Les Juifs et le rêve américain

Lors d’un séjour en Israël, il y a plus de deux décennies, je suis à Tibériade pour participer à un séminaire international des dirigeants du Keren Hayesod[1]. Au cours d’une des séances, le professeur Della Pergola, universitaire spécialisé dans la démographie des communautés juives, nous parle des perspectives d’Israël. Il s’agit de réfléchir au potentiel   de croissance de la population juive dans les années à venir. L’antisémitisme et le marasme économique de l’URSS a certes suscité une émigration massive vers Israël, mais elle touche à sa fin.  La question est maintenant de savoir d’où pourrait bien venir une nouvelle Alyah significative.

Je propose une hypothèse aux participants du séminaire. Je commence par leur demander dans quel pays les Juifs sont à la fois les plus nombreux, les plus dynamiques, les mieux établis du point de vue intellectuel et économique, et aussi les plus intégrés en tant que citoyens. La réponse est bien entendu l’Amérique. La manière dont je décris la communauté juive des Etats-Unis semble suggérer qu’elle n’a pas vocation  à se tourner vers Israël.

Mais en analysant le profil de cette communauté  je relève qu’il a beaucoup d’analogie avec celui de l’Allemagne d’avant la Shoah.  Que c’est précisément ce genre de profil qui de tous temps a fini par se retourner contre les Juifs eux-mêmes.  Je rappelle l’Exode d’Egypte, l’expulsion d’Espagne et les Lois de Nuremberg[2]. Dans ces cas emblématiques les Juifs ont connu une descente aux enfers après avoir prospéré sur les sommets d’un âge d’or. Cela ne signifie pas qu’il pourrait y avoir une Shoah en Amérique, mais qu’une lame de fond antisémite pourrait s’avérer assez dévastatrice du point de vue moral pour décider de nombreux Juifs à se résoudre à l’Alyah.

Mon hypothèse laissa l’audience sceptique à l’époque, mais je pense qu’il n’est plus extravagant aujourd’hui de l’envisager. Cela fait des années que des institutions juives américaines sont attaquées ou subissent des actes de vandalisme. Le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas en Israël a eu pour effet de déclencher une flambée d’antisémitisme plus féroce en Amérique qu’ailleurs dans le monde occidental. Mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est qu’il a cours dans les universités les plus prestigieuses, là-même où sont formées les élites de la nation.

L’aile gauche du Parti Démocrate américain en particulier ne se retranche plus derrière un antisionisme de façade et manifeste son antisémitisme de manière de plus en plus décomplexée. Le Président Obama, fort de son prix Nobel immérité, s’en est pris à Israël après le massacre et a réussi un tour de force consistant à faire de la victime un coupable. Mais il doit être dans sa logique, puisque cet humaniste de pacotille a eu pendant vingt ans comme mentor et guide spirituel un antisémite notoire et qualifie la branche militaire du Hamas de « groupe de résistance palestinienne » dans son autobiographie[5].

Obama estime par ailleurs que « l’Amérique et l’islam se recoupent et se nourrissent de principes communs, à savoir la justice et le progrès, la tolérance et la dignité de chaque être humain.  L’Islam a une tradition de tolérance dont il est fier ».

De nos jours la réalité de la gauche dépasse la fiction de la droite.

***

[1] Appel unifié pour Israël. Organisme central financier du mouvement sioniste mondial ainsi que celui de l’Agence juive.

[2] Adoptées par le Reichstag en 1935 et mettant en place en Allemagne un système discriminatoire où les juifs sont exclus de la société.

[[5] « Une terre promise », Fayard

Faut-il craindre le transhumanisme ?

La question du transhumanisme doit être pensée dans le cadre plus général de la lame de fond technologique de notre époque. On ne peut y réfléchir sans prendre en considération d’autres aspects de cette révolution. Le fait par exemple que chaque individu est désormais géolocalisable par son téléphone n’est que le premier pas vers un monde où il ne sera même plus nécessaire de s’équiper d’un portable, parce que le concept même d’anonymat ou d’absence aura disparu.

La science est la seule chose réellement universelle au monde, et l’ingéniosité déployée par l’homme pour maitriser la matière date de l’aube de l’humanité. Nietzsche avait d’ailleurs du dédain pour la science, précisément parce que l’observation du monde physique est accessible à tout un chacun.

Longtemps les hommes de science ont cherché à dégager une intention dans la réalité du monde sous forme de transcendance. L’approche aristotélicienne incluait le savoir et le sens dans un même ensemble. Mais le XVIIe siècle a vu l’émergence d’une nouvelle conception de la science en vertu de laquelle seules sont prises en considération les lois de la nature. Le divorce entre sens et science est consommé depuis.

Toute assertion concernant la science doit pouvoir être réduite à des notions quantitatives. La science pose des diagnostics et aboutit aux mêmes conclusions quels que soient les hommes qui les prononcent. La recherche scientifique relève de la logique et s’impose à l’homme.

La rigueur scientifique commande d’ignorer tout élément subjectif, politique ou téléologique[1]. La recherche n’a pas pour moteur quelque vision du monde que ce soit. Elle ne s’intéresse qu’aux faits. On ne peut en extrapoler ni interdit ni exigence. La science traite de la réalité, insère les faits dans un système où ils sont confrontés à d’autres faits, et révèle leurs liens fonctionnels.

Confronté à l’évidence scientifique, l’homme n’a d’autre choix que de s’y soumettre. Si ce qu’il découvre est incompatible avec ses valeurs, il ne peut faire autrement que de l’assumer. Il ne peut y avoir de dilemme lié au progrès scientifique et le chercheur n’a pas à anticiper les conséquences de ses travaux. Nous ne pouvons donc nous tourner vers la science pour découvrir ce qu’il convient de faire avec la science.

La science s’occupe de ce qui est, alors que l’éthique s’occupe de ce qui devrait être, ou de ce qui est souhaitable du point de vue humain. Tenter de déduire de l’éthique à partir de l’observation de la nature confine à la superstition, parce que l’éthique est une abstraction qui ne relève pas de la nécessité.  Yeshayahu Leibowitz[2] disait qu’il n’est  « jamais nécessaire pour un être humain de faire une chose particulière, et ceci quelle que soit la situation où il se trouve. Il peut toujours faire le contraire. C’est vrai de tout homme, de tout groupe humain et de toute réalité sociale et politique.[3] »

Ce constat illustre la liberté ontologique de l’homme, autrement dit le libre arbitre. Il conduit l’homme à s’interroger sur sa propre existence, à réfléchir à sa place dans le monde et à donner un sens à sa vie.

Une fois jeté dans le monde, l’homme est semblable à un enfant laissé à lui-même dans un magasin de jouets. Il est libre de saisir tout ce qui s’y trouve, mais dans un temps limité. Même sans connaître l’heure, l’enfant sait intuitivement que le magasin fermera à la tombée de la nuit, et qu’il ne pourra emporter aucun jouet avec lui. Cette conscience de la finitude, que même un enfant peut éprouver, est la source de l’angoisse métaphysique de l’homme adulte.

L’angoisse métaphysique est salvatrice. Elle nous renvoie à notre moi profond. Elle nous apprend l’embarras du choix face au monde et nous emmène à décider de nos interactions avec notre environnement. Elle nous apprend qu’en tant qu’individus nous ne pouvons procéder autrement qu’en faisant des choix dans un monde que nous n’avons pourtant pas choisi. L’angoisse métaphysique est liée à la certitude de la mort et constitue le moteur de la créativité.

Quand on demande à Woody Allen comment il souhaite qu’on se souvienne de lui après sa mort, il répond qu’il ne veut pas mourir. Mais s’il était éternel il ne réaliserait sans doute jamais de films, parce qu’il se dirait qu’il peut toujours s’y mettre le lendemain ou lors du millénaire suivant. La vérité est qu’il n’aurait rien à raconter. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Adam, le Premier Homme du récit biblique, n’a laissé aucune trace avant de devenir mortel.

La créativité humaine, c’est l’interaction entre l’esprit et la matière dans la perspective de la mort. C’est ainsi que ce qui détermine son action est ce qu’il veut.  En l’occurrence, nous ne devons pas nous demander ce que le transhumanisme pourrait faire de nous, mais ce que nous voulons faire du transhumanisme. Mais quoi que nous décidions nous devons nous méfier de tout consensus. Tout au plus pouvons-nous nous mettre d’accord sur base de compromis

La mouvance transhumaniste promeut l’usage combiné de différentes technologies en vue d’améliorer les capacités physiques et mentales des humains. Certaines recherches ont pour  finalité de créer des individus augmentés, de prolonger la vie, de supprimer le vieillissement, voire de tuer la mort.

Mais le progrès scientifique a toujours été à double tranchant. De la domestication du feu jusqu’au séquençage du génome humain, aucune découverte ne peut être considérée comme essentiellement éthique, ou au contraire incompatible avec elle.

Face au danger que pourrait constituer une technologie transhumaniste aux implications imprédictibles, l’on pourrait être tenté d’en contrôler le développement. Cela pourrait inciter la communauté internationale à confier à une institution impartiale la mission de faire barrage à toute dérive.

Mais cette peur de l’inconnu pourrait produire une idéologie hostile à la science en installant une technocratie régulatrice sans contrepouvoir. Celle-ci imposerait une politique transnationale contrôlant la recherche, l’économie, la culture et la vie privée. Les Etats renonceraient à leur souveraineté au bénéfice d’une union sacrée visant à intercepter toute initiative suspecte. Une telle gouvernance aurait dans son cahier de charge des dispositifs contraignants gommant les différences culturelles, ethniques et philosophiques au bénéfice d’une pensée unique.

La manière dont la pandémie du Corona a été gérée par de nombreux Etats est un cas d’école en la matière. Le confinement, la distanciation sociale et le catéchisme sanitaire ont été anxiogènes pour des peuples entiers et ont desservi l’économie. Les violations des droits de l’homme et la privation de libertés individuelles ont montré avec quelle désinvolture les démocraties les plus sûres pouvaient basculer dans le totalitarisme en un temps record.

Il faut se garder de combattre le mal par le mal en légiférant à tort et à travers. Une gouvernance universelle censée nous protéger constituerait une tyrannie. Il faut s’opposer à toute régulation à l’échelle du monde de la recherche scientifique, qu’il s’agisse de transhumanisme, d’écologisme, de bioéthique, de dérèglement climatique ou de toute autre menace réelle ou supposée pesant sur l’espèce humaine. Le communisme, le fascisme et le théocratisme n’ont jamais été que des universalismes menant à l’enfer par le chemin des bonnes intentions.

Considérons ce verset de la Parasha[4] Noé à propos de la Tour de Babel :

וַיְהִ֥י כׇל־הָאָ֖רֶץ שָׂפָ֣ה אֶחָ֑ת וּדְבָרִ֖ים אֲחָדִֽים׃

(Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables[5] )

Interprétation de Leibowitz : « Il existe à notre époque une idéologie qui pousse  à l’uniformisation de la pensée. Selon cette conception  l’humanité ne devrait former qu’un bloc indifférencié et sans conflits. Mais en réalité il n’y a rien de plus dangereux que ce conformisme qui étouffe la pensée. On ne peut imaginer tyrannie plus absolue. La Torah nous explique que Dieu a empêché la construction de la Tour de Babel en créant une humanité faite de contradictions, de différenciations et de valeurs multiples pour lesquelles les êtres humains doivent lutter afin de faire barrage à l’enfer  d’un universalisme  fait d’uniformité ».

En marge du transhumanisme il existe aussi une crainte diffuse selon laquelle des ordinateurs surpuissants pourraient un jour développer une pensée humanoïde en émulant l’action des synapses entre neurones et cellules nerveuses. Un enchainement de milliards de milliards de « 1 » et de « 0 » générerait ainsi une conscience animant des androïdes reproductibles aptes à aimer, à détester, à souffrir, à jouir, à désirer, à distinguer entre le bien et le mal, à produire de l’art, à tuer et à craindre la mort.   Au nom du droit des machines il serait alors interdit de leur nuire, de les humilier, de les torturer ou de les détruire. Leur existence bénéficierait du même caractère d’intangibilité que la vie humaine.  Nous serions solidaires de ces machines et elles le seraient de nous. Ne pas leur venir en aide en cas de panne logicielle ou mécanique constituerait un délit de non-assistance à machine en danger. Elles seraient justiciables sur base d’un code pénal similaire dans son principe au nôtre. Elles seraient soumises à l’impôt en tant qu’individus disposant de biens enregistrés dans la blockchain[6].

Mais il y a dans cette fantasmagorie une impasse logique. L’homme est peut-être à même de doter la machine de tous les mécanismes et algorithmes possibles, mais pas de la clé de sa propre liberté, puisqu’il ignore lui-même à quoi elle tient. Quelle que serait la capacité de calcul de la machine, elle serait incapable de manifester la moindre intention, étant donné que l’intention n’est déductible ni de la raison ni de la logique. Craindre dès lors que la machine pourrait décider de s’emparer du pouvoir des hommes est une hypothèse qui relève de la paranoïa plutôt que  de la science.

Ivan Fiodorovitch, l’un des personnages des « Frères Karamazov [7]» est un intellectuel qui s’interroge sur l’éthique et le libre arbitre, les deux étant liés. Il vient à la conclusion que sans croyance en Dieu le mal l’emporterait dans un monde livré à lui-même. Mais l’on peut aussi penser qu’en l’absence de Dieu le bien et le mal sont présents à parts égales dans le monde des hommes.

L’accélération du progrès technique doit nous faire réfléchir, sachant que toute nouvelle technologie porte en elle le meilleur et le pire. Un transhumanisme mal maitrisé pourrait être dévastateur en modifiant le corps humain de manière à le rendre hybride de manière irréversible. Il ne fait pas de doute que cela aurait des répercussions sociologiques, historiques et politiques majeures.

Mais l’homme pensant n’a pas changé depuis Aristote malgré l’incommensurable progrès technique, parce qu’aucune abstraction de l’esprit humain ne puise sa source dans la matérialité du monde. Ni les nations, ni l’argent, ni les droits de l’homme, ni la justice, ni le contrat social ni la démocratie ne se trouvent dans le monde physique. Ce sont des représentations sans lien avec la nature. Dans le même ordre d’idées, la technologie ne saurait neutraliser l’esprit humain, tout simplement parce qu’elle n’y a pas accès.

Nous assistons à un changement de civilisation multifactoriel dont les velléités transhumanistes constituent l’un des aspects, mais ce serait une erreur que d’en faire un épouvantail. Le passage à la révolution industrielle n’a pas été non plus de tout repos, mais a fini par réduire la misère dans le monde.

Considérons ce verset de la Genèse:

וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃

« Et Dieu dit faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »

En conclusion il est raisonnable de penser que ce ne sera jamais la matière qui transformera l’homme, et que l’homme continuera à assujettir la matière comme il le fait depuis le vol du feu par Prométhée.

***

[1] L’idée que le monde obéit à une finalité.

[2] Chimiste, médecin, historien de la science, philosophe, érudit du judaïsme  et moraliste israélien, considéré comme l’un des intellectuels les plus marquants de la société israélienne, et l’une de ses personnalités les plus controversées pour ses avis tranchés sur la morale, l’éthique, la politique, et la religion. Rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque.

[3] Peuple, Terre et État, Paris, Éditions Plon, 1995

[4] Unité de division du texte de la Torah.

[5] Genèse 11:1

[6] Technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle.

[7] Le dernier roman de Fiodor Dostoïevski.

Manifestation contre l’antisémitisme ?

Le 7 octobre 2023 des Gazaouis perpétraient un pogrom en Israël et se retiraient le jour même avec plus de 200 otages. Ce massacre a eu pour conséquence de déclencher une monstrueuse vague d’antisémitisme à travers le monde. Comprenne qui pourra.

Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’une « importation du conflit israélo-palestinien », mais d’un antisémitisme d’une grande vitalité qui prospère à l’extrême-gauche et dans le monde musulman. Pour l’islamogauchisme ce massacre de Juifs est l’occasion de jubiler dans le monde entier.

La mouvance islamogauchiste avait pris l’habitude de camoufler son antisémitisme sous couvert d’antisionisme. Mais dernièrement elle ne semble même plus soucieuse de se servir de cet artifice.  Elle agresse directement les Juifs en tant que Juifs.

Face à ce phénomène, l’Assemblée nationale et le Sénat ont appelé à une manifestation à Paris contre l’antisémitisme. Elle aura lieu dimanche 12 novembre.

Maître Gilles-William Goldnadel, fondateur d’Avocats sans frontières  et président de France-Israël est connu pour son combat contre l’antisémitisme.  Il a pourtant annoncé qu’il ne se rendrait pas à la manifestation. Il estime que si ni l’extrême-gauche ni l’islamisme ni le Hamas ne sont explicitement mis en cause, et que si l’on ne réclame pas la libération des otages, alors cette manifestation est dénuée de sens.

Paul Amar, journaliste vétéran, réfléchit à la vacuité des défilés en silence. Ceux-ci consistent à valider la pleutrerie de l’Etat. C’est ratifier la doctrine du « pas de vagues », présentée comme une stratégie. C’est Munich à la sauce woke.  Les minutes de silence juif sont devenues au fil de l’Histoire des éternités de silence de mort.  Il a servi à quoi, ce silence? Qu’a-t-il changé ? Accompli ? Amélioré ? Dans quel lieu le silence est-il digne, ailleurs qu’au cimetière où reposent nos victimes du silence ? Faire silence à la manifestation de Paris quand Tsahal rompt le silence sur le champ de bataille ? Assez de silence. Vive les hurlements et la rage.

Lors de la Guerre des  Six-Jours en 1967 on ne manifestait pas contre l’antisémitisme, mais pour Israël. Il n’y a aucune différence de nature entre la tentative de  jeter les Juifs à la mer d’alors, et celle de maintenant. Même obsession génocidaire, même pathologie séculaire.

La manifestation contre l’antisémitisme à Paris est une manipulation. Une manœuvre pour ne pas nommer l’islamogauchisme. Cette manifestation devrait avoir pour unique thème le soutien à Israël. Rien d’autre.  Nous savons à quel point la France n’a pas été à même de  protéger les Juifs en temps de crise.

Reste l’Etat d’Israël, colonne vertébrale de la Diaspora. Aucun Juif ne peut tenir debout sans elle, ni en France ni ailleurs ni nulle part. Une manifestation contre l’antisémitisme sans drapeau d’Israël en tête est une tartufferie.

Jakubowicz contre Bensoussan

L’historien Georges Bensoussan est l’auteur de nombreux ouvrages traitant de l’histoire du peuple juif, en particulier celle du 19ème siècle jusqu’à nos jours. C’est un des rares chercheurs ayant une connaissance approfondie à la fois des mondes ashkénaze et sépharade.  Il a été responsable éditorial du Mémorial de la Shoah à Paris.

En 2002 Bensoussan dirige un ouvrage collectif intitulé « Les Territoires perdus de la République »,  où il donne la parole à des enseignants et chefs d’établissements scolaires. Ceux-ci témoignent de l’antisémitisme, du racisme et du sexisme qui règne  dans les banlieues parmi les jeunes issus de l’immigration.

En octobre 2015 Bensoussan et le sociologue Patrick Weil[1] sont invités par Alain Finkielkraut[2] à débattre dans l’émission « Répliques » sur France Culture. Le sujet du jour est « Le sens de la République ».  Dans le feu de la discussion, Bensoussan dit qu’il « n’y aura pas d’intégration tant qu’on ne se sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret. Il se trouve qu’un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : “C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère. »

Vérification faite par Finkielkraut, il ne s’agit pas d’une citation littérale, mais bien d’une métaphore édulcorée de ce que dit de Smaïn Laacher[3] dans le film mentionné par Bensoussan.

Le CCIF[4] signale l’émission à la préfecture de Paris, mais sans mentionner Smaïn Laacher, pourtant source des propos de Bensoussan sur l’antisémitisme qui sévit dans le monde musulman.  Le parquet se saisit de l’affaire et décide de poursuivre Bensoussan. La LICRA[5], dont l’avocat Alain Jakubowicz est le président, se constitue partie civile. Cela signifie qu’elle souhaite être incluse  au procès en qualité de plaignante.

En janvier 2017 Bensoussan est convoqué devant le tribunal correctionnel de Paris pour « incitation à la haine raciale ».  En mars de la même année il est relaxé. Le CCIF fait appel, mais en mai 2018 la Cour d’Appel relaxe Bensoussan « de toute accusation de racisme et d’incitation à la haine pour ses propos sur les musulmans ».

Jacques Tarnero[6], qui assiste au procès, juge que « ce n’est  pas à Georges Bensoussan d’être assis dans le box des accusés mais à ceux qui l’accusent d’y figurer ».

En septembre 2019 la Cour de cassation rejette tous les pourvois.

Mis hors de cause mais meurtri, lâché par certains et soutenu par d’autres, Bensoussan publie en 2021 « Un exil français », où il fait le point sur cet épisode qui l’a blessé dans sa vie d’homme et d’écrivain. Il est à la fois amer et nostalgique : « Ce procès   qui n’aurait jamais dû se tenir  sonnait pour moi, comme pour tant d’autres, d’ici et d’ailleurs, le glas d’un monde ancien. Je n’étais pas seulement du côté du « temps qui reste » mais sur la crête d’un pays qui glisse dans l’oubli. Ce que ces errements judiciaires avaient mis en lumière scindait ma vie ».

La semaine dernière Jakubowicz[7] était sur le plateau de «  L’Heure des Pros », émission sur Cnews animée par Pascal Praud[8].  Angoissé par la vague d’antisémitisme en cours, il  rappelle que lors de la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, un million de français étaient descendus dans la rue. Il se plaint de ce que l’aptitude à s’indigner se soit émoussée depuis. Mais ce qu’il omet de préciser, c’est qu’a l’époque c’était l’extrême-droite qui était en cause, or il n’y avait pas grand risque à manifester contre elle. Cela consistait à se donner bonne conscience  à  bas prix. De nos jours il y n’y a guère plus que  des non-manifestants avec pour mot d’ordre « pas de vagues », surtout quand il s’agit de celles en provenance de la Méditerranée.

Au cours de l’émission, Jakubowicz admet avoir commis des erreurs au cours de sa carrière. Il dit ne pas les regretter parce qu’il les attribue à son humanisme et  à sa candeur. Mais il assume son combat contre Bensoussan et persiste à le trouver coupable de généralisation concernant l’antisémitisme musulman.  Il ajoute que cette affaire est sans grande importance.

Ce que Jakubowicz trouve sans grande importance, c’est d’avoir permis que la LICRA s’associe au CCIF, organisation islamiste dissoute depuis,  pour commettre un lynchage médiatique au moyen d’une procédure visant à déshonorer Bensoussan, l’un des historiens les plus fins, les plus érudits, les plus lumineux  et les plus intègres du monde intellectuel juif.

L’antisémitisme que dénonce Bensoussan ne correspond peut-être pas à la case chère à Jakubowicz, homme de gauche à la pensée hémiplégique qui ne souffre que l’on s’attaque à l’antisémitisme que quand il vient de droite.  De là sans doute sa nostalgie des manifestations antifascistes de naguère.

Quoi qu’il en soit, la charge renouvelée de Jakubowicz contre Bensoussan  sur un plateau de télévision, ceci plusieurs années  après que celui-ci ait été innocenté, est une honte.

[1] Politologue, directeur de recherche au CNRS.

[2] Philosophe, écrivain, essayiste, polémiste, producteur de radio et académicien français.

[3] Professeur de sociologie a l’université de Strasbourg.

[4] Le CCIF a été dissous ultérieurement en tant que groupement de fait, accusé de « partager » et « cautionner » des idées terroristes.

[5] Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme

[6] Essayiste et un documentariste français. Spécialiste dans l’étude du racisme, de l’antisémitisme et de l’Islam.

[7] Avocat français. Président de la Licra de 2010 à 2017.

[8] Journaliste sportif, chroniqueur, animateur de radio et de télévision français.

Les Palestiniens de Cisjordanie

Les peuples n’existent pas à l’état naturel. Ce sont des entités intersubjectives qui  s’incarnent à partir d’une conscience collective se référant à une continuité historique. Il est difficile de déterminer cas par cas comment nait une telle conscience, mais on peut en identifier des éléments constitutifs.  L’ethnie, le territoire, le régime politique ou la langue, par exemple, peuvent être des marqueurs. Mais il arrive aussi qu’un peuple se construise à partir d’un mythe fondateur unique, précis et daté.

Celui des apatrides Palestiniens est fait du refus obsessionnel du droit à l’existence d’Israël. La conscience collective qui les agrège est née du mépris atavique du Juif, souvent encore perçu comme Dhimmi dans  la psyché arabe.  Le veto des apatrides palestiniens contre toute souveraineté juive sur quelque portion de la Palestine historique que ce soit est fait à la fois d’antisémitisme et de rejet de la modernité.

Ces apatrides ont bien entendu le droit naturel à une citoyenneté, mais pas d’un Etat dont le projet serait de « jeter les Juifs à la mer »  conformément à la formule d’Ahmed Choukeiry, premier président de l’OLP[1]. Formule entretenue depuis par les ennemis d’Israël à travers le monde. Dans ces conditions, une Palestine souveraine entre Israël et la Jordanie n’aurait d’autre raison d’être que de reproduire le schéma irréductiblement criminel du Hamas à Gaza.

En réalité les Palestiniens de Cisjordanie sont des jordaniens. La Cisjordanie avait été annexée en 1950 par la Jordanie suite à la guerre d’indépendance d’Israël.  Ses habitants avaient reçu la nationalité jordanienne et ne revendiquaient pas d’Etat indépendant, les Jordaniens eux-mêmes étant en majorité ethniquement palestiniens.

Les Cisjordaniens n’ont commencé à exiger un Etat qu’après être passés sous contrôle israélien en 1967. Une manière réaliste de résoudre le conflit consisterait à se tourner à nouveau vers la Jordanie. A nouveau, parce que cette option avait déjà été envisagée par le passé, mais sans succès. Israël évacuerait la partie arabe de la Cisjordanie et la cèderait au royaume hachémite. Une nouvelle frontière serait convenue entre Israël et la Jordanie, qui prendrait en compte la consanguinité, la langue, la continuité territoriale et la sociologie des populations concernées. La plupart des Palestiniens et la plupart des Juifs de Cisjordanie resteraient là où ils sont, mais avec un statut modifié. Cette solution rendrait aux apatrides palestiniens leur dignité et leur nationalité au sein d’une fédération jordanienne dont la clé de voute ne serait donc plus juive.

[1] Organisation de Libération de la Palestine créé en 1964.

Terrorisme et riposte.

Suite au massacre perpétré en Israël par le Hamas, la sociologue Eva Illouz s’est exprimée au cours d’une interview sur la question de la proportionnalité de la riposte de Tsahal:

« …cette question de proportionnalité quand il s’agit d’un événement humain aussi important que la guerre me laisse perplexe. Qu’est ce que la proportionnalité ? Décapiter, violer, torturer 500 Palestiniens contre les 1500 Juifs qui sont morts dans des conditions similaires ? Comment créer une commensurabilité des massacres ? Parce qu’Israël vit constamment dans un état de guerre et de conflit, il a développé une doctrine militaire exigeant que l’ennemi paie un prix plus fort, pour le dissuader de recommencer. »

La question de la proportionnalité  se pose surtout – mais pas seulement – quand des civils innocents risquent d’être victimes d’affrontements entre forces armées. Mais il n’y a à Gaza  qu’une seule catégorie de civils dont on peut être certains qu’ils sont innocents, à savoir les enfants. Quant aux adultes ils sont certes sous l’emprise du Hamas, mais ils partagent généralement avec leurs maitres la haine des Juifs. Beaucoup de civils collaborent  activement aux crimes du Hamas, même sans en faire formellement partie.

Dans l’opinion publique israélienne il y a des voix qui s’élèvent pour exiger de suspendre l’aide humanitaire à Gaza aussi longtemps que ne seront pas libérés les otages enlevés lors du massacre du 7 octobre. Le spectacle de convois humanitaires qui approvisionnent Gaza ces jours-ci a quelque chose de surréaliste et d’indigne quand on pense qu’il y a parmi cette population d’innombrables  complices et assassins qui cherchent maintenant à échapper à la riposte de Tsahal.

Punir collectivement une population n’est jamais moral. Dans toute guerre il y des victimes collatérales, or la guerre contre le Hamas n’échappe pas à cette règle. Mais l’inhumanité du Hamas va jusqu’à sacrifier sa propre population en la transformant en bouclier humain. Israël n’a aucune responsabilité d’aucune sorte concernant ces victimes collatérales-là quand il s’agit de protéger ses propres civils, réellement innocents, eux, et pas seulement les enfants.

Mon article sur « Front Populaire »

Front populaire est une revue créée par le philosophe Michel Onfray et le journaliste Stéphane Simon. Vous pouvez cliquez sur ce lien pour accéder à mon article consacré l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas contre Israël. Pour le lire en intégralité il faut s’abonner à la version gratuite du site.

L’Alyah d’antan

Dans ma bonne ville flamande d’Anvers, nous étions une communauté juive vivant en autarcie. Des expatriés sans patrie. La plupart d’entre nous étions nés à Anvers, mais nos parents ou grands-parents venaient d’ailleurs, généralement d’Europe de l’Est.

Les Juifs étaient répartis en trois groupes: les séculiers, les religieux modérés et les ultraorthodoxes.  Les deux premiers de ces groupes étaient résolument sionistes. Il n’y avait en revanche pas de Juifs assimilés, ou alors ils l’étaient tellement, qu’ils n’étaient pas juifs du tout.

Les Juifs d’Anvers se conduisaient en citoyens respectueux de l’Etat, mais ne fréquentaient pas, ou très peu, les non-juifs. La quasi-totalité des enfants étaient scolarisés dans des écoles juives. Leur vie sociale était articulée autour de la judéité: école juive, club sportif juif, mouvement de jeunesse juif, religion juive. Une fois sortis de l’école, ceux qui ne partaient pas pour  Israël entraient dans l’industrie diamantaire, juive, elle aussi.

Les plupart des enfants fréquentaient un des mouvements de jeunesse sionistes. Ceux-ci avaient des sensibilités politiques qui allaient de l’extrême-droite à l’extrême gauche, mais avaient un indépassable horizon commun: l’Alyah. Il s’agissait de former les jeunes de  manière à les préparer à partir pour Israël et s’établir au kibboutz.

Cette conception était la continuation d’un vent nouveau qui soufflait sur les communautés juives à travers le monde depuis le début du siècle, mais qui avait été suspendu par la Shoah. Du point de vue idéologique, il ne s’agissait pas de promouvoir une Alyah tous azimuts, mais de galvaniser explicitement cette jeunesse d’après-guerre qui avait la vie devant elle.

Il s’agissait de bâtir Israël : c’était une affaire de jeunes. Les anciens ce serait pour plus tard. L’Etat d’Israël lui-même était ambivalent par rapport à l’Alyah d’éléments qui pourraient constituer une charge pour une économie encore fragile.

Il fallait inciter les générations montantes de la Diaspora à venir en Israël avant même d’apprendre un métier ou de faire des études. Ces choses-là pourraient être envisagées plus tard, en Israël, tout en travaillant la terre les armes à la main.

Dans ces mouvements de jeunesse on apprenait l’histoire du sionisme et celle de la terre d’Israël. Il fallait faire connaissance avec l’hébreu, intégrer  la géographie et se familiariser avec les codes de l’Etat juif. A l’âge de 15 ans les adolescents devaient prendre une part active dans la direction du mouvement et se déterminer par rapport à l’Alyah. En général cela se résumait à s’engager sur l’honneur à partir au kibboutz  dès la fin de la scolarité, à 18 ans.

Il ne s’agissait pas de projeter l’Alyah dans un futur indéfini en fonction des aléas de la vie. C’était le contraire : il fallait imprimer à sa vie un tournant indépendant de toute contingence,  dès la sortie de l’enfance : décider de « monter »  en Israël, au kibboutz, avant même de savoir en quoi consisterait cette existence juive d’un type nouveau.

Gérard Miller ou la doctrine de la cécité

Gérard Miller est un intellectuel français originaire d’une famille juive polonaise. Il est psychanalyste, professeur des universités et éditorialiste à la télévision.

Miller est un passionné du communisme. Il a adhéré, ou   a été compagnon de route, du Parti communiste français, de l’Union des étudiants communistes, du Parti communiste chinois , du Mouvement français marxiste-léniniste et de la Gauche prolétarienne. Aujourd’hui il soutient Jean-Luc Mélenchon, guide spirituel de La France insoumise^, parti islamogauchiste et wokiste et naturellement antisémite.

Il vient de commettre un article dans le journal « Le Monde », où il  condamne les Juifs qui soutiennent Marine Le Pen ou Eric Zemmour, respectivement dirigeants du « Rassemblement National » et de « Reconquête ».

Il est vrai que Le Rassemblement National traîne encore ses racines nazies, collaborationnistes et antisémites, malgré les tentatives de dédiabolisation de Marine Le Pen.  Il y a cependant des Juifs qui croient à sa reconversion et qui la soutiennent. Question d’opinion.

Mais il n’y a en revanche rien d’analogue chez Reconquête, parti de droite d’inspiration gaulliste. Aucun patriote, juif ou pas, ne doit craindre de se retrouver en mauvaise compagnie en soutenant le parti de Zemmour.

Miller dénonce le scandale que serait pour un Juif que de soutenir un de ces partis. Il est permis d’être sceptique quant à la rédemption du Rassemblement National, mais le fait est que le discours antisémite n’y a plus sa place depuis l’éviction de son fondateur Jean-Marie Le Pen. Les rares militants qui font des réflexions antijuives sont exclus sans ménagements.

En revanche, les dirigeants de La France Insoumise fraternisent sans états d’âme avec les antisémites de partis de gauche du Royaume-Uni ou d’ailleurs. Mélenchon vouait un amour inconditionnel à feu Hugo Chavez, président du Venezuela qui rappelait au monde qui avait tué le Christ.

Mais ce qui est à la fois sérieux et comique dans cette affaire, c’est que « La France Insoumise » puise une grande partie de sa clientèle chez les antisémites des « quartiers », où Miller dit lui-même que « des familles juives sont contraintes de déménager, et où  l’antisionisme a tout d’un antisémitisme à peine voilé.»

Dernièrement une députée Renaissance a même suggéré  la dissolution de « La France insoumise » pour antisémitisme. Les sorties  de Jean-Luc Mélenchon ne peuvent laisser aucun doute à ce sujet.

En conclusion, l’inénarrable Gérard Miller dissuade les Juifs tentés par la droite, mais appelle ses concitoyens à soutenir La France Insoumise,  seul parti politique de France littéralement possédé par l’antisémitisme.

Genèse d’une crise politique

Je soutiens l’opposition à la réforme judiciaire dans sa forme actuelle,  et exprime mon aversion du gouvernement qui la promeut. Je suis opposé à ce gouvernement pour une série de raisons, qui peuvent se résumer en une formule simple : j’estime qu’il n’est pas en phase  avec le projet sioniste, et qu’il ne respecte ni la lettre ni l’esprit de la déclaration d’indépendance d’Israël.

Je me sens néanmoins isolé concernant mon point de vue sur la genèse de la crise. Je trouve qu’il y a une manière déloyale, chez les opposants à Netanyahu, d’en escamoter l’origine. Tout se passe comme si leur détestation du personnage justifiait un déni de démocratie, ou pire.

Cela fait une dizaine d’années qu’un cercle vicieux fait des ravages dans la vie politique israélienne. Comme souvent dans ces cas-là, on a tendance à perdre de vue la genèse.

Benjamin Netanyahu a longtemps été soucieux concernant l’indépendance des juges en général, et de la Cour suprême en particulier. C’est Aharon Barak lui-même qui l’a encore récemment relevé . Netanyahu n’a jamais été dupe du caractère prétendument apolitique de la Cour suprême, mais estimait, comme beaucoup de monde, qu’en l’absence de Constitution cela valait mieux que rien. Et puis, soudain, il y a quelques années, il a commencé à se retourner contre le pouvoir judiciaire.

La question est de savoir pourquoi. La réponse simple, mais simpliste, est que c’est parce que cette fois-là c’était lui-même qui était mis en cause. Mais il  va de soi que dans ces cas-là on pense d’abord à soi-même, en particulier quand on n’a rien à se reprocher. C’est en tous cas la position que défend Netanyahu, et le centre de gravité de ma thèse.

Dès le début de la décennie précédente ses adversaires commençaient à désespérer de jamais pouvoir le déloger de manière démocratique. Des forces politiques, médiatiques et judiciaires se sont liguées pour le défaire d’une manière ou d’une autre. Il ne s’agit bien entendu pas d’un complot, mais d’une grogne diffuse qui avait saisi une partie de l’opinion publique, qui commençait à trouver que la démocratie n’avait pas que du bon.

Des moyens inouïs ont été mis en œuvre pour fouiller dans la vie publique et privée de Netanyahu. Intimidation de témoins, interrogatoires musclés et mises sur écoute ont été instrumentalisés sans compter.  Le coût financier de ce feuilleton est astronomique.

Selon le journaliste financier Ely Tsipori, le coût direct des poursuites judiciaires contre  Netanyahu s’élevait à plus de 500 millions de shekel en janvier 2022. Ceci sans compter le coût indirect des élections à répétition et de ses effets toxiques sur l’économie. Un an et demi plus tard nous sommes loin du dénouement.

Ma thèse repose sur un postulat, à savoir que le procès de Netanyahu est une fabrication. Comme toute fabrication de ce type, elle se donne une apparence légaliste. Dès les premières enquêtes s’est formé un front hostile avec pour seul motif que Netanyahu allait être inculpé pour de bonnes raisons. On ne lui reprochait pas sa politique, mais des délits qui restent à ce jour à démontrer.

Lorsque Benny Gantz a décidé de rallier le gouvernement de Netanyahu sous condition de rotation, celui-ci avait fait mine d’accepter, mais s’est ensuite ravisé. Il estimait que cette exigence était un chantage avec pour levier les accusations dont il était l’objet.

Dès que l’opposition a commencé à exiger que Netanyahu se démette, elle l’a fait d’une manière singulière : des ténors du journalisme et de la classe politique n’exigeaient pas qu’il aille en prison, mais qu’il aille à la maison. Bizarrement, personne ne voulait de punition autre que celle de le forcer à la retraite. Cette sorte d’acte manqué démontrait que pas grand-monde ne croyait à ce dont il était accusé, mais beaucoup comptaient sur une procédure longue qui l’écarterait, innocent ou pas.

Dernièrement, les trois juges qui mènent le procès contre Netanyahu  ont eu une réunion avec des représentants du Parquet.  Ils leur ont suggéré de renoncer à l’accusation de corruption, parce qu’ils estimaient que ce serait difficile d’en apporter la preuve. Le chef de la police d’alors a réagi en déclarant à la presse que personne n’avait envisagé que Netanyahu ne démissionnerait pas sous le coup d’une inculpation.  Cela a déclenché une violente réaction du Likoud, dont le porte-parole a estimé que l’inculpation n’avait jamais eu aucune chance de convaincre le tribunal,  mais que l’objectif avait été de  provoquer la démission de Netanyahu.

Le gouvernement Bennett/Lapid était censé offrir une solution à la crise en 2021. La seule certitude de cette parodie était qu’elle n’avait aucune chance de durer. Lors de sa campagne électorale, Naftali Bennett s’était adressé au pays à peu près en ces termes :

« Je ne contribuerai en aucune manière, à aucune condition, à un gouvernement où Lapid serait Premier ministre, parce qu’il s’agit d’un gauchiste. J’exclus la participation du parti Meretz parce qu’il s’oppose au principe d’un Etat juif et démocratique. Je m’engage à ne jamais soutenir de constellation autre qu’un gouvernement ancré à droite. Je mets Netanyahu en demeure de ne pas s’allier avec le parti arabe Ra’am. »

Après les élections Bennett a violé ses propres lignes rouges en arguant que cela avait été le prix pour mettre fin aux élections à répétition et sauver le pays. Mais il n’a ni sauvé le pays ni mis fin aux élections à répétition. Il a au contraire contribué à ce que l’anathémisation de Netanyahu accouche d’un gouvernement d’ultra-droite grâce au soutien de fanatiques ultra-orthodoxes et de voyous fascisants. Le gouvernement Bennet/Lapid a été une farce.

La manœuvre consistant à tenter d’éliminer Netanyahu du pouvoir autrement que par les urnes est un déni de démocratie intolérable. Cela a conduit à un nouveau déni de démocratie par le gouvernement actuel.

Maintenant cette question : si Netanyahu n’avait jamais été poursuivi en justice, en serions-nous là où nous sommes ? Je ne le pense pas. Il me semble même qu’une réforme judiciaire équilibrée aurait vu le jour de manière sereine, sous la conduite d’un gouvernement authentiquement démocratique.

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