus en plus intenses, il y eut un stade où Vichy ne pouvait plus s’y opposer de manière efficace.  En désespoir de cause le régime dut se résigner à lâcher les Juifs étrangers en échange de la vie sauve pour les Juifs français.

Zemmour soutient que le régime de Vichy étant essentiellement nationaliste, il ne lui restait qu’à se servir du peu de souveraineté qui lui restait pour protéger ses nationaux. Vichy aurait donc eu à cœur de protéger les Français juifs non pas parce qu’ils étaient juifs, mais parce qu’ils étaient français.

Petit saut en avant dans l’Histoire. En 1976 un vol d’Air France en provenance de Tel-Aviv est détourné par des terroristes palestiniens et allemands, et atterrit à l’aéroport d’Entebbe en Ouganda.  Les preneurs d’otage libèrent les passagers non-Juifs, mais enferment les Juifs dans un hangar. Il y a là comme un écho au « Statut de Juifs » de Vichy. Mais contrairement à Pétain, le commandant de bord Michel Bacos et son équipage décident de rester avec les Juifs jusqu’à leur libération.

Zemmour dénonce volontiers la soumission actuelle de la France à l’Islam, à l’Union Européenne, à la Chine ou aux Etats-Unis, mais bizarrement trouve des circonstances atténuantes à la soumission de  Vichy aux nazis. La fibre  nationale de Zemmour est respectable, mais en faire l’unique vecteur de la conscience quand elle est confrontée à la barbarie confine à l’inconscience. Trouver qu’il est légitime de discriminer entre humains aux prises avec la mort sur base de la seule préférence nationale témoigne d’une perte de repères.

Lors de la Deuxième Guerre mondiale, Rudolf  Kastner est un notable qui dirige le « Comité d’Aide et de Secours » des Juifs hongrois. Il négocie avec les nazis le sauvetage de 1684 Juifs en échange d’argent, d’or et de diamants. Mais outre le côté sordide de la transaction, il minimise sous la pression des nazis ce qui attend les Juifs qui n’ont pas les moyens de s’acheter la liberté.

Après la guerre, un journaliste Israélien accuse Kastner d’avoir collaboré avec les nazis. Il est poursuivi pour diffamation.  L’affaire prend une ampleur inattendue et se transforme en enquête sur la Shoah de Hongrie. Au bout du procès le tribunal donne raison au journaliste sur la plupart des points.  Le juge étaie sa décision en disant que du seul fait d’avoir traité avec les Nazis « Kastner avait vendu son âme au diable » .

Les arguties de Zemmour, aussi pertinentes soient-elles, ne tiennent pas devant l’ignominie d’un Vichy qui avait, lui aussi, vendu son âme au Diable.

Sénat de Rome et Knesset de Jérusalem

Avertissement : toute ressemblance entre cet article et l’actualité politique ne saurait être le fruit du hasard.

« Julius Caesar » est une tragédie de Shakespeare qui relate la conspiration contre Jules César, son assassinat et la guerre civile qui s’ensuivit.

Au début de la pièce on voit César au sommet de sa gloire après avoir triomphé des ses ennemis, à l’extérieur comme à l’intérieur. Il est le maître de Rome et dispose de pouvoirs exceptionnels. Ses rivaux craignent qu’à la prochaine réunion du Sénat  il ne se fasse couronner, et ne mette ainsi fin à la République.  Brutus, que César considère pourtant comme son fils, projette avec d’autres sénateurs de l’assassiner à la première occasion. Au jour dit, à peine arrivé au Sénat, César est poignardé en pleine séance par Brutus et ses acolytes, et s’effondre dans une mare de sang.

La rumeur du coup d’Etat se répand dans Rome, et les citoyens affluents vers le Sénat pour apprendre ce qui s’est passé. Antoine, allié de César et rival de Brutus,  demande néanmoins d’avoir la vie sauve afin de pouvoir prononcer l’oraison funèbre de César devant le peuple. Brutus accepte, mais impose de le faire avant lui.

Il commence par un sonore « Romains, compatriotes et amis[1] » et s’emploie à justifier l’assassinat de César au moyen de la rhétorique.  Il met en avant sa loyauté envers Rome, en déclarant « Ce n’est pas que j’aimasse moins César, mais j’aimais Rome davantage » Il déplore que le pouvoir ait fini par griser César au point de lui faire oublier le bien public. «César m’aimait, dit Brutus, et je le pleure, il fut fortuné, et je m’en réjouis ; il fut vaillant, et je l’en admire ; mais il fut ambitieux, et je l’ai tué » Brutus précise qu’il ne s’est résolu à son geste qu’en désespoir de cause, et assure que cet assassinat, aussi déplorable soit-il, a été commis au nom du peuple, et de celui de la liberté.  Il saisit l’occasion pour se profiler en homme d’Etat aspirant au pouvoir, mais avec le devoir comme valeur suprême.  Il est acclamé par la foule, désormais acquise à sa cause.

Apparaît alors Antoine, ami d’enfance de César.  Il ne peut contredire Brutus d’emblée, puisque celui-ci vient d’obtenir le soutien populaire. Il commence par un préambule quelque peu ambigu : « Amis, Romains, compatriotes, prêtez-moi l’oreille. Je viens pour ensevelir César, non pour le louer. Le mal que font les hommes vit après eux ; le bien est souvent enterré avec leurs os : qu’il en soit ainsi de César. »

Antoine met en œuvre lui aussi son talent rhétorique pour essayer de retourner l’opinion publique contre Brutus. Il feint d’abord d’être d’accord avec lui, qu’il appelle  d’ailleurs « le noble Brutus ». Il le couvre de louanges, et  répète à plusieurs reprises que « Brutus est un homme honorable ». Mais il s’interroge en même temps sur ce qui a bien pu justifier qu’une personnalité aussi éminente ait pu commettre un acte aussi abominable. Il réfute l’argument selon lequel César aurait été trop ambitieux, et rappelle qu’il avait refusé à trois reprises la couronne que lui proposait le Sénat. Il reproche par ailleurs aux Romains d’être ingrats, et leur lit par un geste emphatique le testament de César, d’où il ressort qu’il lègue au peuple une partie importante de sa fortune. Pour théâtraliser son plaidoyer, il dépose le corps de César ensanglanté et encore chaud sur les marches du Sénat. Ce geste, ajouté au testament qu’il vient de parcourir, bouleverse la foule qui renie Brutus pour le coup, et qui repasse du côté d’Antoine.

Les discours contradictoires de Brutus et d’Antoine et la versatilité de la foule soulèvent la question morale en matière de rhétorique. C’est le thème du dialogue[2] de Platon intitulé « Gorgias ».  Au cours de ce dialogue, Socrate demande à  Gorgias de lui donner une définition de la rhétorique.  Celui-ci répond qu’il s’agit de l’art de convaincre. Socrate lui demande alors à quoi sert cet art.  Gorgias est embarrassé mais finit par admettre qu’il s’agit d’une méthode de persuasion, et non pas de démonstration. Comme Socrate le pousse dans ses retranchements, Gorgias concède que la rhétorique vise à l’emporter par les mots, sans lien avec un quelconque savoir. Gorgias illustre cela en racontant le cas d’un malade qui refusait le traitement prescrit par son médecin, mais qu’à force d’éloquence il a fini par convaincre. Socrate fait remarquer à Gorgias qu’il a convaincu le malade sans rien connaître à la médecine, et qu’il l’a peut-être induit en erreur. Socrate en déduit que comme la rhétorique peut soutenir tout et son contraire, elle est dangereuse parce qu’elle permet de manipuler les hommes, exactement comme quand Brutus et Antoine font tour à tour l’oraison funèbre de César.

Il était de notoriété publique à l’époque de Platon que les rhéteurs eux-mêmes prétendaient pouvoir défendre une thèse et l’opposé avec le même aplomb. Socrate juge donc que la rhétorique est dénuée de valeur si elle ne cherche qu’à convaincre par de belles paroles.  Il pose en conclusion que pour qu’elle puisse être considérée comme vertueuse, la rhétorique doit être subordonnée à la philosophie, c’est-à-dire à la recherche de la vérité, sans quoi elle n’est que mensonge.

Plus de deux millénaires plus tard, Arthur Schopenhauer[3] écrit un essai intitulé « L’Art d’avoir toujours raison[4] ». Il passe en revue les stratagèmes qui permettent de convaincre au moyen d’artifices qui font appel aux affects, mais sans se soucier du réel. Il cite Aristote qui disait « il n’y a pas d’opinion, si absurde soit-elle, que les hommes ne sont pas prêts à embrasser dès qu’ils peuvent pourvu qu’on puisse les convaincre que c’est une vue généralement admise. L’exemple affecte leur pensée et leurs actions. Ils sont comme des moutons, suivant celui qui porte le grelot où qu’il les mène : il est pour eux plus facile de mourir que de réfléchir

« והמבין יבין  », disait Ibn Ezra[5], ce qui donne à peu près « et qui comprend comprendra ».

[1] Traduction de François-Victor Hugo, comme les autres extraits de la pièce de Shakespeare dans cet article.

[2] L’œuvre de Platon se présente généralement sous forme de dialogue philosophique entre personnages.

[3] Philosophe allemand du 19ème siècle, théoricien du concept de Volonté dans la nature.

[4] Traduction Auguste Dietrich

[5] Rabbin andalou du 12ème siècle. Grammairien, traducteur, poète, exégète, philosophe, mathématicien et astronome. Connu pour avoir relevé des incohérences chronologiques dans le Pentateuque.

Gouvernement « d’union nationale » en Israël ?

La coalisation sur le point d’accéder au pouvoir en Israël se présente comme un  gouvernement « d’union nationale ».  Mais en réalité une telle  configuration ne s’impose que dans des situations extrêmes, quand il y a danger imminent identifié  comme tel par un consensus populaire. Cela implique que les différences idéologiques soient mises de côté, de manière à en appeler à l’union sacrée et à souder ainsi le peuple face à une menace existentielle.

Mais ce n’est, à l’évidence, pas du tout le cas actuellement. 48 pourcent des suffrages exprimés (électeurs de Yamina inclus) ont directement ou indirectement plébiscité Netanyahu lors des dernières élections. Les formations coalisées contre lui justifient le reniement de leurs promesses, ainsi que de leur idéologie, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation pour sauver l’essentiel. C’est ainsi que Tikva Hadasha et Yamina renoncent à annexer la Judée-Samarie, et endossent la solution à deux Etats du conflit israélo-palestinien. Meretz et Avoda quant à eux oublient les LGBT, et n’exigent plus de mettre un terme à l’occupation de la Cisjordanie. Raam, le parti islamiste, renonce à liquider l’Etat d’Israël et enterre la cause palestinienne. Yisrael Beiteinu n’exige plus  de subordonner la citoyenneté des Arabes d’Israël à l’allégeance à l’Etat juif. La plupart des personnalités politiques qui ont rendu cette coalisation possible ont fait l’inverse absolu de ce à quoi ils s’étaient engagés. Il est vrai que cette coalition a pour point commun d’éliminer Netanyahu de la scène politique, mais la question est de savoir si cet objectif peut être qualifié de « cause nationale » alors que 53 députés sur les 120 que compte la Knesset s’y opposent.

La vérité est qu’il s’agit d’une lutte pour le pouvoir que les opposants à Netanyahu travestissent en état d’urgence, mais rien dans les faits ne justifie cette vision d’apocalypse. Tout au long de sa gouvernance, l’économie du pays s’est développée mieux qu’ailleurs dans le monde industrialisé, ce qui a valu à Israël l’admission à l’OCDE. Malgré les élections à répétition récentes, Netanyahu a su mener à bien les accords d’Abraham et amélioré de manière sans précédent les relations entre Israël et le monde arabe. Lors des récentes attaques du Hamas de nombreux pays occidentaux, traditionnellement précautionneux, ont ostensiblement soutenus Israël, et certains ont même hissé le drapeau israélien au fronton de leurs édifices publics. Concernant la pandémie, Israël a implémenté en un temps record une vaccination massive, et assuré l’approvisionnement de la totalité de la population. Aucun pays au monde ne peut en dire autant, or il ne fait aucun doute que cet exploit a été rendu possible grâce à l’opiniâtreté de Netanyahu et à ses relations personnelles à travers le monde. A cela il faut ajouter la remarquable vitesse avec laquelle le pays s’est remis en marche une fois l’épidémie jugulée. Enfin concernant l’Iran, qui constitue pour le coup une menace existentielle véritable, la manière dont Netanyahu fait face aux velléités du monde libre de pactiser avec ce régime criminel devrait servir d’exemple à l’Occident frileux.

La raison véritable de l’opposition à Netanyahu tient à une compréhensible frustration eu égard à sa manière de gouverner, qui, il faut bien l’admettre, est quelque peu autocratique. Nous avons peut-être affaire à un despote, mais dont près de la moitié d’Israël pense qu’il s’agit d’un despote éclairé. Ses opposants brandissent l’étendard de la démocratie pour le combattre, mais se servent de méthodes douteuses pour le déloger, alors qu’il jouit d’une indéniable popularité. Pour le déstabiliser ils instrumentalisent la presse, qui instrumentalise la police, qui instrumentalise la Justice, qui l’inculpe de manière à ce que ses opposants puissent  exiger qu’il se démette avant même qu’il ne soit jugé. Si l’on admet la légitimité d’un tel procédé, cela revient à laisser les juges déterminer qui peut ou ne peut pas gouverner. Malheur à une démocratie qui se laisserait mener par les juges, parce que c’est la meilleure manière de l’enterrer.

En conclusion, s’opposer à Netanyahu est certes légitime, mais parler d’urgence, de menace existentielle ou d’union nationale constitue un abus de langage indigne d’une opposition qui se respecte.

La Diaspora et la politique d’Israël

La « Loi du Retour » de l’Etat d’Israël garantit à tout Juif le droit d’immigrer en Israël à tout moment et de devenir citoyen à part entière sur simple demande. Un des amendements de cette loi stipule que « L’État déploiera des efforts pour garantir la sécurité des membres du Peuple Juif et de ses citoyens se trouvant en détresse ou emprisonnés en raison de leur Judéité ou de leur citoyenneté ».

Il y a quelques années, 400 Juifs britanniques ont envoyé une lettre ouverte à l’Ambassade d’Israël de Londres pour lui signifier qu’ils rejetaient à titre définitif tout recours à la « Loi du Retour ». Ils ont déclaré ne pas se sentir concernés par cette loi, ni concrètement ni symboliquement, ni pour eux-mêmes ni pour leurs descendants, ni maintenant ni plus tard. Ils ont donc le droit de critiquer Israël et même de lui être hostile en vertu de la liberté d’expression.

Quant aux Juifs à travers le monde qui estiment être partie prenante de la « Loi du Retour », concrètement ou symboliquement, pour eux-mêmes ou pour leurs descendants,  maintenant ou plus tard, ils ont une obligation de réserve envers Israël, qui s’engage de son côté à accueillir les Juifs de la Diaspora en temps de paix comme en temps de crise.

C’est ainsi que ces Juifs qui tiennent à  la « Loi du Retour », mais qui sont en même temps critiques par rapport à telle ou telle politique d’Israël, ils n’ont qu’un seul devoir :  celui de se taire.

Présidence d’Israël et présomption d’innocence.

Reuven Rivlin, Président d’Israël, a confié la tâche de former un gouvernement à l’élu qui, conformément à l’usage, a recueilli le plus de recommandations de la part des partis siégeant à la Knesset. Mais il a assorti son annonce d’un commentaire malveillant, déplacé et indigne de sa fonction: « ce n’est pas une décision facile pour moi sur une base à la fois morale et éthique », a-t-il indiqué.

Rivlin faisait allusion à son hostilité au député en question sous prétexte qu’il était poursuivi  par la justice. Prétexte, parce qu’il s’agit en réalité d’une animosité datant d’avant les démêlés judiciaires de ce rival. Pour mémoire, les onze juges de la Cour Suprême ayant examiné la question ont estimé à l’unanimité que rien ne s’opposait à l’exercice de la fonction de premier ministre par une personne inculpée mais pas condamnée.

C’est ainsi que le Président Rivlin, premier personnage de l’Etat, se permet de fouler aux pieds la présomption d’innocence. Peut-être a-t-il oublié que pour sa part il ne s’est pas gêné  naguère de fustiger l’institution judiciaire quand lui-même était sous investigation et qu’il estimait être malmené.

Au début des années 2000,  Rivlin faisait l’objet d’une série d’enquêtes, entre autres mettant en cause sa relation avec David Appel, entrepreneur en bâtiment et soutien du Likoud. La police soupçonnait Rivlin, alors avocat et homme politique influent, d’avoir reçu des « faveurs » de cet entrepreneur, qui par ailleurs avait déjà eu maille à partir avec la justice. Une décennie plus tard l’ami de Rivlin était condamné pour corruption dans le cadre d’une autre affaire.

Au bout de plusieurs années de procédure, les sept dossiers mettant Rivlin en cause furent classés sans suite, et ceci contre l’avis de la police qui recommandait pourtant de le traduire en justice sur base de l’un de ces dossiers. En apprenant l’heureux dénouement, Rivlin a néanmoins qualifié le système judiciaire de « pervers », et s’est plaint de ce que ni  lui ni ses proches ne se remettraient jamais du temps perdu. Il a notamment accusé la police de s’être contentée de l’interroger durant  onze heures, et d’avoir ensuite mis plus de trois ans à rendre publiques ses conclusions, ce qui a donné libre cours à une campagne médiatique entachée de fausses rumeurs.

« והמבין יבין  », dit-on en hébreu , ce qui en français donne à peu près « et celui qui comprend comprendra ».

 

Le naufrage du parti travailliste d’Israël

Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël, défend dans un article du magazine « Regards » son point de vue à propos de la  décision du parti travailliste  Avoda  de placer Ibtisam Mara’ana en septième position sur la liste des candidats-députés en vue des élections législatives.

Mara’ana est une Israélienne arabe, réalisatrice de cinéma, enseignante, militante féministe et antisioniste. Barnavi précise qu’elle est mariée à un Juif, comme si cela devait exclure l’idée quelle pourrait être antisémite.

En 2008 Mara’ana déclarait au cours d’une interview avec un journaliste du quotidien israélien « Globes »  qu’elle aurait aimé écrire un scénario où elle imaginerait la destruction de la ville de  Zikhron Ya’akov[1] et expédierait ses habitants en Pologne. Elle ajoutait dans un même souffle que les Juifs sont un peuple lâche, cupide et dominateur.

Mara’ana est notoirement opposée à l’Etat du peuple juif tel que défini dans la Déclaration d’Indépendance d’Israël. C’est fidèle à cet esprit qu’elle estime ne pas être tenue de respecter la mémoire des soldats de Tsahal morts au champ d’honneur. En 2012 elle déclarait que quand retentit la sirène de commémoration une fois par an, et que les automobilistes sortent de leur véhicule pour se tenir debout en signe de recueillement, elle continue de rouler et dit éprouver de la jubilation à être seule à poursuivre son chemin. Barnavi estime que  Mara’ana a changé d’avis depuis, puisqu’elle invoque ces jours-ci « une erreur de prime jeunesse ». Mais comme elle avait 37 ans à cette époque cela  ne correspond pas vraiment à la notion de « prime jeunesse ». Elle était au contraire déjà une militante politique mure, et consciente de la portée de ses propos.

Barnavi affirme qu’à l’annonce de la position de Mara’ana  sur la liste du parti travailliste « la droite a aussitôt introduit une requête auprès de la Commission électorale pour lui interdire de se présenter aux élections ». Difficile de déterminer si Barnavi se trompe ou s’il induit sciemment ses lecteurs en erreur, mais le fait est que cette pétition a été déposée par la gauche, notamment  par Maozia Segal, ancien combattant  et membre du parti travailliste, ainsi que par d’autres membres qui objectent à la candidature de Mara’ana pour des raisons d’ordre éthique. C’est dans un deuxième temps seulement que d’autres demandes d’annulation ont suivi la gauche.

Je suis en faveur de la liberté d’expression dans son acception la plus large. J’estime donc que Mara’ana a le droit de détester les Juifs, les cyclistes, les chiens et les chats, et quiconque qui ne lui revient pas. Elle a aussi le droit de penser que les Juifs doivent retourner en Pologne  et que la planète se porterait mieux sans eux. Mais le scandale est ailleurs : indépendamment des opinions politiques de tout un chacun, il est indécent pour un des partis fondateurs du projet sioniste  de pousser vers la Knesset une militante opposée au principe même de l’Etat juif. Le fait que Mara’ana se soit excusée suite à la demande d’annulation de sa candidature est cousu de fil blanc et n’est pas crédible eu égard à la coïncidence avec le calendrier électoral.

Cela ne signifie pas que l’on ne puisse jamais revenir sur ses propos, ni changer d’avis, ni faire amende honorable. Chacun  a droit à l’erreur.  Mais si Mara’ana s’était excusée avant de prétendre siéger à la Knesset et avait milité de manière durable dans un parti sioniste c’eût été différent. Maintenant le fait est là : Mara’ana a réussi son coup politique, mais le parti de Ben Gourion, de Levi Eshkol, d’Itzhak Rabin, de Golda Meïr, de Moshe Dayan et de tant d’autres héros d’Israël s’est déshonoré par la même occasion.

Quant à Elie Barnavi, personnalité et intellectuel respectable, il ne devrait pas soutenir l’insoutenable au nom de l’idée qu’il se fait de la gauche israélienne. Celle-là mérite mieux qu’Ibtisam Mara’ana.

[1] Zikhron Ya’akov a été fondée au 19ème siècle par une centaine de pionniers venus de Roumanie. C’est une des premières agglomération de la mouvance sioniste.

Heureux comme Dieu en France ?

Séquence intéressante, la semaine dernière, au cours de l’émission « Les grandes gueules Moyen-Orient » sur la chaîne de télévision israélienne I24news. La journaliste Noémie Halioua y défendait le droit de vivre des Juifs en Diaspora, mais Olivier Rafowitz, colonel de réserve de Tsahal[1], estimait pour sa part qu’il n’y  avait pas de réponse possible à l’antisémitisme,  autre que celle de l’Etat juif. Selon Rafowitz les colloques et symposium en tous genres à ce propos ne sont qu’enfumage, parce que l’on ne combat pas l’antisémitisme par décret.

Abnousse Shalmani, journaliste et écrivaine qui participait également au débat, défendait quant à elle le concept de « Français d’obédience juive », ce à quoi Rafowitz rétorquait que cette fiction n’avait pas empêché l’Etat français d’envoyer les Juifs à la mort lors de la Shoah.  Mais pour Shalmani l’antisémitisme est un mal qui procède de l’ignorance, ce pourquoi il faut par exemple se battre pour que la Shoah soit enseignée à l’école.

Stanislas de Clermont-Tonnerre[2], député de Paris en 1789 se déclarait en faveur de l’accession des Juifs à la citoyenneté, mais exigeait en même temps de  « tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus » En 1806 Napoléon 1er  mettait en place le « Grand Sanhedrin[3] » qui souscrivait à l’idée que les Juifs étaient des citoyens à part entière bien que de « confession mosaïque ».

Mais le réel est têtu, et contrairement au vœu de Stanislas de Clermont-Tonnerre, les Juifs constituent un peuple et non pas une « obédience » comme persiste à le penser  Shalmani.  L’identité juive n’est en rien dépendante de la pratique religieuse, pour la simple raison qu’est juif quiconque est né de mère juive, qu’il soit athée ou pratiquant. Feu le Cardinal Lustiger, catholique fervent devant l’Eternel, a toujours tenu à affirmer haut et fort qu’il restait juif en dépit de sa conversion, ce que même le Juif le plus orthodoxe ne lui contestait pas.

La modernité n’a rien changé à l’antisémitisme. De l’Argentine à la Russie, du Danemark à l’Afrique du Sud, de la Malaisie au Pakistan, du Venezuela à l’Iran, de la France à l’Amérique, dans le monde entier des institutions juives sont le théâtre d’agressions antisémites.

L’idée que l’antisémitisme serait une forme d’obscurantisme relève d’une méconnaissance de sa nature profonde. Ni Heidegger, ni Céline, ni Luther, ni Érasme, ni Maurras, ni Balzac, ni Wagner ni Proudhon n’étaient obscurantistes. La nature profonde de l’antisémitisme n’est  pas une objection au judaïsme en tant que religion, mais bien aux Juifs en tant que peuple. Il y avait une anomalie jusqu’en 1948 à ce que ce peuple n’ait pas d’Etat qui en soit le garant. Maintenant c’est chose faite.

[1] Armée de défense d’Israël.  Olivier Rafowitz est aussi ancien porte-parole de Tsahal.

[2] Comte de Clermont-Tonnerre, mort assassiné en 1792, officier et homme politique français, partisan d’une monarchie constitutionnelle.

[3] Cour suprême juive créée le 10 décembre 18061 comprenant soixante-et-onze rabbins et notables.

Le plan de paix Trump

Le « plan Trump » consiste à acter que la ligne d’armistice de 1949 ne peut en aucun cas être considérée comme une frontière d’Israël, et qu’un éventuel Etat palestinien ne pourra disposer ni d’une armée, ni du contrôle de ses frontières, ni de son espace aérien aussi longtemps que le leadership palestinien sera déterminé à détruire Israël.

Il ne reste pour Israël qu’à prendre des mesures unilatérales, or c’est cela que les Etats-Unis ont compris. On peut penser ce que l’on veut de la coiffure du Président Trump, mais depuis qu’il est au pouvoir il a fait un sans-faute en ce qui concerne Israël.

La région d’Israël surnommée « le Petit Triangle » est peuplé de 260.000 arabes israéliens. Ceux-ci sont majoritairement hostiles à Israël en tant qu’Etat sioniste. Ils possèdent leur système d’éducation en langue arabe, sont solidaires des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, refusent de faire le service militaire tout comme le service civil, arborent le drapeau palestinien à toute occasion, ne respectent pas l’hymne national israélien, soutiennent la création d’un Etat palestinien et commémorent l’indépendance d’Israël sous le signe du deuil.

Mais en apprenant que le « plan Trump » prévoyait d’inclure « le petit triangle » dans la future Palestine et de commuer leur citoyenneté israélienne en citoyenneté palestinienne, ils ont été pris d’une rage folle et ont manifesté pour clamer qu’en aucun cas ils ne voulaient pour eux de cette Palestine qui semblait pourtant jusqu’à la semaine dernière incarner leur rêve le plus fou.

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